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Carriérisme à l’université : un mal très profond

Publié le mercredi 2 juin 2004 à 09h10min

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"Crise ivoirienne, jamais entendu parler. Jean Hélène ? connais
pas !". Bien que la Côte d’Ivoire ait quasiment monopolisé
l’attention de la presse nationale et internationale, ces deux
dernières années, ce jeune étudiant burkinabè affirme, le plus
sérieux du monde, qu’il se met très rarement à l’écoute des
pulsations du monde.

Pendant donc que la tragédie ivoirienne
et sans doute bien d’autres drames imprégnaient les
commentaires de la presse, l’étudiant s’était confiné à ses
cours. Comme lui, beaucoup d’entre ceux qui empruntent
quotidiennement le chemin de l’université, se plaisent à dire
qu’ils s’intéressent très peu à la marche du monde ; l’essentiel
pour eux étant de se consacrer rien qu’aux études et de collecter
d’assez bonnes notes pour réussir l’année académique. Ne
leur demandez surtout pas de s’accorder un intermède pour
élargir leur horizon de culture générale car ils vous demanderont
ce à quoi la culture générale pourrait leur servir, s’ils ne vous
demandent pas tout simplement le sens de l’expression.

Le
mal est profond. Si profond qu’on en vient à s’inquiéter de la
qualité de ces dirigeants de demain. Quelle élite le Burkina
pourra-t-il s’offrir dans 5, 10 ans, si ces futurs responsables ont
un esprit fermé à tout ce qui les entoure ?

Or, les étudiants ont
tout à gagner en étant à l’écoute du monde. S’il est vrai qu’un
bon manager doit posséder une solide grille de lecture de
l’actualité, il est tout évident que, pour lui, être informé
représente un avantage certain, voire un pouvoir. De toute
évidence, se montrer convaincant crédibilise l’institution qu’il
représente.

Si rien n’est fait pour corriger cette lacune chez les étudiants, nul
doute que les débats auxquels ils participeront manqueront de
consistance et de ce fait, écorneront leur image et celle de
l’entreprise ou de l’institution qu’ils auront à représenter ou à
diriger. On est d’autant plus crédible que si l’on est capable de
soutenir une discussion avec forces détails et en faisant appel
à des références historiques. Les étudiants doivent être ouverts
aux battements du monde afin d’irriguer le débat contradictoire
de la sève nourricière de la solide culture générale qu’ils se
seront construite pour ne pas passer pour de simples
"carriéristes".

Ce n’est pourtant pas que les possibilités de se forger une
solide culture générale ne s’offrent pas à eux. Avec la télévision,
les journaux, la radio et par-dessus le marché l’ère des
nouvelles technologies de l’information et de la communication,
les portes de la civilisation universelle leur sont grandement
ouvertes.

Mais au lieu de profiter de l’aubaine, certains refusent
de voir la réalité en face, prétextant que le contexte n’est pas le
même que celui des années 60, 70 et 80. Ils avancent que leurs
conditions de vie et de travail sont devenues si dures, si
différentes de celles de leurs parents, qu’ils se préoccupent
plus de problèmes existentiels que de culture générale.

C’est
vrai qu’il fut un temps où dire qu’on était étudiant suscitait
convoitises, suscitait le respect et la crainte à cause des
nombreux avantages dus à ce statut d’étudiant. Mais est-ce
parce que ces avantages ont disparu que la culture générale ne
doit plus intéresser ? Faux argument.

Beaucoup d’entre ceux qui sont nés sous une belle étoile ne
sont pas à l’abri du mal de l’inculture. C’est dire que la volonté
de se cultiver est avant tout un état d’esprit.

Si à l’époque du
colon, et des premières décennies de l’indépendance, les
élèves avaient la soif du savoir en s’ouvrant à tous les courants
de pensée, aujourd’hui, on est passé à un autre extrême : celui
de l’inculture et de l’abrutissement.
Le palmarès en matière de conquêtes féminines, le nombre de
bouteilles de bière "terrassées" au cours de la semaine, le
programme du week-end qui s’annonce, voici grosso modo les
sujets discutés entre étudiants, qui ne cèdent aucune place
aux commentaires sur l’actualité.

Le mythe des 3B (la bière, la
brochette et la b...), un triptyque du cru de Laurent Bado, n’aura
jamais été aussi tenace et réel.
Il est du devoir de l’université de réagir face à un mal dont la
mesure pourrait être prise par le constat amer que de plus en
plus, est loin l’époque où certains professeurs commentaient
l’actualité en classe au cours d’une brève détente qu’ils
s’accordaient avec les étudiants.

Certes, on ne dit pas de
chloroformer les esprits des étudiants en parlant de politique,
mais il s’agit de discuter avec eux de l’actualité et des grands
courants idéologiques et littéraires. Quelle que soit la discipline
académique de l’étudiant, cela a l’avantage de les préparer à se
défendre face à certains sujets d’actualité et à se préparer pour
affronter ce monde en globalisation. Si les meetings d’anciens
étudiants comme le Sénégalais Djibo Leity Kâ drainaient des
foules enthousiastes, ce n’était pas le fait du hasard : il a appris
à se cultiver.

La culture générale ne saurait s’acquérir sans l’apport de
l’université en matériel adéquat pour les étudiants. L’université
doit être soucieuse de fournir ou de recommander des livres de
qualité.

Mais si malgré tout, les étudiants, surtout ceux qui sont
inscrits en facultés de sciences exactes, hésitent toujours à
sortir de l’univers des maths et de la physique, qu’ils n’oublient
pas que Ahmadou Kourouma, bien que scientifique, Louis le
Prince Ringuet, Frantz Fanon et bien d’autres encore, s’étaient
dotés d’une vaste culture générale qui leur a permis d’écrire des
livres qui font date.

Mais dans un monde où le professeur lui-même est parfois
inculte et est empêtré dans ses propres problèmes, comment
avoir une éducation de qualité ? C’est d’ailleurs pourquoi les
étudiants doivent prendre conscience et ne pas compter
uniquement sur l’enseignant. Dans le cas contraire, il sera
moins compétitif que l’étranger du Bénin, du Cameroun ou du
Sénégal avec l’ouverture des frontières qui suppose une libre
circulation des services et de l’emploi.

Le Pays

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