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Dialogue : Les gens (de Bouaké) n’aiment pas les gens (d’Abidjan)

Publié le lundi 7 juin 2004 à 07h41min

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Il n’a jamais été question d’une quelconque confiance entre ces deux hommes ; même pas de méfiance, plutôt une défiance acharnée qui transpire à travers des passes d’armes verbales, souvent véritables morceaux choisis, rappelant même certains contes de la savane et de la forêt africaines.

Fort du principe de la légalité constitutionnelle, Laurent Gbagbo entend conduire son pays telle une barque FPI dont il serait seul maître à bord après Dieu. Guillaume Soro, prompt à la rhétorique contre Gbagbo, n’a pas hésité à faire ce que, semble-t-il, il avait envie de faire depuis belle lurette : renier le vrai-faux socialiste, remettant conséquemment en cause cette légitimité à laquelle s’est toujours enchaîné l’homme fort d’Abidjan. Inutile d’imaginer ce que se diraient ces deux hommes au détour d’un quartier d’Abidjan ; ils n’échangeraient que des propos fort peu amènes...

Gbagbo : Dites-moi, "Soro", c’est ivoirien, çà, comme nom ?

Soro : C’est plus simple à prononcer que "Paqu’bot". Ou bien c’est quoi-là-même ?...

Gbagbo : Disons que l’origine de Soro n’est guère garantie ! En anglais, ça veut dire "tristesse". Vous déprimez pas un peu dans le Nord ? (rires)

Soro : Moi, je vous garantis seulement qu’il vous faudra changer de langage, vous, vos sicaires et vos larbins de patriotes... La tristesse pourrait se transformer en colère !

Gbagbo : Ils sont loin d’être bornés, les patriotes ; l’aptitude à inventer des slogans démagos, à faire sa propre réclame, à enrager les foules peut relever d’une certaine intelligence ! Cependant, pour prétendre à diriger un pays, il faut bien plus que cela.

Soro : Il y a aussi beaucoup de jeunes chez nous ! Mais eux n’ont pas de calendrier hebdomadaire de marches de soutien ou de protestation. Ils vont à l’école, travaillent, ou en tout cas se débrouillent.

Gbagbo : Est-ce notre faute si vous avez nourri le virus de l’ivoirité ? Combien sont-ils ceux-là qui étaient obligés de partir, pour sauver leur peau ?

Soro : Ce n’est pas en requalifiant l’ivoirité de patriotisme que vous hypnotiserez les gens. Et ces pauvres jeunes, rageusement accrochés à un qualificatif, dans l’espoir évident d’en tirer substantiellement profit, combien de temps cela prendra-t-il ?

Gbagbo : Ils luttent pour la patrie, pour une Côte d’Ivoire une et indivisible...

Soro : Personne n’a déclaré que la patrie était divisée. Ce sont là encore des façons de faire de votre entourage : dire que la partie nord est envahie par des "rebelles". Ne vous a-t-on pas dit que ces "rebelles’’ occupaient 60 % du territoire ? Allons... si le jeu démocratique se déroulait correctement, qui aurait gagné ? Où serait la capitale ?

Gbagbo : Je regrette, mais notre démocratie marche à son rythme. C’est la démocratie aux couleurs ivoiriennes.

Soro : Chez nous, ce serait plutôt le degré quasi zéro de la culture démocratique ! Voyez-vous, les ascensions politiques vertigineuses conduisent presque toujours à des fautes graves. Chacun sait comment s’est déroulée l’élection présidentielle à l’issue de laquelle on vous a déclaré élu.

Gbagbo : En tout cas, à présent, c’est moi le président, seul à prendre les décisions qui peuvent engager la nation. Et mon trône, c’est pas un banc où on va me dire de pousser pour que chacun s’assoie !

Soro : En attendant, hormis le FPI, plus personne ne désire plus vous entendre, dedans comme dehors. Surtout que, de temps en temps, vous cisaillez certaines antennes afin qu’elles la bouclent. A propos, que devient ce journaliste franco-canadien ?

Gbagbo : Nous avons des services compétents qui sont chargés de l’affaire...

Soro : Cher président-qui-maîtrise-tout, il s’agit d’un être humain qui ne peut pas avoir disparu ainsi, comme un courant d’air. Votre beau-frère Michel semble avoir lâché le morceau en donnant ces fameux noms. Pourtant, il y a toujours des obstacles à la vérité...

Gbagbo : Écoutez, je ne suis ni la police, ni la justice. J’ai demandé que lumière soit faite sur cette affaire, vous comprenez ? Je suis très bousculé ces temps-ci, vous le savez très bien...

Soro : Bien sûr. Deux heures de prière pentecôtiste par jour, ça laisse pas beaucoup de temps pour bosser. Surtout que vous vous sentez obligé de faire le boulot du Premier ministre. Et avec une cerise sur le gâteau : un rapport assez troublant des Nations unies.

Gbagbo : Pffff... C’est un rapport partial.

Soro : Je vous comprends : vous vouliez d’une commission de larbins qui aurait fait porter à d’autres le chapeau d’une situation dont la responsabilité incombe au premier chef à son... chef. Donc à votre régime. Hélas !

Gbagbo : J’ai le pressentiment qu’on veux étouffer ma chère Côte d’Ivoire.

Soro : "Votre" Côte d’Ivoire, c’est la Côte d’Ivoire de tout le monde. Elle est une dans la diversité. Lorsqu’un panier est rempli d’un assortiment de légumes variés, inutile de s’efforcer de dire qu’il ne contient que des ignames. C’est là votre tort : faire croire que tout le monde admire et épouse vos théories.

Gbagbo : En tout cas, nous, au FPI, on ne se contente pas d’aboyer avec la meute. Nous avons un programme pour développer rapidement ce pays.

Soro : Jusque-là, on n’a rien vu ! Et cela n’est pas une raison suffisante pour se mettre à dos la communauté internationale.

Gbagbo : La communauté internationale ? C’est le colonialisme qui se poursuit par d’autres voies.

Soro : Sans doute les propos de Kadhafi vous auront-ils laissé entrevoir de bons points qu’il fallait matérialiser en tapant du poing sur la table ?

Gbagbo : Au moins, Kadhafi reconnaît que je suis le président légitime de la Côte d’Ivoire. Et pour qui sait ce qu’il représente pour l’Afrique, c’est pas rien.

Soro : Et les autres chefs d’État, ils comptent pour du beurre ? Ce bonhomme de Tripoli est le meilleur spécialiste des coups de théâtre et autres retournements de veste. Bien sûr, cela peut donner des idées à ceux qui voudraient pratiquer ce sport... à hauts risques, quand on n’a pas de pétrodollars.

Gbagbo : Vexé qu’on vous ait traité d’aventuriers ?
Soro : que vous n’appréciez pas, j’ai entendu l’un de vos griots qui semblait dire qu’on en voulait au FPI parce qu’il est ancré dans la modernité.

Gbagbo : Ben, oui ! Je répète que j’ai un programme bien ficelé pour faire décoller ce pays.

Soro : En attendant, chacun sait qu’il dérive dangereusement et que l’atterrissage sera des plus douloureux. En fait de modernité, hormis ces vieux coucous qui de temps à autre troublent la sieste des braves paysans, il n’y a absolument rien de nouveau sous le ciel d’Abidjan. Même le cacao cherche un statut de réfugié agricole.

Gbagbo : Nous nous occupons très bien de notre cacao...

Soro : Si bien qu’il n’hésite pas à s’exiler, à causer des disparitions d’individus peut-être un peu trop curieux.

Gbagbo : Je déclare qu’il y a des changements qualitatifs dans ce pays, mais vous vous donnez des raisons de ne pas les voir. Là, je n’y puis rien.

Soro : Vous pouvez enclencher la marche arrière.

Gbagbo : Mais... pour qui me prenez-vous ?

Soro : Pour un citoyen sincère, aimant comme moi son pays. Voyez-vous, il n’est jamais déshonorant de changer d’avis quand on estime s’être trompé et qu’on le dit clairement. Bien au contraire.

Gbagbo : Que chacun poursuive sa voie. Moi j’accélère et on verra si vous arrivez à suivre.

Propos télépathiquement recueillis par le Journal du jeudi

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