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Evénéments du 3 janvier 1966 : Le "Dircab" de Maurice Yaméogo à coeur ouvert

Publié le mercredi 2 janvier 2008 à 11h22min

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Ancien directeur de cabinet du premier président de la Haute-Volta indépendante, André A. Adama Compaoré, aujourd’hui âgé 76 ans, était au cœur des événements de janvier 1966 qui ont emporté le régime de Maurice Yaméogo. Très discret, il accepte, pour une des rares fois, de témoigner sur cette période de l’histoire de notre pays, à partir de son poste stratégique de « dircab ». Il raconte aussi ses difficultés pour rentrer dans ses droits, 40 ans après, alors que ses compagnons d’infortune ont été réhabilités sur tous les plans.

"Le Pays" : Dans quelles circonstances sont intervenus les événements du 3 janvier 1966 ?

Adama André Compaoré : Il y a d’abord eu les élections que M. Maurice a organisées et remportées. Il y a eu des fraudes massives. Le climat politique commençait déjà à s’alourdir. Vers Noël 1965, alors que les syndicats s’agitaient à propos de la baisse du pouvoir d’achat avec l’abattement des salaires des fonctionnaires, M. Maurice est parti en Côte d’Ivoire pour discuter de la double nationalité. Pendant son absence, le pays était dans tous les sens, ça s’agitait. Le ministre Tiémoko Kaboré, qui assurait l’intérim du président, m’a dit de téléphoner à M. Maurice pour qu’il rentre, au regard de la dégradation de la situation. Le président n’a pas apprécié mon coup de fil, en disant que je voulais l’effrayer alors que la situation n’avait rien d’effrayant. Je me suis rangé. A son retour, le 31 décembre, des personnalités ont dit au président de mesurer son optimisme car en ville les gens se préparaient, et le début du week-end risquait de ne pas être facile. Le président n’a pas cru devoir tenir compte de toutes ces remarques, et on a dansé. C’était le samedi 31 décembre. Le dimanche, tout semblait calme. En fait, les gens se préparaient en douce et dans le plus grand secret. On ne voyait rien mais on entendait les gens lâcher dans la rue : « ça va chauffer ! » Le lundi 2 janvier, on sentait que les gens continuaient de préparer la journée du 3.

Quelles mesures le gouvernement a-t-il prises pour faire face à la situation ?

En réalité, les discussions étaient secrètes, des contacts ont eu lieu mais n’ont donné aucun résultat. Dans la nuit du 2 au 3 janvier, j’étais au cœur de l’événement. Maurice a reçu le lieutenant-colonel Lamizana avec son adjoint. Ils ont discuté dans le bureau du président et c’est là que j’ai appris que le colonel a dit qu’il donnait des ordres mais l’armée n’obéissait pas. Pendant ce temps, les syndicats faisaient du tapage à la Bourse du travail. M. Maurice a envoyé Denis pour aller les arrêter. Mais ce dernier a échoué parce que c’était trop chaud. La nuit du 2 au 3 fut la nuit des tractations. J’ai eu l’impression que les gens étaient fatigués du régime.

Que s’est-il passé le jour J, c’est-à-dire le 3 janvier ?

Le 3 au matin, nous étions tous au bureau avec M. Maurice et ses ministres. A 8h, on a vu une foule remonter l’avenue de l’Indépendance vers la présidence. M. Maurice est descendu pour se rendre au palais. Nous l’y avons accompagné. Maurice ne savait plus quoi faire. Nous étions tous là, avec les manifestants qui venaient grimper au mur du palais. Il n’y avait personne pour s’opposer à eux, ni l’armée, ni la police. Mais la manifestation n’était pas violente. On aurait pu nous agresser puisque personne ne nous protégeait. La Côte d’Ivoire a fait envoyer des bombes lacrymogènes. On en a lancé quelques-unes et c’était fini. Le soir, M. Maurice a rendu le pouvoir à Lamizana. L’armée a escorté Maurice à Koudougou. Le lendemain, Lamizana a pris possession du bureau de Maurice et nous étions encore là. Je lui ai dit que j’étais venu chercher mes affaires et il m’a demandé de rester avec lui. Notre collaboration n’a pas duré, puisque le 13 janvier j’ai été arrêté.

Pourquoi ?

On ne m’a rien dit. On m’a jeté dans un camion et on m’a transporté à Bobo. Toute la nuit, mes questions sont restées sans réponse. Quand je suis arrivé au camp, les officiers m’ont dit que l’armée avait fait tomber M. Maurice parce que celui-ci avait détourné 750 millions de F CFA qui lui étaient destinés. Et ils étaient persuadés que Maurice a partagé l’argent avec moi puisque j’étais son bras droit. J’ai répondu que j’ignorais tout de cette affaire. La deuxième accusation vient de M. Maurice lui-même : il m’avait fait remettre des sommes d’argent à sa femme et à Lamizana, et refuse de le reconnaître. La troisième accusation est venue de Lamizana qui estime que je voulais le renverser au profit de M. Maurice. On m’a emmené au tribunal. Je n’ai pas eu droit à la parole, de même que M. Maurice. Le président du tribunal a dit que le dossier était vide. C’est là que le procureur a dit que je n’avais pas détourné mais que je devais être condamné pour ma fidélité à M. Maurice Yaméogo. Pourtant on me jugeait sur ma gestion.

Aviez-vous un avocat ?

Oui. C’est le gouvernement qui me l’a commis d’office. Je lui ai expliqué la complexité de la situation à laquelle, en tant qu’avocat, il doit être habitué. Il m’a dit : « Non, non, moi je suis habitué aux accidents de la circulation. Je ne peux pas. » Donc j’étais seul, sans avocat.

Après le procès, avez-vous fait la prison ?

Après le jugement, on nous a ramenés au camp, M. Maurice et moi. Je suis resté pendant 4 ans au cachot. A ma libération, on ne m’a rien dit. J’étais l’homme abandonné.

Avec la réconciliation engagée par le président Compaoré, toutes les victimes de la violence en politique devaient être dédommagées. Qu’en est-il à votre niveau ?

Seule la maison que j’habite actuellement m’a été restituée en 1995. Là aussi, il a fallu 3 ans pour que je puisse la récupérer, grâce à des instructions de la première dame à qui j’en ai parlé à Abidjan. Mes autres requêtes demeurent insatisfaites, à savoir ma parcelle à Bobo, la parcelle de mon épouse à Ouaga (à côté du Trésor), mon compte bancaire bloqué à la BNP (aujourd’hui BICIA-B), le loyer de ma villa de 1966 à 1995, soit 30 ans, ma réhabilitation administrative et financière. L’ancien président Maurice Yaméogo et moi avons été condamnés solidairement aux mêmes peines par un tribunal spécial en mai 1969. Chacun de nous a fait 4 ans et 6 mois d’emprisonnement, nos biens ont été confisqués et nous avons été radiés de la Fonction publique. Le président du Faso nous a accordé sa grâce, car nos condamnations sont sans fondement. Nous sommes victimes de la violence en politique. Il a ordonné de nous restituer nos biens injustement confisqués, ou de nous verser des indemnités compensatrices, et de nous réhabiliter administrativement. Les confiscations de nos biens sont de véritables spoliations. M. Yaméogo a obtenu la restitution de tous ses biens en décembre 1991 grâce à une mesure politique relevant directement du pouvoir discrétionnaire du chef de l’Etat. Condamné solidairement aux mêmes peines et bénéficiaire de la grâce présidentielle, j’espérais, moi aussi, jouir de la même mesure que lui. Mais mon dossier est bloqué jusqu’à ce jour. J’ai été oublié.

Propos recueillis par Mahorou KANAZOE

Le Pays

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Vos commentaires

  • Le 3 janvier 2008 à 21:09, par Lasso En réponse à : Evénéments du 3 janvier 1966 : Le "Dircab" de Maurice Yaméogo à coeur ouvert

    o sortir de la lecture d cet entretien, on s demande evidemment pkoi M Adama Compaore n’a pas benefecie du meme traitement reserve a Maurice Yameogo.

    A mon sens kelke elements peuvent expliker cela.

    D’abord , lheritage de Maurice Yameogo qui sest traduit et a pris forme jusqu’a une periode encore recente par l’ADF-RDA avec o commandes Hermann Yameogo.

    a cette epoque, a une echelle reduite l’ADF-RDA constituait o yeux du pouvoir en place un parti tentaculaire qu’il fo abattre ou secouer par tous les moyens .

    et il me semble pas idiot k l’une des raisons ki ont pousse le pouvoir a boucler le traitement du dossier de feu Maurice Yameogo ds les meilleurs delais etait intimement inscrit ds sa strategie de conquete des moderes de l’ADF-RDA pr les approcher du pouvoir et surtout enlever toute legitimite d’union entre les freres Yameogo ds leur lutte politik contre le pouvoir.

    Ainsi, le lobby de la famille ou une partie de la famille Yameogo pouvait alors etre en faveur du regime Compaore ou alors "fermer les yeux".

    apparemmement le pouvoir a reussi en prenant soin o prealable d regler le chapitre des bien d feu Maurice Yameogo

    Comme fait marquant ki a suivi cet episode, Salvador Yameogo sest soudainement desolidarise de la ligne familiale en creant son propre parti ki sest ocitot positionne o sein d la majorite presidentielle sous pretexte kil suivait les prescriptions d son defunt pere.

    cela sest fait apres que les biens du feu president aient ete restitues a sa famille.

    Par contre pour le cas de M Adama Compaore je crois k malheureusement il nya manifestement pas eu de la part du pouvoir en place un interet politik particulier immediat a traiter le dossier. ce ki explik le laxisme observe

    Peut etre que si M Adama Compaore beneficiait encore de l’attention de la famille Yameogo, les choses pouvaient en etre otrement.

    Lasso, Californie

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