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Charles Blé Goudé, président du Congrès panafricain des jeunes patriotes : “L’accord de Ouagadougou a apporté la paix en Côte d’Ivoire”

Publié le lundi 17 décembre 2007 à 08h10min

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Charles Blé Goudé, personnage central dans la crise ivoirienne, est aujourd’hui engagé dans un combat pour la paix et la réconciliation. Dans cet entretien du 7 décembre 2007 à Yamoussoukro en Côte d’Ivoire, il explique le sens de son engagement à “côté de la loi et de la république” aux temps forts de la crise ivoirienne. Son engagement pour sa patrie lui a valu d’être sanctionné par l’ONU mais dit-il, “cela ne me gène pas du tout”.

Sidwaya (S.) : Charles Blé Goudé et le commandant Watao ont été perçu le 6 décembre dernier dansant, côte à côte lors d’une cérémonie à la Fondation Houphoüet -Boigny. Quel sens donnez-vous à ces retrouvailles ?

Charles Blé Goudé (CBG) : Il y a longtemps de cela, personne ne pouvait imaginer une telle paire du genre Watao et Blé Goudé ensemble. Mais aujourd’hui , nous travaillons de commun accord pour instaurer la paix en Côte d’Ivoire. Voyez-vous, Ivoiriens que nous sommes et mieux, Africains que nous sommes, nous sommes capables de faire preuve de dépassement de soi. Nous sommes capables de tuer notre orgueil pour mettre en avant l’intérêt national. L’orgueil tue. L’orgueil vous amène à poser des actes aux conséquences incommensurables. Je pense pour ma part, que si la crise ivoirienne a perduré, c’est que chacun des acteurs est resté attaché à son amour propre, à son moi. C’est cela que nous avons voulu briser. Watao et moi, nous sommes un exemple de personnes opposées il y a peu et qui ont décidé de se mettre ensemble afin de tirer tous les autres vers la paix. C’est ce qui explique le fait que ces derniers temps, nous sommes souvent ensemble lors de grands rassemblements. Nous tirons cet exemple-là de situations vécues dans nombre de pays africains : l’Afrique du Sud a vécu l’apartheid mais aujourd’hui Noirs et Blancs sud- africains vivent ensemble. Au Rwanda, Tutsi et Hutu se sont entre-tués à coup de machettes mais aujourd’hui, le Rwanda a retrouvé le calme. Si ces pays ont réussi une réconciliation, pourquoi pas la Côte d’Ivoire ?

Il faut que chacun de nous sache que sur cette terre, nous ne faisons que passer. Et si chacun devait comme sur une scène, jouer un rôle, il faut que ça soit un rôle positif. C’est pourquoi vous me voyez avec Watao pour que notre pays puisse connaître la paix.

S. : Quelle est la situation actuelle de la paix en Côte d’Ivoire ?

C.B.G. : La situation de la paix en ce moment en Côte d’Ivoire, n’est pas totalement reluisante. Il faut avoir le courage de le dire et ne pas verser dans un autosatisfecit. Cela dit, la Côte d’Ivoire de 2002 à 2005 est différente de la Côte d’Ivoire de 2007. Actuellement, les acteurs hier opposés, sont aujourd’hui ensemble. Ils ont quitté la position de face-à- face pour être côte-à-côte. Ils sont passés d’un stade d’adversité à un stade de fraternité...

S. : Au-delà des discours de bonnes intentions qu’est-ce qui est fait concrètement sur le terrain afin de rapprocher les populations ?

B.BG. : Hier 6 décembre 2007 dans l’après-midi, vous avez vu comme vous le dites, Watao et Charles Blé Goudé ensemble à une cérémonie à la Fondation Houphouët Boigny. Nous n’étions pas seuls dans cette salle en train de tenir des discours ou à signer des documents. En plus de nous deux, il y avait des autorités, de jeunes gens, une population, voire une grande foule à qui nous posions par moments des questions sur les temps forts du processus de réconciliation. Vous avez sans doute pu vous apercevoir que les réponses que l’assistance apportait à nos questions étaient bien justes. C’est la preuve que les gens s’intéressent à ce que nous faisons pour la paix, qu’ils se sentent concernés par le processus de paix.

Au-delà de ma casquette de leader des jeunes patriotes, je suis directeur d’un cabinet de communication politique. J’ai créé une plate-forme d’échanges sur la paix. A travers la plate-forme, les gens s’échangent des SMS ( des messages) sur la paix. Les meilleurs messages sont primés. Au-delà des discours comme vous le dites, j’ai initié au nom du Congrès panafricain des jeunes patriotes dont je suis le président, une caravane de la paix. Dans ce cadre, pendant plus de 5 mois, j’ai parcouru hameaux, villages, villes pour demander aux Ivoiriens d’accepter de se pardonner. Pendant ce temps, les acteurs politiques se retrouvaient à Ouagadougou.

Ainsi, dès que l’accord de Ouagadougou a été signé, le peuple a suivi. Depuis lors, des actes concrets ont été posés. Le président Gbagbo s’est rendu dans le Nord du pays à Bouaké, Korhogho... le Premier ministre Guillaume Soro a été à Gagnoa, la ville natale du président de la République. Il a même été salué la mère du chef de l’Etat. A Yopougon à Abidjan, j’ai reçu Sidiki Konaté, le porte-parole des Forces nouvelles et bien d’autres personnalités censées être proches du Premier ministre. Et puis, Guillaume Soro et moi, à plusieurs reprises, avons échangé. Aujourd’hui, les blocages psychologiques ont été levés. Nous avons foi que la paix n’est pas une utopie.

S. : Quel est, de nos jours, l’objectif de Blé Goudé et de ses jeunes patriotes ?

C.B.G. : Je voudrais tout d’abord relever que je n’ai pas de patriotes. Blé Goudé n’a pas de patriotes. Je suis à la tête de jeunes gens en Côte d’Ivoire qui estiment qu’il n’est pas normal, quelle que soit la colère qui vous anime, d’utiliser des armes à feu pour exprimer cette colère. Un tel comportement n’est pas digne de l’Afrique.

C’est cela qui a retardé l’Afrique. Ce genre de comportement, je l’ai condamné hier, je le condamne aujourd’hui, je le condamnerai demain. Je suis le fruit de frustrations. En moins de 4 ans, le régime Henri Konan Bédié m’a mis en prison au moins 8 fois en compagnie de Guillaume Soro. A cette époque, nous dirigions la frange la plus agitée de la population, c’est-à-dire les élèves et étudiants. Mais en aucun moment, nous ne leur avons conseillé de prendre des fusils. J’étais en Angleterre quand j’ai appris que des coups de fusils ont tonné dans mon pays. Je suis alors retourné chez moi en Côte d’Ivoire. Je me suis mis du côté de la loi et de la république.

Nous avons décidé de résister. Bien entendu, cela n’était pas dans le schéma de nos ancêtres, les Gaulois. Ayant donc dérangé un système bien planifié, je ne suis pas surpris que l’on nous présente comme de petits voyous, des va-t-en-guerre... Et pourtant, il y a 2 ans de cela, j’ai vu la même France trembler face aux banlieusards, ces jeunes gens qui brûlaient tout sur leur passage. Près de 500 voitures incendiées en moins d’une semaine.

C’était le chao. Mais les autorités françaises ont discuté avec ces gens-là pour un retour au calme. Un des manifestants a seulement été frôlé par une bombe lacrymogène et ça été un scandale dans toute la France. Quand il s’est agi de la Côte d’Ivoire, personne ne s’est élevé contre le fait qu’on ait servi des chars aux jeunes ivoiriens. Je refuse d’accepter une telle attitude de la France en Côte d’Ivoire. Je ne suis pas d’accord. Hier je me suis opposé à la France. Mais si jamais la France se comporte de la sorte en Côte d’Ivoire ou dans un autre pays en Afrique, je m’y rendrais pour réagir. C’est une autre forme de racisme que je dénonce. Cette jeunesse à laquelle j’appartiens, refuse qu’on décide pour elle sans elle. Elle veut être associée aux prises de décisions qui engagent son avenir. Voilà le sens de notre combat !

C’est ce que j’ai fait hier avec mes amis. Nous avons estimé à un moment donné, qu’il n’était pas bienséant d’accuser toujours l’Occident d’être à la base de nos malheurs. Car quand le mur n’est pas fissuré, le lézard ne peut pas y pénétrer.
Il fallait même que l’on se remette en cause, que l’on fasse une introspection pour voir ce que nos avons fait jusque là afin de corriger le tir. C’est à partir de là que nous avons engagé la caravane de la paix, pour aller vers nos frères, présenter nos excuses à ceux qui auraient été choqués.

En retour, eux aussi nous ont présenté leurs excuses. Depuis lors, nous sommes ensemble. Blé Goudé depuis un certain temps est en tournée à travers la Côte d’Ivoire pour porter le message de la réconciliation, de la paix. Ceux qui étaient des ennemis hier, travaillent aujourd’hui ensemble pour un retour de la paix en Côte d’Ivoire et cela, avec l’aide de notre voisin, le Burkina Faso. Ce pays a compris que quand la case de ton voisin brûle, il faut l’aider à éteindre le feu. L’Europe nous utilise, nous oppose les uns aux autres pour mieux nous contrôler, pour mieux nous exploiter. Le président Gbagbo l’a compris, le président Blaise Compaoré l’a compris, les autres présidents africains l’ont compris. Ils ont maintenant besoin du soutien de toute la jeunesse pour que l’Afrique aille de l’avant. Voilà ce que je suis en train de faire. Par ailleurs, être leader des jeunes patriotes n’est pas une profession. J’ai été à l’Université de Manchester où j’ai suivi une formation en politique et communication. Je suis directeur d’un cabinet de communication qui conseille les hommes politiques.

S. : Plus de 200 journalistes séjournent en ce moment en Côte d’Ivoire à la faveur des 39es assises de l’Union internationale de la presse francophone (UPF). Le thème de ces présentes rencontres est médias, paix et démocratie . Quel est votre commentaire là-dessus ?

B.G. : Je suis content que ces 200 journalistes d’horizons divers séjournent en Côte d’Ivoire, un pays supposé être en guerre. La présence de ces journalistes en terre ivoirienne, est une autre forme de soutien à l’Accord politique de Ouagadougou. C’est une autre forme de soutien au processus de paix. C’est une autre manière de dire que la Côte d’Ivoire n’est plus une destination à risque. Le journaliste observe, rend compte, formate l’opinion. Je les salue pour la marque d’intérêt et le soutien qu’ils apportent à la Côte d’Ivoire. Parlant maintenant du thème de ces assises, je crois que le journaliste joue un rôle primordial dans tout conflit : c’est lui qui observe et qui relate. C’est lui qu’on lit, écoute... Je souhaite que ceux-ci prennent la mesure de l’importance de ce thème pour la Côte d’Ivoire. Ils doivent très bien le décortiquer et surtout, ne pas ranger les conclusions dans les tiroirs. Il faut les appliquer sur le terrain. Je suis heureux que des journalistes viennent en Côte d’Ivoire pour confronter leurs idées à la réalité du terrain, qu’ils puissent discuter et se contredire sur certains sujets d’actualité car la vérité est filles des contradictions. J’ai suivi les débats de loin certes, mais j’encourage ce genre de rencontres.

S. : Avez-vous foi à l’ Accord de Ouagadougou ? Et doit-on parler de calme ou de paix dans la situation actuelle de la Côte d’Ivoire ?

B.G. : J’ai foi à l’Accord de Ouagadougou. Cet accord a été signé à un moment où tous ceux qui étaient sur le ring étaient essoufflés. L’ Accord de Ouagadougou a eu une chance que les autres accords n’ont pas eu. Au moment où on signait les accords de Marcousis, de Lomé ou de Prétoria, Babylone était toujours là, faisant croire à chacun des acteurs que d’un moment à l’autre, il pouvait lui donner le pouvoir. Il avait érigé un mur entre les acteurs afin de distiller des mensonges de part et d’autre.

De nos jours, le mur est tombé. Les acteurs se sont rencontrés, se sont parlés. Ils ont compris que rien de fondamental ne les divisait. C’est en ce moment que l’Accord de Ouagadougou a été signé. Cet accord a été signé par 3 personnalités : le président Gbagbo, (le président contesté), le secrétaire général des Forces nouvelles, Guillaume Soro (opposant du président Gbagbo) le président du Faso, Blaise Compaoré (accusé d’être celui qui attisait les braises). Dès l’instant où ces trois personnalités ont dit “ça suffit”, tout le monde a suivi. J’ai foi en cet accord. Mon équipe et moi sommes prêts à aller partout où il faut pour que l’ Accord de Ouagadougou soit adopté par toutes les populations. Nous nous sommes engagés à repousser les armes par la parole. Au moment où je vous parle, cela est presqu’une réalité sur le terrain. Le reste relève de la passion politique. Certains leaders politiques racontent des choses totalement fausses à leurs militants pour donner l’impression qu’ils comptent, qu’ils existent. La vérité est qu’en Côte d’Ivoire, on ne parle plus de guerre. On parle de désarmement. Voyez-vous, Watao, est armé mais je dors avec lui dans la même chambre. Son fusil n’est plus une menace pour moi. Aujourd’hui, la réconciliation est telle que Watao ne peut pas retourner son fusil contre moi. Il a lui même, à plusieurs reprises, dit qu’il ne veut plus que le sang coule en Côte d’Ivoire. L’Accord de Ouagadougou a été signé en terre africaine par des Africains. Nous avons le devoir de montrer au reste du monde que les Africains sont capables de surmonter leurs contradictions. J’ai foi à cet accord. Je ferai tout pour que l’histoire retiennent que c’est l’Accord de Ouagadougou qui a apporté la paix en Côte d’Ivoire.

S. : Feu le président Houphouët Boigny disait que la paix n’est pas un mot mais un comportement. Cette vision est-elle partagée par tous les acteurs politiques de la Côte d’Ivoire ?

B.G. : Quand je reçois avec mes parents les Forces nouvelles dans mon village et qu’on partage un repas ensemble, n’est-ce pas une attitude africaine de réconciliation et de recherche de la paix ? Quand j’invite le Premier ministre Guillaume Soro, mon ami, à Gagnoa, dans le village natal du chef de l’Etat et que tout Gagnoa sorte pour scander son nom n’est-ce pas un comportement synonyme de recherche de la paix ? Quand je reçois le commandant Watao, ancien chef de guerre dans mon village et que moi-même je me rende à Bouaké où je passe la nuit dans sa chambre, c’est la preuve qu’au-delà des discours nous vivons ensemble. C’est cela la traduction concrète de l’idée du président Houphouët Boigny. Au lieu de nous appeler la nuit au téléphone pour rigoler et que le jour venu nos militants se mettent à se battre, au lieu d’être hypocrites, nous avons décidé, au-delà de nous-mêmes, de sauver des vies humaines. Croyez-moi, nous ne sommes pas des cinéastes. Nous ne faisons pas du cinéma. Nous assumons la lourde responsabilité qui est la nôtre. Nous avons connu la guerre pour que nos enfants connaissent la paix. Beaucoup de leaders africains ont été assassinés parce que ce que l’Occident veut, ce sont des sous-préfet locaux qui gèrent et protègent leurs intérêts. Mais ce que nous nous voulons, ce sont des chefs d’Etat qui gèrent effectivement des pays africains. Patrice Lumumba n’a pas eu cette chance, Kwamé N’Krumah non plus. Nos chefs d’Etat actuels ont cette chance. Il est du devoir et de la responsabilité de la jeunesse actuelle de soutenir, de défendre et d’encourager les chefs d’Etat à œuvrer pour le bonheur des populations, à résister au dicktat de Babylone.

S. : Vous êtes en ce moment, frappé par une mesure de l’ONU qui vous interdit de voyager au-delà de la Côte d’Ivoire. Comment avez-vous accueilli cette sanction onusienne et comment la vivez-vous ?

B.G. : Tout d’abord, je trouve que cette sanction est une injustice. Il fallait, selon la logique de l’ONU, sanctionner des gens certes, mais moi je ne suis pas un acteur principal du conflit ivoirien. Je connais très bien le jeu de l’ONU. Je sais pourquoi elle a été créée. L’ONU a vu le jour au lendemain de la deuxième guerre mondiale pour protéger et gérer les intérêts des alliés qui ont remporté la guerre au détriment des vaincus. Sinon comment expliquez-vous le fait qu’aujourd’hui, l’Allemagne, le poumon de l’économie de l’Union européenne ne fasse pas partie des membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU ? La raison est toute simple. C’est parce que l’Allemagne a perdu la guerre. A partir de cela, vous comprendrez que l’ONU a été créée pour étendre la puissance et la domination des membres permanents du Conseil de sécurité. Et de ce fait, tous ceux-là qui s’élèveront contre cet ordre préétabli, tous ceux qui jouent un rôle d’éveil des consciences sont à punir. Je considère que c’est la seule raison pour laquelle j’ai été punie. Si l’ONU m’avait puni parce qu’il y a une guerre dans mon pays, cette punition n’a plus sa raison d’être aujourd’hui où les ennemis d’hier font le tour de la Côte d’Ivoire, main dans la main pour diffuser des messages de paix, de réconciliation auprès des populations. Mais en vérité, cette sanction ne me gène pas du tout. La plus grande frustration que je vivais en tant qu’Ivoirien c’est de ne pas pouvoir me rendre dans une partie de mon pays. Aujourd’hui, je le fais avec beaucoup de plaisir. Mais si l’ONU ne fait pas sa mue, elle risque de connaître petit-à-petit le même destin que la défunte SDN qu’elle a remplacée.

Entretien réalisé à Yamoussoukro
par Rabankhi Abou-Bâkr ZIDA
rabankhi@yahoo.fr

Sidwaya

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