LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Louis Michel, commissaire européen au développement : "Nous sommes généreux mais pas naïfs"

Publié le vendredi 25 janvier 2008 à 10h38min

PARTAGER :                          

Ceci est une interview du commissaire européen au développement, Louis Michel, réalisée par le correspondant à Bruxelles en Belgique de l’agence IPS que nous vous proposons.

" IPS" : Un rapport récent de la Commission européenne souligne les progrès réalisés en matière de cohérence du développement et des autres politiques européennes, mais il admet également que beaucoup de responsables européens ne sont pas suffisamment informés des enjeux dans le domaine du développement. Comment améliorer cette situation ?

Louis Michel : Les responsables européens savent que lorsqu’ils traitent un dossier ou une mesure qui aura un impact sur les pays en développement, ils doivent fournir les détails de leurs projets à nos services du développement. Nous avons fait dans ce domaine des progrès considérables, comme la réforme des subventions à l’agriculture. Près de 90 pour cent des subventions agricoles ne seront plus directement liés à la production d’ici à 2011.

A mon sens, mettre en place une politique cohérente impose que l’aide au développement ne soit pas uniquement l’affaire du commissaire ou des ministres en charge du développement. Tous les ministres qui, directement ou indirectement, contrôlent des politiques liées au développement ont un rôle à jouer. J’espère qu’il y aura des réunions entre les ministres en charge du commerce, des finances ou de l’éducation pour exploiter en profondeur ce potentiel non utilisé.

On peut cependant constater qu’on est loin d’une harmonie entre les politiques européennes d’aide au développement et les politiques commerciales.

Il y a eu des progrès importants dans ce domaine. Lorsque nous avons négocié les Accords de partenariat économique, nous avons dit aux pays ACP : "Vous n’avez pas à libéraliser 20 pour cent de votre commerce. Vous aurez 15 années pour le faire", et ce, de manière à protéger des produits sensibles. Si vous pensez que nous n’en avons pas fait assez, regardez simplement combien les subventions agricoles ont été réduites et prenez aussi en considération le fait que nous ayons ouvert notre marché au sucre en provenance de pays hors de l’UE. C’est assez significatif et ce n’est pas un acte de charité.

Mais le nouveau Traité de Lisbonne contient une clause qui encourage les Etats membres à abolir toutes les barrières commerciales auxquelles doivent faire face les entreprises européennes à l’étranger. Plusieurs mémos rédigés par la commission indiquent que ces barrières concernent également des règles environnementales ou de sécurité qui peuvent entraver le commerce, même si elles sont dans l’intérêt des pays en développement à long terme.

Je ne suis pas au courant de ce dont vous me parlez.

Avant Noël, Rob Davies, le vice-ministre sud-africain du Commerce, a expliqué que son pays n’avait pas signé d’APE avec les Européens parce qu’il incluait une clause précisant que tout accord préférentiel que conclurait, à l’avenir, l’Afrique du Sud avec un important partenaire économique mondial, serait automatiquement étendu à l’UE. Ce qui affecterait la souveraineté nationale de l’Afrique du Sud.

C’est évidemment une question de souveraineté nationale pour l’Afrique du Sud, mais c’est le cas aussi pour l’Europe.

La Commission européenne et ses Etats membres fournissent 56 pour cent de l’aide au développement qui est accordée dans le monde. On peut difficilement accepter que les pays partenaires traitent mieux les adversaires économiques de l’Europe qu’elle-même. Nous sommes généreux mais pas naïfs.

Les représentants des ONG actives en Afrique estiment cependant que l’UE a usé de sa position d’important donateur comme moyen de pression sur les pays en développement.

La pression dans quel but ?

Pour leur faire signer des APE.

La date du 1er janvier 2008 est passée et est-ce qu’il y a eu une catastrophe ? Je ne vois pas de quoi parlent les ONG.

C’est vrai que des pays comme le Sénégal étaient contre les APE et n’ont pas signé d’accord, mais le Sénégal est un pays moins avancé qui bénéficie déjà d’un accès au marché européen sous l’initiative "Tout sauf des armes". Il peut donc envahir l’Europe de ses produits sans quotas ou douanes et importer des produits européens sans taxe à l’importation. Je ne comprends pas quel était le problème du Sénégal.

Jean Ziegler, le rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, craint que l’utilisation des cultures pour produire des biocarburants puisse nuire à la production agricole destinée aux populations qui ont faim. Que pensez-vous de sa proposition d’un moratoire international pour imposer des limites aux pays qui veulent augmenter leur production de biocarburants ?

Je suis d’accord avec lui.

Pourtant, l’UE s’est fixée comme objectif 10 pour cent de biocarburants dans les transports à l’horizon 2010.

Les risques dont parlent M. Ziegler sont réels. Il est bon d’émettre des réserves sur les illusions qui peuvent entourer les biocarburants. Il est évident qu’utiliser les forêts pour produire du biocarburant est dangereux et que l’utilisation de terres arables pour les biocarburants pourrait se faire au détriment de la production agricole.

Avez-vous discuté de cette problématique avec votre collègue, la commissaire européenne à l’agriculture, Marianne Fischer Boel ?

Elle connaît mon point de vue. Nous aurons bientôt une réunion d’experts à Bruxelles au sujet des biocarburants et de l’utilisation de la production d’huile de palme. Nous devons nous pencher sur cette question.

Des études prédisent que d’ici 30 ans, les stocks de poissons dans certains pays d’Afrique de l’Ouest pourraient décliner de moitié. L’accord sur la pêche que l’UE a signé avec différents pays africains est montré du doigt. En 2008, une série d’accords de partenariat avec des pays africains au sujet de la pêche doivent entrer en vigueur. Qu’est-ce qui va changer ?

L’enveloppe financière prévue dans les partenariats en rapport avec la pêche est parfois plus importante que l’aide au développement. Pour la Mauritanie, par exemple, elle est cinq fois supérieure à l’enveloppe prévue pour l’aide au développement. En ce qui concerne les stocks, il est clair qu’il nous faut une évaluation scientifique, et la Commission européenne prend cela en compte.

Quel est votre sentiment après les événements qui ont suivi les élections présidentielles au Kenya ? Quel rôle l’UE peut-elle jouer ?

L’UE laissera les Africains résoudre leurs propres problèmes tant qu’ils le peuvent. Il n’y aura pas d’interférence parce que cela serait contre-productif. Le président Kibaki doit accepter la médiation du président ghanéen John Kufuor (président de l’Union africaine). Je serai en contact avec lui, avec l’équipe du président Kibaki et avec celle du candidat Raila Odinga, mais je ne peux pas en dire davantage pour le moment.

Interview réalisée à Bruxelles par David Cronin (IPS).

Le Pays

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique