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BCEAO : Un gouverneur, pourquoi faire ?

Publié le lundi 28 janvier 2008 à 09h56min

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Désigné gouverneur de la Bceao lors du dernier sommet de l’Uemoa, quelle est va être la politique de Philippe Henry Dacoury-Tabley au moment où la cherté de l’euro par rapport au dollar handicape les économies de la zone franc ?

Le président ivoirien Laurent Gbagbo est rentré du sommet de l’Union économique et monétaire des états d’Afrique de l’ouest (Uemoa) qui s’est tenu les 17 au 18 janvier dernier à Ouagadougou, au Burkina Faso, tout heureux. Certes, il n’a pas réussi à placer son candidat, Paul Antoine Bohoun Bouabré à la tête de la Banque centrale des états de l’Afrique de l’ouest (Bceao), mais finalement, c’est un ivoirien, Philippe Henry Dacoury-Tabley qui a été désigné gouverneur pour succéder à Charles Konan Banny.

Pour encore six ans, un Ivoirien va présider aux destinées de cette structure communautaire, mais Laurent Gbagbo sait que désormais, le poste de gouverneur n’est plus la « propriété » de son pays. Il y a des traditions qu’il faut savoir abandonner surtout quand elles ont épuisé leur contenu historique et deviennent source de division. Il faut rendre justice au président sénégalais Abdoulaye Wade qui avait dénoncé cette pratique consistant à réserver tel poste à tel pays dans les institutions communautaires alors que le principe de la rotation doit être la règle. D’ailleurs, l’actuel président de la commission de l’Uemoa, le Malien Soumaïla Cissé n’a t-il pas succédé au Sénégalais Moussa Touré en 2004 au nom du principe de la rotation ?

On ne comprend surtout pas pourquoi durant deux ans, les débats se sont excessivement polarisés sur la nationalité du successeur de Charles Konan Banny, comme si c’était le point le plus déterminant pour l’avenir des 8 pays qui forment l’Uemoa. Plus que par le passé, le principal défi que la Bceao doit relever est celui de sa capacité à mener une politique monétaire favorable au développement économique des pays membres. Alors qu’aucun pays de l’Uemoa n’est en mesure d’atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) d’ici 2015, comment comprendre que dans le même temps, la Bceao affiche une santé financière insolente et soit, de l’aveu de Charles Konan Banny « même trop riche » ?

Le débat sur les orientations monétaires de la Bceao doit être mené sans tabous. L’obsession de l’inflation qui conduit ses dirigeants à adopter la politique du franc fort est-elle pertinente, sachant qu’elle grève la compétitivité des produits de la zone franc ? L’arrimage du F CFA à l’euro et la fixité de la parité entre les deux monnaies répondent à quelle rationalité économique ? Sans doute, la réponse à ces questions relève plus de la volonté des chefs d’état que des compétences des gouverneurs de la Bceao et de la Banque des états d’Afrique centrale (Beac), mais Philippe Henry Dacoury-Tabley et son homologue de la Beac, Philibert Andzembé pourraient avoir au moins l’audace de les poser ouvertement.

Bien sûr, la parité fixe avec l’euro procure une stabilité au F CFA et le protège des fluctuations de change tout en facilitant le commerce avec l’Europe, principale zone d’activités commerciales des pays de l’Uemoa et de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac). Grâce à la parité, les pays non pétroliers de la zone franc supportent mieux le choc de la flambée du baril de pétrole et contient l’inflation dans des proportions raisonnables. Mais le coût économique en vaut-il la peine ? La lutte contre l’inflation justifie t-elle qu’on sacrifie la compétitivité des filières agricoles comme le café, le cacao et le coton, des secteurs qui font vivre des millions de personnes ? Déjà pénalisé par les subventions occidentales qui plombent le marché international, la dépréciation du dollar par rapport à l’euro met en péril le coton africain pourtant de très bonne qualité. En 2005, la filière coton a ainsi perdu 220 milliards de F CFA, puis 300 en 2006 et près de 400 en 2007.

Dans une interview publiée le 9 janvier dans le quotidien Fraternité Matin, l’ex-gouverneur de la Bceao Charles Konan Banny s’inquiète pour la santé économique de nos pays est fragile. « Nous observons, nous l’avons observé que la situation monétaire est saine alors que l’on ne peut pas dire autant de la situation économique qui demeure fragile. Taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) faible, finances publiques précaires, tout ceci comporte des risques » reconnaît t-il. Autrement dit, la valeur actuelle de notre monnaie est purement virtuelle et ne reflète pas la santé économique des pays de la zone franc. L’arrimage à une monnaie forte n’est donc pas forcément un facteur de développement. Et si l’euro devait encore rester durablement à son plus haut niveau, ce qui est fort probable, peut-on éviter une seconde dévaluation du F CFA ?

Pour éviter un second traumatisme après celui de janvier 1994, certains économistes suggèrent de fixer un taux plancher et un plafond, ce qui permettrait de recourir à des ajustements de la valeur du FCFA en cas de nécessité. L’ennui, c’est que le lien entre le F CFA et l’euro ne permet pas à nos gouvernements d’influer sur le cours de leur monnaie et ils subissent depuis quatre décennies les aléas de la politique monétaire, d’abord de la France, puis de l’Europe avec l’avènement de l’euro. Depuis la signature en 1962, du compte d’opérations entre le ministère français des Finances et ceux des pays de la zone franc, nos gouvernements ont juridiquement renoncé à leur souveraineté monétaire au profit de la France et perdu le contrôle de leur monnaie.

Le grand argentier qui régente la vie de près de 113 millions d’habitants n’est ni Philippe Henry Dacoury-Tabley, ni Philibert Andzembé, mais Jean-Claude Trichet, le gouverneur de la banque centrale européenne basée à Frankfort, en Allemagne, un « Ayatollah » de la politique du franc fort et de la stabilité des taux de change.

En application de cette inique convention, la Bceao, la Beac et la banque centrale des Comores, déposent leurs réserves extérieures dans les caisses du Trésor français sur un compte appelé « compte d’opérations ». Jusqu’en 1973, elles déposaient la totalité de leurs avoirs extérieurs, puis 65% à partir de 1973 et 50% depuis 2007, un mécanisme permet de garantir la convertibilité du F CFA et d’assurer les transactions internationales. Mais que fait le trésor français de cet argent et combien rapporte t-il aux banques centrales ? En dehors de quelques initiés, nul ne le sait. Même le président gabonais, Omar Bongo l’ignore et s’interroge : « Nous sommes dans la zone franc. Nos comptes d’opérations sont gérés par la banque de France, à Paris. Qui bénéficie des intérêts que rapporte notre argent ? La France ! ».

Dans l’interview déjà citée, l’ancien premier ministre ivoirien déclare : « Nous avons pensé, en ce qui nous concerne, que plus de 40 ans après, nous avons maintenant une connaissance certaine des mécanismes du marché des changes et que, au lieu de 35%, nous pourrions faire un partage équitable. Et c’est moi qui ai proposé que la partie gérée par les africains, qui était jusque là de 35 passe à 50% ». Et si la vérité était ailleurs ? Et si l’état français avait accepté cette proposition pour éviter de verser des intérêts trop élevés aux banques centrales, actuellement en surliquidité ? Konan Banny lui-même n’avoue t-il pas qu’à « une certaine année, la Bceao a engrangé près de 190 milliards de F CFA ? »
Pourquoi nos gouvernements s’endettent-ils auprès de la banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) alors qu’ils disposent d’énormes stocks d’argent dans les caisses du trésor français ?

En 2005, les deux banques centrales disposaient de près de 6300 milliards de F CFA, dont 3000 milliards pour la Bceao, c’est à dire l’équivalent des budgets 2008 cumulés du Niger, du Burkina, du Togo, de la Guinée-Bissau et du Mali ! A croire que, délibérément nos gouvernements se privent de moyens financiers auraient permis d’assurer une bonne éducation et une bonne santé à leurs peuples.
« C’est la France qui nous empêche de balayer nos rues.

L’argent qu’il faut pour cela est déposé dans le trésor français, qui nous le prête à des taux élevés », propos de meeting du président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire Mamadou Koulibaly. Considéré comme un radical du pouvoir d’Abidjan, ses propos n’ont pas eu l’écho escompté et méritent d’être reconsidérés une fois la crise terminée. Car, plus de plus de 40 ans après l’indépendance politique des ex-colonisés, celle monétaire reste à conquérir. Pour que la Bceao et la Beac ne soient plus que de simples instituts d’émission.

Joachim Vokouma
Lefaso.net

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