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Gilbert Ouédraogo : Opposant à l’opposition au pouvoir

Publié le samedi 12 juin 2004 à 14h07min

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Gilbert Ouédraogo est arrivé en politique un peu comme un enfant à l’école maternelle. Il est entré dans la cour politique burkinabè en douceur, comme une feuille verte d’arbre qu’on arrache et qu’on jette au sol, sans bruit, avec le parrainage de son pater, le "vieux" Gérard Kango Ouédraogo.

Les vieux renards du paysage politique n’ont pas hésité à conclure, avec juste raison, que faute de convaincre son fils aîné à aimer le jeu politique, le vieil éléphant allait entraîner l’un des benjamins de la famille pour se faire un successeur. Et visiblement, Gilbert Ouédraogo est un bon élève. Il a sauté certaines classes de cette école pour paraître aujourd’hui comme un pilier visible de la scène.

Le scénario écrit par le père pour lancer le fils était d’une simplicité déconcertante en même temps qu’il portait la griffe d’un grand stratège politique connu de tout le continent africain. Pour cela, il avait des cartes en main, qu’il a jetées à deux bons moments. La première carte était le fils lui-même, intellectuel, homme de droit et moralement peu reprochable. La deuxième carte était le contexte d’après-modification de la Constitution en son article 37, contexte qui avait fabriqué des mécontents bons à récupérer.

Parmi ces mécontents, Hermann Yaméogo, président de l’ADF, deuxième tête de proue de la mouvance présidentielle, philosophe de la "démocratie consensuelle", grand support du Programme de large rassemblement et très grand supporter de Blaise Compaoré. N’ayant pu forcer la main au CDP pour faire glisser "son poste" de vice-président dans la loi fondamentale - ce qui aurait du reste changé la face de la démocratie burkinabè -, Hermann Yaméogo repartit d’où il était venu : l’opposition pure et dure. Un virage à 180 degrés qui allait lui faire perdre des plumes.

"Heureusement", il trouva un bras secourable dans un RDA politiquement constant mais écrasé çà et là par de nouvelles forces politiques. L’ADF-RDA vit le jour. Quelques observateurs avertis comprirent tout de suite que l’acte de fusion n’allait pas tarder à se muer en une phagocytose. Hermann Yaméogo prêta le flanc en continuant à gérer "en laboratoire" sa démocratie consensuelle et le nouveau parti. Le duc du Yatenga, à jour sur le rythme et le pouls du terrain, poussa son fils sur la scène et commença à se retirer subrepticement. Stratégie classique : s’éclipser pour ne pas éclipser.

Gilbert comprit le signal et frappa un grand coup. Un premier coup qui allait se révéler un coup de maître du Maître au Maître. Il tient désormais les rênes de l’ADF-RDA et introduit des variances. Il ne restreint plus sa zone d’action au plateau mossi. Il ratisse large. Presque toutes les ethnies, ou tout au moins les ressortissants des nouveaux découpages régionaux, se retrouvent dans son parti.

Alors, il prend son bâton de pèlerin politique et voyage. Du nord au sud, de l’ouest au sud-ouest, l’héritier de Gérard Kango se présente, se crée une personnalité personnelle tout en gardant l’aura paternelle. Il semble d’accord avec Duhamel qui écrit que lorsqu’un chirurgien décide d’amputer, il n’attend pas un mois pour prendre le couteau. Il veut être président de la République. Peut-être pas tout de suite. En secret, Blaise Compaoré n’est pas contre. Gilbert le crédibilise.

Deux grands dangers guettent cependant Gilbert Ouédraogo. Le premier s’est déjà annoncé dans la manifestation de l’opposition pure et dure qui, en fait, ne voit pas en Gilbert un véritable opposant. Le groupe Justice et démocratie n’a certainement pas tort, lui qui sent après quelques discours, faits et gestes, que le président de l’ADF-RDA serait plutôt un "pro-Blaise Compaoré", un poulain du président dont on conteste la future candidature à la présidentielle.

La nouvelle assertion populaire propre à la sous-région dit qu’un grand n’est pas un petit. Une assertion qui colle bien à la peau de certaines personnalités de l’opposition pure et dure. Face à lui, Gilbert a des hommes politiques "dès le berceau" comme Bénéwendé Sankara, Issa Tiendrébéogo, Étienne Traoré, Ernest Nongma Ouédraogo, plus bien d’autres, comme son adversaire légitime Hermann Yaméogo. Ces hommes mettront logiquement le paquet sur ce centriste penché vers le pouvoir, position propre à nos démocraties.

Le président futur candidat Blaise Compaoré a les moyens aujourd’hui d’épauler indirectement l’éléphanteau, mais ce n’est pas sûr que cela suffise. Les autres n’en manquent pas non plus, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, tant sur le plan de la culture politique pure que sur le plan de la connaissance et de la maîtrise des cartes disponibles sur la table de jeu politique national. Ces hommes vont mener la vie dure à Gilbert.

Par ailleurs, les hommes qui sympathisent aujourd’hui avec le président de l’ADF-RDA ne vont pas garder les mêmes sentiments à son égard si le président Blaise Compaoré montre de plus en plus son désir esquissé de lui tenir la main. Avec Ram Ouédraogo, au temps de l’Union des Verts pour le Développement du Burkina, les titans du CDP avaient trouvé la fausse opposition amusante. Ils avaient même discrètement encouragé Blaise Compaoré à appuyer son "adversaire". Mais quand il s’est agi d’un homme d’une autre facture comme Hermann Yaméogo, riche d’idées constitutionnalistes capables de libérer le chef de l’État du boulet CDP, les massues sont tombées en désordre. Nul doute donc que des hommes sont à l’affût. Ils observent Gilbert et reniflent les probables causettes entre lui et l’enfant terrible de Ziniaré. D’accord pour une opposition qui ne s’oppose pas, mais non pour une intimité politique intensifiée.

Il se trouve que Gilbert prend, aujourd’hui, exactement le même chemin que Hermann Yaméogo il y a quelques petites années. Le fils de Gérard Kango Ouédraogo a cependant trois atouts qui pourraient atténuer d’éventuels revers.
D’abord, il est le fils d’un père qui lui a refilé et qui lui refile encore les recettes politiques et diplomatiques acquises entre Londres et Ouagadougou, en passant par Rome. Gilbert s’est également enrichi de l’aventure de l’ex-président de l’ADF-RDA. Un homme averti en vaut deux, a-t-on coutume de dire.

Gilbert possède enfin ce "look" qui séduirait un certain électorat. Revenu des études, il a refusé d’aller habiter et parader dans une des riches propriétés de son papa au centre-ville. Il a préféré s’acheter une maison dans une cité située en banlieue ouagalaise. Dans notre contexte de pauvreté, ça séduit une majorité.

Malgré tout ça, bien des pièges attendent le jeune Gilbert. Mais il n’a qu’à s’en prendre à lui-même. Intelligent qu’il est, il sait que la politique est une passion épineuse, un grenier de dangers.
Mais l’attrait du danger est au fond de toutes les grandes passions. Gilbert connaît bien cette assertion de France dans son œuvre "Jardin d’Epicure".

M. J. Mimtiiri
Journal du jeudi

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