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Alliance Khadaffi- Gbagbo : Vers une désintégration de la CEN-SAD ?

Publié le mercredi 2 juin 2004 à 09h13min

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B. Compaoré et
M. Khaddafi

Au sommet des chefs d’Etat tenu les 15 et 16 mai dernier à Bamako au Mali, les participants, au premier rang desquels le premier des Burkinabè à savoir Blaise Compaoré, ont été surpris par l’arrivée, à la limite triomphale, de Koudou Laurent Gbagbo, chef de l’Etat de la Côte d’Ivoire, sur invitation du colonel Muammar Khadaffi qui n’aurait pas daigné informer encore moins consulter ses pairs à ce sujet.

Alors, les questions se posent : certes le guide est connu pour ses frasques, mais à s’accoquiner avec celui dont la politique consiste dans son pays à semer et à entretenir le tribalisme, l’ethnicisme et la xénophobie (surtout à l’endroit des populations d’origine sahélienne résidant en Côte d’Ivoire) alors que la CEN-SAD prône le dialogue et l’intégration des peuples qui la composent, le colonel de Tripoli n’est-il pas en train d’introduire des cellules cancérigènes dans l’entité qu’il finance à coups de milliards de francs CFA ?

Quel est celui de ses pairs qui peut s’asseoir aux côtés de Koudou Laurent Gbagbo, discuter en toute confiance et conscience avec ce dernier et engager la réalisation d’un quelconque projet ? Enfin, comment le guide libyen compte gérer et ses relations "séculaires" avec certains pays (en l’occurrence le Burkina et le Mali) et ses nouvelles amours avec le "national-socialiste" Gbagbo ?

C’est connu, les amis de mes amis ne sont pas toujours mes amis (surtout pas en politique et en diplomatie). Cette logique ne va-t-elle pas être dommageable pour le Burkina ? Autrement dit, les relations libyo-burkinabè ne vont-elles pas en pâtir ?

La personnalité de Khadaffi et son nouveau rêve

Essayer de répondre à cette série de questions suppose que l’on se penche d’abord sur le profil psychologique du guide libyen et sur la place que celui-ci veut faire occuper aujourd’hui à son pays sur le plan international. Le moins que l’on puisse dire est qu’il renferme une personnalité atypique, énigmatique, non émotive active et secondaire. C’est du moins comme cela que nous le voyons.

En d’autres termes, ses réactions sont souvent aux antipodes des règles de droit, des coutumes et des convenances diplomatiques ; il est imprévisible (même si tout le monde l’est à des degrés divers) et donc difficile à cerner, il affiche parfois une impassibilité étonnante suivie de décisions ou d’attitudes spectaculaires et déroutantes.

Quant à la place qu’il veut que son pays occupe, le signal était déjà donné par le renoncement à son programme nucléaire et avant cela par son engagement à dédommager les proches des victimes des attentats de Lockerbie et d’UTA. Ces attitudes positives lui ont valu des appréciations favorables de la part de l’Oncle Sam et de l’Europe notamment, ces deux patrons de la planète Terre.

Bien entendu, on ne saurait passer sous silence ses préférences, aujourd’hui, pour l’Afrique au sud du Sahara en lieu et place du monde arabe même si dans ce cas-ci, bien d’observateurs estiment que les visées hégémoniques et impérialistes sont bien plus importantes que la coopération et l’intégration sur des bases égales et équitables.

La CEN-SAD comme l’Albatros

Cela dit avant même que d’accueillir Koudou Laurent Gbagbo, la CEN-SAD était déjà, à l’instar de l’oiseau du poète, munie de trop grosses ailes qui au lieu de constituer un avantage pour l’envol vers la réalisation de ses projets pourraient la clouer au sol : vingt-deux pays (dont chacun compte une diversité de cultures, de langues, de religions, d’histoires politiques sans oublier les disparités au plan économique) peuvent difficilement (et là c’est un euphémisme) s’unir ici et maintenant et satisfaire les rêves de grandeur prêtés souvent au guide de la révolution libyenne.

Regardons juste en face et comparons : commencée au lendemain de la 2e guerre mondiale, l’union de l’Europe, dont les pays sont pourtant des Etats-nations (alors que les nôtres à l’exception de la Libye sont simplement des Etats) vieux de plusieurs siècles n’est pas encore à l’étape d’une constitution adoptée.

Comment pouvons-nous arriver à construire une entité politique solide au bout de quelques années ? S’il est vrai que la comparaison avec l’Europe peut ne pas être à tous points de vue pertinente étant donné que chaque peuple, chaque entité politique vit personnellement sa propre "évolution" politique, il reste que l’expérience de nos "anciens" colonisateurs peut nous éclairer et nous permettre aussi de faire l’économie de quelques mésaventures.

Alors, si on ajoute à ces contraintes de la CEN-SAD la récente cooptation de Koudou Laurent Gbagbo qui ne manque pas de faire des mécontents, l’avenir de cette organisation sera en corrélation étroite avec la capacité de la Libye du guide à financer les projets de développement dans les différents pays. Nous aurions souhaité que cette capacité soit éternelle, mais le réalisme nous commande d’être lucide, car rien n’est éternel sur cette terre et surtout pas les bonnes choses.

Et le Burkina et Blaise dans tout ça ?

Comme nous l’avons déjà dit, le nouvel axe Khadaffi-Gbagbo ne peut pas plaire aux Burkinabè, à commencer par Blaise Compaoré, qui a contribué, à travers le sommet de l’OUA tenu à Ouagadougou, à amorcer la fin de l’isolement diplomatique de la Libye au plan international. Lui-même au risque de sa vie, de la vie du président des Burkinabè, a violé l’embargo aérien imposé à Khadaffi. Où était Gbagbo ? Mieux, il a contribué à convaincre Khadaffi de renoncer à son programme nucléaire, d’indemniser les victimes des attentats de la Panam et d’UTA.

Cela n’a pas de prix, cela n’a pas de coût. Même les milliards de FCFA dont "bénéficie" aujourd’hui le Burkina de la Libye ne peuvent pas constituer la juste rétribution de ce que les Burkinabè ont fait et continuent de faire pour Khadaffi.

En effet, avec la fin de l’isolement diplomatique, les investissements européens, américains et japonais (pour ne citer que ceux-là) ne vont pas se chiffrer à des milliards de francs CFA mais au moins à des milliards d’euros et de dollars US.

Que les Burkinabè n’en soient pas contents est donc chose compréhensible ; mais nous sommes en diplomatie et quelqu’un avait dit que les Etats n’ont pas d’amis, mais des intérêts. Aussi, il nous revient, à la lumière de la nouvelle donne, de savoir comment gérer le guide et de continuer à tirer notre épingle du jeu. Blaise Compaoré a su le faire au lendemain du 15 octobre 1987 alors que Khadaffi n’était pas content de ce qui est arrivé à Thomas Sankara. Peut-être réussira-t-il encore cette fois-ci. Qui sait ?

Zoodnoma Kafando
L’Observateur

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