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Ablassé Ouédraogo, Ancien ministre,Conseiller spécial du président de la Commission de la CEDEAO : “Le classement du PNUD permettra à tout le monde de revenir sur terre”

Publié le mercredi 16 janvier 2008 à 12h26min

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Ablassé Ouédraogo

Les journalistes de la rédaction des Editions Sidwaya ont reçu en invité de la Rédaction le 26 décembre dernier, Monsieur Ablassé ouédraogo. Ancien ministre des Affaires étrangères du Burkina Faso, et actuellement Conseiller spécial du président de la Commission de la CEDEAO pour les négociations commerciales sur les Accords de partenariat économique (APE). Connu pour son franc-parler, c’est un homme de dossiers, un homme de première ligne, que les journalistes ont rencontré pour partager sa vision des grandes préoccupations du moment.

Cet invité, le dernier de 2007, n’est pas le moindre. Comme diraient les anglais, “the last but not the least” , il a dans un style propre à lui, apporté sa dose d’éclairage sur des questions comme le débat sur les APE, l’organisation du pélerinage à La Mecque, le classement du Burkina selon l’indice de developpement humain du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Bien d’autres questions ont meublé les trois heures d’horloge de discussions avec Ablassé Ouédraogo. Lui qui, depuis près d’un quart de siècle, arpente les arcanes des institutions internationales et interafricaines et qui a donné au continent africain, l’honneur et le privilège d’occuper le prestigieux poste de directeur général adjoint de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Sidwaya (S) : Le 3eme forum national des jeunes s’est tenu fin décembre 2007 et a été marqué par l’annonce faite par le Chef de l’Etat de mettre en place un fonds d’un milliard de F CFA pour soutenir les initiatives des jeunes. Quelle est votre appréciation de ce genre de forum ?

A.O : En effet, c’est la troisième édition de ce Forum que le Président du Faso a lui-même créé. C’est la preuve qu’il est, de façon permanente, à l’écoute de la jeunesse de son pays. La jeunesse est la plus grande composante de notre population. 72% de la population sont jeunes et la tranche de zéro à quatorze ans représente près de la moitié de la population. Par conséquent, tout gouvernement responsable qui veut vraiment faire avancer le pays, doit accorder une attention particulière à la jeunesse. Je suis donc très heureux que le Président du Faso, SEM Blaise COMPAORE, se soit toujours intéressé aux jeunes. Il a même créé un ministère chargé des questions de Jeunesse et d’Emploi, pour répondre aux préoccupations de cette frange de notre population, dont la principale est le chômage.

Cette politique vise à bâtir un Burkina Faso prospère, ce qui ne peut se faire qu’en associant les jeunes. Les résultats du 3ème forum national des jeunes peuvent aider à la mise en place d’un programme national de développement pour une meilleure insertion de la jeunesse dans les activités de développement économique et social de notre pays.

Le thème de ce forum “promouvoir le civisme et le patriotisme de la jeunesse pour un développement durable et participatif” est très pertinent et à la limite, il s’adresse à toutes les composantes de la population burkinabè. Les actions posées en faveur de la jeunesse intéressent l’ensemble des autres couches sociales. Ce sont des efforts qui devraient être redoublés pour impliquer toutes les composantes de la population aux actions de développement. Il s’agit de mobiliser toute la nation burkinabè. Nous sommes tous sur le même bateau et chacun de nous doit apporter sa contribution à l’édification d’un Burkina Faso prospère et paisible. Parmi les engagements pris lors du forum, je retiens un qui résume tout ce qu’il faut faire pour la jeunesse et ce que la jeunesse peut faire et doit faire pour le Burkina. Cet engagement dit : “Développer et promouvoir une culture de tolérance, de compréhension mutuelle, de dialogue et de respect des autres sans distinction d’âge, d’ethnie, de genre, de capacité, de religion, de statut ou d’affiliation politique”. A mon avis, c’est là le fondement même d’une nation. Et comme la jeunesse est la composante la plus nombreuse et qu’elle incarne l’avenir du pays, elle doit s’approprier cet engagement. Ce serait la preuve que les jeunes prennent conscience de leur rôle, de leur place dans la société burkinabè.

S. : Pensez-vous que ce fonds de un milliard Fcfa soit suffisant ?

A.O : Evidemment la jeunesse fait face à un certain nombre de problèmes dont le plus important est celui de l’emploi. A première vue, ce fonds peut paraître insuffisant. Mais c’est déjà un excellent début. Je suis persuadé qu’il contribuera à donner un souffle au secteur privé et surtout à encourager l’entreprenariat des jeunes.

Il est clair de nos jours que l’Etat ne peut pas employer tout le monde. Les jeunes constituent une base importante de l’économie. Si on arrivait à créer pour chaque jeune un emploi ou une opportunité d’emploi, même les problèmes d’émigration seraient résolus. Si toute la jeunesse était occupée à faire quelque chose, il ne se poserait aucun problème en terme d’insécurité et d’instabilité dans le pays. La jeunesse doit aussi comprendre que la seule façon de réussir dans la vie, c’est de se mettre au travail. Si ce fonds de un milliard fcfa pouvait bénéficier d’un soutien de nos partenaires au développement, il permettrait certainement d’augmenter les capacités de création d’emplois pour la jeunesse. Cependant pour lui permettre d’atteindre ses objectifs, il est clair qu’une gouvernance rigoureuse devrait s’appliquer à sa gestion.

S : Pensez-vous que la structuration de notre économie en rapport avec la structuration du système éducatif permet l’employabilité de tous les jeunes burkinabè notamment les citadins ?

A.O : En parcourant les résultats, du dernier recensement on constate que 19,3% de la population habitent dans les villes et 79,7% dans le monde rural. Les citadins représentent une composante infime de la population. Donc, les enjeux se trouvent dans les campagnes. Et c’est là donc que les efforts doivent être déployés pour redresser les faiblesses observées par exemple dans la scolarisation et dans l’alphabétisation. Si on parvient à créer les conditions minimales de vie décente dans les campagnes en mettant en place le minimum d’infrastructures indispensables pour donner aux populations de l’eau potable, des soins de santé, de l’éducation, on peut fixer les jeunes dans leurs terroirs.

Cela dit, dans nos villes la vie n’est pas non plus facile, autrement dit la jeunesse urbaine devrait pouvoir retenir également l’attention des pouvoirs publics. La jeunesse fait partie du capital humain qui est la principale richesse de notre pays. Le Burkina Faso étant un pays en développement, il a besoin de toutes ses ressources et de toutes les compétences à tous les niveaux pour bâtir son développement. Le développement est un processus à la fois long et non linéaire, qui se fait sur la base d’une programmation prenant en compte des priorités.

Il y a une trentaine d’années, le Burkina Faso n’était pas dans le contexte d’aujourd’hui. A l’époque, quand un étudiant terminait ses études supérieures, il était immédiatement recruté par la fonction publique sur un poste budgétaire programmé à l’avance. De nos jours, c’est très différent et il faut passer des concours pour accéder à la fonction publique. Pour une dizaine de postes à pourvoir, des centaines voire des milliers de candidats postulent….
Les choses ont évolué et il faut savoir se prendre en charge. Ce que la société doit donner prioritairement aux jeunes, c’est la formation. A eux de savoir en faire le meilleur usage pour assurer le développement de leur carrière et améliorer leurs conditions de vie.

S : Que proposez-vous concrètement pour que toutes les compétences se libèrent en vue de participer au développement.

A. O. : L’expérience montre qu’une organisation pertinente contribue à mieux atteindre les objectifs que l’on se fixe. Pour ce faire, il faut savoir d’où l’on vient et où l’on veut aller en sachant clairement ce que l’on veut faire. De là, l’on peut se mobiliser et mobiliser les moyens nécessaires pour y parvenir.

Au Burkina Faso, les ressources humaines existent de plus en plus en qualité et en quantité suffisantes. Tout le monde sait que la principale richesse de notre pays, ce sont ses hommes. Il faut simplement savoir les utiliser avec efficacité.
Il faut éviter les choix de complaisance et pour tout emploi prendre en compte la compétence et le sérieux de l’individu. Contrairement à une idée assez répandue, le vrai problème en Afrique ne concerne pas le renforcement des capacités mais l’utilisation judicieuse des ressources humaines disponibles.

S. : Certains estiment que les rencontres du genre forum national des jeunes se déroulent avec essentiellement des jeunes acquis à la cause du CDP de sorte que les résolutions ne concernent pas l’ensemble des jeunes du pays. Etes-vous de cet avis ?

A.O. : Vous parlez de forum national, n’est-ce pas ? Pour moi ce qui compte c’est d’abord d’être burkinabè. Si ce forum pouvait aider à résoudre les problèmes de la jeunesse burkinabè, c’est le pays tout entier qui gagnerait. Je me mets toujours au-dessus de tout ce qui peut diviser les Burkinabè.

Pour le choix des délégués des jeunes à ce forum, les gens trouveront toujours à redire. Et d’ailleurs, ce n’est pas le chef de l’Etat qui procède à la sélection des participants. Mais l’essentiel est que le chef de l’Etat, père de toute la nation burkinabè, prenne en compte cette composante de notre population, c’est-à-dire la jeunesse qui doit être intégrée dans l’économie, dans la vie de la société. Et à ma connaissance, c’est ce qu’il est en train de faire.

S. : Le rapport mondial sur le développement humain 2007/2008 du PNUD place le Burkina Faso à la 176e place sur 177. Qu’est-ce que cela vous inspire comme commentaire ?

A.O. : J’étais encore fonctionnaire du PNUD quand cet exercice a débuté en 1990.
Ce qui est important dans cet Indice de Développement Humain, (IDH) c’est qu’il permet à chaque pays de suivre l’évolution de son développement.

La notion de développement humain regroupe plusieurs réalités. On y trouve les questions liées à la sécurité sociale, au droit du travail, au droit à un niveau de vie suffisant qui tienne compte de la santé, du bien-être avec l’alimentation et le logement, au droit à l’éducation et à une vie culturelle libre. La notion n’est pas nouvelle et date même de la déclaration universelle des droits de l’homme. Comment faire pour que l’être humain puisse tirer profiter des efforts accomplis par la société, par la communauté ? Le développement c’est l’objectif que tous les gouvernements responsables se fixent à travers l’exécution d’une politique nationale multisectorielle.

L’Indice du Développement Humain (IDH) est une mesure relative à un instant précis. Il mesure le chemin parcouru par le pays en vue d’atteindre les normes internationales retenues en matière de développement humain. L’indice de développement humain prend en compte trois composantes :
- La santé avec l’espérance de vie ;
- L’éducation avec les taux bruts de scolarisation dans le primaire, le secondaire, le supérieur et le taux d’alphabétisation des plus de 15 ans ;
- Le revenu, c’est-à-dire le PIB par tête d’habitant.

Chacune de ces trois composantes contribue pour un tiers dans l’indice final. La composante éducation est une moyenne pondérée du taux de scolarisation global (primaire, secondaire et supérieur) pour un tiers et du taux d’alphabétisation des plus de 15 ans pour deux tiers.

Au Burkina Faso, l’espérance de vie était de 47 ans en 2006. Ce qui n’est pas négligeable et on peut constater que les conditions de vie des populations se sont améliorées.

Dans le domaine de l’éducation, au Burkina Faso en 2006, le taux de scolarisation brut au primaire est de 60,7%, au secondaire de 17,66% et à l’Université de 2,36%. Le taux d’alphabétisation des plus de 15 ans est 28,7% toujours en 2006 contre 26,6% en 2005 au Burkina Faso ;

En 2006, le revenu par tête d’habitant était de 1.600 dollars US au Burkina Faso.

Avec des taux de scolarisation et d’alphabétisation encore faibles vous comprendrez aisément le classement du Burkina Faso. Cependant, à regarder de près ce classement du Burkina Faso, on peut y voir un aspect positif. Il indique que le Burkina Faso a fait des progrès par rapport aux années antérieures.

C’est ainsi que pour 2005, et c’est l’objet du rapport 2007/2008, le Burkina Faso a atteint un IDH de 0,370 point. Cela signifie que sur les normes internationales de développement humain, le Burkina Faso a fait 37% du parcours et il lui reste 63% du chemin à parcourir. Ce n’est pas mauvais parce qu’on a déjà fait des progrès remarquables. De 1975 à nos jours, nous sommes passés de 0,267 à 0,370 en 2005. C’est important, c’est énorme, mais c’est tout de même insuffisant. Il faut continuer à travailler. Il faut persévérer sur cette voie du développement. L’Islande est le mieux classé dans le monde avec 0,968.

Si l’IDH prenait seulement en compte la composante espérance de vie, le Burkina Faso aurait été classé 155e sur 177. Cela aurait été mieux.

Si l’IDH concernait seulement le PIB par tête d’habitant le Burkina Faso aurait été classé 157ème, sur 174. Ce qui n’aurait pas été pu être plus intéressant.
En considérant la composante capital humain (alphabétisation pour 2/3 et éducation primaire, secondaire et supérieure pour 1/3), au niveau de l’alphabétisation, le Burkina Faso, classé 139ème sur 139 pour l’alphabétisation, est bon dernier. Et le fait pour lui d’occuper la 169ème sur 172 dans le domaine de la scolarisation, ne l’aide pas à améliorer son classement. Autrement dit, c’est la dimension « capital humain » qui explique, pour l’essentiel le mauvais classement du Burkina Faso dans le Rapport 2007/2008 du PNUD.

Ce type de rapport qui applique les mêmes mesures à tous les pays doit aider les gouvernants à rajuster et à corriger les faiblesses démontrées en vue de se rapprocher au maximum des normes idéales internationales.

Les normes retenues pour un développement humain parfait, c’est d’avoir une espérance de vie de 85 ans, un taux de scolarisation brut de 100%, un taux d’alphabétisation de 100% et avoir un PIB par tête d’habitant de 40 000 dollars. L’Islande qui est classé comme le premier pays du monde sur l’IDH, a effectué 96,8% du parcours. Le Burkina Faso est à 37% du chemin.

Une fois encore, notre problème c’est le capital humain, c’est-à-dire la formation des hommes. Certes, des progrès louables ont été faits ces dernières années en matière de scolarisation et d’alphabétisation, mais il faut persévérer en poursuivant la politique de mise en place d’infrastructures d’éducation, notamment dans les campagnes.

S. : Il faut des moyens pour cela, alors que le Burkina n’en a pas beaucoup.

A.O. : C’est peut-être vrai, mais le Burkina Faso a ses moyens. Le pays a des atouts au nombre desquels les ressources humaines. Il suffit seulement de mieux les organiser et surtout de les utiliser suivant les priorités. Le Burkina Faso se porte suffisamment bien quand on se réfère à la situation de paix, de sécurité et à la stabilité politique que connaît le pays. Il suffit seulement d’améliorer la discipline, l’organisation et le rendement au travail. Le pays doit pouvoir progresser et ce n’est qu’une utilisation judicieuse des moyens dont il dispose qui pourrait le permettre.

S. : Ce classement n’est-il pas une insulte à l’intelligence des africains d’autant plus que le Continent est potentiellement riche ?

A.O. : C’est vrai et c’est dommage que l’Afrique reste toujours dans cette situation de potentiellement riche au 21ème siècle. Malheureusement c’est une réalité et quand on analyse les économies des pays africains, on s’aperçoit qu’elles ne sont pas du tout compétitives ; et nous ne faisons pas grand-chose pour changer la situation. Il faudrait mettre en place les infrastructures nécessaires pour le développement économique et social et doter les pays de toutes les capacités productives indispensables.

Le problème de nos jours, c’est que nos économies, n’ont pas les capacités de production requises pour pouvoir tenir la compétition dans le cadre de la mondialisation. Et c’est là tout le drame auquel l’Afrique est confrontée. Pour un pays comme le Burkina Faso par exemple, il est certain qu’un programme de grands travaux permettrait de créer des emplois, lesquels emplois créeraient des revenus, ce qui entraînerait de la croissance, qui à son tour favoriserait le développement. C’est ainsi que l’on pourrait faire avancer les choses.

Au niveau international, chaque pays ne pense qu’à ses intérêts propres. Prenez l’exemple de la Chine qui est en train de s’installer en l’Afrique. Qu’est-ce qui intéresse les Chinois en Afrique : c’est le pétrole, le gaz et diverses autres matières premières. Pour les pays qui n’ont pas ce genre de ressources, la Chine leur envoie seulement de petits marchands…. Mais là où il y a le pétrole, comme au Soudan ou l’or et le diamant comme en RDC, la Chine investit des milliards de dollars.

S. : Ne trouvez-vous pas que ce rapport est la contradiction des méthodes des institutions onusiennes : la Banque mondiale dit accorder la priorité à l’enseignement de base pendant que le PNUD soutient que le secondaire et le supérieur constituent également des priorités ?

A.O. : Je ne le pense pas parce que les Institutions onusiennes se concertent et travaillent ensemble. Elles se partagent toutes les informations et essayent d’être complémentaires. Si vous percevez des contradictions, celles-ci ne peuvent venir que des gouvernements qui ont la responsabilité de la coordination de l’assistance et des interventions. C’est le gouvernement qui a la responsabilité de la politique nationale de développement. Il lui revient donc d’indiquer à la Banque mondiale, au Fonds monétaire international et aux autres donateurs, les secteurs et domaines dans lesquels leurs contributions sont souhaitées. Les partenaires ne doivent pas décider à la place de nos dirigeants. C’est pour cela que nous sommes les premiers responsables de tout ce qui peut nous arriver.

Malheureusement tout est prioritaire dans nos pays et il faut être courageux pour faire des choix. Et pour cela, il faut avoir une vision à long terme.

S. : Quel message adressez-vous aux dirigeants africains pour qu’à chaque publication du rapport du PNUD ils ne cherchent pas des échappatoires où ne pleurnichent pas mais qu’ils regardent la réalité en face.

A.O. : Ce type de rapport est utile et pertinent parce qu’il permet à tout le monde de revenir sur terre. Quand vous rêvez d’avoir fait des miracles, le rapport sur le développement mondial du PNUD vous ramène à la réalité. Le rapport a cet avantage de vous amener à vous remettre en cause, à vous interroger sur la qualité et la pertinence de votre politique de développement et des actions posées, et implicitement à rechercher les voies et moyens pour aller de l’avant. Il vaut mieux regarder avec du recul les conclusions du rapport et travailler à rectifier le tir plutôt que de se lancer dans des polémiques stériles.

Le PNUD produit le rapport à partir de données statistiques transmises par les Etats. Il faut que les responsables qui ont la charge de fournir ces dernières donnent des chiffres actualisés et crédibles. Quelquefois des demandes d’information et des questionnaires restent souvent sans réponses. Si vous dépassez la date limite de soumission des réponses, le PNUD fait sans vous ou prend en compte ce qu’il a sous la main. Une fois encore chacun à sa part de responsabilité. Il vaut mieux prendre ce type de rapport de façon sérieuse, l’analyser et essayer autant que faire se peut d’apporter des ajustements et des corrections dans le souci d’améliorer l’image du pays.

S. : On se rend compte que la gestion des aides pose souvent problème car une part importante du budget est consacrée à la prise en charge des fonctionnaires expatriés.

A.O : Quand on monte un projet, il est approuvé et signé par le gouvernement et le bailleur de fonds.
Ce que vous dites était vrai il y a 20, 25 ans. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. A l’époque nos pays n’avaient ni les capacités ni les moyens de mettre en œuvre des projets. On faisait alors appel à l’expertise extérieure. Et compte tenu du fait que les conditions de vie dans nos pays sont difficiles, pour attirer les meilleurs experts, il fallait les mettre dans des conditions de travail confortables d’où, entre autres, ces véhicules 4x4 que vous mentionnez. Si des véhicules tout terrain n’étaient pas disponibles, il aurait été difficile pour les responsables des projets de sillonner l’ensemble du pays pour le suivi des activités des projets, étant donné la mauvaise qualité des routes. Mais de nos jours, l’Afrique dispose des compétences nécessaires à la conduite et au suivi des projets. Aujourd’hui dans le domaine de la coopération, le bailleur de fonds veut que ce soit le bénéficiaire qui se mette en avant, s’assume et s’approprie les projets et programmes.

Il y a deux catégories de projets : les projets pour lesquels on doit rembourser les financements et ceux qui bénéficient de subventions. Les emprunts destinés à financer des projets doivent être remboursés tôt ou tard. Vous comprenez que si les objectifs de tels projets ne sont pas réalisés, ce sont des pertes pour le pays. Aujourd’hui les gouvernants assument entièrement les orientations au niveau des politiques de développement. Ce sont eux qui choisissent ce qu’ils veulent faire et déterminent les moyens dont ils ont besoin pour mettre en oeuvre ces projets et programmes.

De ce fait, en cas d’échec ou de succès, ils sont entièrement responsables. En matière de coopération, les choses évoluent. Ce n’est plus comme hier. Pour être responsables, nous devons apprendre à nous passer de certaines aides quand celles-ci ne sont pas utiles.

S. : L’actualité ces derniers temps est aussi marquée par le lancement du satellite africain RASCOM. Quel est l’intérêt de cette action africaine ?

A.O. : Nous sommes à l’ère de la mondialisation et les espaces ne sont viables que s’ils sont d’une certaine taille. Le fait que le projet RASCOM ait pu lancer le premier satellite panafricain (46 pays sont membres du projet) montre qu’ensemble et unis les pays d’Afrique peuvent réussir. C’est cela le plus important à mon avis. Vu les difficultés rencontrées au dans le domaine des télécommunications notamment au niveau du transit, avoir son propre satellite (qui aura une durée de vie de 15 ans) permet à l’Afrique de réaliser trois grands objectifs : réduire la fracture numérique, désenclaver les zones rurales, (on parle de 130 000 villages qui seront connectés au réseau) et faire des économies en supprimant les frais de transit dans les communications téléphoniques et par Internet qui passent par l’Europe, l’Amérique et le Canada.

Le satellite fournira des services de télécommunications (télévision directe et accès Internet) dans les zones rurales en Afrique ainsi que des liaisons interurbaines et internationales sur tout le Continent. Le satellite africain vise à relier les villes et villages africains et les zones d’accès difficile grâce aux communications rurales. Le satellite assurera la connexion directe entre les pays africains sans avoir recours à d’autres centres de transit situés en Europe, en Amérique et au Canada.

Selon le Bureau du RASCOM basé à Abidjan que j’ai contacté, les frais de transit pour les services de communication téléphoniques s’élèvent à 600 millions de dollars US par an pour les 53 pays d’Afrique, tandis que ceux relatifs à Internet et aux données se montent à 400 millions de dollars par an pour l’ensemble du Continent. Donc pour se communiquer entre eux les Africains payent aux autres, bon an mal an, un milliard de dollars US. C’est trop, surtout quand on sait que le coût du projet RASCOM n’est que de 400 millions de dollars US et ce budget comprend le satellite et les infrastructures terrestres.

Maintenant, le fait d’avoir la communication directe entre pays africains va réduire sensiblement les coûts des communications. Le lancement de ce premier satellite est l’illustration que quand l’Afrique veut, elle peut.

C’est d’ailleurs le lieu de regretter ici Air Afrique que nous avons fait disparaître. En effet aujourd’hui, au vu des difficultés pour se rendre d’un pays à un autre sur notre continent et des coûts exorbitants du transport aérien, nombre d’Africains regrettent sa disparition et souhaitent sa résurrection. C’est dire que bien avant le RASCOM, Air Afrique était un important instrument intégrateur.

Le satellite est un projet africain qui a été financé par des institutions africaines : une BANQUE LIBYENNE, la BAD, la BOAD, la BDEAC et la BID. On n’a pas eu besoin d’aller chercher l’argent en dehors du Continent. Dans le NEPAD, ce projet avait été retenu comme une priorité dans le cadre des technologies de l’information et de la communication. Et le voilà réalisé. Tout africain devrait en être fier et réfléchir sur ce que nous pouvons faire ensemble. Quand on accepte de travailler ensemble, on peut réussir.

S. : 46 pays d’Afrique sont parties prenantes au projet RASCOM. Cela signifie que d’autres sont absents. Qu’est-ce qui explique selon vous l’absence des 7 autres pays.

A.O. : Les sept pays non encore membres du RASCOM sont : le Botswana, la Guinée Equatoriale, le Maroc, Madagascar, le Rwanda, les Seychelles et la Somalie. Avec le lancement réussi du satellite panafricain, on peut espérer que ces pays se joigneront au projet en signant la convention y relative.

S. : Qu’est-ce que les accords de partenariat économique (APE) dont on parle tant ces derniers temps ?

A.O. : L’Europe et l’Afrique ont toujours entretenu des relations de coopération. Ce sont des relations naturelles et historiques qui remontent aux temps immémoriaux. Quand les pays africains sont devenus indépendants, les deux régions ont voulu formaliser les relations dans le cadre d’une coopération d’abord et d’un partenariat ensuite. C’est ainsi qu’il y a eu les conventions de Yaoundé, de Lomé, puis l’Accord de Cotonou, signé le 23 juin 2000.

Dans l’Accord de Cotonou il est indiqué qu’à la date du 31 décembre 2007, un accord de partenariat économique (APE) complémentaire à l’accord de Cotonou devrait être signé. L’Accord de Cotonou, contrairement aux conventions de Yaoundé et de Lomé, a mis le commerce au centre de la relation Europe-Afrique. Avec la mondialisation, il ressort qu’on ne peut plus accorder un traitement de faveur à qui que ce soit si l’on veut vraiment respecter les règles de commerce international de l’OMC, Institution mise en place depuis le 1er janvier 1995. En signant l’Accord de Cotonou, les pays ACP et ceux de l’Union européenne se sont alors mis d’accord pour mener des négociations en vue de la signature d’un APE dans le cadre de six régions dont celle de l’Afrique de l’Ouest.

Les objectifs spécifiques de l’APE sont de :
- Créer progressivement entre la région de l’Afrique de l’Ouest et l’Union Européenne, une zone de libre échange compatible avec les règles de l’OMC ;
- Instituer une relation commerciale et économique entre l’Afrique de l’Ouest et l’Union Européenne qui donne la priorité au développement et à la réduction de la pauvreté, objectif premier de l’Accord de Cotonou ;
- Approfondir le processus d’intégration régionale en Afrique de l’Ouest et en faire le socle principal du développement des échanges commerciaux de la région avec l’extérieur ;
- Améliorer la compétitivité des économies de l’Afrique de l’Ouest à travers le renforcement des capacités et la mise à niveau de l’outil de production ;
- Améliorer l’accès aux marchés pour les exportations de l’Afrique de l’Ouest à travers la mise aux normes des produits et la levée des barrières non tarifaires.

S. : Il y a six régions qui négocient : quatre en Afrique plus le Pacifique et les Caraïbes. Pourquoi une approche régionale ?

A.O. : Pour une raison toute simple : l’accord de Cotonou dit que le moment venu, l’APE doit faire de l’intégration régionale le fondement du développement. Il s’agit en effet de procéder à une meilleure insertion des pays ACP dans l’économie mondiale avec pour objectif prioritaire l’éradication de la pauvreté et la construction d’un développement durable. Mais en répartissant les 78 pays ACP en six groupes de négociations, les Européens ont fragilisé leurs capacités de négociation. Et malheureusement chaque groupe de pays est allé de sa propre organisation. En Afrique centrale, ce sont les ministres qui négocient directement avec la Commission de l’Union européenne à Bruxelles. En Afrique de l’Ouest, les chefs d’Etat en décembre 2001 ont donné un mandat de négociation à la CEDEAO en collaboration avec l’UEMOA. Les Présidents des Commissions de l’UEMOA et de la CEDEAO sont donc les négociateurs en chef pour l’Afrique de l’Ouest.

Depuis cinq ans sont négociés les APE. Malheureusement, les négociations accusent un retard et la responsabilité de ce retard incombe à la fois aux ACP et à l’Union européenne. Des blocages ont été enregistrés de part et d’autre tout au long du processus alors que la fameuse date buttoir du 31 décembre 2007 se rapprochait. Que faire ? Les Européens disent qu’à partir du 31 décembre 2007, ils n’appliqueront plus les préférences de Cotonou que l’OMC avait accepté à travers la dérogation acceptée lors de sa quatrième conférence ministérielle à Doha en novembre 2001.

A Doha, j’ai participé à la gestion de ce dossier en tant que Directeur général adjoint de l’OMC. D’ailleurs toute la conférence a failli être bloquée à cause de cette question. Il a fallu faire de la gymnastique et des manœuvres pour sauver l’essentiel. En refusant de maintenir le statu quo en conservant les préférences de Cotonou, les Européens ont délibérément décidé de mettre la pression sur les pays ACP en brandissant la possibilité d’une perturbation des échanges entre les deux entités.

Pour ce qui concerne l’Afrique de l’Ouest, sur les 16 pays (la Mauritanie ayant rejoint les 15 de la CEDEAO pour cette négociation), c’est au niveau des pays à revenu intermédiaire, c’est-à-dire les non PMAs, à savoir la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Nigéria et le Cap Vert (depuis le 1er janvier 2008), que le problème se pose, les Européens menaçant de leur imposer des droits de douane à partir du 1er janvier 2008, toute chose qui va leur valoir des pertes.

Pour contourner la difficulté, l’Afrique de l’Ouest à demandé à l’Union Européenne d’obtenir auprès de l’OMC une prorogation de la dérogation en cours de validité, ce qui aurait permis aux négociateurs de continuer à travailler dans la sérénité en vue de finaliser le texte de l’APE et de conserver pour tous les pays pendant cette période de temps additionnel les préférences de l’Accord de Cotonou. Dans 12 à 18 mois les négociations pourraient être achevées et l’APE signé.

S. : Qu’est ce qui fait que vous ne pouvez pas conclure avant le 31 décembre 2007 ?

A.O. : Le 5 février 2007, l’Union européenne et l’Afrique de l’Ouest ont passé en revue tout le travail qui a été effectué et ce qui reste à faire. Ils se sont alors rendus compte que le chantier relatif à la détermination des programmes et mesures d’accompagnement et leur financement était loin d’être achevé. Il faut aussi déterminer le calendrier pour l’accès au marché, dont la liste des produits sensibles par pays et pour la région. Ce qui n’a pas été encore fait. Et naturellement, pour signer un accord il faut un texte d’accord. Ces trois éléments n’étant pas encore prêts, il est difficile de rédiger le texte de l’Accord. Voilà pourquoi, objectivement, les ministres de l’Afrique de l’Ouest, le 5 octobre 2007 à Abidjan ont fait le constat qu’on ne pouvait rien signer à la date du 31 décembre 2007 et qu’il fallait demander la prorogation de la dérogation pour permettre aux négociateurs de continuer à travailler l’esprit tranquille et de maintenir les préférences de l’Accord de Cotonou.

Les Européens ne veulent pas de la dérogation et au lieu de travailler au renforcement de l’intégration régionale, ils ont joué pour la division des communautés économiques régionales en faisant parapher par certains pays à titre individuel des accords d’étape. Ainsi, ils ont mis de fortes pressions sur les pays qui pourraient connaître des difficultés dans leurs relations commerciales avec l’Europe après le 31 décembre 2007, notamment la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Nigeria en leur faisant croire que les pays les moins avancés (PMA) qui bénéficient du Système de Préférences Généralisée (SPG) n’ont pas de problèmes même s’ils ne signaient pas d’APE avant la date- butoir.

En effet, le système de préférence généralisée confère aux PMA le bénéfice de l’initiative “tout sauf les armes”, c’est-à-dire que tous les PMA peuvent exporter en Europe sans limitation de quantité et sans droit de douane tous les produits, les armes exceptées. Là aussi c’est une duperie parce qu’on ne produit pas d’armes en Afrique. De plus, l’Afrique ne produit pas grand-chose qui puisse être exporté en Europe. C’est en fait une offre trop généreuse. En Afrique de l’Ouest, les Européens ont négocié directement des accords intermédiaires, des accords d’étape avec les pays à revenus intermédiaires. Ce qui est d’ailleurs une violation du traité de l’UEMOA, lequel stipule en son article 84 qu’en matière de commerce, aucun des huit pays ne peut aller négocier et signer un accord commercial individuellement.

Au niveau de la CEDEAO, le Tarif Extérieur Commun et l’Union douanière en cours de mise en place reflètent la même volonté de négocier ensemble les accords commerciaux et non pas individuellement. Pendant que l’Union européenne soutient que les APE vont consolider l’intégration régionale qui est la base du développement, elle contribue à compromettre les closes de l’intégration en Afrique de l’Ouest. L’APE est construit sur deux piliers : le pilier « libéralisation des échanges » qui intéresse les Européens et le pilier « développement » qui intéresse les pays ACP.

Le pilier libéralisation des échanges permet, sur la base de la réciprocité, que l’Europe exporte sur la région autant de marchandises et de services qu’elle veut. Les ACP peuvent aussi le faire mais comme en réalité ils n’ont pas grand-chose à exporter, les Européens risquent d’étouffer leurs industries naissantes. C’est là tout le danger. L’Union Européenne veut examiner le volet développement plus tard. Mais si on ne négocie pas un Accord complet en même temps, les pays se retrouveront avec un accord biaisé, parcellaire et non porteur de développement. Qu’est-ce qui garantit que les Européens vont plus tard prendre l’aspect développement en compte ?

D’ailleurs beaucoup d’Européens sont convaincus que l’Afrique de l’Ouest a tout à fait raison dans sa position. Le volet « développement », consiste à mettre en oeuvre des programmes de renforcement des capacités de production des pays. Une fois que la compétitivité des économies sera mise à niveau en Afrique de l’Ouest, celle-ci pourra se présenter sur les marchés européens et faire la concurrence aux produits européens. Mais aujourd’hui, les économies des pays de la CEDEAO ne sont pas armées pour être compétitives devant les économies des pays européens.

Le 10 décembre 2007, les Parlementaires de la CEDEAO se sont réunis en conférence à Ouagadougou. On leur a fait le point des négociations. Comme vous le savez, tout accord est ratifié par le parlement après la signature par le gouvernement. Les Parlementaires ont, suite aux explications reçues sur les APE, publié une déclaration condamnant la pression des Européens sur les Africains.

Le 17 décembre 2007, le Comité ministériel de suivi des APE s’est réuni à son tour à Ouagadougou pour prendre acte du paraphe du Ghana et de la Côte d’Ivoire. Les ministres ont demandé aux négociateurs en Chef de la CEDEAO et de l’UEMOA, d’accompagner et d’encadrer le Ghana et la Côte d’Ivoire pour la finalisation du texte qu’ils ont paraphé et qui doit être signé le 30 juin 2008 au plus tard. Il s’agit de faire en sorte qu’il y ait une harmonisation des deux Accords d’étape.

Quand l’Accord régional global et complet qui continue d’être négocié sera finalisé et signé, les deux accords d’étape de la Côte d’Ivoire et du Ghana disparaîtront. En demandant une dérogation à l’UE l’Afrique de l’Ouest s’est basée sur certains cas qui font jurisprudence actuellement à l’OMC, comme l’AGOA qui établit une relation entre les Etats Unis et un certain nombre de pays africains. L’AGOA fonctionne sur cette même base de la demande de dérogation depuis quatre à cinq ans. Le deuxième cas, est celui du CEBERA, qui établit une relation entre le Bassin des Caraïbes et les Etats unis. Ce qui est demandé à l’Union Européenne, c’est de faire enregistrer la requête de prorogation de la dérogation par le Conseil général de l’OMC. Il ne s’agit même pas de faire une décision sur la demande de la dérogation.

En tout cas, les accords d’étape qui viennent d’être paraphés par la Côte d’ivoire et le Ghana sont de facto une prorogation de la dérogation, comme l’Afrique de l’Ouest l’avait demandé, d’autant plus qu’il maintient le statu quo sur les préférences de Cotonou et en leur donnant du temps supplémentaire pour la négociation. L’Union Européenne aurait dû écouter les négociateurs de l’Afrique de l’Ouest. Par ailleurs, à l’OMC, seuls les textes signés sont pris en considération.. Les textes paraphés n’ont pas de valeur.

S. : Combien de temps faut-il pour déterminer les produits sensibles par pays ?

A.O. : Rappelons que l’APE en cours de négociation entre l’Afrique de l’Ouest et l’Union Européenne comporte deux volets : un volet commercial et un volet développement. La détermination des produits sensibles concerne la dimension commerciale, qui comprend un sous-volet intitulé « offre d’accès au marché ». Celle-ci consiste à déterminer le degré et l’ampleur de la libéralisation des échanges, c’est-à-dire de l’ouverture des marchés pour les deux régions.

Dans la négociation, chaque région formule son offre d’accès au marché. Ceci implique que chaque région doit déterminer une liste de produits à exclure de la libéralisation, et pour lesquels, l’ouverture totale ou partielle du marché doit être repoussée à une date ultérieure dans le calendrier de la libéralisation. Ce sont les produits sensibles et pour lesquels la libéralisation peut s’accompagner de chocs socio-économiques, à court et moyen terme, et peut entraîner l’éviction des producteurs régionaux de leurs marchés par la concurrence des exportations européennes ou qui peut occasionner une perte importante de recettes douanières pour le budget de l’Etat.

Pour faciliter la détermination des produits sensibles essentiellement agricoles et industriels, la CEDEAO a mis à la disposition des pays un guide méthodologique. Le travail est beaucoup avancé dans la mise en œuvre de la méthodologie dans plusieurs pays. L’approche est très participative avec l’implication des différents acteurs au niveau national (l’Etat, le secteur privé ,la société civile et les organisations professionnelles).

La CEDEAO apporte un appui technique et financier aux pays et on espère que d’ici mars 2008, les pays seront en mesure de soumettre les listes des produits sensibles au niveau régional. Une fois que les listes nationales seront déterminées, la CEDEAO et l’UEMOA procèderont à la synthèse et à l’arbitrage nécessaires en vue d’obtenir une liste régionale de produits sensibles. Ce qui constitue la base pour proposer l’offre d’accès au marché de l’Afrique de l’Ouest à la partie européenne.

Il y a des critères à prendre en compte. Ce n’est pas simple. Il faut faire appel à des experts pour déblayer le terrain.

S. : Quels seront les produits sensibles que Burkina Faso va proposer à la table des négociations ?

A.O. : A l’instar des autres pays de l’Afrique de l’Ouest, le Burkina Faso est un pays agricole avec une industrie embryonnaire très peu compétitive et dont le budget de l’Etat dépend fortement des recettes douanières. Ce qui sera déterminant dans la définition de la liste des produits sensibles, une responsabilité ne relève pas de ma compétence.

Toute chose égale par ailleurs dans le secteur agricole, il va falloir faire preuve de beaucoup de prudence compte tenu des subventions accordées à leurs agriculteurs par l’Union Européenne. Une ouverture sans contrôle des marchés aura pour corollaire le déversement de produits agricoles européens moins chers sur le marché burkinabè et la conséquence directe sera de compromettre le développement de certaines filières agricoles locales. Et pour les filières agricoles qui font l’objet de stratégie de développement comme le blé, les oléagineux, les produits laitiers,…,il faut créer les conditions nécessaires permettant à celles-ci de prospérer.

Et puis il y a tous les produits qui rapportent des recettes douanières indispensables pour le budget de l’Etat. En tout état de cause une étude est en cours pour permettre au gouvernement de déterminer sa liste de produits sensibles, dans le cadre des négociations APE.

S. : Qu’est-ce qui pourrait être fait par la région Afrique de l’Ouest pour permettre à la Côte d’Ivoire et au Ghana de compenser les pertes et de rester dans la dynamique de l’intégration ?

A.O. : La Côte d’Ivoire aurait dû ne pas parapher l’accord d’étape le 7 décembre 2007, c’est-à-dire avant le Sommet Europe-Afrique tenu à Lisbonne les 8 et 9 décembre 2007. Le Ghana a, quant à lui, paraphé le sien le 13 décembre 2007. Si l’Afrique de l’Ouest était allée unie à Lisbonne, on aurait peut-être obtenu un autre résultat. C’est vrai qu’on aurait pu imaginer au niveau de la CEDEAO un mécanisme pour atténuer les pertes qu’allaient subir les pays non PMA.

La question aurait pu être examinée par la réunion du Comité Ministériel de Suivi de la négociation APE tenu le 17 décembre 2007 à Ouagadougou si elle s’était posée. Alors une solution aurait pu être proposée pour compenser les pertes qu’ils auraient enregistrées dans leurs recettes d’exportation. Selon le Ministre ivoirien de l’Intégration ce manque à gagner s’élèverait à 200 milliards fcfa par an pour son pays. Les 16 pays appuyés par les partenaires au développement pouvaient, ensemble, trouver une formule de compensation. Avec le nouveau contexte, les Nigérians ont décidé de suspendre leur participation au tarif extérieur commun de la CEDEAO. Ça veut dire que l’intégration va s’arrêter un moment. Je pense que comme le RASCOM vient de le démontrer, si les Africains acceptent de se mettre ensemble ils peuvent bien réussir. C’est l’unité de la CEDEAO qui a entraîné l’Afrique centrale à se rallier à la position Ouest africaine. Il faut garder à l’esprit que l’Afrique de l’Ouest représente 40 % des échanges avec les ACP.

S. : D’aucuns disent que c’est parce que les autres pays n’ont rien à proposer qu’ils traînent le pas par rapport à la Côte d’Ivoire et au Ghana.

A.O. : A la date du 20 décembre 2007, il n’y a que la région Amérique Latine qui ait , paraphé un accord régional d’étape pour les 15 petites îles qui la composent. Sinon de façon globale, sur les 78 pays ACP, 35 pays ont paraphé des Accords intermédiaires, y compris les 15 pays des Caraïbes. En Afrique, il y a 18 pays qui ont paraphé dont deux en Afrique de l’Ouest à savoir la Côte d’Ivoire et le Ghana. En Afrique Centrale, le Cameroun a également paraphé. Quand on analyse la situation on se rend compte que rien n’est encore fait. Et c’est pour cela que le Président de la Commission de l’Union européenne, M. BAROSO a proposé de visiter les régions pour relancer les négociations. Il envisage de se rendre en Afrique de l’Ouest au mois de février prochain. La Commission de la CEDEAO transmettra cette proposition aux Chefs d’Etat et de gouvernement pour décision lors du prochain sommet de la CEDEAO à Ouagadougou. Et si les chefs d’Etat acceptent cette proposition, on organisera cette rencontre et la négociation reprendra après le séjour de M. BAROSO dans notre région. L’Afrique de l’Ouest n’a rien perdu parce qu’on voulait une dérogation pour couvrir essentiellement le Cap-Vert, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Nigeria pendant le temps additionnel des négociations. Les Européens d’une manière ou d’une autre, à travers ces accords d’étape paraphés, ont accordé cette dérogation. Ce que nous demandons pour nos pays c’est un APE porteur de développement. Il faut que le volet développement soit pris en compte pour permettre à nos pays de renforcer leurs capacités productives et d’être compétitifs.

S. : Si les Africains avaient signé les APE, qu’est-ce qui allait se passer ?

A.O. : L’APE pris comme un accord complet et global a pour ambition de favoriser le développement des économies des pays de l’Afrique de l’Ouest et la libéralisation des échanges entre cette région et l’Union européenne. En tant que tel, l’APE doit être négocié et signé. Devant l’impossibilité de finaliser un accord complet avant le 31 décembre 2007, ce qui est proposé actuellement c’est de signer un accord d’étape qui prendrait en compte le volet de la libéralisation des échanges, le volet du développement devant être pris en considération plus tard.

Les économies des pays de l’Afrique de l’Ouest n’étant pas compétitives par rapport aux économies des pays de l’Union européenne, l’ouverture réciproque des marchés conduira à l’étouffement des économies des pays de la CEDEAO. En fait, nos pays n’ont pas grand-chose à exporter en Europe en dehors des matières premières. Par contre à travers cet accord de libéralisation, les pays Européens pourront déverser dans nos pays toutes leurs productions. La conséquence sera l’étouffement de nos industries naissantes.

S. : Ne peut-on pas reprocher aux négociateurs de l’UEMOA et de la CEDEAO d’avoir manqué un peu de lucidité pour prévenir les subterfuges des Européens. Est-ce que l’Afrique ne doit-elle pas refuser de signer ces genres d’accords pour ne pas fragiliser son tissu économique ?

A.O. : Le déficit commercial entre l’Europe et l’Afrique ne fait que s’accroître. En 2000, il était de 19 milliards d’euros. En 2006, il a presque doublé en passant à 35 milliards d’euros. L’essentiel des importations européennes est constitué de produits pétroliers et gaziers. Ce que l’Afrique achète à l’Europe, ce sont essentiellement les machines et les voitures. En 2006, l’Afrique représentait 9 % du commerce extérieur de marchandises de l’Union européenne.

En 2006, le premier pays de l’UE qui exporte sur l’Afrique, c’est la France avec 23 %, suivi de l’Allemagne, (18%) et de l’Italie 14 %. Telle que les choses se présentent, à moins qu’on ne renforce les capacités de production de nos économies, nous allons continuer à leur “bazarder” tout ce qui est matières premières, notamment le pétrole et le gaz, et continuer d’acheter des produits finis comme les machines, les véhicules. Dans ce cas de figure, nos économies ne vont jamais se développer, d’où la nécessité de chercher à renverser la tendance. Il faut alors que l’APE qui va être le nouveau cadre de coopération Europe-Afrique, voire Europe-ACP de façon globale, puisse stimuler le développement de nos économies. Cela passe nécessairement par la mise en place des infrastructures, le développement des capacités de production. Sans cela, nos pays seront voués à demeurer de simples pourvoyeurs de matières premières aux pays développés.

Le monde est devenu plus ouvert depuis qu’en novembre 2001 la Chine a fait son entrée à l’OMC. Ce pays est, aujourd’hui, un acteur essentiel dans les relations internationales en matière de commerce. Il en est d’ailleurs de même pour d’autres pays émergents comme l’Inde, la Malaisie. Et ce n’est pas dans l’intérêt de l’Europe que de laisser les choses évoluer de la sorte. On comprend alors pourquoi cet acharnement à vouloir obtenir à tout prix, des accords de partenariat économique signés avant une certaine date butoir. Vous comprenez pourquoi les Européens utilisent tous les moyens y compris la division, pour atteindre leur objectif. Cela va à l’encontre du fondement des APE, à savoir le renforcement de l’intégration régionale.

Cela dit, nous n’avons pas d’autre choix que de continuer à négocier. D’ailleurs, le dialogue continue. Mais ce que nous voulons, et les Européens l’ont compris, c’est que l’Afrique et l’Europe puissent échanger d’égale à égale. Cette manière de voir a été exprimée lors du dernier sommet UE-Afrique à Lisbonne. L’enseignement à tirer des négociations de l’APE, et les Africains l’ont bien compris, c’est qu’ensemble ils peuvent défendre leurs intérêts communs. Ce 21e siècle marque un tournant. Hier on imposait des choses à l’Afrique ; aujourd’hui ce sont les Africains
eux-mêmes qui choisissent ce qu’ils veulent. En effet, nous avons les compétences requises pour négocier convenablement avec tous nos partenaires.

S. : Et pourtant des accords datant d’avant les indépendances en Afrique sont toujours en vigueur, de même que la pensée dominante. Où est donc le changement ?

A.O. : Vous qui êtes là, qu’avez-vous fait pour changer véritablement les choses ? Vous avez un rôle important en la matière dans votre responsabilité d’éducateur de la société.

S. : Nous, nous sommes des journalistes mais pas des décideurs.

A.O. : Etre journaliste ce n’est pas peu. Vous avez une responsabilité dans la sensibilisation des populations et vous pouvez influencer l’évolution de la société. Continuez à faire consciencieusement votre travail en apportant des suggestions aux décideurs à travers des analyses toujours courageuses et pertinentes.

S. : Partagez-vous les commentaires du Président sénégalais, Abdoulaye WADE selon lesquels certains de ses collègues chefs d’Etat ne comprennent pas grand- chose aux APE ?

A.O. : Ce n’est pas la première fois que le Président Abdoulaye WADE émet un tel jugement. Il a tenu le même discours par rapport au NEPAD. Il sait sans doute de quoi il parle. N’étant pas chef d’Etat, je ne peux rien dire sur les sentiments du Président WADE vis-à-vis de ses pairs. Et puis notre éducation et notre culture au Burkina Faso et plus généralement en Afrique ne nous autorisent à porter un jugement sur les actes posés ou les propos tenus par une autorité. Si le Président WADE le dit, c’est qu’il a ses raisons.

S. : Qu’en est-il de l’Afrique du Nord à propos des APE ?

A.O. : L’Afrique du Nord n’est pas concernée par les APE.

S. : Est-il logique de demander à quelqu’un qui cherche à terrasser un autre d’aider ce dernier à rester debout ?

A.O. : (Rires). Dans la vie, beaucoup de choses ne sont pas logiques. Il faut faire avec, surtout dans les relations internationales. Je rappelle qu’en la matière, les pays n’ont pas d’amis. Ils n’ont que des intérêts toujours calculés.

S. : Quel peut être l’impact des APE sur la monnaie ?

A.O. : De quelle monnaie parlez-vous ? En ce qui concerne l’Afrique francophone, il y a deux zones CFA. Le franc CFA est lié à l’euro. C’est le Conseil des gouverneurs qui est sensé déterminer la politique monétaire. Malheureusement dans les faits, c’est le ministère français des Finances et in fine la Banque Centrale Européenne basée à Francfort qui exercent cette prérogative. Au niveau de la CEDEAO, on s’achemine vers la constitution d’une seconde zone monétaire. L’objectif ultime est d’avoir une monnaie commune pour tous les pays de la CEDEAO. Pour réaliser cela, il faut que les sept pays qui ne sont pas encore dans le CFA se mettent d’accord pour créer une monnaie commune.

Dans un second temps, il s’agit de réussir la fusion entre les deux zones monétaires pour donner une monnaie unique à l’espace CEDEAO. La monnaie joue un rôle important dans le développement économique. L’autre difficulté du Franc CFA est qu’au sein de la zone CFA, l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique Centrale ont des intérêts complètement divergents. Les pays de l’Afrique Centrale, aujourd’hui, n’ont aucun intérêt à ce qu’il y ait une dévaluation du F CFA. En effet, tant qu’ils exporteront du bois et du pétrole, ce sera bénéfique pour eux. Par contre, en Afrique de l’Ouest, le coton par exemple qui est produit en Euro n’est pas compétitif sur le marché international où le prix est fixé en dollar US. Autrement dit, tant qu’il n’y aura pas un réajustement au niveau monétaire, il sera difficile de sauver la filière coton.

S. : Monsieur OUEDRAOGO, revenons au Burkina Faso. Quand vous étiez Ministre des Affaires Etrangères, vous avez eu à gérer le dossier du pèlerinage à la Mecque. Compte tenu de votre expérience en la matière, quel commentaire faites-vous de l’organisation du Hadj 2007 ?

A.O. : Nous ne disposons pas de toutes les informations relatives à l’organisation du Hadj 2007. Mais du temps où nous étions au gouvernement, le ministère des Affaires Etrangères dont nous avions la charge jouait un rôle essentiel dans cette organisation. C’est en effet l’Etat qui, en toute souveraineté, a la responsabilité d’assurer la protection et la sécurité de ses citoyens et de leurs biens tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Quand on parle de pèlerinage, il s’agit d’un déplacement d’une population sur un territoire étranger. Cela implique la demande de visas, l’établissement des documents de voyage (passeports et carnets de santé) et tout simplement l’organisation du voyage. Déjà avec les moyens de l’Etat, ce n’était pas facile à l’époque.

Or depuis quelques années l’organisation du Hadj est assurée par le privé ; et dans ce cas, il n’est pas surprenant que cette entreprise connaisse un certain nombre de difficultés, Tout le monde sait que dans le privé, c’est le profit qui est recherché en priorité. Aujourd’hui nous nous demandons si l’Etat ne doit pas reprendre en main l’organisation du pèlerinage. Pour tout musulman, le pèlerinage revêt un caractère très important. Il fait partie, comme vous le savez, des 5 piliers de l’Islam. Quand on voit le sacrifice consenti pour réunir les moyens nécessaires à l’accomplissement du pèlerinage, (ne serait-ce qu’une fois dans sa vie) et qu’au moment de partir vous apprenez que votre voyage n’est plus possible pour cause de mauvaise organisation, cela ne peut que vous révolter.

A notre avis, l’encadrement de l’Etat dans l’organisation du Hadj est indispensable. Même si l’Etat ne souhaite pas reprendre le contrôle entier d’une telle opération, il faudrait au moins qu’il y ait un regard pour alléger les souffrances des populations qui désirent simplement aller accomplir un rite religieux. Et d’ailleurs n’est-ce pas dans ce but que le gouvernement a mis en place en 1996, en plus de l’Ambassade qui est à Riyad, un Consulat général à Djeddah, à 60 km de la Mecque ? Il n’y a pas de raison que tous les ans, les candidats au pèlerinage rencontrent les mêmes difficultés. Nous nous gardons de tout jugement par rapport à ce qui s’est passé cette année, dans la mesure où, une fois encore, nous n’avons pas toutes les informations relatives au Hadj 2007. Mais si l’on entend vraiment protéger la population soucieuse d’accomplir un tel rite, il faudra peut -être que l’Etat s’implique à nouveau dans la réalisation d’une telle opération.

S. : Parlez-nous de votre night-club, le “Benbao”.

A.O. : Le BENBAO, n’est pas seulement un Night Club. C’est aussi un restaurant et une terrasse panoramique. D’ailleurs mon ambition est de construire d’autres infrastructures complémentaires et faire du BENBAO un Complexe de Loisirs qui pourrait apporter un plus dans les activités récréatives de la population burkinabè et notamment de sa jeunesse. Pour ce qui est du Night Club, j’aime beaucoup la musique et je voudrais apporter une contribution à la promotion de la musique burkinabè. J’ai beaucoup voyagé et j’ai vu beaucoup de choses dans ma vie et je retiens que « la musique adoucit les mœurs ». La musique et la danse font partie des moyens de distraction de la jeunesse, pas seulement d’ailleurs.

Pour moi, c’est un apport à l’épanouissement des jeunes. Quand vous pouvez trouver, après une semaine de dur labeur, un endroit pour vous récréer sainement, sereinement et dans le confort requis, avouez que c’est bien. C’est une contribution tout comme les autres dans la construction de notre pays. Savez-vous qu’au BENBAO Night Club, vous pouvez apprendre à danser le cubain, tous les vendredis soir sous la direction d’un professeur de danse ? Mon seul regret pour l’instant, c’est que je n’ai pas le temps pour m’en occuper pleinement.

S. : Que répondez-vous à ceux qui disent que votre boîte de nuit est réservée aux “gouroux”.

A.O. : Que veut dire gouroux ? Au Burkina Faso on n’a pas ce problème. Tout le monde va où il veut quand il veut. Et d’ailleurs, on observe que le BENBAO accueille toujours de nouveaux clients de toutes les catégories sociales. C’est vrai qu’au BENBAO, c’est « l’excellence qui fait la différence ». C’est un endroit de référence en matière de musique et de danse. Je vous invite à aller le découvrir vous-même, si ce n’est déjà fait.

S. : Vous étiez partant dans la course pour le poste de DG de l’ONUDI. Qu’est-ce qui n’a pas marché ?

A.O. : Moi-même je ne sais pas. Si quelqu’un pouvait m’expliquer exactement ce qui s’est passé, peut-être que cela m’aiderait pour l’avenir. Mais ma carrière ne s’est pas arrêtée pour autant. A 54 ans, j’ai encore du temps devant moi, rien n’est encore perdu. Je suis un croyant et tout ce qui m’arrive dans la vie relève à mes yeux, de la volonté d’Allah. Ce qui est dommage dans notre pays c’est notre sens développé de la jalousie, de la mesquinerie, de la méchanceté et de l’intrigue. Que Dieu nous aide à casser cet état d’esprit…..

S. : Qu’est ce qui explique votre départ de la BAD ?

A.O. : Pendant trois ans et demi, j’ai assumé les fonctions de Conseiller Régional auprès de deux Présidents de la BAD. C’est une fonction délicate et complexe qui m’a permis d’apprendre beaucoup de choses et d’acquérir de l’expérience sur les questions de financement du développent sous l’angle du secteur privé. L’heure était venue pour moi de tourner la page dans ma carrière, surtout que je me sentais de moins en moins épanoui dans mes responsabilités. Aujourd’hui, je pense apporter une contribution utile à la CEDEAO dans le domaine des négociations commerciales et j’aime bien ce que je fais. Le drame dans la vie c’est d’être contraint à faire ce qu’on n’aime pas et surtout ce à quoi on ne croit pas.

S. : Ablassé Ouédraogo est -il prêt à revenir un jour au gouvernement ?

A.O. : Cela ne dépend pas de moi. Savez-vous comment se forme un gouvernement ? Peut-être que nous allons y rentrer ensemble (rires...). Je dis toujours que tant qu’on est vivant, aucune porte n’est fermée définitivement. Et puis chacun suit son destin et je suis un croyant.

S : Peut-on s’attendre à voir Ablassé Ouédraogo candidat à une élection présidentielle ?

A.O. : Il faut être réaliste. Il n’est pas donner à n’importe qui d’être Président de la République. Pour moi l’essentiel demeure, avant tout, d’être utile à son pays à un niveau ou à un autre. C’est dire qu’on n’a pas forcément besoin d’être à un tel niveau de responsabilité pour mettre ses compétences et son expérience à la disposition de son pays. Telle est ma conception des choses.

S. : Qui est Ablassé Ouédraogo au- delà de ses multiples fonctions ?

A.O. : Ma vie est simple. Je suis fils de cultivateur et j’ai toujours travaillé dans le développement. J’ai soutenu une thèse de doctorat de 3ème cycle le 15 décembre 1981 sur les multinationales et l’industrialisation des pays en voie de développement. J’ai obtenu la mention très honorable avec les félicitations du jury. Le 5 janvier 1982 j’étais de retour à Ouagadougou. Une semaine après, le 12 janvier 1982 je donnais mon premier cours d’Economie générale à l’ESSEC, aujourd’hui FAGEG. J’y suis resté pendant une année universitaire. Ensuite, j’ai décidé d’aller dans la Fonction publique internationale. J’ai commencé comme fonctionnaire des Nations unies à Niamey où j’étais chargé de programme de l’ONUDI au Niger. Puis, j’ai fait la Guinée Conakry, l’Éthiopie, le Congo Brazzaville, le Zaïre (actuel RD Congo), le Kenya. En 1994, le Président COMPAORE m’a fait l’insigne honneur de me nommer dans son gouvernement en qualité de Ministre des Affaires Etrangères. Une fonction que j’ai exercée cinq années durant et qui m’a permis entre autre de promouvoir le concept de “diplomatie de développement”. Pour moi, il fallait mobiliser tous les partenaires pour le développement du Burkina Faso. Cela reste toujours d’actualité.

Nous avons contribué à mettre le Burkina sur la carte du monde. Beaucoup de réunions internationales se sont alors tenues à Ouagadougou. Il fallait oser le faire parce qu’il n’y avait pas beaucoup de moyens. Le Centre de Conférence de Ouaga 2000 et ses infrastructures annexes ont été construits à cette époque. Et pour cela il a fallu mobiliser d’importantes ressources pour la réalisation de ces édifices et l’organisation de ces grandes rencontres.
A l’époque on a fait une ouverture du Burkina sur le monde entier, en commençant avec l’Asie, l’Europe, notamment les pays scandinaves. Quand j’ai quitté le gouvernement, je suis resté huit mois comme Conseiller spécial du Président du Faso.

Puis je suis reparti au service de la fonction publique internationale à l’OMC, comme Directeur général adjoint, le tout premier africain à occuper une telle position. Pendant 3 ans, je crois avoir amené l’OMC en’Afrique et vice versa. Quand j’arrivais à l’OMC, l’organisation ne comptait que 19 Africains. Il n ‘y avait pas un seul directeur de division parmi eux. En partant, j’ai laissé deux directeurs et le nombre d’Africains avait été multiplié par trois. J’ai aussi été l’Envoyé spécial du Secrétaire général de l’Organisation Internationale de la Francophonie sur la diversité culturelle.

A ce titre, j’ai apporté ma modeste contribution, à l’adoption par l’UNESCO, de la Convention sur la diversité culturelle.
Entre temps, j’étais aussi Représentant spécial du Directeur général du BIT sur les questions de pauvreté et d’emploi, avant d’aller à la BAD en décembre 2003 sur le poste de Conseiller Régional du président d’alors M. Omar KABBAJ. J’ai quitté la BAD en fin mai 2007 après y avoir passé trois ans et demi. J’ai quitté la Banque et je ne m’en porte pas plus mal. A partir du moment où vous avez une formation et une expérience, votre ambition est de pouvoir les utiliser au service de la société. Bien sûr, prioritairement au service de votre patrie, mais aussi à la disposition de tout autre pays ou institution souhaitant bénéficier de vos compétences.

S. : Quel est votre titre actuellement ?

A.O. : Je suis le Conseiller spécial du Président de la commission de la CEDEAO pour les négociations commerciales.

S. : Et vous résidez à Ouagadougou ?

A.O. : Dans l’arrangement qui nous lie à la Commission de la CEDEAO, nous avons demandé à avoir pour base Ouagadougou, avec naturellement des déplacements non seulement à Abuja, mais à travers le monde suivant les besoins de la CEDEAO. Actuellement, avec les TIC, être à Abuja ou à Ouagadougou ne change pas grand-chose. Pourvu que vous puissiez intellectuellement produire et remplir votre fonction.

S. : Quand vous étiez dans le gouvernement vous rencontriez facilement le Président du Faso. Quel était votre secret ?

A.O. : En tant que ministre des Affaires Etrangères, domaine de souveraineté du chef de l’Etat, je prenais toutes mes instructions directement auprès du Président du Faso. Ce qui me donnait plus de chance d’être à ses côtés que la plupart de mes collègues.

S. : Quels sont vos vœux pour 2008 ?

A.O. : Je souhaite la santé, la prospérité et le bonheur à tout le monde. De façon globale je souhaite que le Burkina Faso continue sa marche vers le progrès et le développement.
Moi j’ai beaucoup vu dans le monde. La paix reste le plus grand trésor que l’on puisse avoir sur cette terre. Je souhaite que grâce aux efforts des uns et des autres, la paix des coeurs, l’amour et la tolérance puissent nous habiter en permanence et inspirer nos comportements au quotidien au point de nous aider à contribuer positivement à l’évolution de notre société et à bâtir ensemble un Burkina Faso prospère et paisible.

La Rédaction

Sidwaya

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