LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Rebellion touareg au Niger : Moussa Kaka, le mouton du sacrifice

Publié le jeudi 14 février 2008 à 10h29min

PARTAGER :                          

Comme l’opinion africaine et internationale le sait, Moussa Kaka, journaliste, correspondant de RFI au Niger, est en prison depuis le 20 septembre 2007. Le pouvoir nigérien l’accuse de "complicité d’atteinte à la sûreté de l’Etat" parce qu’il aurait entretenu des liens avec des rebelles touaregs.

Ces derniers temps, le régime au pouvoir à Niamey que l’on sait si chatouilleux sur cette question de la rébellion touaregue, avait pourtant semblé s’être décidé à faire preuve de souplesse, et à entendre les voix de plus en plus nombreuses qui lui demandent de faire preuve de hauteur de vue. La justice avait, il y a quelques temps maintenant, sorti de prison deux journalistes français qui avaient été incarcérés pour les mêmes raisons. Après eux, c’est un autre journaliste nigérien, Ibrahim Mazo, qui a pu bénéficier d’une mesure de mise en liberté. Les espoirs étaient grands, par conséquent, de voir Moussa Kaka sortir aussi de prison. Or mardi dernier, la cour d’appel de Niamey, qui avait été saisie, n’est pas allée dans ce sens. Elle a même annulé l’ordonnance du juge d’instruction qui déclarait illégales les écoutes téléphoniques à partir desquelles seules Moussa Kaka a été inculpé. Le correspondant de RFI demeure donc en prison, et l’espoir de le voir libre a été anéanti.

La déception de tous les hommes soucieux du respect des droits de l’homme est grande. Qu’est-ce que Moussa Kaka a donc fait, qui requiert une telle rigueur et une telle intransigeance de la part de la justice de son pays ? A-t-il livré des armes à la rébellion ?

A-t-il fourni de précieuses informations aux rebelles ? Leur a-t-il prêté un concours militaire ? Rien de tout cela. Il a, dans le cadre de son travail qui est d’informer l’opinion sur les événements qui ont lieu, pris contact avec des hommes qui mènent une lutte armée contre le pouvoir en place. Ces hommes posent des problèmes, et leur action constitue un problème grave pour le Niger. Or, de deux choses l’une : ou bien on n’en parle pas ; ou bien, pour savoir de quoi l’on parle, pour s’assurer que l’on dit des choses que l’on peut soutenir, on est obligé de se tourner vers les acteurs, au moins pour croiser les informations et confronter les sources.

On comprend que le premier terme de l’alternative soit un choix qu’un journaliste ne fera pas de bonne grâce. Son rôle, en effet, est de porter des informations à la connaissance du public afin qu’il puisse se forger une opinion avisée. Non seulement c’est son rôle, mais encore il s’agit d’une action nécessaire et vitale pour la démocratie.

Mais l’on comprend aussi que l’effort d’éclairage du public ne plaise pas toujours à ceux dont l’intérêt manifeste est que, sur certaines affaires, le silence se fasse ; cela ne plait ni à ceux qui veulent agir dans l’ombre, ni à ceux qui ne veulent pas que le peuple sache, que le peuple s’intéresse à ce qui, après tout, le concerne. Les pouvoirs africains qui monopolisent l’infirmation, qui mettent volontiers les médias à leur service, se montrent facilement irritables quand les journalistes s’intéressent à certaines de leurs affaires publiques.

Et le régime nigérien semble avoir fait de la question de la rébellion touaregue, une affaire d’Etat ; il semble avoir donné pour consigne que l’on conspire par le silence. Voir ce problème s’étaler dans la presse internationale lui déplaît souverainement. Mais s’il peut imposer un tel silence aux médias d’Etat, il ne peut pas le faire quand il s’agit d’un journaliste indépendant dont la liberté d’esprit et de ton est reconnue par tous. C’est probablement ce qui explique un mouvement d’humeur aussi tenace de la part des autorités nigeriennes. Elles veulent coûte que coûte isoler médiatiquement la rébellion et affirmer leur autorité.

Mais on ne peut pas décréter un embargo sur l’information à propos d’un problème de ce genre. Faut-il rappeler qu’on ne fait pas baisser la fièvre en cassant le thermomètre ? Les Mossi ont ce proverbe qui est ici fort à propos : il faut "vendre" son mal pour obtenir le remède. Autrement dit, ce n’est pas en gardant le secret sur le mal dont on souffre que l’on peut en être soulagé, mais c’est en le rendant le plus public possible, que l’on peut tomber sur une oreille compatissante et sur un bras secourable. La politique du régime nigérien est contre-productive ; et le durcissement apparent de son attitude dans le dossier Moussa Kaka, est le mauvais signe d’une impuissance fébrile.

Incapable d’obtenir des résultats politiques ou militaires face à la rébellion, les autorités veulent sauver les apparences en sévissant lourdement contre des innocents qui, à leurs yeux, les défient. Ainsi, la détention prolongée de Moussa Kaka est-elle tout ce que le pouvoir de Niamey a trouvé pour se donner de la contenance dans une crise dont on ne doit pas minorer la gravité. Et Moussa Kaka semble être la victime qui doit saigner pour qu’un régime démocratique puisse donner l’impression, croit-il, d’avoir encore la main, et de faire expier à la communauté internationale l’insupportable affront d’une curiosité entêtée.

"Le Pays"

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique