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Droits de l’Homme et lutte contre la pauvreté au Burkina : Les préoccupations du docteur Ervé Daboné

Publié le jeudi 7 février 2008 à 10h07min

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C’est le 18 décembre de l’année dernière que Ervé Daboné a présenté à l’université de Nantes sa thèse de doctorat en droit. "Droits de l’homme et lutte contre la pauvreté au Burkina Faso", c’est le thème pertinent et d’actualité sur lequel l’homme a réfléchi. Il a également débouché sur des propositions concrètes à même d’intéresser toutes les institutions et personnes physiques engagées dans ce combat titanesque. Cette thèse dont nous vous proposons un résumé, de par sa qualité, s’est vue décerner la mention très honorable.

Situé au cœur de l’Afrique de l’Ouest, le Burkina Faso est classé parmi les pays les moins avancés et les plus pauvres de la planète. Malgré des efforts d’ajustement structurel initiés sous la houlette des institutions financières internationales depuis plus d’une décennie, la pauvreté connaît une ascension vertigineuse au « pays des hommes intègres ». La proportion des pauvres était estimée à 46,4% selon les statistiques de 2004. Le Burkina avait pourtant bien appliqué les directives de la communauté financière internationale, lesquelles visaient à promouvoir la croissance économique sur la base de l’initiative privée et du désengagement de l’Etat des secteurs économiques productifs.

Paradoxalement, la croissance du taux de pauvreté a pris le pas sur celle de l’économie et du bien-être des populations, créant des situations de précarité et de misère dans la presque totalité de la population, notamment dans les zones rurales. La détérioration des conditions de vie des ménages est en constante évolution, laissant des stigmates profondes dans le quotidien des Burkinabè : incapacité de bien se nourrir, de se soigner, d’instruire les enfants, de se loger décemment. En somme, il y a une incapacité de vivre dignement.

Le Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté (CSSLP)

Pour réduire la pauvreté galopante, des propositions ont été faites au gouvernement burkinabè par les institutions de Bretton Woods après leur assemblée d’automne 1999. Il s’agissait de définir une nouvelle approche, laissant l’initiative à chaque pays de concevoir des stratégies appropriées tenant compte de ses caractéristiques spécifiques pour réduire la pauvreté. Dans cette optique, le Burkina Faso a élaboré et adopté courant l’année 2000 différents axes de lutte contre la pauvreté contenus dans un document-cadre appelé "Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté » (CSLP). Ce programme de réduction de la pauvreté est en expérimentation depuis maintenant sept ans. Supposé être un cadre de référence pour favoriser la croissance, ce document a dégagé quatre axes à promouvoir pour combattre la pauvreté : la croissance, l’accès aux services sociaux de base, la création d’emploi et la bonne gouvernance.

Outre le fait qu’il n’existe pas de législation spécifique favorable aux pauvres au Burkina, le CSLP n’offre pas de garantie suffisante pour la promotion et la protection des droits économiques, sociaux et culturels. Cette lacune illustre le manque de synergie entre ce programme de lutte contre la pauvreté et la protection des droits humains.

L’approche intégrée des droits humains et de la lutte contre la pauvreté amorce une orientation dynamique de la réflexion vers des questions de valeurs. L’idée est de considérer que les politiques de lutte contre la pauvreté doivent se conformer aux valeurs qui fondent la société, en l’occurrence, le respect de la dignité humaine, et partant, la solidarité. Cette dignité qui est le dénominateur commun de tous les hommes mérite une protection contre les pires formes d’avilissement que sont la pauvreté et la misère avec leurs cortèges d’effets collatéraux (maladie, analphabétisme, insécurité). Ceci étant, la protection contre la pauvreté et la solidarité obéissent tant à des principes d’ordre moral que juridique dans la mesure où plusieurs instruments juridiques ont appréhendé la question. Il conviendra dans ce cas de s’interroger en définitive, sur une éventuelle imputabilité de l’approfondissement de la pauvreté étant entendu que plusieurs acteurs étatiques ou non, ont d’une certaine manière failli à leurs missions. L’enjeu sera certainement de savoir comment conjuguer une telle responsabilité dans le schéma actuel du droit national burkinabè et du droit international. La mise en œuvre des droits économiques, sociaux et culturels requiert l’engagement effectif de tous les acteurs au développement. Dès lors, la contre-performance, qu’elle provienne des organes de l’Etat burkinabè ou qu’elle résulte des programmes expérimentés par les institutions financières internationales, devra être judicieusement évaluée dans ses causes et conséquences afin de situer les responsabilités de chaque institution. Face à l’inertie de la procédure judiciaire classique à l’heure actuelle en ce qui concerne la responsabilité des Etats et des institutions financières internationales (Banque mondiale et FMI notamment), il appartient donc au citoyen burkinabè, à la société civile et à l’opposition politique parlementaire d’user des voies administratives, juridictionnelles et politiques telles que prévues par la Constitution et les lois en vigueur pour exiger la mise en œuvre effective des droits violés. Ce processus est certes émaillé d’embûches, mais l’important est de toucher les mentalités. Il est évident que le succès du développement et de l’éradication de la pauvreté au Burkina dépend aussi des facteurs externes, hors de la portée de l’Etat et des populations pauvres. Ce sont : la mondialisation et son mode de gouvernement, la dette extérieure, la place des institutions internationales et la nécessité « d’une gestion globale » équitable du commerce international et l’exigence des voies de développement alternatives.

Rompre avec les modèles économiques importés

Notre constat est que le CSLP est une prolongation des PAS. Il contient les mêmes conditionnalités puisque l’octroi des fonds de l’initiative pays pauvre très endetté (PPTE) demeure tributaire des performances en termes de stabilisation, de privatisation et de libéralisation. En d’autres termes, l’Etat doit engager une politique de rigueur budgétaire et de désengagement pour continuer à bénéficier des allégements de sa dette et partant pour financer les programmes sociaux prioritaires. Dans ce cas, quelles seront finalement les marges de manœuvre de l’Etat burkinabè dans l’accomplissement des politiques sociales susceptibles de réduire la pauvreté ? Quelle est la capacité réelle du CSLP à résorber la dynamique de la pauvreté au Burkina ? L’expérience burkinabè apparaît en définitive comme un témoignage édifiant sur la faillite du modèle de développement importé trop centré sur les sociétés occidentales. En effet, ces théories extérieures de développement ont été élaborées selon une problématique de changement social enraciné dans les trajectoires spécifiques des sociétés occidentales qui revendiquent le monopole de la modernité. Dans cette perspective, l’arrimage sur le modèle occidental est présenté comme une nécessité. Or, la seule approche financière ou monétaire du développement n’est pas suffisante pour remédier à la pauvreté au Burkina où le vrai pauvre est parfois identifié à celui qui n’a pas de parenté ou de terre cultivable. Et comme les schémas d’analyse classiques s’avèrent inadaptés, ne faudrait-il pas recourir à d’autres alternatives plus ancrées dans la dynamique interne de la société burkinabè ?

La lutte contre la pauvreté devrait s’inscrire, à notre avis, dans une politique endogène de développement conçue par l’Etat burkinabè. A cet effet, il faudra rompre avec les modèles économiques importés qui enracinent la pauvreté pour promouvoir un développement participatif, inclusif et démocratique. Cette stratégie originale de développement devra s’appuyer sur les valeurs socioculturelles du pays pour promouvoir le secteur agro-pastoral et instaurer une politique de protection sociale des populations. Ainsi, grâce à une revalorisation de la coopération internationale et une redynamisation des politiques d’intégration régionale encadrées dans un partenariat économique et technique multilatéral responsable, l’Etat burkinabè pourrait effectivement garantir de meilleures conditions de vie et de travail à sa population.

* Le titre et les intertitres sont de la Rédaction

N.B. Présentée le 18 décembre 2007 par Dabonné Ervé à l’université de Nantes - faculté de Droit et des Sciences politiques - Laboratoire Droit et Changement social

Ecole doctorale : Droits et Sciences sociales

Discipline : Droit public Spécialité : Droits fondamentaux

Directeur de thèse : M. Augustin Emane, Maître de conférences, HDR à l’université de Nantes

Membres du jury

M. Patrick Chaumette, professeur à l’université de Nantes, Président

M. Philippe Auvergnon, Directeur de Recherche au CNRS, Directeur du Comptrasec, professeur à l’université de Bordeaux IV

M. Franck Barrau, Secrétaire permanent du Forum mondial des Droits de l’Homme

M. Alioune Badara Fall, professeur à l’université de Bordeaux IV

Le Pays

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