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Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Projecteur : Requiem pour le cinéma burkinabé ?

Publié le jeudi 3 juillet 2008 à 12h18min

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Il y a trois invariants autour desquels le Burkina est connu du reste de la planète : c’est le pays de Thomas Sankara, c’est un pays très pauvre et, enfin, c’est un pays de cinéma. Si le mythe Sankara prospère et si, chaque année, nous tenons la queue du classement PNUD des pays les plus pauvres, il reste que le Burkina est en train de perdre son 7e art. Nos cinéastes ne sont pas montés sur le podium du dernier FESPACO et rien n’augure d’un nouveau printemps pour ce cinéma.

Il existe une race de cinéphiles impénitents et coriaces, capables d’ingurgiter n’importe quel film, quelle que soit sa qualité, pourvu qu’il déroule 24 images à la seconde. Ils suivent jusqu’à l’apparition des lettres F.I.N. le western le plus insipide, la série B la plus plate, le film gore le plus mièvre, tous les navets indiens de Bollywood et même les nanars nigérians de Nollywood.

J’ai longtemps cru en être et en tirais même vanité jusqu’à ce qu’un film burkinabé m’apporte un cinglant démenti. En me poussant littéralement hors de la salle de cinéma.

Ce n’est pas le film le plus indigeste du monde, mais comme le cinéma burkinabé nous a habitués à des œuvres de qualité, nous en attendons une certaine hauteur. En effet, coutumiers de films qui nous menaient sur les hauteurs du mont Ténankrou, nous rechignons à suivre un film dans une taupinière.

Quel film était-ce ? Inutile de le nommer parce que beaucoup de films récents du cinéma burkinabé sont de la même facture. Images médiocres, intrigue inexistante, montage approximatif.

De ce film, on pourrait dire comme Macbeth : « C’est une histoire dite par un idiot, pleine de fracas et de furie, et qui ne signifie rien… ». C’est à se demander comment cette génération de réalisateurs a réussi à dilapider en un temps record tout notre patrimoine cinématographique.

Un cinéphile déçu les a comparés aux Talibans afghans qui dynamitèrent les têtes de Bouddah sculptées dans la montagne. Ce qui est très exagéré. Même s’ils ont remplacé l’or de notre cinéma par du plomb !

L’âge d’or du cinéma burkinabé est-il derrière nous ?

On regrette l’époque où le cinéma burkinabé s’imposait sur l’échiquier africain. En ces temps heureux, Idrissa Ouédraogo remportait l’Etalon de Yennenga, "Wend-Kuni" de Gaston Kaboré transportait d’émotions des milliers de cinéphiles, et « Sya, le rêve du Python » de Dani Kouyaté faisait l’unanimité au Fespaco.

Inoubliables, les images pleines de beauté et de poésie d’Idrissa Ouédraogo dans « Tilaï », et « Yaba », avec ces paysages de carte postale qui invitent au voyage. Et la narration de « Wend-kuni », étudiée dans les écoles de cinéma, et l’entrelacement entre image et musique qui faisaient sourdre une grande émotion de ce film.

Et Dani Kouyaté, qui enjambe les siècles et clôt son film par Sya, la folle de l’empire de Wagadu, arpentant un boulevard d’une cité africaine au milieu des klaxons de voitures pour nous dire que nos pouvoirs restent prédateurs. Nil novi sub sole !

Comme dit Confucius, « tout passe, tout lasse, tout casse » et c’est pourquoi on a reproché à ces réalisateurs de faire un « cinéma calebasse », un cinéma, disait-on, qui ne montre que l’exotisme du village au moment où l’Afrique devient de plus en plus urbaine.

Un cinéma urbain et varié, mais un cinéma sans âme

Les nouveaux films ont donc émigré en ville et les nouveaux réalisateurs ont planté leur caméra dans la cité. Malheureusement, l’âme et la poésie n’ont pas fait partie de l’exode. Néanmoins, la thématique s’est enrichie, le cinéma s’ouvrant à tous les genres et à tous les sujets : amour, enfants dans la guerre, comédie musicale, polar politique.

Seulement, les cinémas sud-africain, maghrébin, tchadien, mauritanien en font un meilleur traitement. Si bien que, lors du dernier Fespaco, la qualité de notre cuvée nationale n’a point séduit. Et Abdoulaye Dao, d’habitude si réservé, avait attiré l’attention des autorités sur cet état de fait et annonçait le désastre si notre politique culturelle n’était pas repensée. Comment en est-on arrivé là ?

Une conjonction de faits qui nuisent au cinéma

Il faut reconnaître qu’il y a une conjoncture internationale peu favorable au cinéma africain. Si, pendant longtemps, les principaux financements sont venus de l’Europe, de nos jours, la Coopération draine ses financements vers les cinémas du Moyen-Orient et de l’Europe de l’Est. L’Afrique n’était-elle pas absente de la sélection officielle du festival de Cannes cette année ?

Il est révolu, le temps béni, où Pierre Yaméogo tournait « Moi et mon Blanc » à un milliard de FCFA. Toutefois, il serait très simpliste de justifier l’état de notre cinéma par le manque de financement. Quand Tahirou Ouédraogo explique la faiblesse de son dernier long métrage par le fait qu’il ait disposé de 150 millions au lieu de 500 millions attendus, nous y souscrivons.

Néanmoins, il aurait pu revoir ses ambitions et réajuster conséquemment son film pour ne pas perdre en qualité ou tourner un bout et attendre que le financement soit acquis avant de remettre l’ouvrage sur le métier. Des films ont mis des décennies avant de voir le jour.

Sembène Ousmane aurait pu tourner son « Samory Touré » avec une centaine de millions, il n’aurait pas fait une grande œuvre. Il a donc décidé ne pas le faire ! Un réalisateur pourrait aussi faire des travaux de commande (pub, docu, com) ou de petits films numériques pour se constituer une épargne en vue de réaliser une œuvre majeure en 35mm.

Au lieu de prendre le temps de faire des films de qualité, il nous semble que les réalisateurs burkinabé sont saisis de fébrilité à l’approche du Fespaco et veulent à tout prix y être. Quitte à présenter des œuvres inabouties et à récolter seulement des prix spéciaux. Ce qui est dommage. Il vaut mieux une filmographie constituée de deux grands films qu’une vingtaine de navets !

Un cinéma d’amateurs ?

L’autre cause de la déroute serait le manque de formation des nouveaux réalisateurs. Ce peut être vrai. Ce peut aussi être une force de notre cinéma. Les plus grands réalisateurs ne sont pas tous sortis des écoles. Ils étaient doués et ils se sont appropriés un outil pour s’exprimer. On ne peut imaginer un écrivain qui ne saurait écrire ni un réalisateur qui ne posséderait le langage cinématographique.

Mais jamais une école de formation n’offrira le génie ou l’originalité à ses élèves. Orson Welles, qui venait du théâtre, a tourné l’un des dix chefs-d’œuvre du cinéma mondial, « Citizen Kane ». Il s’est enfermé dans une salle et à visionner des centaines de films avant de tourner.

Parce qu’il n’est pas sorti d’une école, il a filmé les plafonds, chose que n’aurait faite aucun professionnel d’Hollywood, et il a réussi à signifier, par cette erreur technique, l’étouffement du personnage Kane. Djibril Diop Mambéty, dans « Hyène », filme les villageois encerclant le boutiquier pour le mettre à mort et qu’ensuite sa caméra s’avance au milieu de la meute pour nous montrer l’habit du boutiquier gisant sur le sable, le corps disparu, volatilisé. Aucune école n’apprend à filmer la mort ainsi, c’est le génie du cinéaste qui l’amène à prendre la disparition, synonyme de mort, dans son sens premier.

Ce n’est donc pas la formation des réalisateurs qui est en cause, c’est plutôt l’exigence de qualité dans la composition de l’image qui fait défaut à beaucoup de réalisateurs. Rares sont les cinéastes burkinabé qui reprennent un plan plus d’une dizaine de fois pour en choisir la meilleure. Il faut noter que le cinéma burkinabé a un public acquis.

Qui est très heureux de reconnaître dans un film sa ville ou ses comédiens ! Une anecdote illustre bien cette iconolâtrie. Par exemple, le salon de ma voisine ne désemplit plus depuis deux semaines. Tout le quartier passe par vagues pour visionner la cassette de son mariage et des cris d’émerveillement accompagnent chaque image parce que l’on se serait vu ou on aurait reconnu un proche à l’écran.

Un tel public est toujours enthousiaste. Mais son adhésion ne doit pas abuser le cinéaste. Et même si notre public est prêt à subir toutes les images, nos réalisateurs doivent viser à offrir des chefs-d’œuvre au monde. Ils doivent viser un public transnational. Et faire un cinéma qui plaît surtout par la beauté de ses images.

En somme, le cinéma burkinabé va mal. Seule une vigoureuse médecine peut le remettre d’aplomb. Il est donc temps que le ministre de la Culture s’attèle à revitaliser notre 7e art par une véritable politique culturelle. Il nous serait pénible de le voir, lui qui a l’émotivité à fleur de peau et les larmes si généreuses, dire de son élocution si vaticane le requiem de notre cinéma.

Barry Saidou Alceny

L’Observateur

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