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Philippe H. Tabley Dacoury à la BCEAO : Un choix hautement politique

Publié le lundi 21 janvier 2008 à 11h53min

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A Tunis, il était à un étage moindre, certes, il contemplait comme son patron, Donald Kaberuka, le Lac Tunis, mais à Dakar, il a une vue imprenable sur l’Avenue Hassan II, la place de l’indépendance et tout le quartier du Plateau, pour ne pas dire toute la ville, mais surtout, il est maintenant le grand patron de la BCEAO. Ainsi en ont décidé les chefs d’Etat de l’UEMOA lors de leur 12e conférence annuelle, tenue le 17 janvier 2008 à Ouagadougou.

L’intéressé ressentira un sentiment de puissance, somme toute légitime et humain, comme l’ont éprouvé sans doute avant lui le premier directeur général, Robert Julienne, nommé le 28 septembre 1962 et les 3 gouverneurs suivants que sont feu Abdoulaye Fadiga, nommé le 15 décembre 1974, Alassane D. Ouattara, nommé le 28 octobre 1988 et Charles Konan Banny, nommé le 22 décembre 1993.

Et pour cause, la BCEAO n’est pas une banque comme les autres, du moins pour la sous-région, sur le plan prestige : elle est un établissement public international dont le siège est à Dakar ; trois missions fondamentales sont dévolues à celle qu’on nomme la "banque des banques" :
c’est un institut d’émission ;
elle est une banque centrale chargée de réguler la qualité de monnaie à savoir la liquidité globale des 8 Etats membres, en tenant compte de la stabilité des prix ;
enfin elle est chargé de la gestion des réserves de change (1). C’est l’évidence donc que qui tient les leviers de cette institution bancaire tient un gros pouvoir.

Que de tractations depuis que Konan Banny avait été nommé le 5 décembre 2005 Premier ministre ivoirien, pour désigner son remplaçant ! Le Burkinabè Damo Justin Baro, l’un des vices-gouverneurs, avait été nommé gouverneur intérimaire le 23 décembre 2005 à Niamey.

Et pourtant, les statuts de la BCEAO sur cet aspect sont clairs : l’article 41 stipule que "le gouverneur est nommé par le Conseil des ministres pour une période de 6 ans renouvelables. ll doit être choisi de manière à appeler successivement à cette fonction un ressortissant de chacun des Etats membres de l’Union. Il prête serment entre les mains du président du Conseil des ministres de bien et fidèlement diriger la Banque centrale, conformément au Traité constituant l’Union monétaire, aux engagements internationaux contractés par elle et aux statuts de la Banque centrale".

Voilà qui est clair sur le papier. Malheureusement il peut arriver que les Etats membres ne tombent pas d’accord sur l’identité du gouverneur. C’est le cas, après le départ de Banny, puisque selon la Côte d’Ivoire, ce poste lui revient de façon tacite compte tenu de son poids économique, mais on l’oublie souvent, c’est surtout l’envergure du vieux Houphouët Boigny qui a pesé longtemps aussi sur ce choix. Le Traité de l’UEMOA a également pensé à cette situation de blocage, puisque son article 5 dispose qu’en pareil cas, les chefs d’Etat de l’Union montent au créneau pour choisir le gouverneur.

Voilà qui est désormais effectif et la Côte d’Ivoire conserve sa "chose". Car à vrai dire, il aurait été inélégant de faire un camouflet à Laurent Gbagbo sur cette histoire de la BCEAO. Et la présence du président ivoirien pendant 96 heures (16-19 janvier 2008) à Ouagadougou n’était pas innocente. En venant bien avant le début des travaux de l’UEMOA, Gbagbo entendait aplanir toutes les divergences avec son homologue et facilitateur dans la crise qui l’a opposé le 19 septembre 2002 à des rebelles venus du Nord.

L’enjeu politique est manifeste donc dans cette désignation, car, à entendre les propos de Gbagbo après l’élection de son compatriote, la short list s’est jouée entre lui et Compaoré : "J’ai donné 3 noms à Blaise... mais je n’avais pas de préférence car quand on est chef d’Etat, quel que soit celui qui a été choisi, c’est un Ivoirien". Ce qui est en partie vrai, car si Philippe-Henry Tabley fut jadis le choix de Gbagbo, il avait jusqu’à une époque récente misé sur un autre poulain, Paul Bohoun Bouabré, actuel ministre du Plan et du Développement.

Avec cette victoire ivoirienne, Laurent Gbagbo se requinque davantage politiquement, surtout dans la perspective de la présidentielle qui se profile à l’horizon, si l’Accord de Ouaga continue à suivre normalement son petit bonhomme de chemin.

On ne peut donc que se féliciter de ce compromis trouvé qui met fin à un long intérim, car c’est connu, l’argent n’aime pas l’aléatoire, de même qu’on ne peut que saluer le principe de la rotation qui, à l’évidence, va désormais s’imposer, car l’argument béton qui veut que ce soit la tête (Côte d’Ivoire) qui tire tout le corps ne peut plus compter, car la tête sans les membres n’est rien et vice-versa.

Gbagbo donc, qui a réussi le tour de force de faire choisir Tabley, dispose à présent d’un instrument qui pourrait lui servir, car la voix d’un gouverneur d’une banque centrale, ça porte loin et ça trouve des oreilles attentives. Et ce n’est pas rien pour un chef d’Etat candidat à sa propre succession.

Certainement que le maître d’Abidjan aurait aimé que ce soit Bohoun Bouabré, pour des raisons évidentes : il est l’un de ses fidèles lieutenants, et les rapports auraient sans doute été encore meilleurs qu’avec Tabley. Car avec ce choix, les combines politique, économiques et familiales ne sont pas loin et on a la vague impression qu’on contente en même temps les Forces nouvelles, avec au premier chef Guillaume Soro. Le choix de Philippe-Henry Tabley est hautement politique, car les liens sanguins priment tout, il est le frère de Louis Tabley des Forces nouvelles et de Benoît, le médecin tué par les tristements célèbres escadrons de la mort. Out donc Bouabré.

Justement c’est le marquage politique, selon certains, qui a milité en défaveur de ce dernier. En outre, d’aucuns pensent que sa personnalité traînent de nombreuses casseroles, dont la moindre n’est pas l’affaire Guy-André Kieffer, (il y est souvent cité) du nom du journaliste franco-canadien disparu à Abidjan depuis plus de 3 ans.

Et pour ne rien arranger, le Niger, qui avait aussi son candidat, en la personne d’Ali Badjo Gamatié, avait pratiquement fait du tout sauf Bouabré (TSB) leur campagne. Enfin, décidément, le même Bouabré partait à ce challenge avec un autre grand handicap : celui de ne pas avoir l’aval de la France, qui reproche à l’Ivoirien des propos acerbes contre les hommes d’affaires hexagonaux au plus fort de la crise ivoirienne. Manifestement, les puissants du CAC 40 ont la rancune tenace et l’Accord de coopération entre l’Hexagone et l’Union date de 1973 avec un avenant signé le 29 mai 1984... sans oublier que le CFA est arrimé à l’euro. Tout cela vaut bien le recalage d’un Bouabré.

A présent, les regards sont tournés vers le nouveau gouverneur, qui prend une institution en pleine réforme institutionnelle. L’intérimaire alors, Justin Baro, nous confiait le 19 janvier 2008 dans la soirée : "Les chefs d’Etat m’avaient chargé d’une mission, j’ai fait de mon mieux". En tout cas, celui dont la femme a eu comme témoin de mariage Blaise Compaoré a fait, de l’avis des uns et des autres, du bon travail. En fait Baro a achevé la réforme entamée par Charles Konan Banny, les documents y relatifs ont été adoptés par les ministres et les chefs d’Etat, et sont soumis à présent à la ratification de chaque Etat pour intégration dans l’ordre juridique de chaque pays membre.

Il s’agit entre autres de "dépolitiser" la BCEAO par la mise sur pied d’un Comité de politique monétaire chargé de la gestion des taux d’intérêts et des réserves ; et d’un audit de la Banque... Une œuvre que le gouverneur Tabley devra parachever. Et comme c’est quand il élève un mur que l’on reconnaît le bon maçon, attendons de voir la touche Dacoury.

La rédaction

Note : (1) L’ensemble des réserves de change des 8 Etats de l’Union à nos jours est estimé à 4 300 milliards de F CFA.

L’Observateur

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