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Mœurs, tendances et protection sociale : Les télénovelas et la moralité des groupes vulnérables

Publié le mercredi 27 février 2008 à 09h57min

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Le frère aîné, fou d’amour pour l’épouse de son frère cadet utérin, fait à cette dernière une cour aussi assidue que discrète pour finalement la rendre grosse… Casse-tête autour de l’appropriation du bébé… Amoureux de la fiancée de son fils, le père l’écrabouille en faisant tomber sur lui un container de plusieurs tonnes…

La vedette de tel autre feuilleton, mère indigne, n’a pas trouvé d’autre amant que l’époux de sa fille… Tels sont les contenus récurrents des télénovelas qui constituent l’ordinaire des téléspectateurs et dont se sont emparés certains groupes sociaux. Jeunes femmes, filles et adolescents raffolent en effet de ces productions qui, au regard d’une certaine fragilité inhérente à ces groupes, posent en arrière fond le problème de l’innocuité supposée en réelle de ces œuvres cinématographiques.

Il n’y a à priori, aucun mal à raconter, par l’image, les histoires les plus tordues sur fond d’intérieurs somptueux et de paysages paradisiaques. Pour la bonne conscience de ceux qui diffusent ces images, la sacro sainte théorie du Yin et du Yang affirme qu’il y a rien de totalement bon ou de totalement mauvais, le mal étant à l’intérieur du bien et vice-versa. Il ne s’agit donc pas de faire ici le procès des télénovélas mais bien de voir, à la lumière du vécu quotidien, quel peut être leur rôle dans certaines attitudes au sein des groupes sociaux qui en constituent l’audimat principal. En effet, l’intrusion des télénovelas dans la « vie » des populations semble en rapport direct avec les attitudes de certaines composantes de la société.

Postures, langage et mode de pensée totalement artificiel, dérive morale au travers notamment d’une haute permissivité sexuelle, déconnexion progressive d’avec le schéma « normal » d’expression du milieu social sont autant de signes à travers lesquels on retrouve en arrière fond l’influence des télénovelas et de leur pseudo paradis artificiels et mensongers. Il y a quelques semaines de cela, de jeunes lycéens ce sont emparés de l’actualité d’une bien triste manière. A l’aide de téléphones portables, ils ont tout simplement filmé leurs ébats sexuels, lesquelles images ont ensuite fait le tour de la ville en passant d’un téléphone à un autre.

Nulle part au monde ni la débauche ni l’indécence n’ont jamais été synonymes de progrès ou de modernité. Elle sont les caractéristiques d’une frange de la population, réceptive aux souffles pervers et incapable de puiser, dans les sempiternels Yin et Yang que distille un monde tout de communication, les valeurs qui feront d’elle un élément utile à la société entière. D’où vient-il donc que dans une société jusque-là homogène et possédant les bases éducationnelles saines, un code d’honneur ressenti et accepté de tous, des groupes entiers soient « pollués » au point de constituer une pathologie particulière de cette société ? D’où vient-il que dans le même pays il y ait une jeunesse « conventionnelle » et laborieuse à côté d’une jeunesse dite branchée, surtout experte en mimétisme de tous genre ?

Pour certains l’univers des télénovélas est un recours et un exemple

D’où vient-il que même dans les couples, base de la cellule familiale, la part de rêve ou d’irréalisme soit un motif fréquent de désagrégation des foyers ? Il y a donc quelque part dans le paysage audiovisuel, « quelque chose » en action. Il y a quelque part une source de référence qui dénature ceux qui s’y abreuvent sans être à son aune. Pour faire la part des choses, on voit mal comment un documentaire sur l’Amazonie ou un débat sur les Dogons peut affecter et infecter des citoyens que l’on souhaite ajuster aux normes et valeurs du pays. En revanche, les images et les messages véhiculés par les télénovélas, qu’ils soient bien ou mal perçus, portent une charge qui n’est pas conçue pour instruire selon nos réalités. L’émotion et le rêve y constituent pour le profane des sources d’inspiration auxquelles il se réfère pour « enrichir » sa réalité et ainsi, peu à peu dérive dans l’utopie à côté de normes que sa nouvelle vision l’amène à ignorer.

Sauf dans les pays pauvres en général pour certains cas et africains en particulier pour tous les cas, il est impensable ailleurs que des images venues de n’importe où et destinées au grand public soient diffusées sans l’aval d’un comité d’éthique et de contrôle et que l’on sait pétri d’intransigeance et de rigueur. Rigueur et intransigeance sont effectivement de mise dans ce cas de figure pour plusieurs raisons.

Les groupes faibles de la société (qui sont plus nombreux qu’on ne l’imagine) prennent ces productions pour de l’argent comptant. Ils n’ont pas la maturité intellectuelle ou la capacité de dissociation nécessaire pour restituer ces « histoires » dans leur contexte. Cette incapacité les amène à vouloir s’approprier ce qui, dans leur imaginaire est devenu un idéal en l’intégrant dans leur mode de vie qui, de ce fait, les transforme artificiellement à côté d’une réalité sociale qui, elle, colle mal avec leur paysage en technicolor. C’est un peu l’histoire de cette femme Timpoko venue de son village natal et devenue Pauline par la grâce du centre urbain et qui deviendra un cas typique de dérive culturelle parce que sa petite cervelle n’a pas su la maintenir dans le terreau des valeurs qui ont fait sa dignité. Comment donc un squelette, avec des tibias en os, des côtes en laiton et une colonne vertébrale en papier mâché peut-il prétendre être la charpente d’un corps digne de ce nom ?

C’est pourtant cette forme de gangrène que les télénovelas introduisent dans les sociétés qui ont l’imprudence de s’ouvrir à elles. Cet exemple n’est pourtant qu’un petit aperçu du terrible pouvoir de corrosion de ces « agresseurs » aux visages d’anges. Après le niveau de l’image brute, à digérer par les incultes, il y a le niveau du virus photoremanescent*. La diffusion effrénée de télénovelas peut poser des problèmes autrement plus graves que l’« inculturation » des populations dans la mesure où personne ne connaît les conditions dans lesquelles ces films sont produits et qu’en plus, aucune précaution n’est prise avant leur consommation par le grand public. En effet, il existe ce que les professionnels appellent « la 25e image ».

Cette technique part du fait que pour restituer l’illusion de la réalité, une bande cinématographique doit défiler à la vitesse de 24 images par seconde. Lorsqu’à ces 24 images, on ajoute une 25e image, le tout programmé dans la seule seconde, cette 25e image n’est pas perçue par l’œil mais est enregistrée par l’inconscient du spectateur. C’est ce qu’on appelle une image subliminale. L’image en question peut être remplacée par un message, la photo d’un objet etc. De cette manière, on peut conditionner des foules entières dans le sens que l’on veut sans que personne ne se doute qu’en réalité, il est manipulé à travers une image subliminale. Supposons par exemple que la télénovela la plus en vogue au Burkina ait été produite par une maison financée avec les capitaux d’un prospecteur de pétrole.

Parmi une multitude d’autres scénarii prenons celui-ci : « le prospecteur de pétrole sait, à partir de satellites espions capables de sonder la croûte terrestre jusqu’au magma, qu’il existe du pétrole et certains types de métaux rares dans un endroit précis du Burkina. Malheureusement pour lui, cette zone est déjà l’objet d’un contrat d’exploration par une petite compagnie concurrente. Malgré ses capitaux, notre « pétrolier » ne peut non plus lancer une OPA (Offre publique d’achat) contre la petite compagnie car elle existe au sein d’une union politique, suffisamment avancée elle aussi pour comprendre rapidement les dessous d’une quelconque manœuvre de récupération.

Qu’à cela ne tienne ! Notre foreur décide de fomenter troubles et divisions dans le pays de manière à aboutir à une situation le mettant en mesure de dénoncer certains accords pour en proposer d’autres. Pour cela, il décide de financer une télénovela de plusieurs saisons à une condition. Toutes les séquences doivent comporter une image subliminale (le logo de son entreprise par exemple) et un message subliminal dont le contenu doit pousser les populations à la révolte et à la contestation.… On sait que dans le pays visé, il n’existe aucun comité susceptible de briser une offensive de ce type en analysant les films au recto et au verso ». Ainsi donc, au travers de simples images, on en arrive à manipuler et dirigeants et populations totalement à leur insu.

L’exemple du pouvoir des images subliminales et des messages subliminaux est loin d’être une affabulation. Cette technique a été largement utilisée depuis la seconde guerre mondiale et il est presque certain que depuis ce temps elle a été améliorée. Même en faisant abstraction de la possibilité d’une 25e image. Les télénovélas demeurent des productions dont il importe de mesurer l’influence. Après le mousqueton et l’usage de la force brutale, l’Homme est toujours à la conquête de l’Homme et nul besoin d’affirmer que conquérir l’esprit c’est conquérir absolument. Il est vrai qu’en ces époques de TIC, il est difficile de rester fermé au reste du monde et que l’ouverture, indispensable pour rester au diapason des autres, est elle-même une forme de progrès.

Cependant il faut s’ouvrir sans que cela ne soit à chaque fois une occasion de chute et de vulnérabilité, répondre aux autres à condition que cela n’amène personne à fléchir du genou. Il y a de multiples possibilités de fixer les téléspectateurs par des choix cinématographiques sains et instructifs pour les populations. C’est vers ces options qu’il importe de se tourner dès maintenant avant que des films importées d’on ne sait où ne nous façonnent une jeunesse inutile et des populations pauvres de leur identité.

Luc NANA

L’Hebdo

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