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Manifeste pour la refondation nationale : Du contenu et de la mise en œuvre

Publié le lundi 7 avril 2008 à 11h32min

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Nous avons reçu ce manifeste signé d’une dizaine de formations politiques du Burkina sur la refondation nationale qui se veut un véritable changement pour les populations. En Afrique comme dans le reste du monde, la démocratie est attaquée à l’intérieur des pays par la dénaturation du mandat populaire en raison de la substitution de la volonté des gouvernants à celle des gouvernés.

Préambule Il s’agit là d’une dysfonction institutionnelle historique qui favorise la démocratie d’opinion et plus encore, la mondialisation ultra- libérale qui transfère la souveraineté des peuples vers les organisations financières internationales.

Notre pays vit, en plus de la crise générale de la représentation, une crise de régime, doublée d’une crise de société qui l’exposent, si des réformes structurelles ne sont pas opérées, à une explosion. Les séries d’émeutes passées sont à cet égard des signes avant-coureurs, à ne point prendre à la légère.

La situation aurait pu être moins grave si nous n’avions pas raté depuis les années 90, des occasions historiques qui nous engageaient déjà dans la voie de la refondation tels : la table ronde des partis politiques, le forum de réconciliation nationale, la conférence nationale, la mise en œuvre du Rapport du Collège de sages, les processus électoraux… etc.

Nous sommes convaincus tout particulièrement que la non application des conclusions et recommandations du Collège de sages, auquel nous rendons un hommage particulier, restera sans aucun doute comme l’un des plus grands gâchis dans l’histoire politique du Burkina, l’une des raisons profondes de la déchéance sociopolitique que connaît notre pays. C’est en tenant compte de la dimension globale et multiforme de la crise actuelle que la refondation de la gouvernance nationale est préconisée comme la solution indispensable.

Le présent manifeste constitue un message, il est notre appel à tous les patriotes, et démocrates du pays, les politiques comme les acteurs de la société civile pour prendre en charge cette œuvre de refondation nationale. C’est aussi notre engagement à contribuer au changement tant souhaité par les populations car, en dépit de toutes les entraves et adversités de toute nature, notre peuple n’est pas fataliste, il est capable de s’assumer en toute souveraineté.

En proposant ce manifeste, les forces signataires savent que la refondation ne pourrait être une question véritablement nationale que si elle est perçue comme une œuvre commune à tous ceux qui aspirent au changement ! C’est pourquoi notre démarche s’appuie fortement sur le Rapport du Collège de Sages comme document fondamental de référence dans l’œuvre de refondation.

Les objectifs de la refondation

La refondation ne repose pas sur la politique de la « tabula rasa » ; elle projette, tout en sauvegardant les acquis, de recadrer la gouvernance en la remodelant au niveau des structures, des comportements et des ressources humaines. Elle se fixe ainsi les objectifs essentiels ci-après :
La réorientation du processus de démocratisation ;
La réhabilitation du politique et de la politique ;
La remise en confiance du peuple ;
La réappropriation par le peuple des biens collectifs du pays ;
Une concertation sans exclusive afin de promouvoir un nouveau contrat social.

Première partie Des leçons mal apprises du passé et de la crise continue

I. Héritage colonial

En Afrique francophone, l’évolution normale de nos pays vers la démocratie et les indépendances, initiée à partir de la Constitution française de 1946, a été contrariée et bloquée par la constitution putschiste de 1958 du Général de Gaulle dont des copies tropicalisées ont été imposées à nos peuples par des régimes successifs à la dévotion des intérêts français. C’est ce qui explique notamment les crises récurrentes qui ont secoué nos pays à l’occasion de chacune desquelles chaque peuple a essayé de trouver des solutions, tout en essayant d’inventer une démocratie qui garantisse les libertés fondamentales, les droits humains, une gestion responsable et transparente des affaires publiques, une meilleure représentation de la volonté populaire et une meilleure répartition de la richesse nationale.

II. Les expériences nationales

Le peuple burkinabè a une riche expérience de la gestion des crises et a fait preuve d’un véritable génie inventif pour trouver la forme de démocratie qui lui convient, ne se départissant pas des principes universels. Ce sont des gouvernants qui, toujours, à peine sortis des périodes chaudes des crises, ont remis en cause les consensus démocratiques de gestion des affaires.

On peut à titre illustratif citer : la crise de 1966 et tout ce qui a été mis en œuvre et les immenses sacrifices consentis par le peuple pour sortir de la crise et redresser le pays ; la crise de 1975 a été surmontée en 1976 par la mise en place d’une Commission spéciale, véritable conférence nationale souveraine avant la lettre pour inventer une forme démocratique consensuelle de gestion des affaires du pays ; la crise de 1987 a vu naître plusieurs initiatives de solutionnement démocratique jusqu’à l’avènement de la 4e République ; la crise de 1998, plus profonde et plus sérieuse, a vu le peuple dans toutes ses composantes, dans un sursaut patriotique, se mobiliser en acceptant comme plate-forme de sortie de crise, le Rapport et les recommandations du Collège de Sages initié par le président du Faso lui-même. Depuis la relecture unilatérale du code électoral, l’escamotage des recommandations du Collège de sages, après l’organisation de la Journée du pardon, le refus du pouvoir d’appliquer les autres recommandations, le Burkina Faso n’a cessé de replonger dans une crise profonde.

III. La crise permanente

Les révélateurs de cette retombée dans la crise ont été successivement les protestations et les revendications des organisations syndicales et des partis politiques, les mutineries dans les casernes, les différentes émeutes jusqu’à celle de février 2008 contre la vie chère et les mouvements de protestations en cours des organisations syndicales. Il n’y a plus aucun doute : le Burkina Faso est en pleine crise, et au nombre des principales causes de cette crise, s’inscrit la culture politique de la classe dirigeante actuelle qui est convaincue qu’elle peut rouler le peuple dans toutes ses composantes, pour poursuivre ses entreprises de prédation et de violence politique. Le pouvoir actuel doit reconnaître qu’il y a crise.

Deuxième partie La gouvernance nationale légitime, dialogue refondateur inclusif et républicain (Du Contenu et de la mise en œuvre)

I. Du contenu • La refondation au plan institutionnel et politique Le cœur du problème, c’est la crise des institutions et la faillite de la représentation politique. C’est là le mal originel qui bouche les artères du corps social, entraînant toutes les manifestations cliniques qu’on observe en terme de monarchisation du régime, de récupération du pouvoir judiciaire, d’impunité, d’insécurité, de désespérance en la démocratie, de corruption, de mauvaises politiques sectorielles, de fracture sociale et nationale source d’émeutes récurrentes.

La priorité sera la reconstruction d’un système politique reposant sur des institutions de contrepoids, une véritable séparation des pouvoirs, un président élu au suffrage universel direct dans le cadre du régime présidentiel pur ou semi-présidentiel et une assemblée élue dans les mêmes conditions tout en limitant les risques de concurrence entre les deux pouvoirs, ou bien un régime parlementaire avec un Premier ministre nommé au sein de la majorité parlementaire, responsable devant la représentation nationale et un président élu par celle-ci. L’organe judiciaire sera véritablement émancipé de l’Exécutif avec un Conseil supérieur de la Magistrature désaffilié du pouvoir politique et une Haute Cour de justice qui, outre ses attributions actuelles, sera compétente pour juger tout citoyen accusé de crimes exceptionnels contre les droits humains.

La réforme concernera le Conseil constitutionnel (prérogatives, composition, saisine…). Il faudra ensuite réhabiliter le droit de suffrage et celui des partis. Ce qui se fera en reconnectant la décision et le contrôle, en combattant toutes les formes de manipulation électorale pour redonner au Peuple les moyens d’être le propre gardien de son pouvoir :
reconnaissance de l’initiative législative et référendaire, du droit de révocation des mandats ;
promotion au rang de principes intangibles (comme c’est le cas de la forme républicaine de l’Etat), de l’impossible révision de la limitation des mandats à deux termes, de la révocation des droits à la désobéissance civile et à la résistance à l’oppression ; - garantie effective de la démocratie par l’assainissement du cadre d’expression politique (conditions de création, de financement et de fonctionnement des partis politiques, des médias, du CSC, de la CENI, de la dépolitisation de l’administration, interdiction de mise en place de structures partisanes en son sein ce qui suppose la fin de la collusion entre le parti au pouvoir et l’Etat (Parti Etat) ;
délimitation claire des rôles respectifs des partis politiques et des organisations de la société civile pour mettre fin au risque d’instrumentalisation et de confrontation de ces deux pôles ; - droit de vote obligatoire, mais en contrepartie tenir compte des votes nuls et d’un seuil de 50% pour valider le scrutin. L’armée nationale sera réhabilitée, modernisée, dépolitisée et ramenée au respect du cantonnement juridique et territorial. La révision du statut des militaires sera une réalité, les méthodes de recrutement des jeunes, revues, pour mettre fin aux passe-droits. Les primes d’installation seront servies aux militaires partis en retraite et qui n’en ont pas encore bénéficié.

• La refondation au plan économique et social Malgré les satisfecit du FMI et le taux de croissance stabilisé de 6%, le secteur économique et social est en difficulté prononcée. La paupérisation s’aggrave, le chômage gagne tous les secteurs. Les jeunes désertent l’arrière-pays et envahissent les villes. La famille nucléaire éclate et les mœurs se délitent avec en toile de fond, une valse sans fin des étiquettes. L’endettement hypothèque l’avenir du pays en particulier celui de la jeunesse. Il y a une collusion monstrueuse entre responsables politiques et acteurs économiques, ce qui fausse la concurrence grâce aux délits d’initiés et aux monopoles.

Il faut réduire le train de vie de l’Etat, abandonner les projets dispendieux et surréalistes, refonder les politiques d’intervention sociale au niveau de l’éducation, de la santé, réexaminer les privatisations et supprimer les monopoles accordés à certains opérateurs économiques pour les importations des produits de grande consommation : riz, sucre, huile, nescafé, savon… Face à la crise actuelle deux importantes options : revaloriser ce qui est produit par nous en particulier les cultures vivrières et rendre transparente la politique des prix. Il faut réformer la fiscalité pour la mettre au service d’une meilleure redistribution des richesses.

Des mesures de valorisation du pouvoir d’achat des populations seront prises : revalorisation du capital national ; augmentation des salaires ainsi que l’allocation des étudiants. Il faudra opérer l’état des lieux des politiques de jeunesse et d’emploi, se tourner résolument vers les secteurs de l’informatique porteurs d’avenir et impliquer les entreprises dans la politique d’emplois et le financement des projets de jeunes. Le rôle et la place des chefs coutumiers devront faire l’objet d’une réflexion sérieuse et concertée.

* La refondation de la politique extérieure L’Etat doit être doté d’une nouvelle politique extérieure structurée et adaptée aux impératifs d’intégration régionale et de la mondialisation. Il s’agit ici d’abandonner la diplomatie de prestige, de leadership et d’ingérence qui sert d’autres intérêts que ceux du peuple. Par ailleurs il faut promouvoir de projets à forte intensité d’intégration, par des investissements dans les zones frontalières, par le développement de « joint venture », par des traités portant sur la régulation des flux migratoires, etc. Au plan continental, la politique sera de réformer l’Union africaine pour donner plus de pouvoir à la commission et pour transférer au niveau continental, certaines prérogatives nationales tels que celles relatives à la défense, la diplomatie, à la monnaie et à l’environnement entre autres.

II. De la mise en œuvre * Stratégie interne propre aux refondateurs

Les refondateurs sont porteurs d’un projet ; ils doivent arrêter la démarche la plus appropriée pour sa réalisation. La toute première priorité pour eux, c’est de s’identifier, de délimiter le champ de la refondation et d’adopter un agenda général de travail. Il leur faudra après s’associer aux bonnes volontés qui partagent le même objectif. Il s’agira ici, au-delà des partis politiques, d’élargir les rangs en œuvrant avec les autres structures de la société civile, les ONG, les associations, les syndicats avec les intellectuels, les étudiants… qui sont également convaincus que la Refondation est la solution à la crise nationale. Une plate-forme élargie devra consacrer la volonté de lutte commune des structures politiques et sociales, avec une coordination bicéphale. L’accent doit être mis ici, à cette étape de la lutte commune, sur tous les moyens d’information, de vulgarisation du concept et de la plate-forme.

* Stratégie externe propre au pouvoir

Il faut être deux pour entreprendre un dialogue ; alors il faut porter l’exigence devant le chef de l’Etat qui doit, conformément à l’article 36 de la Constitution alinéa 3 qui lui accorde les prérogatives de fixer les grandes orientations de la politique de l’Etat, jouer sa partition. Il le fera en réévaluant les politiques induites du mythe de la stabilité et de la croissance positive harmonisée pour prendre les mesures qui s’imposent.

La Constitution lui offre notamment à travers les articles 49, 50, 51, 59…, toutes les possibilités pour permettre la gestion, dans le respect de nos lois, de la période de la refondation comme de renouvellement proprement dit des institutions. A cette étape de notre démarche, le but poursuivi par notre manifeste, c’est de réintroduire à l’échelle du pays, le débat pour le changement, afin de forger un consensus national large et durable qui favorise la mise en œuvre des conclusions et recommandations historiques de toutes les occasions manquées depuis une vingtaine d’années qui sont encore d’actualité et qui viennent enrichir les orientations et options du présent manifeste. Les signataires saluent toutes les initiatives annoncées ou en cours, individuelles ou organisées (notamment dans le cadre de la société civile qui se bat contre la vie chère) qui participent du règlement en profondeur de la crise.

Ils invitent le pouvoir et tous ceux qui lui sont assujettis à ne pas reproduire les schémas du passé en biaisant avec les causes profondes du ras-le-bol, en cherchant des faux fuyants et des solutions partielles aux seules fins de protéger des intérêts particuliers. Le dialogue doit être soutenu par la bonne foi et une volonté de ne pas répudier les engagements pris. Les signataires en appellent à une mobilisation citoyenne inclusive qui vise la résolution du mal-vivre national de façon globale. Ils invitent en conséquence le peuple burkinabé dans ses différentes composantes à un sursaut patriotique pour refonder la gouvernance nationale. C’est la voie de la sagesse qui nous permettra de préserver les acquis et d’instaurer une gouvernance responsabilisée au bénéfice de tous.

Fait à Ouagadougou, le 05 avril 2008

Ont signé :

L’Autre Burkina/PSR Dr Alain Zoubga

Parti Ecologiste pour le Développement du Burkina (PEDB) Yacouba Touré

Parti national républicain/Juste Voie (PNR/JV) Christian Koné

Rassemblement des Ecologistes du Burkina Faso (RDEBF) Ram Ouédraogo

Union nationale pour la Démocratie et le Développement (UNDD) Me Hermann Yaméogo

Parti Africain de l’Indépendance (PAI) Soumane Touré

Parti république pour l’Intégration et la Solidarité (PARIS) Cyril Goungounga

Parti Socialiste paysan (PSP) Dr Jean-Jacques Zèba

Union pour la Démocratie et le Développement (UDD) Clément Toubé Dakio

L’Observateur

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