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Sierra Leone : Le procès des seconds couteaux

Publié le lundi 7 juin 2004 à 07h41min

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La guerre civile en Sierra Leone a duré 11 ans, de 1991 à 2002. Une décennie qui a vu ce petit pays de 72 000 km2 devenir le théâtre des pires atrocités et violences systématiques, qui ont fait un demi-million de victimes dont au moins 200 000 morts.

Pour quelques arpents de terre, une parcelle du pouvoir et quelques carats de diamants dont ce pays regorge, les belligérants, particulièrement le Front révolutionnaire uni (RUF), ont tué, pillé, violé, éventré des femmes enceintes. Les soudards avaient même poussé le raffinement dans la violence jusqu’à tailler des manches courtes ou longues selon qu’ils vous coupaient (à la machette) la main au niveau du coude ou du poignet. Les pieds non plus ne furent pas épargnés. "C’est parce qu’ils ont des pieds qu’ils peuvent se rendre au bureau de vote et parce qu’ils ont des mains qu’ils peuvent mettre un bulletin dans l’urne", disait-on avec un cynisme indicible.

Alors, pour leur épargner cette peine des scrutins, les "Adama catch hand" et les enfants soldats puissamment armés, fortement drogués et ivres de sang, ont constitué par milliers une armée d’éclopés. Aujourd’hui, le pays émerge à peine de ce cauchemar et commence à solder ses comptes. Un tribunal spécial chargé de juger les auteurs des crimes commis durant le conflit a ainsi ouvert ses travaux jeudi dernier à Freetown. Treize personnes, dont seulement neuf sont détenues, devront répondre de multiples chefs d’accusation allant des crimes de guerre au recrutement et à l’utilisation d’enfants soldats en passant par les crimes contre l’humanité et les graves violations du droit humanitaire international.

Il aura fallu en fait deux bonnes années pour que le tribunal spécial, fruit d’un accord intervenu en janvier 2002 entre la Sierra Leone et l’ONU, ouvre sa première audience. Il faut dire que le temps jouait contre cette juridiction internationale puisque son mandat de trois ans expire l’année prochaine. Il faut saluer la tenue de ce procès, qui est, en soi, une mise en garde lancée à tous les tortionnaires de la planète, principalement du continent noir, qui savent désormais que leurs crimes ne resteront pas impunis.

Ça peut être une question de temps, mais justice se fera forcément, un jour ou l’autre. Le tribunal de Freetown, le premier du genre à être situé en dehors de la juridiction de l’ONU et officiant dans le pays où les atrocités ont été commises, a du reste valeur d’essai, car il pourrait, si l’opération s’avérait concluante, faire école pour d’autres conflits similaires. On pense notamment au Liberia et, pourquoi pas, à la Côte d’Ivoire, qui continue d’entasser ses morts depuis l’arrivée calamiteuse de Laurent Gbagbo à la présidence un certain 26 octobre 2000 : charniers de Yopougon, de Monoko Zohi, assassinat de Jean Hélène, disparition de Guy André Kieffer et les nombreux autres crimes à la petite semaine érigés en système de gouvernement, qui ont culminé le 25 mars 2004 avec la répression sanglante de la marche pacifique des Marcoussistes... il faudra bien que quelqu’un paie un jour.

Et c’est pour cela que Freetown doit servir de modèle. Mais si dans le principe ce procès est salutaire, on peut regretter que le tribunal ait choisi de commencer ses audiences par trois anciens chefs des chasseurs traditionnels kamajors, ces milices pro-gouvernementales, dont Sam Inga Norman, ancien ministre de l’Intérieur aujourd’hui sur le banc des accusés. Il est vrai que les kamajors n’ont pas toujours fait dans la dentelle, mais d’avoir exposé d’entrée de jeu des personnes considérées par une grande majorité des Sierra-leonais comme de véritables héros pour leur lutte impitoyable contre le RUF, peut s’avérer une erreur de stratégie de la part des juges.

Déjà, la révocation par Inga Norman de ses avocats et sa décision d’assurer lui-même sa défense, sont de nature à gripper un procès suspendu dès son ouverture. Mais le plus regrettable dans cette affaire, c’est que dans le box des accusés, il n’y a, si on ose dire, que les seconds couteaux, au propre comme au figuré. Le fondateur et chef du RUF, le caporal Foday Sankoh, ne répondra pas en effet de tous les forfaits dont il a été à l’origine puisqu’il est mort pendant sa détention. Sans rendre des comptes. Mort également Sam Bockarie, de triste mémoire, aux confins du Libéria et de la Côte d’Ivoire où il était allé faire le coup de feu à la faveur de l’ouverture du front ouest de la rébellion ivoirienne.

"Mosquito", ainsi surnommé en raison de sa facilité à se fondre dans le bush sierra-leonais, ne répondra donc pas, lui non plus, des atrocités dont il s’est rendu coupable. Quant à Johnny Paul Koroma, qui avait renversé en 1997 le président élu Ahmad Tejan Kabbah, il a fendu l’air, courant décembre 2002, c’est-à-dire bien avant son inculpation, pour ne plus jamais reparaître. Le plus illustre de tous demeure toutefois Charles Taylor, réputé être le parrain et le financier du RUF.

Contraint à la démission en août 2003 sous les coups de boutoir de deux mouvements rebelles et la pression de la communauté internationale, l’exilé de luxe coule, depuis, des jours heureux et paisibles à Kalabar, où il est assuré de la protection du président nigérian. Nonobstant le mandat d’arrêt international dont le rouquin fait l’objet, Olusegun Obasanjo se refuse en effet à le livrer au tribunal.

A défaut donc des gros poissons, qui ont bouffé les pissenlits par la racine ou qui sont passés à travers les mailles du filet judiciaire, la Cour siégeant à Freetown devra se contenter du menu fretin, avec ce que cela laissera comme goût d’inachevé. Et c’est bien dommage !

Au fait, comment le Ouaga officiel appréhende ce procès quand on sait que souvent, les noms du Burkina et de ses dirigeants, à tort ou à raison, sont revenus dans cette tragédie sierra-leonaise où, derrière Charles Taylor, certaines officines internationales voyaient Blaise Compaoré ?

L’Observateur

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