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Luc Adolphe Tiao : "Il faut que les citoyens sachent où va la taxe télé"

Publié le jeudi 15 novembre 2007 à 13h46min

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Ils sont nombreux les Burkinabè qui, paient la taxe télé en sus de leur facture d’électricité, sans pour autant savoir pourquoi ils la paient et où va l’argent ainsi perçu. De l’avis du président du Conseil supérieur de la communication (CSC), les ressources générées par cette taxe devraient, en principe, soutenir la production audiovisuelle nationale. Dans l’interview qui suit, Luc Adolphe Tiao plaide pour une meilleure organisation de cette taxe, afin qu’elle alimente un fonds d’appui aux activités audiovisuelles.

Avec lui, nous avons également parlé du partenariat avec la chaîne Africable, de l’avènement de la signalétique, et des recommandations contenues dans le rapport 2006 du CSC.

Le Pays : Il y a un débat sur la légitimité de la taxe télé qui, depuis plusieurs années, est payée par les citoyens. Peut-on connaître le fondement de cette fameuse taxe ?

Luc Adolphe Tiao : Je pense que l’Etat est tout à libre d’initier toute taxe ou redevance dans le sens de pouvoir évidemment renflouer ses caisses dans l’objectif de promouvoir telle ou telle activité de développement. Je ne suis pas un spécialiste du droit fiscal, mais je pense qu’une taxe ou une redevance doit répondre à une préoccupation essentielle, doit avoir des objectifs. Il se trouve que depuis plus d’une vingtaine d’années, il existe au Burkina une taxe dite taxe télé, entre-temps devenue taxe pour le développement des activités audiovisuelles de l’Etat. Je voudrais seulement rappeler que la taxe télé existe partout, pratiquement dans tous les pays du monde. Je sais qu’en France, c’est une taxe qui est prélevée sur la vente des appareils audiovisuels. Et elle est sensée être reversée pour soutenir les activités médiatiques. Donc, cette taxe télé qui est perçue au Burkina depuis un certain nombre d’années, a sans doute permis de contribuer à l’allégement des charges de l’Etat parce qu’elle a alimenté les caisses du Trésor. Mais nous pensons maintenant qu’il faut qu’elle soit orientée vers l’appui aux activités médiatiques. C’est quand même important puisque la taxe est fonction du niveau de consommation d’électricité.

Alors, je me dis que si elle est bien prélevée et bien organisée, elle peut alimenter un fonds d’appui aux activités audiovisuelles. Je dis bien les activités audiovisuelles parce que lorsque vous regardez nos chaînes de télévision, on constate que la production nationale est encore faible. Nous sommes par conséquent obligés de consommer énormément des produits qui nous viennent d’autres pays. Et on est en droit de se demander si leur contenu est en adéquation avec les valeurs culturelles que nous avons. Or, le Burkina, par tradition, est reconnu comme étant un pays où il y a beaucoup d’initiatives en matière audiovisuelle, en matière de production cinématographique. Il faut donc que l’Etat crée un fonds et mette en place un mécanisme pour financer les productions audiovisuelles publiques ou privées. Je pense donc que dans ce sens-là, cette taxe, qui peut rapporter une part importante de ressources financières, pourrait alimenter la caisse et participer grandement à la production de documentaires, de fictions, de séries et tout autre reportage qui puissent occuper le paysage audiovisuel. Cette même taxe devrait aussi pouvoir soutenir les médias publics qui ont des contraintes en matière de reportage.

Je pense que nous avons toujours souhaité, dans la mesure du possible, que les médias publics n’aient plus à facturer les reportages. Je sais qu’à chaque fois qu’on pose cette question, les gens se demandent comment cela peut être possible. Mais l’idéal aurait été cela. Parce que la facturation des reportages dénature le métier de journaliste et dénature le contenu même de l’information. Mais ayant moi-même dirigé en son temps les médias publics, je comprends pourquoi il y a cette facturation, même si au quotidien d’Etat Sidwaya, ce n’était pas aussi systématique comme on le constate aujourd’hui. Donc, il faudra que l’effort du gouvernement, à travers par exemple cette taxe, puisse permettre de renforcer les moyens financiers de la télévision nationale ou peut- être de la radiodiffusion nationale, afin qu’on fasse la part des choses entre les publi-reportages qui sont facturés et les activités médiatiques pour lesquelles la télévision et la radio nationales sont sollicitées pour une couverture. Nous pensons donc que s’il existait un fonds spécial qui pouvait alléger les charges financières des médias d’Etat, ceux-ci pourraient choisir eux-mêmes, en fonction de leurs priorités, des centres d’intérêt de leurs téléspectateurs ou auditeurs, les activités qu’il convient de couvrir.

Il y a des gens qui disent ne pas vouloir payer cette taxe pour la simple raison que les programmes de la télévision nationale ne correspondent pas à leurs aspirations...

D’abord, ces gens-là n’ont pas le choix puisqu’on ne demande pas l’avis des citoyens avant d’imposer une taxe. C’est une contrainte de la loi. Par contre, ce sur quoi je suis d’accord avec eux, c’est que s’ils ne sont pas d’accord avec les programmes de la télévision nationale, ils ont bien entendu le droit de dire "écoutez, nous payons des taxes qui sont censées contribuer à améliorer les programmes de la télévision nationale, mais nous sommes déçus du fait que les contenus ne nous satisfont pas". Mais ils sont obligés de payer et ils n’ont d’ailleurs pas le choix puisque c’est prélevé à la source. Je pense aussi qu’il faut une activité d’informations de la part des autorités et en direction des citoyens afin qu’ils sachent réellement où va cette taxe. C’est la question principale d’ailleurs. C’est pourquoi nous avons proposé une réforme globale de cette taxe pour que les citoyens comprennent qu’elle doit contribuer effectivement à la production audiovisuelle. On ne peut pas satisfaire tout le monde à 100% ; nous sommes une quinzaine de millions de Burkinabè et il est difficile de faire un programme qui puisse satisfaire chacun d’entre- nous.

Où vont donc les ressources générées par cette taxe depuis qu’elle est payée il y a plus d’une vingtaine d’années ?

Je ne suis pas sûr et certain que les ressources que dégagent cette taxe ne sont pas reversées systématiquement dans les caisses de la télévision nationale. Il faut peut-être se rapprocher du ministère des Finances pour le savoir. C’est une taxe qui, comme les autres taxes, alimentent les caisses du Trésor. Et comme c’est l’Etat qui prend en charge les médias publics, on peut se dire quelque part que c’est la contribution de cette taxe qui permet de financer la télévision nationale. Mais il faut aller plus loin que ça. Tout ceci était encore flou jusque-là. Si cette taxe va directement dans les caisses de la télévision nationale, il faut des mécanismes pour le prouver.

Ne pensez-vous pas que les médias audiovisuels privés ont droit eux aussi aux bénéfices de cette taxe puisqu’ils font également des productions ?

Justement, nous voulons étendre cette taxe tété et faire en sorte qu’elle ne soit pas seulement destinée aux seuls médias d’Etat. Puisque , comme vous l’avez dit, les chaînes de télévision privées qui existent ont besoin d’un appui de l’Etat. Je pense donc que cette taxe pourrait, d’ailleurs comme l’indique son nom, contribuer au renforcement de leurs programmes audiovisuels.

Les Ouagalais ont droit depuis un certain temps, aux images de la chaîne Africable. Est-ce qu’on peut s’attendre à ce qu’elle émette en continu ?

Tout à fait. Et mieux, une de nos exigences, c’est d’obtenir de cette chaîne qu’elle ait des programmes conçus à partir de Ouagadougou, même si elle est basée à Bamako. Et je pense que le promoteur est tout à fait d’accord, il est en train de s’organiser pour qu’il y ait des programmes qui soient pris en compte à partir de Ouagadougou.

Pourquoi avoir accepté d’offrir la fréquence à cette chaîne ?

Parce que nous pensons que nous devons soutenir tout ce qui peut contribuer à l’intégration sous-régionale. Aujourd’hui, Africable est malheureusement la seule chaîne plus ou moins panafricaine que nous pouvons capter en clair. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, par cette chaîne de télévision, nous avons la possibilité de suivre des émissions des autres chaînes de télévision au plan international. Si vous voulez, c’est une chaîne à l’image de Euronews. Mais en plus de cela, la chaîne-même a ses propres productions. Je crois que nous devons soutenir une telle chaîne afin qu’elle puisse vraiment mettre en exergue la richesse culturelle des pays africains. C’est pourquoi nous avons soutenu ce projet et nous l’encourageons à se poursuivre davantage. Et s’il y a d’autres projets de même nature, nous allons les soutenir parce que nous sommes favorables au développement du paysage audiovisuel africain.

Elle a aussi la particularité d’émettre en UHF...

Oui, parce qu’aujourd’hui, toutes les fréquences que nous attribuons sont en UHF car d’abord la VHF se fait rare, c’est pratiquement épuisé. Et de plus en plus, il faudrait que vos lecteurs comprennent que l’UHF constitue aujourd’hui en réalité, la meilleure bande dans laquelle on peut recevoir les images de meilleure qualité. Aujourd’hui, même des équipements conçus en VHF sont rares. C’est plutôt l’UHF qui est la fréquence sur laquelle ont émet beaucoup pour l’audiovisuel, aussi bien au Burkina que dans la plupart des pays africains et à l’extérieur.

On assiste maintenant à l’avènement de la signalétique dans l’ audiovisuel au Burkina. A quoi cela répond-il ?

La signalétique vise deux objectifs majeurs : Elle permet d’abord de responsabiliser les parents dans l’éducation audiovisuelle de leurs enfants. Vous savez, lorsque vous mettez votre télévision en marche à la maison, vous n’avez pas toujours la possibilité de dire aux enfants ce qui est bien pour eux, et ce qui ne l’est pas. Comme l’indique son nom, la signalétique est donc un signal aux parents pour leur dire d’apprendre aux enfants à consommer les contenus des médias audiovisuels, notamment la télévision nationale. Je voudrais insister sur le fait que nous devons apprendre aux enfants à consommer les programmes des télévisions, parce qu’ils ne savent pas eux-mêmes que toutes les images se sont pas bonnes pour eux. Il faut donc qu’on accepte quelque part de s’investir. L’autre objectif de la signalétique, c’est d’impliquer la responsabilité des chaînes de télévision dans les programmes qu’elles diffusent. Lorsque vous regardez les chaînes de télévison privées, vous êtes quelques fois ahuri de constater qu’il y a des films tellement violents qui passent en pleine journée au moment où les enfants sont devant la télé !

Or, il y a des films qui ne peuvent pas être regardés par tout le monde. On doit donc en tenir compte pour faire les programmations. Donc, à travers la signalétique, nous voulons également engager la responsabilité des différents patrons des médias audiovisuels dans la programmation des films, des fictions, ou des séries. Nous souhaitons que l’ensemble des acteurs de ce domaine-là puissent effectivement nous accompagner dans notre préoccupation. Je pense qu’au finish, c’est tout le monde qui gagne. En instaurant la signalétique, cela va amener les médias audiovisuels à créer en leur propre sein, une espèce de visionnage des films au programme. Comme ça, on ne pourra plus voir, comme on l’a vu une fois (d’ailleurs le Conseil supérieur de la communication avait interpellé les organes incriminés), des films qui ne sont pas loin d’avoir un caractère pornographique ! Il y aura donc une responsabilité interne qui va être instaurée par la signalétique au niveau de chaque organe audiovisuel.

Pourquoi avoir attendu maintenant pour y songer ?

Je pense qu’il faut plutôt nous féliciter d’avoir commencé ! (Rires). Mais pour vous répondre, je dirais que c’est peut-être parce qu’on n’était pas prêt, ou qu’on n’avait pas encore l’expérience des autres. Mais le plus important c’est que nous avons commencé.

Autre chose à présent, vous avez remis lundi dernier le rapport 2006 du CSC au Président du Faso. Quelles en étaient les grandes lignes ?

Nous avons effectivement eu l’honneur de remettre, le 12 novembre dernier, le 10e rapport d’activités de l’institution qui correspond, je crois, au 5e rapport que nous présentations en tant que Conseil supérieur de la communication. Nous y avons fait une évaluation de la couverture médiatique des élections du 23 avril 2006 et nous sommes parvenus pratiquement aux mêmes conclusions que nous avons en général. Le constat reste que les espaces qui sont mis à la disposition des partis politiques ne sont pas toujours utilisés au maximum. Il y a donc tout un problème d’organisation, un problème de communication constaté au niveau des partis politiques. Nous avons vu que les médias publics, aussi bien que les médias privés, s’investissent énormement dans la couverture des élections. C’était donc bien que les partis politiques développent des stratégies qui leur permettraient d’être beaucoup plus présents sur les antennes des radios et dans les colonnes des médias. En seconde position, nous avons fait une esquisse de la régulation de façon générale au Burkina Faso. Et ce qu’on peut dégager comme conclusion, c’est que le paysage médiatique burkinabè se renforce énormément et qu’il y a une amélioration dans les contenus des médias, notamment les médias audiovisuels. Nous avons toutefois souligné que, du fait du peu de qualification des hommes de média, la question de la formation se pose avec acuité. Il nous a donc paru nécessaire de demander au gouvernement de faire de telle sorte que nous puissions disposer de plus de moyens pour appuyer la formation des journalistes, afin de relever le niveau des médias dans leur ensemble. Dans cet ordre d’idées, nous avons fait un certain nombre de recommandations dont l’aboutissement nous tient coeur.

Et que comptez-vous faire pour obtenir la mise en oeuvre effective de ces différentes recommandations ?

Il y a certainement des gens qui se demandent quelle sera la suite à donner à ces recommandations. Cette année, nous avons beaucoup insisté sur les recommandations, et le Chef de l’Etat, dans son discours, a dit qu’il existe une cellule au Premier ministère qui va se pencher sur ces recommandations. Je voudrais rassurer les uns et les autres que nous allons particulièrement veiller à l’aboutissement de ces recommandations. Dans les meilleurs délais, nous allons entrer en contact avec ledit service du Premier ministère pour voir concrètement la situation de ces recommandations. Il s’agit d’ailleurs de recommandations qui ne valent pas grand-chose, qui ne coûtent pas des moyens financiers à l’Etat. Lorsque nous demandons par exemple l’instauration des cahiers de charges des médias publics, ça ne demande pas d’argent ! C’est simpement une politique qu’il faut dégager.

Lorsque nous demandons que l’Etat puisse par exemple adopter un texte de portée juridique supérieure pour favoriser l’accès des journalistes aux sources d’informations, ça ne nécessite pas de l’argent. Ça relève aussi d’une décision politique. Lorsque nous demandons le renforement institutionnel du Conseil supérieur de la communication, dans notre entendement, c’est faire en sorte que le CSC devienne une institution constitutionnelle. Là, également, ce n’est pas un problème d’argent. Il y a bien d’autres recommandations, et nous comptons vraiment travailler avec le gouvernement dans la mesure du possible pour voir comment rendre réalisables ces projets. Si nous arrivons à mettre en oeuvre ces recommandations, on verra bien que le paysage médiatique du Burkina aura beaucoup changé. Et pour en arriver là, je pense que c’est bon que les médias nous accompagnent justement dans l’information du public par rapport à ces recommandations parce qu’aussi, leur mise en oeuvre dépend de l’adhésion qu’elles peuvent avoir au sein de la société.

Propos recuillis par Paul-Miki ROAMBA

Le Pays

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