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Décès d’Aimé Césaire : Adieu, Nègre !

Publié le mardi 22 avril 2008 à 11h45min

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Décédé le 17 avril 2008 à l’âge de 94 ans, Aimé Césaire a reçu un hommage émouvant des ses compatriotes lors d’obsèques nationales organisées hier à Fort-de-France dans le stade Pierre Aliker, du nom d’un de ses proches compagnons, âgé de 101 ans. Un hommage qui tranche avec l’absence très remarquée en 2001, des plus hautes autorités politiques françaises lors des funérailles de l’ancien président Léopold Sédar Senghor, ami de d’Aimé Césaire et membre de l’académie française.

« Tous les Français se sentent aujourd’hui Martiniquais dans leur cœur » a déclaré le président Français Nicols Sarkozy qui conduisait une forte délégation gouvernementale et en présence de plusieurs personnalités politiques de gauche comme Pierre Mauroy, Lionel Jospin, Laurent Fabius, François Hollande ou encore la candidate malheureuse à la dernière élection présidentielle, Ségolène Royal.

Des obsèques si exceptionnelles car jusque là, elles n’ont été rendues qu’à trois écrivains : Victor Hugo en 1885, Paul Valérie en 1945 et Sidonie Gabrielle Colette dite Colette en 1954.

Il est juste et bon de la dire : la mort d’Aimé Césaire, un sage transcontinental, humaniste et militant dans l’âme, est véritablement une bibliothèque qui brûle. Il entrera sans tarder au panthéon des ancêtres, ces êtres si bons, généreux, intègres et désintéressés qui méritent qu’on les considère comme des modèles de probité, et à qui on demandera volontiers de bien vouloir intercéder auprès de « l’Etre » pour satisfaire nos doléances.

Le futur poète et chantre de la négritude est né le 21 juin 1913 dans la commune de Basse-Pointe, dans le Nord-est de la Martinique, un pays marqué par les violences de l’histoire. D’abord espagnole grâce à Christophe Colomb, cette Île bordée par l’océan atlantique n’avait pour les colons, qu’un destin, celui d’être le fournisseur de sucre à l’Europe. Comme sur d’autres Îles des Caraïbes, les habitants, jugés inaptes, et peu résistants à la dureté du travail, sont remplacés par les esclaves africains, robustes et considérés plus adaptés aux travaux champêtres notamment la culture du sucre et de café. Dans les Îles, la justification idéologique de déshumanisation des Noirs, commencée sur le contient africain, trouve son expression la plus achevée dans le Code noir, rédigé en 1685 et qui fixe le statut juridique des esclaves. Ce corpus juridique, resté longtemps méconnu du grand public, a été exhumé en 1987 par un philosophe catalan, Louis Sala Molins dans « Le code noir ou le calvaire de Canaan », un livre devenu une référence dans la recherche sur l’esclavage.

Héritier d’une telle histoire qu’il comprend pour l’instant de façon confuse, l’élève Aimé Césaire s’inscrit au Lycée Schoelcher où il obtient son baccalauréat et une bourse d’excellence pour poursuivre ses études en Métropole. Au lycée Louis Le Grand à Paris où il est reçu en 1931, il fait la connaissance dès le premier jour de Léoplod Sedar Senghor qui y était depuis trois ans. Dans un livre d’entretiens publié en 2005, Aimé Césaire raconte les circonstances de sa rencontre avec le futur président du Sénégal : « En sortant du secrétariat, je vis un homme de taille moyenne, plutôt court, en blouse grise. Tout de suite, je compris que j’avais à faire à un interne. Il avait les reins entourés d’une ficelle au bout de laquelle pendait un encrier, un encrier vide. Il vint à moi et me dit : « Bizuth, comment t’appelles-tu, d’où viens-tu et qu’est-ce que tu fais ? » « Je m’appelle Aimé césaire. Je suis de la Martinique et je viens de m’inscrire en hypokhâgne. Et toi ? » « Je m’appelle Léopold Sedar Senghor. Je suis sénégalais et je suis en khâgne ». « Bizuth- il me donne l’accolade-, tu seras mon Bizuth ».

Avec d’autres étudiants africains inscrits à Paris, Aimé Césaire et son ami guyanais Léon Gontran Damas discutent de l’Afrique, des Antilles mais aussi de civilisation grecque et latine. Autrement dit, de leurs origines et du monde occidental dans lequel ils sont jetés. A cette époque, la littérature ethnologique sur l’Afrique dépeint un continent peuplé de gens qui vivent beaucoup plus en bêtes qu’en hommes, qui savent à peine ce qu’est l’agriculture et « mangent de la viande crue » « dévorent tout vifs, peau, plumes et tout, les oiseaux, les serpents et les rats » et « n’ont aucune idée de l’économie ».

Les discours racistes développés sur les Noirs ne révèlent-ils pas une communauté de destin entre les Antilles et l’Afrique ? Qui sont ces populations et qu’elles valeurs incarnent-elles ? Aimé Césaire et ses camarades se posent alors des questions d’ordre existentiel de type kantien : « Qui suis-je ? Qui sommes-nous ? Que sommes-nous dans ce monde blanc ? Que dois-je faire ? Qu’est-il permis d’espérer ? ». Noyé dans le monde occidental, le Nègre court le risque de se prendre, sans en prendre pleinement conscience, pour un blanc.
Ce qu’il n’est pas et sera pas, et en niant sa propre identité, il risque de vivre une sorte de schizophrénie culturel. Dans le contexte colonial, le thème de l’assimilation revient souvent dans les débats et il faut prendre position. Le contact avec les africains a permis à Césaire de découvrir une part de son identité refoulée, celle martiniquaise et africaine. Il sait, définitivement qui il est : un Nègre fondamental. « Ca a déterminé le cours, pas seulement de ma pensée, mais tout simplement de ma vie. C’était comme une orientation nouvelle pour moi parce qu’en découvrant l’Afrique, je me découvrais moi-même et à travers l’Afrique, je découvrais la Martinique », confiet-il et d’ajouter : « J’ai toujours eu le sentiment que j’appartiens à un peuple. Je ne suis pas anti-français. Pas du tout. J’ai une culture française. Mais je sais que je suis un homme qui vient d’un autre continent, je suis un homme qui appartient, qui a appartenu à une autre aire de civilisation et je suis de ceux qui ne renient pas leurs ancêtres ».

Ayant une claire conscience de son identité, de sa négritude, de sa spécificité noire, Césaire rejette catégoriquement l’assimilation proposée aux « indigènes » des colonies pour faire d’eux des Français. Son africanité fièrement revendiquée va le brouiller avec certains de ses camarades antillais, encore sous l’influence de l’idéologie esclavagiste qui a distillé l’idée selon laquelle ils n’avaient plus rien de commun avec le continent noir et que mieux valait expurger en eux tout ce qui les lient à l’Afrique. Un monsieur l’interpelle : « Césaire, je t’aime beaucoup, j’aime beaucoup ce que tu fais, mais je te reproche une chose : pourquoi parles-tu tout le temps de l’Afrique ? Nous n’avons rien de commun avec elle, ce sont des sauvages, nous sommes autre chose ».
Pour Césaire, contre l’oppression coloniale, le combat pour la liberté et la dignité de d’Afrique est aussi le combat pour la libération des Antilles. Il est fort regrettable qu’aucun chef d’état africain n’ait pas assisté aux obsèques de celui qui, sans être contre les promoteurs de la créolité, les reproches de vouloir prendre leur distance avec le continent africain.

Militant de la défense et la revalorisation des cultures du monde noir, Aimé Césaire crée en 1934 avec ses camarades, le journal « L’Etudiant noir » et c’est dans ce journal qu’il utilise pour la premier fois le mot « négritude », un concept forgé pour stigmatiser la dévalorisation du monde noir et combattre l’assimilation qui vise à tuer l’identité des peuples colonisés.

Alors que Senghor définit la négritude comme « l’ensemble des valeurs du monde noir », Césaire la conçoit comme « la conscience d’être noir, ce qui implique la prise en charge de son destin, de son histoire et de sa culture ». La négritude n’est donc pas seulement l’exaltation d’un passé glorieux, la nostalgie du royaume de l’enfance, mais surtout une arme de combat contre l’oppression coloniale et pour la reconnaissance des toutes les civilisations. « La civilisation, ça n’existe pas, il existe des civilisations aussi valables les unes des autres », dira t-il. Lorsqu’en février 2005, l’Assemblée nationale française vote une loi reconnaissant « le rôle positif de la colonisation », Césaire proteste et annonce qu’il ne recevra pas Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur et qui doit se rendre sur l’Île. On remarquera que la famille de Césaire a refusé que le président prenne la parole lors des obsèques et ce dernier s’est contenté de lire son discours à sa descente d’avion.

Agrégé de Lettres, Aimé Césaire retourne en 1939 en Martinique et commence à enseigner au lycée Schoelcher tout en proclamant, dans une revue Tropiques qu’il a créée, le droit des martiniquais à se réapproprier leur propre culture. Sous l’occupation Césaire et sa revue seront la cible des mesures de répression prises par le gouvernement de Vichy contre les libertés publiques.
Homme de Lettres, il s’engage aussi dans le combat politique proprement dit en se présentant aux élections municipales avec le soutien du parti communiste dont beaucoup de militants sont entrés très top dans la résistance contre l’occupation. Elu maire de Fort-de-France en 1945, il a été le rapporteur en 1946 de la loi accordant la Guyane, la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion, le statut de département français. Certains Antillais lui reprocheront de s’être contredit en préconisant la départementalisation à la place de l’indépendance qu’il prône dans ses textes.

Cofondateur avec le sénégalais Alioune Diop de la revue Présence Africaine devenue une maison d’édition qui permettra à plusieurs auteurs africains de se faire connaître dont l’égyptologue Cheikh Anta Diop avec son livre « Nations nègres et culture », il y publi pour la première fois en 1950, le « Discours sur le colonialisme », un réquisitoire implacable contre le système colonial que Césaire compare au nazisme. Avec le Parti communiste français, les rapports sont pour le moins exécrables. Césaire considère que les communistes français ne prennent pas suffisamment en compte les spécificités des

Antilles et de l’Afrique et noient leurs problèmes dans l’analyse qu’ils font du capitaliste international. Suite à l’invasion de la Hongrie en 1956 par l’Union soviétique, Césaire adresse, en octobre 1965 une lettre au Sécuritaire général du PCF, Maurice Thorez dans laquelle il annonce sa démission du parti, puis fonde le Parti progressiste martiniquais (PPM). Maire de Fort-de-France de 1945 à 2001, député pendant 56 ans, Aimé Césaire a poursuivi sa production littéraire en publiant des recueils de poésie et des pièces de théâtre.

Dans le flot d’hommage rendu à Césaire, le président du Mouvement démocrate (Modem) François Bayrou a salué l’homme « qui voyait souvent au-delà de l’horizon ». Venant de celui qui a supprimé en 1995 les textes du poète martiniquais des programmes de Terminale alors qu’il était ministre de l’Education nationale, on ne sait pas s’il en rire ou en pleurer.

Joachim Vokouma
Lefaso.net

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