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Le chef de file de l’opposition ou la patate chaude de la république

Publié le vendredi 14 mars 2008 à 11h40min

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La quatrième législature de la IVè République est déjà vieille de quelques 10 mois. 10 mois donc que les législatives du 06 mai 2007 ont livré leur verdict. Ce qui a permis à l’institution parlementaire de poursuivre ses activités sans rupture. Les institutions de la république fonctionnent bien comme le clament -non sans fierté- les acteurs et les observateurs de la scène politique nationale.

Le Président de la république, le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale, celui du Conseil constitutionnel, du conseil économique et social… bref, toute l’ossature institutionnelle de la république est en place. Mais ce qui manque et qui a toujours manqué c’est le chef de file de l’opposition. Comme si l’application de la loi N°007-2000/AN du 25 avril 2000 n’intéressait guère la république, le titulaire du chef de file de l’opposition n’est pas encore désigné. Manque d’intérêt pour une loi ou problèmes pratiques de mise en œuvre ? Arrêt sur une patate chaude aux mains de la république !

Imagine t-on le pays sans premier ministre des semaines ou des mois durant ? Ce scénario visiblement inconcevable à une période de la vie politique normale d’un pays semble ne pas valoir pour le titre de chef de file de l’opposition politique au Burkina. Le 25 avril 2000, l’Assemblée nationale a adopté la loi N°007-2000/AN portant statut de l’opposition politique. Cette loi qui codifie le statut de l’opposition politique dans un cadre démocratique et pluraliste a été adoptée suite aux différentes recommandations des commissions et autres collèges mis en place suite au drame de Sapouy.

L’article 12 de cette loi stipule que « Le chef de file de l’opposition est le premier responsable du parti de l’opposition ayant le plus grand nombre d’élus à l’Assemblée nationale. En cas d’égalité de sièges, le chef de file de l’opposition est le premier responsable du parti ayant totalisé le plus grand nombre de suffrages exprimés aux dernières élections législatives. » Son article 13 poursuit : « Le chef de file de l’opposition prend place dans le protocole d’Etat lors des cérémonies et des réceptions officielles ». Adoptée en 2000, il a fallu attendre le 24 mai 2004 pour voir la correspondance du président de l’Assemblée nationale Roch Marc Christian Kaboré désignant le président de l’Alliance pour la démocratie et la fédération/Rassemblement démocratique africain (ADF/RDA) comme chef de file de l’opposition.< br > A l’époque, cette désignation a suscité une vive polémique au sein de la classe politique oppositionnelle. En effet, celle-ci n’a pas manqué de s’interroger sur l’opportunité mais surtout sur la préférence du président de l’Assemblée nationale vue que l’ADF/RDA venait de traverser une crise interne qui a conduit à sa scission. On se rappelle que Hermann Yaméogo, le président qui a conduit le parti de l’éléphant à se positionner comme le deuxième parti du pays à l’issue des législatives de 2002 a été mis en difficulté en juillet 2003. Ses ouailles avec. Ce qui lui a contraint à laisser le pachyderme à Gilbert Ouédraogo et à ressusciter l’UNDD. A l’époque, les critiques de l’opposition tournaient autour de la crédibilité de l’ADF/RDA en tant que parti d’opposition capable de rassembler les partis qui se réclament de cette sensibilité dans la perspective d’exercer un leadership conséquent conduisant à l’alternance. Cette appréhension voire cette réticence a été justifiée en 2005 lorsque le parti du Duc du Yatenga a pris la résolution de soutenir le candidat du parti majoritaire pendant la présidentielle de cette année. Flairant l’incompatibilité manifeste avec cette nouvelle option, l’ADF/RDA avait suspendu la jouissance de son titre jusqu’à nouvel ordre.
Il est évident que ce nouvel ordre a été créé à l’issue des législatives de mai 2007 qui a doté l’institution parlementaire d’une nouvelle reconfiguration.

Seulement, il se trouve que dans les faits, la situation n’a pas sensiblement évolué.
L’ADF/RDA s’est de nouveau classé deuxième parti en terme de nombre d’élus après le CDP. Cette fois-ci, cette force politique bien qu’ayant formé un groupe parlementaire autonome et distinct de la majorité parlementaire est partie prenante de la mise en œuvre du programme politique du chef de l’Etat. Il siège au gouvernement de Tertius Zongo à cet effet avec deux postes ministériels. Avec ces récompenses politiques servies après le soutien à la présidentielle le parti de l’éléphant fonde toujours l’espoir de jouïr aussi des prérogatives du titre de chef de file de l’opposition. Les partis de l’opposition ne l’entendent pas de cette oreille. L’UNIR/MS de Maitre Benewendé Stanislas Sankara avec ses 4 députés a commencé à revendiquer le statut dès le lendemain de la publication des résultats des élections législatives.

On en est là et aucun indice ne présage de l’application de cette loi sous cette législature. Ce qui est remarquable c’est que la situation du potentiel prétendant à ce titre qu’est l’ADF/RDA suscite la polémique aussi bien au sein de l’opposition qu’au niveau du parti majoritaire. L’on se souvient que le 27 janvier dernier le premier vice président du CDP chargé de l’orientation politique Salif Diallo a déclaré que pour lui, l’ADF/RDA est de leur mouvance et ne saurait donc se réclamer-en l’état- de l’opposition. Il n’est pas évident que les autres camarades de Salif Diallo partagent ce point de vue à la direction politique du CDP.
Mais au-delà de ces considérations politiques, il y a que la loi elle-même est truffée d’ambiguïté qui rend complexe son application surtout dans un pays comme le Burkina où la classe politique elle-même est le résultat d’un assemblage complexe avec des acteurs ondoyants et divers.

Les ambiguïtés de la loi

L’article 2 de cette loi sur le statut de l’opposition dispose que : « Au titre de la présente loi, est considéré comme parti politique de l’opposition tout parti non membre de la majorité parlementaire. Les partis de l’opposition oeuvrent pour la conquête du pouvoir d’Etat, pour une alternance politique par des voies pacifiques et constitutionnelles. L’opposition politique est parlementaire quand elle est représentée à l’Assemblée nationale et extraparlementaire lorsqu’elle n’y est pas représentée.

Cet article renferme des ambiguïtés que tout parti politique pourrait exploiter. En effet, la loi ne donne pas une définition de la majorité parlementaire dans le sens du contexte burkinabé si bien que les interprétations sont multiples et divergentes selon les intérêts et les positions. Ainsi pour l’ADF/RDA, elle n’est pas membre de la majorité parlementaire, car elle se croit distincte du CDP et n’aurait aucun accord avec ce parti. Elle soutient le Président du Faso avec qui il a convenu d’un projet de société. Si la loi n’a pas défini la notion de la majorité, on peut se référer à la doctrine pour laquelle la majorité est tout parti ou coalition de parti détenant la majorité des sièges du parlement et servant d’appui aux gouvernants en régime parlementaire. La majorité est plus ou moins solide selon qu’elle est homogène ou composite.

L’ADF/RDA, le CDP, la CFR ne détiennent-ils pas la majorité des sièges du parlement ? L’ADF/RDA peut encore rétorquer que le Burkina n’est pas en régime parlementaire. Soit ! Mais le président Blaise Compaoré lui-même, est militant d’un parti : le CDP. ! Le premier ministre qu’il a nommé et son gouvernement ont besoin d’une majorité pour voter leurs projets de loi à l’Assemblée Nationale. Les deux ministres de l’ADF/RDA, travaillent-ils dans le gouvernement de Tertius Zongo ou bien travaillent-ils directement avec le président du Faso ? En clair, même s’il n’ y a pas un cadre formel de collaboration entre le CDP et l’ADF/RDA, il reste entendu que dans les faits les deux partis coopèrent à l’Assemblée Nationale. A preuve, il n’y a pas une divergence sensible quant à leur lecture de la vie chère actuellement décriée par les populations.
Ils soutiennent tous le même gouvernement. Comme dirait l’autre, on ne peut prétendre soutenir un général et refuser de coopérer avec sa troupe. A quoi servirait un général sans troupe ?

Néanmoins, il est évident qu’un tel argumentaire contre le parti de Gilbert Ouédraogo a bien des limites en fonction des circonstances. Autrement, le fait pour un parti quelconque d’appartenir à un gouvernement institué ou de renoncer à une compétition électorale doit-il faire de celui-ci un paria au niveau de la frange dont il se réclame ?
Considérons cette disposition : « Les partis de l’opposition oeuvrent pour la conquête du pouvoir d’Etat, pour une alternance politique par des voies pacifiques et constitutionnelles. » Il est évident que dans une démocratie de type libéral comme la nôtre cette disposition renvoie à la participation aux scrutins électoraux qui sont les principaux cadres d’expression de la compétition qui garantit la conquête du pouvoir.

Ainsi, on pourrait reprocher au parti de l’éléphant le fait de n’avoir pas donné les chances à la réalisation de l’alternance politique par des voies pacifiques et constitutionnelles lorsqu’il a opté de soutenir le candidat de la majorité lors de la dernière présidentielle. Et cela pourrait être interprété comme une attitude se situant aux antipodes de l’alternance donc de l’opposition politique. Mais comment qualifierait-on éventuellement l’attitude des opposants qui aiment opter pour le boycott des élections comme moyen de lutte politique ? Est-ce parce que les principaux leaders de l’opposition dite radicale ont boycotté la présidentielle de 1998 qu’ils doivent être suspectés d’avoir favorisé la conservation du pouvoir du candidat Compaoré à l’époque ?
Si aussi le fait de participer à un gouvernement doit systématiquement être interprété comme une appartenance à la majorité et donc au régime, qu’en sera-t-il des opposants qui viendraient à participer éventuellement à un gouvernement d’union nationale ou de protocole d’accord lorsque le contexte politique s’y prêtera en situation de crise notamment ?
Voilà autant d’ambiguïtés que la loi n’a pas tranché et qui alimentent la suspicion et la méfiance autour de ce statut de l’opposition et partant de son chef de file.

La passivité des bénéficiaires potentiels

Un exercice de comparaison de la législation indique que le Bénin voisin semble avoir trouvé la formule pour lever l’équivoque. L’article 6 de sa loi No 2001-36 portant statut de l’opposition de la république du Bénin précise ceci : Pour être un parti de l’opposition, il faut : « être un parti politique, une alliance de partis ou un groupe de partis politiques régulièrement enregistrés ; faire une déclaration officielle et publique de son appartenance à l’opposition et la faire enregistrer au ministère chargé de l’intérieur. Ce dernier transmet, dans un délai de deux (02) mois au plus tard, l’enregistrement au journal officiel pour publication ; la publication au journal officiel peut aussi se faire à la diligence du parti politique concerné ; développer pour l’essentiel des positions et des opinions différentes de celles du gouvernement ; ne pas accepter un poste politique à un niveau quelconque du pouvoir exécutif. »

Cette législation a certes le mérite de distinguer clairement les positions de l’opposition et celle de la majorité mais elle ne résiste pas non plus aux critiques. En effet, on le sait, les actions des partis politiques se lisent généralement sous deux angles au moins : l’angle idéologique et celui politique notamment. Devrait –on interdire à un parti de l’opposition d’être de la même obédience idéologique que celle du parti au pouvoir ? Si cette loi s’appliquait au Burkina, il est sûr que les formations politiques de l’opposition qui se réclament de la social-démocratie -que prône aussi le CDP- seraient bien embarrassées. A l’analyse, l’on s’aperçoit que la loi sur le statut de l’opposition est bien otage de son interprétation. Elle contient des ambiguïtés qu’il importe de clarifier à temps. Car ses lacunes mêlées à l’attitude ambivalente de nos politiques concernant leurs stratégies et leur identité jettent un flou artistique sur les critères de désignation du chef de file de l’opposition qu’il va falloir vite dissiper. Sauf que personne ne semble s’en préoccuper.

Pas même les éventuels bénéficiaires que sont les partis de l’opposition. Il est évident que cette loi adoptée en 2000 sous la pression de la rue a été conçue sans la participation de la frange représentative de l’opposition. Elle, qui vouait une hostilité systématique aux structures instituées à l’époque suite au drame de Sapouy s’est tenue à l’écart de la Commission de concertation sur les reformes politiques qui est à l’origine de bien de textes sur les reformes politiques adoptées et appliquées depuis 2000. Et comme la majorité pour des raisons évidentes s’intéresse peu à l’organisation ou au statut de l’opposition, il appartient à cette frange de la classe politique de s’organiser pour proposer des solutions de clarification ou d’interprétation de la loi. Mais cela ne semble pas être le cas et tout le monde se résigne donc à attendre la suite qu’il plaira à la majorité de donner à cette disposition.
Contrairement à l’opposition, le CDP qui a intérêt à la révision du code électoral s’agite déjà et se place à l’avant-garde des propositions. Cette réaction devrait inspirer les partis d’opposition à soumettre des propositions de révision de la loi sur son statut au pouvoir pour appréciation.

Hermann Yaméogo, à l’époque où il était considéré comme le leader putatif de l’opposition parlementaire avait engagé des actions en ce sens en proposant un décret d’application de cette loi. Mais depuis, plus rien. Alors qu’il s’avère utile de trouver un consensus en vue de garantir à cette législation son application entière et totale quelques soient les circonstances et les acteurs. Car même s’il est vrai que ce texte n’est pas l’émanation de la constitution et que le chef de file de l’opposition n’aurait qu’un rôle honorifique, il n’en demeure pas moins que c’est une disposition institutionnelle que la république a jugé utile d’adopter et qui par conséquent doit être respectée. Le chef de file et son staff n’avaient-ils pas leur mot à dire sur les événements et la situation nationale en cours ?


L’article 2 de cette loi sur le statut de l’opposition dispose que : « Au titre de la présente loi, est considéré comme parti politique de l’opposition tout parti non membre de la majorité parlementaire. Les partis de l’opposition oeuvrent pour la conquête du pouvoir d’Etat, pour une alternance politique par des voies pacifiques et constitutionnelles. L’opposition politique est parlementaire quand elle est représentée à l’Assemblée nationale et extraparlementaire lorsqu’elle n’y est pas représentée. »


« Être un parti politique, une alliance de partis ou un groupe de partis politiques régulièrement enregistrés ; faire une déclaration officielle et publique de son appartenance à l’opposition et la faire enregistrer au ministère chargé de l’intérieur. Ce dernier transmet, dans un délai de deux (02) mois au plus tard, l’enregistrement au journal officiel pour publication ; la publication au journal officiel peut aussi se faire à la diligence du parti politique concerné ; développer pour l’essentiel des positions et des opinions différentes de celles du gouvernement ; ne pas accepter un poste politique à un niveau quelconque du pouvoir exécutif. »

Par Bangba Nikiéma
Bendré

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