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Afrique : Entre respect des morts et désaveu des dictateurs

Publié le vendredi 11 juin 2004 à 08h36min

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La rumeur sur la mort du président Paul Bya relance le débat
sur la maladie des chefs d’Etat sous nos tropiques, la simple
allusion à la santé de nos têtes couronnées étant un sujet
tabou. En parler vous met objectivement sur la trajectoire du
bannissement et vous fait tomber sous le coup de la trahison du
secret d’Etat, si ce n’est celui d’atteinte à la sûreté de l’Etat.

L’on
se rappelle qu’au Cameroun, l’allusion faite par un journaliste à
un malaise cardiaque de Paul Bya lui avait valu d’être
embastillé.

L’immense foule massée à l’aéroport et sur le long
de la route qui mène au Palais présidentiel lors du retour
"triomphal" du président presque à vie, souriant, traduit plus la
peur que ressentent les Camerounais face à un pouvoir dont les
thuriféraires ne lésinent pas sur les moyens pour organiser la
chasse aux sorcières chaque fois que les citoyens ne jouent
pas à l’applaudimètre. Car l’on se souvient aussi que des
élèves avaient été sévèrement réprimés parce que las d’avoir
vainement attendu sous le soleil, le retour de leur président, ils
avaient rompu les rangs.

Dans une certaine mesure, c’était
certainement donc pour éviter la réédition d’une telle répression
et non par compassion pour leur président que les
Camerounais lui ont réservé un accueil digne des grands jours.
Les Camerounais étaient plus soucieux du sort du Cameroun
que de celui de leur président qui est somme toute, un mortel
comme tous les autres hommes.

Pour l’instant, c’est donc avec
un certain soulagement que les Camerounais, toutes conditions
sociales et toutes sensibilités confondues, ont appris cette
"résurrection", ne sachant pas à quelle sauce ils seraient
mangés après la disparition du père de la Nation. Après Biya le
déluge ? En effet, l’après-Bya est si chargé d’incertitudes que
ses sujets l’espèrent le plus tard possible. On sait
qu’officiellement, en cas de vacance du pouvoir, c’est le
président du Sénat qui assure l’intérim de la présidence.

Mais, il
y a longtemps que cet espace institutionnel a disparu du
paysage politique du pays. Au niveau de son propre parti sur
lequel il règne sans partage, sa succession risque de donner
lieu à des empoignades et conduire à l’instabilité du pays, tant il
est avéré que le chef de l’Etat a tout fait pour brouiller tous les
mécanismes de sa succession. Pour le reste, la mort de Paul
Bya ne fera que verser des larmes de crocodile à l’immense
majorité des Camerounais qui sentiront ce départ comme une
délivrance. Non pas que les Africains en général et les
Camerounais en particulier aient perdu le sens du respect dû
aux morts.

Bien au contraire. En Afrique, berceau de l’humanité,
les morts ne sont jamais morts. Les funérailles, les sacrifices et
autres rites réservés aux morts illustrent parfaitement bien
l’humanisme des Africains. En Afrique, la vénération des morts
est parfois une lourde charge financière, mais peu d’Africains,
riches ou pauvres, fuient devant ce devoir sacré.

Aujourd’hui, l’Occident, habituellement reconnu pour sa
tendance à banaliser la mort est en train de ravir la vedette à
l’Afrique, du moins en ce qui concerne ses dirigeants. Ainsi,
malgré tout le mal qu’ils pouvaient penser de lui, les Américains
n’ont pas marchandé leur adhésion à l’idée de funérailles
nationales en l’honneur de l’ancien président, Ronald Reagan.

George Bush, malgré l’opposition d’une grande partie des
Américains à la guerre contre l’Irak, et en dépit des grossiers
mensonges dont il s’est servi pour mener cette guerre, le
président américain n’est jamais descendu sous la barre de
44% de sa popularité dans les sondages. Si les Américains se
désolidarisent si peu de leurs dirigeants, c’est parce qu’ils se
sentent en partie responsables des actes que ceux-ci posent.
Ce sont eux qui les ont avant tout élus démocratiquement.

L’insensibilité des Africains face au malheur de leurs dirigeants
s’explique par le fait que ces derniers sont parfois perçus
comme des faussaires, des manipulateurs d’urnes et des
tripatouilleurs de bulletins de vote. Plus grave, ils convertissent
les voix des électeurs en armes de répression contre eux.
Pauvres électeurs africains qui se croyaient citoyens de
républiques et qui se retrouvent malheureusement dans un flou
institutionnel, une sorte de monarchie.

Encore que dans une
monarchie institutionnalisée, il existe une feuille de route bien
tracée et dont s’écarte rarement le monarque, qu’il soit absolu
ou éclairé. Si certains chefs d’Etat africains des temps
modernes pouvaient s’inspirer des anciens types d’organisation
politique du continent, ils découvriraient que nos rois étaient des
exemples de vertu quant au respect des règles édictées pour
diriger leurs sujets et que ceux qui s’en écartaient subissaient la
sanction suprême de la justice.

En Afrique, ne sachant plus à
quel saint président se vouer, les citoyens s’en remettent
directement à Dieu. Dès lors, ils ne s’en émeuvent pas, même
si le pire arrive à ceux qui les ont déshumanisés. Pour
beaucoup d’Africains, entre la compassion pour un homme, fût-il
président, et celle pour tout un peuple, le choix est clair. Du
reste, peut-on avoir de la compassion pour des hommes qui
traumatisent leurs populations et qui ont tellement divinisé leur
pouvoir au point de se croire eux-mêmes Dieu ?

Le Fou

Le Pays

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