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Emile Kaboré : « Le CDP a mal à sa gouvernance pour ne pas dire qu’il n’est même plus géré du tout »

Publié le lundi 12 mai 2008 à 13h32min

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Emile Kaboré, ancien ministre, membre du bureau politique national du CDP

Ceux qui disaient qu’au CDP, on file doux et qu’aucune voix ne peut s’élever pour trouver à redire à la conduite des affaires du parti, ont dorénavant tout faux. Avec René Emile Kaboré, quelque chose a changé dans la perspective et plus rien ne sera plus comme avant. D’avoir osé dire tout haut ce que d’autres pensaient tout bas, il se drape du manteau de réformateur en chef.

La chose, dans le contexte du moment, tant au CDP qu’au plan national, pour être audacieuse, n’en porte pas moins la marque des intuitions et des actes de courage qui font les grands politiques. Lisez plutôt ce détonant entretien qui risque de résonner longtemps dans le landerneau politique !

Question : Dans sa livraison n° 7124 du vendredi 02 mai 2008 de notre confrère « L’Observateur Paalga », a été publiée la réponse du Président du CDP à la lettre que vous lui avez adressée le 23 avril. Quels commentaires faites-vous sur cette réponse ?

René Emile KABORE (R.E.K) : La reconnaissance de l’importance des questions que nous avons soulevées et la décision du Président de les soumettre aux instances statutaires de notre parti nous confortent dans le sentiment que nous faisons œuvre utile.

Toutefois, nous aurions apprécié plus de précision de sa part sur les instances concernées et sur les échéances envisagées car il ne s’agit pas non plus de laisser pourrir les choses jusqu’aux calendes grecques.

Nous avons moins apprécié cette sorte de « rappel à l’ordre » qui nous est adressé dans la deuxième partie de sa lettre car c’est précisément contre l’absence d’ordre établi dans le parti que nous nous élevons. Le moment venu, et si le débat est démocratique, il verra lui-même qui respecte et qui ne respecte pas les statuts et règlement intérieur de notre parti. En attendant, personne ne nous a expliqué comment
la réponse du président s’est retrouvée dans la presse. Comme aime à le dire un de mes grands amis : « Le linge sale se lave en famille. Mais quand on vous condamne hermétiquement le lavoir familial, il ne vous reste plus que le pressing public pour laver votre linge ».

Par ailleurs, il nous revient que certaines personnes travaillent en ce moment même à faire naître d’autres courants dont les objectifs seraient de combattre le courant réformateur, comme si l’on voulait déplacer le débat pour mieux noyer le poisson. Nous restons vigilants.

Question : De quelles forces le courant « CNPépiste », votre courant, dispose-t-il et n’avez-vous pas peur de vous faire écraser ?

R.E.K : Permettez-moi d’insister encore une fois sur une chose. Nous ne sommes pas le courant « CNPépiste » mais bel et bien le courant réformateur. C’est voir à travers un prisme réducteur que de parler de courant CNPépiste. Nous avons déjà précisé que notre base n’est pas circonscrite aux limites d’un ancien parti politique. Nous sommes militants du CDP qui soulevons des problèmes du CDP et qui partageons des préoccupations sérieuses avec une importante partie de militants du CDP.

Nous souhaitons que ces diversions que certains véhiculent cèdent la place aux problèmes de fond qui sont sérieux et dont bon nombre de militants attendent la solution.

Sinon, si vous tenez à le vérifier, il vous est loisible de procéder à un sondage et vous verrez de vous-même que ceux qui partagent nos points de vue dans le parti se situent bien au-delà des clivages des anciennes formations politiques qui se sont dissoutes avant de fonder le CDP.

Quant à nos forces, elles auront la force de la justesse de la cause que nous défendons. Pour qu’une cause triomphe, il n’est pas nécessaire qu’elle soit proclamée au départ par un million de personnes. Si elle est juste, les gens honnêtes commencent à se l’approprier et puis, petit à petit, même ceux qui le sont moins finissent par s’incliner.

Qu’il s’agisse des individus, des organisations, des peuples ou de l’humanité toute entière, l’histoire regorge d’enseignements dans ce sens. Attendons de voir.

Question : Certaines rumeurs, des écrits même, disent que le courant des réformateurs obéirait à la même logique que la FEDAP/BC et serait par conséquent téléguidé depuis le Palais de Kossyam pour casser le CDP.

R. E.K : Ecoutez… Nous pensons qu’il faut être clair une bonne fois pour toutes. Certains s’évertuent à vouloir présenter la FEDAP/BC comme une organisation antagoniste du CDP tout en affirmant que c’est le Président Compaoré qui serait à la base de la création de la FEDAP/BC. Revenons un peu en arrière si vous le voulez bien.

Au début de la crise ivoirienne, vous avez comme nous, entendu tout ce qui se disait sur notre pays et son Président. Vous avez aussi remarqué le silence assourdissant du CDP. Vous avez vu aussi la marée humaine qui a accompagné le Président, obligé de faire le trajet Rond Point des Nations Unis-Aéroport, à pied, tant la foule était dense lors de ce fameux voyage en France où se tenaient les négociations de Marcoussis.

Eh bien ! Même à ce moment-là, même ce jour encore, le CDP est resté silencieux, absent de tout. Ce sont des bonnes volontés qui ont eu un sursaut, se sont organisées pour réaliser cette marche grandiose et victorieuse. C’était un témoignage du soutien populaire au Président.

Et puis, il y a eu les élections présidentielles de 2005 où de bonnes volontés se sont encore une fois retrouvées pour organiser le soutien à la campagne du Président à travers les associations telles « Les Amis de Blaise Compaoré » (ABC) comme si le soutien du parti n’était pas manifeste.

Aujourd’hui, toutes ces associations de soutien décident de se fédérer pour soutenir le Président Blaise Compaoré, surtout dans sa dimension d’Homme de Paix, que le monde entier reconnaît et soutient. Quel est le problème ?

Le CDP est quant à lui, un parti politique, et en tant que tel, il est investi d’une mission et poursuit des objectifs clairs. Notre travail de militant consiste à travailler à la réalisation de ces objectifs pour que notre mission soit remplie. Si par ailleurs, des personnes s’organisent pour nous soutenir dans l’accomplissement de notre mission, nous ne pouvons que les remercier. Y a-t-il un problème en cela ? Nous n’en voyons pas. Au Burkina Faso même, ce n’est pas une première. Nous avons tous vu en son temps le fonctionnement harmonieux entre le PAI et la LIPAD. Si dans notre parti le CDP, il se trouve des militants qui voient l’arrivée de la FEDAP/BC d’un mauvais œil, c’est qu’ils ont d’autres idées et considérations qu’ils se gardent cependant de partager.

Question : La question du départ du gouvernement du Ministre Salif Diallo a suscité beaucoup de commentaires, surtout après le communiqué du Bureau Politique du CDP lui adressant des félicitations. Qu’en dites-vous ?

E.R.K : Sur le départ d’un ministre du gouvernement, nous n’avons pas de commentaires à faire, ce qui ne veut pas dire que nous ne pouvons pas apprécier telle ou telle personnalité qui entre ou qui sort du gouvernement.

Aux termes de notre constitution, c’est le Président du Faso qui nomme son premier Ministre tout comme il est aussi clair que le premier Ministre forme le gouvernement dont il est le chef, après l’avoir soumis préalablement à l’appréciation du Président. C’est naturellement donc ces deux personnalités seuls qui sont concernées par la question de l’entrée ou de la sortie d’une personnalité du gouvernement, que du reste le Président peut le dissoudre quand il veut. Maintenant, qu’il veuille prendre des avis, même auprès d’un parti politique qui le soutient, c’est lui qui en décide, et des relations de confiance ne peuvent que favoriser ce genre d’échanges.

En dehors de ce considérant constitutionnel, il convient tout de même de remarquer que le Président et le Ministre Salif Diallo travaillent ensemble depuis bien longtemps avant l’existence du CDP. N’en n’ayant pas été témoin, ni de près ni de loin, et dans l’ignorance totale de ce qu’il y a entre eux, nous ne nous donnons aucun droit d’émettre un quelconque jugement de valeur.

Ceci dit, c’est le communiqué de notre réunion du Bureau Politique, le 05 avril 2008, qui nous pose problème. C’est vrai qu’au cours de la séance, nous avons entendu le Président du parti sur le départ du Ministre Salif Diallo du gouvernement. Mais personne n’a présenté une motion ou encore une recommandation qui aurait pu justifier les termes du communiqué que nous avons lu comme vous dans la presse, lequel communiqué a été rédigé et signé en dehors de notre réunion, donc diffusé sans avoir été discuté et amendé en plénière. Si un tel débat avait eu lieu, nous aurions donné notre point de vue et un amendement sur le passage des félicitations. Pourquoi ?

- Primo : le Président du Faso et le premier Ministre s’étant prononcés sur la question, il apparaissait inopportun, et même contraire au protocole, que le parti y revienne si ce n’est pas pour dire le contraire. Cela a pu jeter le trouble dans l’esprit de bon nombre de militants et même d’observateurs étrangers. Il n’est qu’à lire la presse pour s’en convaincre ;

- Secundo : le Ministre Salif Diallo n’est pas un employé du CDP et ce n’est pas le CDP qui l’a envoyé au gouvernement puisqu’il y était bien avant la création du CDP ;

- Tertio : depuis que le CDP existe (12 ans), il n’a jamais cru utile de féliciter un membre entrant ou sortant du gouvernement, même quand celui-ci avait occupé des fonctions plus élevées que celles de ministre. C’est le cas de SEM Issouf Ouédraogo, Ministre d’Etat, Président du CRES, tout premier Premier Ministre de la IV ème République. C’est le cas de SEM Bongnéssan Arsène Yé, Ministre d’Etat, premier Président du CDP qu’il a tenu sur les fonds baptismaux, premier Président de l’Assemblée Nationale de la IVème République. C’est le cas de SEM Roch Marc Christian Kaboré, Ministre d’Etat, Conseiller Spécial du Président du Faso, premier Ministre, président de l’Assemblée nationale pour un 2ème mandat, Président en exercice du CDP. C’est le cas de SEM Kadré Désiré Ouédraogo, premier Ministre. C’est le cas de SEM Ernest P. Yonli, Premier Ministre sept ans durant. C’est le cas de nombreux autres camarades qui ont donné ce qu’ils pouvaient à la République, dans le gouvernement ou à d’autres postes tels ceux d’ambassadeurs ou de députés.

Jamais le parti n’a félicité l’un d’entre eux. Ce communiqué, de ce fait, risque de passer à côté des objectifs en créant au contraire des sentiments de frustration. Il vient encore comme pour confirmer une certaine politique du deux poids deux mesures qui a fait déjà tant de mal dans nos rangs. Il serait beaucoup plus simple que nous prenions des mesures claires et encourageantes permettant à chacun, quelle que soit sa place dans le parti, d’être au moins reconnu pour ses mérites. Les propositions ne manqueront pas le moment venu.

Question : Et la Refondation ?

R.E.K. : La Constitution de 1991 consacrait l’existence de deux Chambres au Parlement. A l’application, des problèmes sont apparus qui ont conduit en 2001 à la suppression de la Deuxième Chambre. Il était alors question de la remplacer par une instance moins formelle, rassemblant les représentants de toutes les forces vives de la nation et qui pourrait être convoquée chaque fois que de besoin, sans périodicité fixe, à l’initiative du président du Faso. Dans le principe, il ne nous semble pas que l’idée du forum sur la Refondation soit en contradiction avec ce qu’on pressentait en 2001, et encore moins avec la nécessité du dialogue républicain. Tout le reste, nous semble-t-il, dépend du contenu et des résultats des discussions engagées par les promoteurs. Pour l’instant, nous avons pris connaissance du projet par l’examen du mémorandum le concernant. Si le Président du Faso agréait le projet et en fixait le cadre définitif, nous serions déjà prêts.

Question : Que pensez-vous du phénomène de la vie chère ?

R.E.K : Il y a ce que nous pensons et il y a ce que pense la direction de notre parti.
Ce que nous pensons, c’est que ce phénomène va s’inscrire dans la durée, qu’il est bel et bien réel, ce don plus personne n’en doute, et surtout qu’il était prévisible. Si les dirigeants de notre parti avaient fait preuve d’un peu d’humilité, ils auraient entendu le cri de désespoir de la population qui, dès le début des récoltes (fin septembre 2007) a manifesté son inquiétude devant la montée des prix des céréales, inhabituelle à cette période de l’année. Plutôt que de prendre cette préoccupation au sérieux, l’on a préféré nous servir un plat indigeste où l’on démontrait que, techniquement, le Burkina Faso vivrait cette année dans l’abondance et que la flambée des prix n’était que le fait de quelques commerçants véreux que l’on ne manquerait pas de sanctionner. Plutôt que d’être un motif d’analyse et d’anticipation, ce signe annonciateur a été utilisé comme un somnifère. Alors, aujourd’hui, que les mêmes responsables du parti s’agitent, cela prêterait à sourire s’il s’agissait d’autre chose que d’un drame annoncé de la population.

Comme à son habitude, depuis quelque temps, la direction du parti a entrepris de nous divertir en créant une commission pilotée par le « Secrétariat à la prospection ». Un mot bien ronflant mais creux et vide comme une jarre percée. Depuis 3 ans que ce poste a été créé comme pour récompenser, encore et encore, un courtisan ou un copain, peut-on nous montrer une seule feuille de papier où il y a eu un début de réflexion prospective ? Pourtant, le parti regorge d’intellectuels de haut vol et de cadres pétris d’expérience.

En réalité, le CDP a mal à sa gouvernance pour ne pas dire qu’il n’est même plus géré du tout. Ses dirigeants en ont fait un « machin » où quelques individus en mal de pouvoir magouillent et conspirent à volonté. Mais comme on dit au village : « Celui qui est accroupi voit lui aussi celui qui cherche… ».

Question : Sur la Toile et dans la presse, l’on enregistre beaucoup de réactions à propos du courant que vous avez créé. Que dites-vous de ceux qui estiment que c’est parce que vous « n’êtes plus à la soupe » que vous vous manifestez aujourd’hui ?

R.E.K : Permettez-moi tout d’abord de saisir l’occasion que vous nous offrez, pour remercier tous ceux qui s’intéressent au débat. Qu’ils nous encensent ou qu’ils nous traitent de tous les noms d’oiseau, nous leur disons que nous respectons leur opinion. Nous voulons ensuite les inviter à s’intéresser au débat de fond. Nous sommes ouverts à la critique et les remercions encore une fois de nous faire partager, que ce soit sur le Net ou dans la presse, leurs avis et suggestions en y consacrant une part de leur temps. Quant à la soupe à laquelle certains font allusion, qu’ils se rassurent car comme il est dit dans le Livre Sacré : « L’homme ne vit pas seulement de pain. ».

Lamine Koné
Aristide Ouédraogo

San Finna

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