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François de Salle Bado (CNDH) : "Beaucoup de chefs coutumiers et religieux sont pieds et poings liés au pouvoir"

Publié le vendredi 18 avril 2008 à 01h36min

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Il n’est certainement plus à présenter dans les sphères de la société civile burkinabè. Membre de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) pour le compte des confessions religieuses, François de Salle Bado, après avoir hérité de la présidence de cette institution suite à la démission de son premier président, Me Dabiré, aura marqué la vie de cette structure. Son mandat tirant vers sa fin, nous l’avons rencontré et à travers l’entretien qui suit, il fait un bilan de son passage à la tête de la CNDH. Il se prononce aussi sur certaines questions d’actualité telle la vie chère, la situation nationale et ses ambitions d’après CNDH.

"Le Pays" : Au terme de votre mandat à la tête de la CNDH, quel bilan faites-vous ?

François de Salle Bado : A l’occasion de la commémoration de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le 10 décembre 2007, j’ai eu à faire mon dernier discours de président de la Commission nationale des droits humains (CNDH). J’annonçais par la même occasion la fin de mon mandat pour l’année 2008. Conformément aux dispositions du décret constitutif de la CNDH, les membres sont élus pour un mandat de 3 ans renouvelable une fois. Je suis membre de la Commission, depuis 2001, nous avons opéré un renouvellement en 2004 et nous sommes au terme de notre mandat. C’est dans ce sens que nous avons déjà engagé le processus pour le renouvellement des membres de la commission. Une opération que pilote le ministère de la Promotion des droits humains et j’ose espérer que dans peu de temps, on va procéder à l’installation du nouveau bureau de la CNDH.

Il faut reconnaître qu’en terme de bilan, nous pouvons dire, dans un premier temps qu’étant donné que c’est une institution qui venait de naître, il fallait surtout travailler à l’installer dans le paysage institutionnel et à la faire fonctionner. Nous avons également réussi à former les membres de la CNDH, puisqu’ils proviennent de différentes structures qui n’ont pas forcément des connaissances en matière de droits humains. L’autre défi était de donner une crédibilité à cette institution, parce qu’à sa naissance, de nombreuses organisations de la société civile et d’autres personnes disaient que c’était juste un instrument aux mains du pouvoir pour destituer d’autres organisations de la société civile. Nous avons travaillé avec les organisations de la société civile en les impliquant dans nos activités, à telle enseigne qu’elles ont compris que la CNDH n’est pas ce qu’elles pensaient. Nous pensons avoir fait ce que nous étions en mesure de faire au stade actuel de l’évolution de notre institution et je peux rassurer que les autres vont poursuivre le travail que nous avons commencé.

Quels sont vos rapports avec le MBDHP quand on sait que l’opinion disait que la CNDH a été créée pour contrer particulièrement cette institution ?

Il est vrai qu’effectivement pour l’opinion, compte tenu de la force de frappe du MBDHP, la CNDH a été créée pour déstabiliser ce mouvement. Mais dès notre prise de fonction, nous n’avions pas ce sentiment. Nous avons par contre travaillé à nous rapprocher du MBDHP, à travers des rencontres avec leurs responsables.

Les personnalités de ce mouvement ont animé des sessions de formation au profit des membres de la CNDH et en retour, le MBDHP nous fait parvenir des invitations pour ses activités. Durant mon mandat, il n’y a pas eu de nuage entre le MBDHP et la CNDH ni avec toute autre organisation de la société civile. Notre objectif est la promotion, la protection des droits humains et quand nous travaillons pour cet objectif commun, je ne peux pas comprendre qu’il y ait des divergences jusqu’au point qu’on se combatte.

Quel est l’état des lieux des droits de l’homme au Burkina ?

Quand on examine la situation des droits de l’homme, il y a des points de satisfaction et d’insatisfaction. Les droits de l’homme sont indivisibles. Généralement dans les pays, la plupart des pouvoirs accordent la première génération des droits de l’homme, à savoir les droits civils e t politiques. Malheureusement, en ce qui concerne la 2e génération tels que les droits à la santé, au logement, au travail,... qui, pour notre part, ont une grande importance dans nos pays, peu d’importance leur est accordée. Pour ne pas être pessimiste, on dira qu’il y a toujours des efforts à faire. En tant qu’acteurs et défenseurs des droits de l’homme, nous ne pouvons pas nous satisfaire entièrement d’une situation dans un pays donné, parce que c’est un combat permanent.

Est-ce qu’il y a eu sur le terrain des droits humains, un dossier qui vous a préoccupé ?

Notre rôle est de conseiller les pouvoirs publics, de faire des recommandations par rapport aux situations de violations des droits de l’homme. Par rapport à un certain nombre de questions, nous avons fait des interpellations aux pouvoirs publics et généralement, cela se passe à l’occasion de la commémoration de la déclaration universelle des droits de l’homme chaque 10 décembre. Il y a entre autres la situation de l’exclusion sociale des femmes du fait de la sorcellerie. Ce n’est pas normal qu’on voie cela au Burkina. Il y a également le dossier Norbert Zongo, surtout après le non-lieu. On peut évoquer la situation de la famine en 2005 et nous avions constaté qu’il y avait comme une sorte de politisation de la famine. Pendant que certaines populations souffraient atrocement de cette famine, on voyait des hommes politiques qui à coup de médiatisation mobilisaient des personnes pauvres, démunies avec des calebasses, des ustensiles pour recevoir des grains de mil. Pour nous, c’est intolérable, parce qu’on ne peut pas utiliser la misère des gens pour faire de la politique. Nous avons même constaté que certaines personnalités allaient prendre des vivres à l’Action sociale et remettaient à leur population en faisant savoir que cela venait d’elles. Il y a la lutte contre le grand banditisme, avec des bavures policières, des exécutions extrajudiciaires qui sont des violations des droits humains. Ce sont brièvement des points saillants mais au-delà, il y a eu beaucoup de consultations.

Quelle a été la plus grosse difficulté que vous avez rencontrée dans l’accomplissement de votre mission ?

Le frein était que beaucoup d’acteurs considéraient cette structure comme un instrument de l’Etat pour combattre, pour déstabiliser les autres organisations de la société civile. C’était une perception que nous avons travaillé à faire changer. A travers nos relations avec ces organisations aujourd’hui, nous pensons avoir réussi...

Au-delà de cet aspect, il y a le fait que certains considèrent qu’il n’est pas évident de pouvoir dire un certain nombre de vérités à celui qui vous a créé...

Aucunement cela n’a joué. Si vous voyez la manière dont la CNDH est composée, c’est là que se trouvent sa force et son indépendance. Il y a des confessions religieuses qui y sont représentées, des organisations syndicales, des organisations de défense des droits de l’homme, des enseignants, etc. Au regard de cette diversité des membres qui composent la commission, son indépendance est tout évidente. Aussi, je vous invite à voir le message que nous avons eu à livrer le 10 décembre et vous verrez si nous avons eu le courage de dire la vérité au pouvoir ou si nous avons passé notre temps à le cajoler. C’est dire donc, que cela n’a pas du tout constitué un handicap à notre mission.

Comme obstacle majeur à notre mission, je dirai que ce sont surtout les moyens qui nous ont fait défaut. Je veux parler de moyens aussi bien matériels, financiers qu’humains. Nous attendions beaucoup de la part de l’Etat qui a mis en place cette commission, mais nous n’avons pas eu ce que nous voulions pour travailler. Il y a également qu’il faut véritablement revoir l’organisation de la CNDH. Nous avons du reste fait des suggestions, des propositions au gouvernement, à la fin de notre mandat, dans ce sens et nous osons espérer que l’institution pourra occuper la place qu’il lui faut dans le paysage institutionnel du Burkina. C’est une institution très importante qui n’est pas à confondre avec le ministère de la Promotion des droits humains, qui est chargé de mettre en oeuvre la politique de l’Etat en matière des droits humains. Nous sommes une institution nationale qui est même recommandée par les Nations unies. Et sa composition doit refléter l’ensemble des couches de la société. Dans ce sens, il y a très peu de chance que nous soyons influencés par les pouvoirs publics. C’est cela qui fait notre force.

Quelle est votre réaction par rapport aux manifestations contre la vie chère qui font dire que ça ne va pas au Burkina ?

Il faut reconnaître que la vie a toujours été chère au Burkina. Avec une certaine situation au niveau international qui a une influence forte sur nos Etats, cette vie est devenue encore plus chère. A la suite des différentes manifestations contre la vie chère, les pouvoirs publics ont pris un certain nombre de mesures qui devraient avoir un impact sur le coût de la vie mais apparemment, les choses ne sont pas encore concrètes. S’agissant du silence des institutions comme la nôtre, il ne faudrait pas s’attendre chaque jour à la moindre chose à ce que ces institutions fassent des déclarations. Ces institutions ont toujours parlé mais souvent le silence est beaucoup plus éloquent que la parole. Lorsqu’il y a des situations, chacun se précipite pour être le premier à faire une déclaration, pour qu’on sache qu’il existe sans prendre le temps de réfléchir souvent. Dans le contenu des déclarations, il y a des choses que nous approuvons mais en tant que défenseurs des droits de l’homme, il y en a qui choquent. En ce qui concerne les casses pendant les manifestations contre la vie chère, beaucoup d’organisations ont déploré sans approuver les sanctions prises contre les manifestants. En tant que défenseur des droits de l’homme, combattant contre l’impunité, je ne peux pas admettre cela. Pour exiger des pouvoirs publics qu’ils soient punis à la hauteur des actes qu’ils posent, il faut qu’on soit conséquent envers nous-mêmes. C’est une façon d’éduquer la population et de responsabiliser chacun. Ce n’est pas le Burkina seul qui souffre de cette vie chère et aussi longtemps que le coût du baril continuera d’augmenter, nous allons souffrir. La situation est préoccupante au niveau politique, économique, social mais des propositions ont été faites et il s’agit de procéder à la mise en oeuvre pour que la vie soit acceptable pour l’ensemble des populations.

Comment avez-vous apprécié la démarche du gouvernement de rencontrer les différentes couches sociales ?

Nous avons effectivement observé au cours de ces manifestations, le déploiement du gouvernement vers un certain nombre d’institutions, notamment les confessions religieuses, les chefs traditionnels, etc. Pour notre part, c’est une bonne chose, si l’intention du gouvernement était de porter l’information des mesures prises par l’Etat en vue d’atténuer la situation difficile que connaît le pays. Il faut reconnaître que la forte médiatisation qui a eu lieu autour de cela et également la perception que beaucoup de citoyens ont des chefs traditionnels et des confessions religieuses, permettent d’être un peu réservé. Depuis longtemps, on a demandé aux chefs traditionnels de se réserver de s’impliquer dans la politique. Cela n’a pas été fait ; jusqu’à l’heure actuelle beaucoup de chefs, de responsables coutumiers et religieux sont pieds et poings liés au pouvoir. A telle enseigne que lorsque des situations pareilles se présentent et que le gouvernement se déplace pour rencontrer ces mêmes personnalités, il y a un fait difficile pour les citoyens à l’égard de cela. On dit que ce sont les mêmes gens ; puisqu’ils sont engagés dans la politique ; il aurait été intéressant justement, pour qu’il y ait une crédibilité, que ces responsables puissent éviter de se mêler ouvertement dans la politique, de manière à rester effectivement des institutions de conseils, des institutions consultatives à la disposition des pouvoirs publics. De cette façon, la démarche devrait être sous-terraine pour la consultation.

De plus en plus d’acteurs demandent une refondation de la société burkinabè. Qu’en pensez-vous ? La société burkinabè mérite-t-elle vraiment une refondation ?

Effectivement, je suis au courant de cette philosophie et cette vision des choses qui se développent ; j’ai particulièrement entendu cela avec l’UNDD et au niveau du PAREN également. Je pense que c’est une bonne chose. A travers la démarche et ce qu’ils développent par cette refondation, c’est important. Je crois que le Burkina est arrivé à un certain moment où, face à un certain nombre de situations que les gens considèrent comme pas bien, il serait important que l’on s’arrête, que l’on convoque une rencontre pour permettre à chacun de développer ses propositions, sa vision, de manière à pouvoir répartir sur de bonnes bases. Cela ne coûte absolument rien. Le pouvoir en place, au regard de tous ces appels qui proviennent des différents acteurs de la société, doit être attentif. C’est vrai, nous avons un régime qui est en place depuis 20 ans, il y a un certain nombre de maux que l’on condamne depuis longtemps et qui reviennent régulièrement. Il s’agit notamment des questions d’injustice, de corruption, d’impunité, etc. Il est donc important que le pouvoir soit attentif à tous ces appels. Il faut écouter les propositions des uns et des autres pour améliorer la gestion du pays. Je ne trouve aucun inconvenient à cela. Il ne faut pas tout simplement dire que le pouvoir a été élu sur la base d’un programme, donc..., au mépris des autres appels. Et, aussi longtemps que le terme refondation, tout comme les autres termes analogues, vont dans le sens de l’intérêt général, je suis partant. Personnellement, quand je lis les propositions, il y en a de bonnes qu’il faut prendre en compte.

Si, à titre exceptionnel on vous demandait de rester à la tête de la commission, l’accepteriez-vous ?

Le mandat de membre de la CNDH est de trois ans renouvelable une fois. Partant de là, mon mandat est terminé. C’est vrai que quand j’étais membre de la CNDH, j’ai été élu président mais c’était à la suite de la démission du 1er président, Me Dabiré. J’ai d’abord achevé son mandat et j’ai ensuite été élu président pour un 2e mandat. J’ai donc fait un mandat complet et puis un demi mandat. Je n’ai pas été président de la CNDH pendant 6 ans, mais peut-être pour 4 à 5 ans. Ceci dit, pour ma part, je ne suis pas prêt à prolonger mon mandat pour la simple raison que je suis responsable d’une autre institution que j’ai beaucoup sacrifiée au profit de la CNDH. Je tiens à le dire ; il s’agit de la Commission justice et paix dont les activités que je devais mener ont été sacrifiées. Comme vous le savez, le mandat à la tête de la CNDH est gratuit. Je me suis beaucoup investi pour celle-ci, souvent au détriment de la Commission justice et paix où je travaille régulièrement et où je suis payé. A telle enseigne que je ne suis plus prêt à poursuivre ce mandat. Je veux consacrer le reste de mon temps au service de cette commission, qui a beaucoup souffert de mon indisponibilité. En plus, je trouve que pour un président d’une telle institution, il n’est pas bon de cumuler plusieurs fonctions. Et si les textes restent en l’état, ce sera dommage.

Il faut laisser les choses se mettre en place et d’autres personnes venir taire leur expérience. La CNDH est une institution très importante qui peut jouer un rôle également éminent dans la promotion et la défense des droits humains à condition qu’on lui donne les moyens. Ce sont les représentants de toute la société qui se retrouvent et qui examinent la situation des droits de l’homme ; par conséquent, lorsqu’ils formulent des recommandations, le pouvoir devrait exécuter sans attendre. Je souhaite que l’ensemble des organisations de la société civile, des mouvements des droits de l’homme, soutiennent cette institution, car, étant donné qu’elle a été mise en place par l’Etat, elle a une voix prépondérante par rapport à toutes les autres organisations. Cela parce que si la CNDH ose dire quelque chose (...) tout le monde s’étonne. On dit que souvent même elle diffuse telle ou telle chose alors qu’elle a été faite par l’Etat. Beaucoup de commentaires nous sont parvenus après nos multiples déclarations à l’occasion du 10 décembre. Quelque chose que moi je trouve naturel, parce que j’estime qu’il est bon de dire la vérité à ceux qui nous gouvernent, de manière à ce qu’ils prennent les décisions les meilleures pour nous diriger. Quand je constate qu’il y a des gens qui s’étonnent qu’on dise la vérité, je suis surpris. Voilà notre vision des choses.

Le Pays

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