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10e sommet de la CEN-SAD : Kaddafi a les moyens de ses caprices

Publié le mardi 17 juin 2008 à 10h49min

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Le palais des congrès de Cotonou (Bénin) abrite en principe ces 17 et 18 juin, le 10e sommet de la Communauté des Etats sahélo-sahariens (CEN-SAD). Sorti tout droit de l’esprit du Guide libyen, Mouammar Kaddafi, cet instrument, qui vise l’établissement d’une union économique globale basée sur une stratégie de développement complémentaire des plans nationaux des 25 pays adhérents, apparaît au fil des années non seulement comme une tribune privilégiée pour Kaddafi de montrer sa générosité envers ses obligés africains, mais aussi de continuer à faire son show, qui ne fait d’ailleurs plus rire personne.

Etonnant en tout cas de la part de ce personnage qui ne jurait que par l’unité des Arabes, dont il voulait être le Guide... éclairé. Dès les premières années de son pouvoir, le révolutionnaire qu’il était n’avait qu’une obsession, à savoir que le monde soit arabe ou ne soit pas. Plusieurs événements lui feront se tourner vers les populations noires :

ses échecs panarabiques : l’union du Maghreb arabe est l’ombre d’elle-même. C’est également de notoriété publique que les monarchies de la péninsule arabique n’ont jamais considéré le Libyen comme un vrai Arabe, mais tout juste comme un bédouin, qui, plus est, fait du bruit autour de sa fortune, qui n’en est pas une.

Du reste, c’est connu, par exemple, que les relations entre le Guide libyen et le roi d’Arabie Saoudite sont exécrables, à telle enseigne que lors d’un sommet mondial, les deux ont échangé de douces amabilités, et au finish, Kaddafi a claqué la porte ;

la seconde raison de ce tropisme africain de l’homme du 1er septembre 1969 est la fin, sur le gibet, de Saddam Hussein. Certes, déjà en 1986, il a essuyé les tirs des avions de guerre du "cow-boy américain d’El paso" (1), mais le raïs libyen sait que ce que le texan Bush a fait à Saddam Hussein, il le peut contre lui.

D’où sa métamorphose, avec le défilé à Tripoli de tout ce qui compte comme dirigeants occidentaux, qui retrouveront un Kaddafi de nouveau fréquentable depuis quelques années.

Les Arabes ne veulent pas de ses idées ? Alors voilà Kaddafi qui se tourne vers ses frères noirs africains, même si le même Guide les expulse par centaines chaque année. Dieu faisant bien les choses, la Libye est très riche en pétrole et en dinars, une arme face à laquelle peu de pays sahélo-sahariens résistent. Même ceux qui sont supposés riches.

En créant la CEN-SAD, le leader libyen l’a doté d’un budget de 7 millions de dollars, dont les 2/3 viennent de lui. Et dans la foulée, il a mis en place le gestionnaire de ce fonds, qui n’est autre que la Banque sahélo-saharienne (BSIC) avec un capital actuel de 500 millions de dollars.

Il s’agit, avec ce pactole, de rendre plus concrète la solidarité Sud/Sud, par des investissements dans les différents pays de la CEN-SAD.

Et sur ce registre, il faut avouer que l’homme qui s’accoutre désormais avec des habits frappés à la poitrine d’une carte de l’Afrique, de couleur verte de préférence, est très large : le Libya Hôtel 5 étoiles et le centre commercial El Fateh de Ouagadougou, c’est lui, les 69 villas présidentiels du Bénin, c’est encore lui, le canal de Tombouctou et la ferme de 100 000 hectares au Mali, c’est toujours lui...

Arrosant ceux qui gravitent autour de Tripoli ou de Syrte, Kaddafi est un Guide à la générosité débordante, dont la contrepartie est la possibilité de faire ses extravagances dans les pays bénéficiaires, devant une cour totalement acquise.

Ce 10e raoût de la CEN-SAD ne dérogera pas à cette règle quasi immuable que le Guide applique depuis une dizaine d’années, en rajoutant, à chaque occasion, une couche. C’est d’abord les impressionnants moyens roulants et volants qui sont déployés : des centaines de véhicules 4x4 qui sont entrés dans Cotonou depuis quelques jours avec le Guide himself, précédés auparavant par de gros avions, des Antonov et des Iliouchines, débarquant à l’aéroport international de Cotonou les rutilants véhicules blindés, qu’utilisent le Guide et sa suite.

Puis la désormais traditionnelle tente de Kaddafi, à quelques encablures du lieu du sommet, sous laquelle il recevra en audience certains chefs d’Etat. Enfin ce 10e rassemblement de la CEN-SAD sera infime sans la grande sortie de Kaddafi. En l’espèce, ce sera le même plat qu’il réservera à ces homologues : il faut que l’avènement des Etats-Unis d’Afrique soit rapidement une réalité... les Occidentaux ont abandonné l’Afrique...

il faut mettre d’urgence en place un gouvernement supranational avec un Guide... Kaddafi va seriner donc la même antienne, qui fait soit sourire, ou alors laisser de marbre bon nombre des chefs présents, car pour ces habitués du Guide, c’est "ça, Kaddafi". Et il a surtout les moyens de ses caprices.

Les Béninois ne sont pas prêts d’oublier par exemple cette invitation du Guide il y a 5 ans de cela, à abandonner toutes les autres religions et à se convertir à l’islam. Ce que les Béninois avaient décliné, avec vacarme.

Bref, les réunions de la CEN-SAD se suivent donc et sont presque’identiques, et paradoxalement il ne s’en trouve aucun parmi ceux qui nous gouvernent pour dénoncer, du moins pas devant le grand bailleur, ses extravagances. Tout au plus en privé, les affidés de Kaddafi se permettent-ils quelques commentaires relatifs au "théâtre" de leur financier. On les comprend, personne ne peut se permettre de "dire certaines vérités" au Guide, sans craindre de perdre sa manne de pétrodinars.

Alors les 17 et 18 juin 2008, le chef de l’Etat béninois, Thomas Yayi Boni, et ses homologues sont conscients que les milliards de "kaddafiades" valent bien leur silence face à ses caprices. Cela s’appelle de la realpolitik.

Z. Dieudonné Zoungrana

Notes : (1) Il s’agit du président Ronald Reagan, qui a joué dans le film "la fièvre règne à El Paso".

L’Observateur

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