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Education : "Et pourtant, la notion de gratuit va faire échouer la réforme !"

Publié le vendredi 16 novembre 2007 à 11h46min

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Faisant suite à la colère de Monsieur Abdoulaye DAO qui s’indigne qu’il y ait des Burkinabè qui plaident contre la gratuité de l’enseignement, André-Eugène Ilboudo persiste et signe.

"Le langage est source de malentendu" St Exupéry.

La réponse de monsieur Abdoulaye Dao, père de 7 enfants, à mon écrit sur la gratuité de l’éducation me fait comprendre mieux la lutte de certains qui veulent le préservatif aussi gratis ! C’est vrai qu’avec 7 enfants à scolariser, même pour la craie, il faut se crêper le chignon. Par courtoisie, je vais éclairer deux points car le niveau auquel il veut ramener le débat n’est pas celui que je souhaite. En écrivant sur la "gratuité de l’enseignement", je pense sincèrement avoir soulevé une question de fond qui va intéresser plus d’un Burkinabè. Mais pas le genre d’argument : nous sommes tellement pauvres que l’Etat ne doit pas nous empêcher le seul plaisir qui nous reste : faire des enfants. Il nous faut moins de passion pour débattre pour des questions de fond. La colère n’a jamais été d’un utile secours. Alors, posons le débat.

Tout d’abord, je regrette qu’il se soit laissé guider par un sentiment d’injuste colère qui fait qu’il a lu en biais l’article et ce pendant plus de deux heures. Ses récriminations ne soulèvent pas de question fondamentale sauf qu’il use de la liberté d’opinion pour écrire, que dis-je, pour parler. Heureusement que ce n’est pas un devoir sinon il n’aurait rien écrit sur sa feuille en deux heures. Et voilà la fameuse appréciation : "élève paresseux". Pis, non seulement il passe deux heures à ne pas comprendre le texte, mais surtout il est tellement en colère qu’il voit des choses inexactes. Résultat, il me prête des compétences que je n’ai pas et des intentions que je ne nourris pas.

Premièrement, je souhaite que monsieur Dao relise mon article. Nulle part je n’ai écrit que je suis économiste. C’est plutôt monsieur le Premier ministre. L’économie, ça le connaît ! Je suis littéraire de formation même si de plus en plus je lis des ouvrages sur l’économie. Et comme monsieur DAO me traite de "commerçant de l’éducation ", je ne peux pas renier ma profession. En effet, je suis d’une promotion de l’université de Ouagadougou dont tous les étudiants d’alors, sauf deux, sont aujourd’hui inspecteurs, conseillers pédagogiques, directeurs régionaux de l’Enseignement secondaire, directeurs d’établissements aussi bien dans le public que dans le privé. Je n’ai aucune honte en cela ! Par contre je suis peiné, et c’est la conclusion sommaire, si monsieur Dao n’arrive pas à lire correctement ce qui est écrit.

Deuxième point, qu’il relise bien. Je ne plaide pas pour que l’Etat "se déchausse de l’éducation". Au contraire, je plaide afin que l’Etat aille jusqu’au bout de l’absorption des coûts. Seulement, et c’est là, mon unique problème, je ne souhaite pas qu’une idée généreuse comme la prise en charge totale des coûts de l’éducation par chacun de nous (l’Etat) soit dévoyé par un discours déresponsabilisant. Voyez comment le langage populaire a compris et traduit l’impôt en mooré : Fodgo. Et comme l’impôt est assimilé à une "pure perte", l’impôt n’est pas perçu comme un devoir citoyen. Payer l’impôt, c’est plus que jeter son argent par la fenêtre pour beaucoup de citoyens. Résultat, l’on peine à récupérer l’impôt. Passe que le commun des mossé appelle l’impôt Fodgo mais qu’un agent recouvreur l’appelle aussi "fodgo"… Voyez comment une idée juste comme commencer l’apprentissage par la langue que l’enfant maîtrise le mieux et la parle tous les jours à la maison (la mauvaise traduction a vite fait de dire langue maternelle) est rendue inopérante par la mauvaise mise en œuvre, par une mauvaise explication. Peut-être parce que non seulement je suis né au village mais surtout parce que j’y ai passé toute mon enfance et travaillé presque 25 ans avec les paysans, je mesure "le poids des mots". Et parler avec les paysans mérite plus qu’une traduction littérale des mots. En mooré, "donner" est différent de gratuit. Il y a une nuance subtile. Et c’est la perception de tous ces paramètres qui fera échouer ou réussir tant d’entreprises et de projets. Et c’est toute l’importance de la culture. Un petit exemple pour ceux qui sont perdus même quand on leur parle dans leur propre langue : l’eau, elle gratuite seulement quand elle est au fond du puits. Chacun peut aller la chercher, "la puiser gratuitement". (n toog zaalem !) Mais si une femme la ramène à la maison, en ce moment, elle est offerte. (n toog n kon). Et généralement, ceux qui maîtrisent la langue mooré ne disent presque jamais "n kon zaalem". Soit ils disent : "n kon" (tout court), soit ils disent : ya zaalem&nb sp ; ! Les mots ont un sens, et il y a une infinie de nuances qui fera que votre discours sera accepté, valorisé. A contrario, par courtoisie, vous serez certainement écouté mais jamais accepté. Et vous vous étonnerez ensuite de la réaction. Encore une fois, offrir des livres à des enfants ne veut pas dire que c’est gratuit ! Faites l’effort de saisir la nuance ! Si vous dites aux parents que "tout est gratuit" la conséquence est que les gens ne se sentent pas responsables de ce qu’ils reçoivent (et je n’invente rien à propos des livres). Si vous enfoncez dans l’esprit de chacun que les livres sont gratuits (ce qui est faux car les livres ont tout de même un coût à ce que je sache) vous dépréciez l’effort de l’Etat. Donnez quelque chose ne veut pas dire que c’est gratuit. Il y a nuance. Mais encore une fois, je comprends que la finesse de l’analyse du discours n’est pas pour celui qui prend deux heures pour comprendre un petit texte !

En clair et je conclus. Si l’on ne change pas de vocabulaire, si l’on continue à ne pas mettre à contribution des linguistes, (comme les Kedrebeogo Gérard du CNRST), des sociologues (comme les Ram Sawadogo de l’Université), des communicateurs très avertis dans les langues locales (comme les Balolnaaba) pour peser, choisir les mots dans un domaine clé comme l’éducation, si nous continuons à croire que les mots n’ont pas de sens et que l’on peut les utiliser, les traduire littéralement et même les intervertir sans grand dommage, alors là, je regrette mais je persiste et signe, ce sera la notion de gratuit qui va faire échouer la réforme !

André-Eugène ILBOUDO

05 BP 6274 Ouagadougou 05

Tel. : +226 50 37 34 90/91

Portable + 226 70 20 02 60

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