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Les politiques face au 11-Décembre : Sage décision pour les uns, comédie pour les autres

Publié le lundi 10 décembre 2007 à 13h26min

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Me Sankara

Le gouvernement burkinabè a décidé de commémorer désormais le 11-Décembre avec faste, date marquant l’Indépendance du Burkina Faso . Cette décision est diversement appréciée par certains leaders politiques. Me Bénéwendé Stanislas Sankara, président de l’Union pour la Renaissance/Mouvement sankariste parti de l’opposition, et le député Achille Tapsoba du Congrès pour la démocratie et le progrès (parti au pouvoir), jettent un regard sur les 47 ans d’Indépendance et apprécient la décision gouvernementale.

Sidwaya (S) : 47 ans après la proclamation de l’Indépendance, peut-on dire aujourd’hui que les objectifs, les attentes des populations sont comblés ?

Me Bénéwendé Stanislas Sankara, député de l’UNIR/MS : Franchement non. D’ailleurs, cela donne raison à ceux qui disaient dans les années 60 an sein de la FEANF (Fédération des étudiants d’Afrique noire francophone) qu’il s’agissait d’indépendances octroyées, d’indépendances formelles qui n’ont pas de sens pour les pays africains tant que les indépendances n’étaient pas suivies d’indépendance économique à travers une prise de conscience africaine. Depuis les années 63 avec la naissance de l’OUA et le débat sur l’unité africaine, on se rend compte 40 ans après que l’Afrique tout entière est restée à la croisée des chemins. Et aujourd’hui, il y a tellement de propositions, qui tendent à focaliser le débat sur comment sortir l’Afrique de son arriération mais à travers des schémas économiques. Je vais par exemple citer les récentes propositions faites comme mécanisme à savoir le NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique), il y a eu bien sûr avant le NEPAD, beaucoup de propositions mais l’Afrique est toujours en marge du développement. Regardez un peu l’Inde et la Chine qui deviennent aujourd’hui des pays qui inquiètent les grands du monde.

C’est parce que ces Etats ont compris la nécessité d’investir véritablement dans l’homme, le développement participatif, en permettant à l’homme d’avoir d’abord une certaine expertise mais également en l’associant à la démocratie véritable. Si on fait le bilan, c’est vrai que c’est tout un processus, mais une indépendance formelle restera toujours une indépendance formelle c’est-à-dire que la véritable intégration de l’Afrique est la libération par elle-même et ensuite par son engagement au processus de développement.

Malheureusement, l’Afrique a été trop balkanisée et est obligée de lutter aussi sur le terrain politique pour acquérir son unité. Il y a de grands ensembles qui se créent aussi bien en Afrique de l’Ouest, en Afrique centrale, australe. Il y a aussi les pays arabes qui s’organisent. C’est un processus politique qui tend à lever des barrières. Je pense que même si les objectifs ne sont pas atteints il y’a que ce dynamisme qui se traduit au fur et à mesure dans les volontés politiques de certains Etats nous amène à croire que l’Afrique ne sera pas éternellement à la traîne. Mais cela n’a que trop duré. Un quart de siècle, ce n’est pas petit. Nous avons besoin d’être également dans le concert des nations à l’heure des TIC (Technologie de l’information et de la communication), d’être présent à l’heure ou on parle de globalisation. Cela veut dire que l’Afrique doit en tant que continent qui est le pourvoyeur de toutes les ressources des autres continents avoir plus que jamais son mot à dire. C’est vrai que des instruments juridiques internationaux existent mais la volonté politique reste toujours à la traîne. Ce qui fait qu’on encourt des conflits que l’on peut citer à souhait. Mais, l’impérialisme a toujours été ce satan interplanétaire qui travaille également à la division de l’Afrique.

Le député Achille Tapsoba

Achille Tapsoba, député CDP : Je dois préciser que lorsque vous parlez des attentes des populations 47 ans après les indépendances, je dois faire la part des choses entre deux types d’attente.
L’Indépendance était liée à une attente des populations à savoir l’acquisition de l’autonomie politique, donc l’indépendance politique. Et avec cette autonomie politique, la possibilité pour le peuple autour de ses dirigeants d’oeuvrer pour sortir de son sous-développement et acquérir un niveau politique, économique, social et culturel assez viable pour l’ensemble des populations de la Haute-Volta de l’époque, actuel Burkina Faso. De ce point de vue et au regard de ce type d’attente, on peut dire aujourd’hui que le Burkina Faso, 47 ans après son indépendance, a atteint une certaine maturité politique dans la gestion de son autonomie politique de cette.

Bien sûr, le parcours a été jalonné de beaucoup de vicissitudes , l’autonomie n’a toujours pas été exercée conformément à ce que l’on aurait souhaité et à ce que les populations auraient voulu. Elle a toujours été émaillée à certains moments beaucoup plus qu’à d’autres par des semblants de mise en parenthèse de cette affirmation de l’autonomie par une forte dépendance vis-à-vis de la métropole, de la France, des puissances économiques et financières. Mais de plus en plus, on est en train de vivre ce qu’on peut appeler cette autonomie retrouvée après avoir traversé une longue expérience de maturation, autonomie retrouvée à travers la Constitution de la république qui sanctionne non seulement une étape très importante dans l’évolution socio-politique de notre pays mais également cette volonté pour le peuple burkinabè de se forger lui-même son propre destin.

Je dois dire que le coup de fouet de l’affirmation de cette autonomie a été donné par la Révolution d’août 1983 qui a montré effectivement en quoi l’autonomie politique est un bien chèrement acquis par un peuple et ne saurait se brader d’une manière ou d’une autre par une quelconque dépendance à-plat-ventriste vis-à-vis de l’extérieur, vis-à-vis de l’ancien colonisateur. Je pense que ce type d’attente de la part de nos populations est presque une réalité quoique cette réalité reste encore à consolider au jour le jour. C’est un acquis qui peut être perdu selon les systèmes politiques que nous mettons en place ou selon les dirigeants politiques que nous avons en face.

Aujourd’hui avec le président Blaise Compaoré, nous sommes fiers de constater que notre pays s’affirme sur le plan international dans le concert des nations comme étant un pays qui sait prendre des décisions, qui sait intervenir, qui sait contribuer à la paix internationale, à la paix universelle. Le deuxième type d’attente lié aux indépendances est bien sûr, qu’avec l’indépendance, ces populations s’attendaient à pouvoir elles-mêmes, à partir de la direction de leurs dignes fils, de leurs dirigeants, pouvoir travailler à sortir du sous-développement et acquérir un bien-être aussi bien social, économique, politique que culturel. De ce point de vue, peut-on dire 47 ans après qu’on a atteint ce bien-être ?

Je crois que le combat, nous pouvons le faire tous ensemble à savoir que ce bien-être reste encore une gageur, un défi. C’est un défi qui nous interpelle à plusieurs titres et dans plusieurs domaines à la fois. Etant entendu que notre pays se révèle être un pays où le courage est plus déterminant que les ressources naturelles, il est évident que ces attentes sont toujours là et les populations au fur et à mesure espèrent que les solutions mises en œuvre par les différents programmes de lutte contre la pauvreté, par les différents programmes d’appui au décollage économique pourraient contribuer à faire en sorte qu’elles puissent parvenir un jour, très proche, à ce bien-être auquel elles aspirent.

Mais pour l’essentiel, on peut dire que de grands efforts ont été faits même dans le domaine de ce que l’on peut considérer comme étant les aspirations des populations au bien-être social, économique et culturel. Des pas ont été franchis et je veux pour preuve, les progrès réalisés dans le domaine de la santé, de l’éducation par rapport aux décennies passées. Ces efforts sont la somme de tous les régimes qui se sont succédé de 1960 jusqu’à nos jours. Chacun a apporté une pierre à la construction nationale, certains beaucoup plus que d’autres mais c’est la somme qui est constatée aujourd’hui comme étant ce progrès qu’on a réalisé dans l’accès aux soins de santé, à l’éducation, à l’eau potable. Tout cela contribue à faire en sorte qu’on évolue tranquillement vers le bien-être tant attendu par toutes les populations burkinabè. De ce point de vue également, on peut dire que l’espoir est permis.

S : Après une longue période de commémoration sobre du 11-Décembre ,le gouvernement a décidé de commémorer désormais avec faste cette date marquant la fête de l’ndépendance. Quelle appréciation faites-vous de cette décision gouvernementale ?

Me Bénéwendé Sankara : La décision du gouvernement de commémorer le 11-Décembre avec faste est une décision comique. C’est vraiment de la comédie. Vous savez que le 11 décembre, c’est quelque deux jours avant le 13 décembre. Est-ce que cette décision s’inscrit dans le cadre de la renaissance démocratique subitement inventée par le régime en place ou bien c’est dans le souci de dire que le 11 décembre au moins est une date de référence de l’unité nationale ? On ne me dira pas que c’est M. Blaise Compaoré qui a amené la Haute -Volta à l’indépendance. Le 11-Décembre a toujours existé. En tant que Burkinabè nous l’avons, étant jeunes, célèbré sous d’autres cieux, sous d’autres régime. il y eut une époque où le 11 Décembre était rentré dans les oubliettes.
Aujourd’hui, ça fait 47 ans que l’on veut se souvenir et donner un contenu au 11-Décembre. Nous sommes à quelques encablures de la cinquantaine. Pourquoi ne pas se donner suffisamment de temps et célébrer les 50 ans avec faste comme on le dit, si tant est que les autorités de ce pays s’attachent beaucoup à ce mot. En réalité, ces trouvailles visent des desseins inavouables. Le premier dessein condamnable, c’est de chercher coûte que coûte, vaille que vaille, à masquer les activités du 13 décembre qui sont les activités commémoratives du 9e anniversaire de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo. Ensuite célébrer avec faste ,cela suppose qu’il faut beaucoup d’agent. Le chiffre officiel avancé est estimé à 500 millions de FCFA. Je pense que ce n’est pas opportun.

On a toujours d’une manière ou d’une autre célébré le 11-Décembre. Mais ce qui est important pour les Burkinabè, c’est de lui donner un contenu qui rassemble l’ensemble des Burkinabè que vous soyez révolutionnaire, réactionnaire ou contre -révolutionnaire , que le 11-Décembre soit véritablement le ciment de l’unité nationale. A cela, on aura véritablement intérêt. Mais tel que présenté par le gouvernement, c’est comme si les Burkinabè n’ont autre chose que de fêter. Ce n’est pas le sens premier qu’il faut donner à la fête de l’indépendance. C’est d’abord un acquis de lutte. C’est également la preuve que les Burkinabè veulent se souder autour des valeurs de démocratie pour construire ce pays dans l’unité nationale, dans la solidarité avec la promotion des valeurs qui nous sont chères. Il ne s’agit donc pas simplement de festoyer et contrairement à ce que dit le ministre de l’Administration territoriale, qu’on ne peut pas régler tous les problèmes avant de fêter.

Moi je pense que 47 ans après, s’il faut fêter le 11-Décembre, il faudrait lui donner la plénitude de son sens qui est que les Burkinabè en accédant à l’indépendance se sont donné un destin. C’est le moment de l’introspection, de se poser des questions et se tourner vers l’avenir. Mais tel que présenté, c’est comme si le Burkina, pays le plus pauvre de cette planète, les autorités n’ont plus rien à proposer que de nous ridiculiser. Si c’est dans l’intention de masquer les crimes impunis, la malgouvernance, si c’est nous amener à ne pas dénoncer les dérives de la démocratie, le gouvernement a raté. Franchement, il a botté en touche.

Achille Tapsoba (AT) : Je pense que c’est un rétablissement d’une qualité qu’on doit attribuer à la commémoration de la fête nationale dans notre pays.
C’est une remise en ordre des choses dans la mesure où c’est un jour qui mobilise toute la nation pour qu’elle puisse faire le point de l’année et savoir communier avec toutes ses entités afin de consolider la marche de notre pays vers son avenir radieux. C’est tout à fait normal, le fait de décider de redonner à cette célébration tout son éclat, toute sa dimension surtout, et de faire en sorte que ce soit une commémoration qui concerne toute la nation. C’est une décision, très juste, salutaire, dans la mesure où l’abandon de ce caractère festif et même de l’éclat pouvait nous amener progressivement à perdre les couleurs de notre pays, l’identité nationale qui nous réunit tous dans cet espace géographique qu’on appelle le Burkina Faso. Je pense que c’est une bonne chose que d’avoir enfin rétabli l’ordre des choses.

En fait la suppression du caractère festif, il faut le rappeler aussi, relevait d’une autre façon de voir, à savoir qu’on avait estimé que le 11- Décembre n’était pas suffisamment caractéristique pour le pays. C’était un raisonnement qui était lié à une façon de voir idéologique qui faisait en sorte que le 11-Décembre était dévalorisé et qui, par conséquent, lui enlevait également l’apport financier qui sous-tendait sa commémoration.

On estimait à l’époque que cette commémoration était onéreuse. Je pense que ce raisonnement qui était lié à une certaine époque et à un certain nombre de considérations devrait pouvoir être remis en cause, compte tenu du fait que c’était un passage que notre pays a vécu. Avec tout ce que cela comporte comme éléments d’analyse et de contradiction, nous devons tous reconnaître aujourd’hui que ce qui peut unir notre nation, c’est cette célébration du 11 décembre qui nous ramène au niveau de notre identité nationale commune. C’est tout à fait juste. Avec le 11-Décembre, c’est bien sûr le 5 août qui est aussi une date qu’il faut continuer à commémorer dans la mesure où c’est cette date qui marque la proclamation de l’indépendance de notre pays.
Je pense que c’est une sage décision que tous les Burkinabè et tous ensemble, nous devons apprécier l’importance de cette décision et accepter consentir des sacrifices pour que la commémoration soit à la hauteur de la dimension que notre pays veut se donner à lui-même à travers la mise en avant de la capacité à unir ses fils autour d’un idéal qui est de travailler à asseoir son bien-être économique ,social et culturel pour l’ensemble de toutes les populations.

La commémoration de cette date permet également à la jeune génération de renouer non seulement avec la compréhension de l’importance de cette commémoration mais aussi quelle puisse être le vecteur pour continuer à porter le fils conducteur de l’unité nationale de génération en génération. Une rupture dans ce sens peut être fatable à l’avenir du pays, à la consolidation de la conscience collective. C’est pourquoi il faut de mon point de vue pour que la jeune génération puisse récupérer le symbole que constitue le 11-Décembre se approprier et être à mesure de pouvoir transmettre aux générations à venir, le sens de ce symbole. Je pense qu’il ne faut pas lésiner sur les moyens d’autant plus que la conscience civique est une chose sans laquelle il serait difficile de maintenir la cohésion nationale.

A partir de ce moment, je pense que les jeunes actuellement auront recommunié avec cette conscience collective nationale et en même temps consolider leur foi en l’avenir du pays et consolider leur base d’appui pour continuer l’œuvre de leur prédécesseur, de leurs grand-parents et arrière-grands-parents et transmettre aux générations à venir ce grand message que notre nation porte toujours le 11-Décembre, à savoir que l’indépendance, l’autonomie d’un pays, c’est le début, le coup de pouce le plus important pour que le pays puisse se développer, se retrouver en lui-même et œuvrer pour son bonheur et de bonheur de ses fils de génération en génération et non pas pour le bonheur d’une seule génération au détriment des générations à venir.

Enok KINDO

Sidwaya

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