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Présidentielle au Kenya : En finir avec les hold-up électoraux en Afrique

Publié le jeudi 10 janvier 2008 à 11h12min

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Que se passe-t-il au Kenya ? C’est la question lancinante que l’on se pose quand on suit les développements des dernières élections présidentielles dans le pays de Jomo Kenyatta. Ces élections ont vu s’écrire, pour les Africains, un de ces scénarios prévisibles et dont ils ont malheureusement l’habitude.

Au commencement, toujours le même décor idyllique. Un pays qui passe pour être un pôle de stabilité dans sa sous-région (pour en être convaincu, il n’est que de penser aux noms de quelques-uns de ses voisins : Ethiopie, Somalie...) et dont les indicateurs économiques sont, officiellement, des plus encourageants. Une campagne électorale qui s’est déroulée globalement bien. On parle pudiquement de quelques morts, mais on s’empresse d’ajouter que, dans ce genre de situation, c’est généralement pire. Cerise sur le gâteau : un opposant est en forte possibilité de remporter la victoire, à la régulière.

Au fur et à mesure que les résultats du scrutin tombent, la fièvre monte dans les camps des différents candidats. Le pays s’embrase : 600 morts, une nation déchirée, un pays bloqué, un avenir assombri.

Ce qui se passe au Kenya, c’est l’ordinaire de la politique en Afrique où les élections sont conçues comme des faire-valoir, une farce à usage externe. Il s’agit de complaire aux bailleurs de fond, de faire impression sur l’opinion internationale. Car, pour le reste, les autorités semblent décider, avant même que les scrutins aient lieu, du nombre de voix dont elles désirent voir plébisciter leurs champions, et du nombre de voix qu’elles condescendent à abandonner à leurs opposants. Ce n’est donc pas pour que la voix du peuple fasse loi, pour que s’exprime la souveraineté populaire. Tant que durera cet esprit, les élections ne cesseront jamais, en Afrique, d’être de terribles épreuves pour les populations, comme il y a quelques années à Madagascar, au Togo, ou en Côte d’Ivoire.

Quand on n’hésite pas à faire courir les plus grands périls à son pays, quand on ne recule pas d’horreur devant l’incendie de la nation dont on est le fils, quand le ridicule de la proclamation ubuesque des résultats, de l’investiture précipitée et rocambolesque ne retient pas un homme, l’esprit vacille et erre à la recherche d’une explication. Et, bien sûr, l’explication par la folie (en l’occurrence, la folie du pouvoir) est, ici, simplement irrecevable. On a souvent, devant de tels scrutins, utilisé le mot "mascarade. Il faut l’utiliser ici encore : il n’y a pas d’autres mots. Et comme il a cédé à la logique du pire, le président Kibaki vient de constituer un gouvernement dans une manoeuvre sur laquelle on se penchera peut-être dans les facultés de sciences politiques : non seulement il a créé un poste de vice-président pour le candidat qui est arrivé troisième aux élections, mais encore, il a laissé des postes ministériels vacants qu’il propose au camp de celui qui conteste son pouvoir et qu’il n’a même pas consulté.

Que se passe-t-il donc au Kenya ? L’ampleur du désastre laissait penser que le président Kibaki temporiserait, qu’il donnerait des chances effectives et sérieuses aux diverses médiations. On était loin de penser qu’il poursuivrait dans sa fuite en avant, dans sa politique du fait accompli. Pourquoi un tel entêtement ? Sans être conspirationniste, on imagine bien que de tels événements peuvent difficilement ternir la volonté d’un homme. On imagine facilement des intérêts importants de quelque nature qu’il faut défendre à n’importe quel prix. Quels sont les intérêts qui sont en jeu ? On peut remarquer la tiédeur particulière de la réaction internationale. Maniant l’euphémisme jusqu’à la nausée, dans les médias internationaux, on parle du président Kibaki comme du président dont l’élection est contestée. C’est que le Kenya est partie intégrante du dispositif américain de lutte anti-terroriste.

Et les Américains trouvent probablement le président Kibaki disposé et capable d’entrer dans la logique de leur politique. Et il est clair que devant cet intérêt supérieur, la démocratie, les droits de l’homme, la vie de centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants ne pèsent pas lourd. Que l’on compare les condamnations fermes et indignées des élections législatives qui ont eu lieu en Russie (où il n’y a pas eu 600 morts) et les réactions qui ont suivi le simulacre d’élections au Kenya. On comprendra combien grand est le mépris dans lequel les puissances internationales tiennent les peuples africains. Paradoxalement, on peut dire que ce qui se passe actuellement au Kenya est une chance pour l’Afrique. Il faut réussir à faire échec à cette tentative de s’imposer au peuple que l’on tourne en bourrique en le convoquant à des scrutins dont on n’entend tenir compte qu’à la condition qu’elles consacrent des positions acquises.

La bonne nouvelle qui viendrait de Nairobi serait qu’une fois encore, une tentative de confiscation du pouvoir, de déni de démocratie a échoué. Et c’est la fermeté de l’opposition kenyane et du peuple kenyan qui pourra faire en sorte que force revienne au droit. La question n’est pas de savoir si les Etats-Unis font confiance à M. Odinga pour que le Kenya reste bien intégré dans leur dispositif de lutte contre le terrorisme ; elle n’est pas de savoir si les puissances internationales font confiance à M. Odinga pour maintenir certaines alliances géostratégiques. La question est de savoir si, lors du scrutin, le peuple kenyan lui a fait confiance pour relever les défis du développement et de la pauvreté. Et sur ce point, la réponse est qu’il faut en finir avec les hold-up électoraux sur notre continent.

Le Pays

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