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Justice française : Les casseroles trop bruyantes de monsieur Chirac

Publié le jeudi 22 novembre 2007 à 13h15min

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Jacques ChiracIl était donc dit que Jacques Chirac ne coulerait pas une retraite paisible dans sa Corrèze natale ou dans l’appartement parisien que la famille de son défunt ami Rafic Hariri (Premier ministre assassiné du Liban) a mis gracieusement à sa disposition à la fin de son bail élyséen.

Quelques jours seulement après avoir pris fonction au Conseil constitutionnel (dont les anciens chefs d’Etat sont d’office membres de plein droit), l’ex-locataire de l’Elysée a en effet été entendu hier dans la matinée par la juge d’instruction Xavière Simeoni du pool financier du palais de justice de Paris.

3 heures d’audition qui ont essentiellement porté sur l’organisation générale de la mairie de la capitale et "l’organigramme des responsabilités des uns et des autres" du temps où Chirac en était le patron, de 1977 à 1995. 3 heures ponctuées par la mise en examen de l’auditionné pour "détournement de fonds publics" dans l’affaire dite des chargés de mission de l’hôtel de Ville ; ce qui signifie que pour la magistrate, il y a des "indices graves et concordants" qui pèsent contre l’intéressé. Jacques Chirac devient ainsi le premier président de la République française à être poursuivi, un "honneur" dont il se serait bien passé.

C’est en tout cas un tournant important dans ce dossier instruit depuis 1999 et qui a déjà valu la mise en examen de Michel Roussin (1) et, surtout, la condamnation en 2004 de l’ancien Premier ministre Alain Juppé à une peine de prison avec sursis et d’inéligibilité, réduite en appel.

Alors, tout le monde savait que le fusible Juppé avait sauté pour ne pas griller qui on sait, qu’il avait trinqué en lieu et place de celui qui l’appelait "le meilleur d’entre nous".

La question se posait de ce fait de savoir ce qui adviendrait de Chirac quand il perdrait l’immunité pénale liée à la fonction présidentielle. Car, si dans des affaires comme celle Clearstream, qui menace d’emporter son dernier chef de gouvernement, Dominique de Villepin, l’ancien locataire de l’Elysée peut se barricader derrière l’article 67 de la Constitution de la Ve République en vertu duquel le président "n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité" (2), tel n’est pas le cas de ces faits antérieurs à 1995, l’année de son arrivée au faîte du pouvoir.

Le dossier qui lui vaut les présentes poursuites, une affaire d’emplois de complaisance présumés payés par le cabinet du maire de Paris, couvre en effet la période de 1983 à 1998. Au total, une vingtaine de personnes sont suspectées d’avoir attribué ces fameux emplois litigieux ou d’en avoir bénéficié dans les années 80 et 90.

Au nombre de ces dernières (les bénéficiaires présumés), on cite, à titre d’exemples, l’épouse de l’ancien ministre Hervé de Charette, François Debré, frère de Jean-Louis Debré (3), Marc Blondel, ancien secrétaire général du syndicat Force ouvrière, Raymond-Max Aubert, qui fut maire de Tulle (en Corrèze) ou encore Claude Chirac, la fille de son père.

La justice, qui piaffait d’impatience depuis des lustres aux portes de l’Elysée a donc fini par remporter une manche décisive et si ça se trouve, elle doit savourer une petite revanche mêlée d’orgueil pour avoir accroché la tête d’une telle personnalité à son tableau de chasse.

Le 19 juillet 2007, un mois à peine donc après la perte de son immunité présidentielle le 16 juin, le pauvre Jacques, que de petits juges malmènent ainsi, avait déjà été entendu une première fois, comme "témoin assisté", dans cette histoire d’emplois fictifs. Preuve qu’ils l’attendaient vraiment de pied ferme.

Le voici désormais pris dans le tourbillon judiciaire (il sera de nouveau entendu d’ici quelques mois) sans qu’on puisse dire véritablement si cette procédure ira jusqu’au procès, dans la mesure où, en l’espèce, il y a loin de la coupe aux lèvres.

Certes, aucun enrichissement personnel n’est, pour le moment, reproché à celui qui était encore, il y a peu, le premier magistrat français, mais cette nouvelle donne ternit davantage l’image d’un homme qui est loin d’être un modèle de vertu.

Dieu seul sait si, en 40 ans de vie publique, celui qui fut une véritable bête politique, pour qui la fin a toujours justifié les moyens, traînent de nombreuses casseroles derrière lui, les unes plus bruyantes que les autres, à l’image de ce compte bancaire japonais bien consistant qu’il est réputé avoir.

Emplois fictifs donc, HLM de Paris, marchés truqués d’Île-de-France, ces cadavres qui votaient... sauf à prétendre qu’il n’était pas au courant de ce qui se passait dans sa mairie (ce qui, au demeurant, ne l’exonérerait pas de sa responsabilité), il va être difficile à l’inculpé de luxe de montrer patte blanche.

Toute réflexion faite, le qualificatif d’Africain, dont on habillait volontiers notre ami Jacques, ce n’est pas seulement pour sa défense des pays pauvres, pour son amour des arts premiers ou pour ses effusions et ses émotions bien nègres, c’est aussi pour cette part d’ombre et d’opacité bien de chez nous.

Pourtant, si c’est la première fois que l’ouverture d’une information judiciaire touche un ancien président de la République française, tel n’est pas le cas de l’Afrique où quelques Ex ont eu maille à partir avec la justice de leur pays.

On se rappelle en effet les cas de Kenneth Kaunda, emprisonné sans jugement pour corruption en 1997, et celui de son successeur à la tête de l’Etat zambien, Frederik Chiluba, dont on a contesté la nationalité après qu’il eut exercé la magistrature suprême une décennie durant (de 1991 à 2001) ; de Moussa Traoré du Mali, condamné à mort pour crimes de sang en 1992 et en 1999 pour crimes économiques avant d’être gracié en 2002 par Alpha Oumar Konaré ; ou encore, plus près de nous, de Maurice Yaméogo, jugé en septembre 1969 par un Tribunal spécial, et d’Aboubacar Sangoulé Lamizana, traîné à la barre des Tribunaux populaires de la révolution (TPR) en janvier 1984.

S’il faut proscrire la chasse aux sorcières où les règlements de comptes de la part de ceux qui n’hésitent pas tirer sur les ambulances, il ne faut certainement pas s’émouvoir outre mesure du sort de ceux qui sont rattrapés par leur passé une fois qu’ils ne sont plus aux affaires. C’est à tout le moins une école de sagesse et de probité pour eux-mêmes et pour ceux qui règnent toujours, car ce n’est pas parce qu’on a occupé les plus hautes fonctions qu’on est intouchables.

Ils font, en principe, plus attention quand ils savent que l’épée de Damoclès pend sur leur tête et qu’elle est susceptible de choir dès qu’ils deviennent des justiciables ordinaires, comme c’est le cas actuellement de monsieur Chirac.

Reste maintenant à savoir, dans un pays où la justice est jugée indépendante, de quelle marge de manœuvre son successeur, Nicolas Sarkozy (à supposer qu’il en ait envie), disposera pour alléger, ne serait-ce que par charité chrétienne, les affres judiciaires de celui avec qui il a certes eu des relations détestables ces dernières années, mais qui est, avant tout, son prédécesseur à cette charge.

Car, au-delà du citoyen Chirac, c’est l’aura, le prestige de la fonction présidentielle qui va prendre un coup même si les faits qui lui sont reprochés n’ont rien à voir avec les douze années qu’il a passé à l’Elysée.

Ousséni Ilboudo

Notes :

(1) Ancien ministre de la Coopération, actuellement responsable du département Afrique du MEDEF

(2) Ce qui exclut qu’un ancien chef d’Etat soit obligé de faire un témoignage sur des faits accomplis ou connus de lui durant son mandat et dans l’exercice de ses fonctions.

(3) Ancien président de l’Assemblée nationale, aujourd’hui président du Conseil constitutionnel

L’Observateur Paalga

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