Je frémis d’horreur en voyant ces villages en feu, ces têtes ensanglantées, ces cadavres jonchant les rues, ces innocents en fuite qui tentent de se frayer un chemin sous un déluge de pierres et, toujours, ces chasseurs d’hommes ivres de sang qui ont trop peu de respect de la vie humaine pour comprendre qu’ils sont tous embarqués dans le même bateau, tous accrochés au même radeau de la vie qui ballotte dans les flots et finira par être englouti.

En poussant ce cri de douleur, le souvenir d’un ouvrage de l’écrivain Albert Cohen me revient en mémoire. Dans Ô vous, frères humains, œuvre d’un humanisme à fleur de peau, il supplie « ces crétins (assoiffés de sang) qui ne se doutent pas que le bois de leur (propre) cercueil existe déjà dans une scierie ou dans la forêt et les attend » de faire l’effort de connaître « la joie de ne pas haïr ». Je supplie à mon tour ceux des Kenyans qui brûlent d’envie de supprimer des vies pour faire entendre leur cause de déposer les armes.

Car il n’est pas de cause en ce monde qui puisse justifier un meurtre primaire. Et c’est un signe de civilisation de parler encore lorsque semble perdu tout espoir d’être entendu. Le langage de la machette, c’est le règne de la barbarie.
Mais au-delà du pire que je redoute pour le Kenya, je voudrais tout simplement interpeller mes frères d’Afrique sur la question de la ségrégation ethnique. C’est une inconséquence monumentale de critiquer le racisme tout en haïssant certains de ses concitoyens parce qu’ils ne sont pas de la même ethnie que soi. La ségrégation ethnique n’est rien d’autre qu’un racisme sans race.

A en juger à ses conséquences, elle peut même être pire que certaines formes de racisme que l’on critique avec raison. Tout comme le racisme, elle prend sa source dans des préjugés et des extrapolations débiles. Qui peut croire un instant que ces villageois kenyans dont on brûle les masures au prétexte qu’ils appartiennent à l’ethnie du président fraudeur ont tous été bénéficiaires de ses largesses ?

Denis Dambré