LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Nous sommes lents à croire ce qui fait mаl à сrοirе. ” Ovide

François Goldblatt, Ambassadeur de France au Burkina Faso : “L’administration française ne peut pas aider les fraudeurs à entrer sur son territoire”

Publié le mardi 13 novembre 2007 à 11h19min

PARTAGER :                          

François Goldblatt

Le vendredi 2 novembre 2007, Sidwaya a rencontré le premier diplomate français au Burkina Faso, François Goldblatt. Du test ADN pour le regroupement familial à la coopération Burkina-France en passant par le divorce du président Nicolas Sarkozy et l’affaire “Arche de Zoé”, c’est sans détour que celui-ci s’est prêté à nos questions.

Sidwaya (S.) : Quelle appréciation faites-vous de la politique d’immigration de Nicolas Sarkozy spécifiquement du test ADN ?

Son Excellence François Goldblatt ( F. G. ) : Pour comprendre ce dossier, il faut bien se rendre compte que les demandeurs de visa de regroupement familial ne bénéficient pas, actuellement, d’un processus fluide et rapide qui leur donne satisfaction. Nous ne partons pas d’une situation idéale. Des demandeurs se voient souvent refuser les visas, précisément parce que les documents d’état civil attendus d’eux sont soit inexistants, soit une fois vérifiés, s’avèrent faux. Ainsi, lorsque les autorités françaises disent que 30 à 80% des documents présentés par les demandeurs de certains pays sont faux, ce n’est pas un procès d’intention ni une surestimation de la gravité du problème.

C’est la réalité telle que la vivent de nombreux consulats français sur le continent. Compte tenu de l’importance de la fraude dans certains pays africains, comment voulez-vous que les fonctionnaires français en charge d’évaluer le bien-fondé des demandes qui leur sont soumises leur réservent une suite favorable ? Ils n’ont pas d’autres choix que de les écarter. Vous avez en fait deux types de populations bien distincts : d’une part, les personnes de bonne foi, qui, bien souvent, présentent bien malgré elles de faux documents parce qu’elle n’en possèdent pas de vrais ou parce qu’il n’en existe pas dans le pays en question ; d’autre part, les personnes de mauvaise foi. Le grave inconvénient de la situation actuelle est de mettre sur le même plan ces deux populations, et de refuser des visas aux uns comme aux autres. Le sens de la législation proposée est justement de permettre aux gens de bonne foi de prouver d’une manière simple et irréfutable, quelles que soient les limites de l’état civil de leur pays d’origine, leur lien familial et de leur permettre ainsi de bénéficier d’un visa de regroupement familial. Bien sûr, cette législation n’aidera pas les fraudeurs !

Quand on porte un jugement sur ce texte, il est très important encore une fois de bien resituer le contexte, qui est très éloigné d’une situation où tout serait fluide et rapide. Dans certains pays africains, on constate une impossibilité matérielle à s’appuyer sur un état civil. J’en veux pour preuve qu’une demi-douzaine de pays africains ont accepté, depuis plusieurs années, de recevoir un financement public français pour reconstruire leur état civil. Ces aides sont conséquentes. Plusieurs millions d’euros sont alloués à ces pays africains. Si ces pays ont accepté de recevoir un appui public français pour reconstruire leur état civil, cela montre bien qu’ils éprouvent réellement des difficultés en la matière. J’ajoute que la législation qui est proposée ne crée pas une obligation de passer le test. Elle crée une faculté dont pourront se saisir les demandeurs de bonne foi ayant des difficultés à prouver la réalité du lien de descendance avec ceux qu’ils souhaitent faire venir
en France.

S. : Qu’en est-il de “la pratique de faux documents” au Burkina Faso ?

F. G. : Le Burkina Faso n’est que très marginalement concerné par la pratique de faux documents. Je rappelle que, sur 100 demandes de visa de court séjour pour la France présentées au consulat de France à Ouagadougou, le taux d’acceptation est de 92%. Les chiffres sont aussi favorables pour d’autres catégories de demandes, visas d’études et autres. Quant au visa de regroupement familial, il concerne très peu de gens, 15 à 25 Burkinabè par année civile. La question du test ADN traitée dans la presse française et africaine concerne en fait d’autres pays africains, notamment la demi-douzaine de pays que la France appuie pour reconstruire leur état civil.

S. : Le Burkina bénéficie-t-il de l’aide pour la construction ou la reconstruction de l’état civil ?

F. G. : Je ne crois pas que le Burkina ait présenté une demande en ce sens. La raison en est simple : il n’y a pas au Burkina de problème dans ce domaine. Par comparaison avec d’autres pays africains ou asiatiques, il n’y a pas de problème au Burkina Faso en matière de visas. Nous recevons du reste très peu de plaintes ou de lettres de protestation de gens mécontents du traitement de leur dossier. Encore une fois , l’immense majorité des demandeurs, 92/100, obtiennent satisfaction. Il n’y a donc pas matière à récrimination ou à plainte.

S. : Comment peut-on avoir un visa long séjour en France ?

F. G. : C’est un visa qui fait l’objet d’un dépôt de demande au consulat de France à Ouagadougou mais qui sera instruit en France. Il y en a plusieurs : visas pour études, pour emploi, pour regroupement familial ... Encore une fois, s’agissant du Burkina Faso, la très grande majorité de demandeurs obtiennent satisfaction.

S. : La France a décidé d’accorder de nouveaux prêts au Sénégal et au Burkina après une longue période de rupture. Pourquoi cette nouvelle démarche ?

F. G. : Je ne crois pas qu’il y ait des ruptures ou des zigzags dans l’aide française. A l’échelle de tous les pays, notamment ceux de la zone de solidarité prioritaire, l’aide globale française représente 9 milliards d’euros chaque année. Cela nous place au 2e ou 3e rang mondial, après les Etats-Unis et le Japon. Cependant, il est vrai qu’on n’atteint toujours pas le taux de 0,7% du PNB annoncé depuis plusieurs années comme objectif. Le taux d’effort par habitant consenti par la France est tout à fait considérable. Il nous place à un niveau deux fois supérieur à ce qu’ est ce taux d’effort par habitant aux Etats-Unis. Je ne crois donc pas au total qu’il y ait de rupture sur le fond. Il y a en revanche des formes d’aide qui ont évolué. On se dirige de plus en plus vers l’aide budgétaire, pluriannuelle, mais les chiffres globaux ne connaissent pas d’affaissement. Ils n’augmentent certes pas autant qu’on l’aurait souhaité, mais il n’y a pas d’affaiblissement de l’effort global.

S. : Quel est l’état de la coopération entre le Burkina Faso et la France ?

F. G. : Nous avons une aide multiforme qui emprunte plusieurs supports. Il y a le support du service de coopération et d’action culturelle de l’ambassade, le support de l’Agence française de développement (AFD) et le support du Trésor français. Au total, l’effort global français représente annuellement quelque 60 millions d’euros. Je souhaiterais qu’on puisse faire davantage. Cependant, la situation budgétaire en France n’est pas extrêmement reluisante. C’est ce qui explique que l’on ne parvient pas toujours au taux de 0,7% du PNB souhaité. Nous sommes à un taux d’effort de 0,5%. du PNB, qui nous place parmi les tout premiers.

S. : Comment la France accompagne-t-elle le processus de décentralisation en cours au Burkina Faso ?

F.G. : Nous allons l’accompagner davantage en mettant en place un programme d’appui direct à la décentralisation et à la bonne gouvernance. Cette aide sera directement dirigée vers les entités burkinabè. Le programme sera mis en place dès l’année 2008.

S. : Les activités des collectivités françaises sont-elles coordonnées au Burkina Faso ?

F.G. : Les collectivités françaises sont nombreuses à coopérer au Burkina. Elle sont plus de deux cents. Nous incitons les unes à parler avec les autres, de manière à éviter les superpositions inutiles. Début décembre, il y aura un évènement important, les assises de la coopération décentralisée, organisées par le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation. Ces assises seront une occasion exceptionnelle de concertation franco-burkinabè. Les participants, plusieurs centaines du côté français et burkinabè, pourront faire le point de la coopération décentralisée. Cela leur permettra notamment d’éviter les duplications. Nous pourrons notamment faire état des régions burkinabè où il y a une présence française modeste, et inversement, de celles qui sont peut-être excessivement privilégiées. Nous avons du reste réalisé une carte à usage des collectivités françaises afin de leur montrer le taux de concentration des aides et des appuis français aux collectivités burkinabè. Cette carte est très frappante. Elle révèle une grande inégalité de présence française entre les provinces et les collectivités bénéficiaires.

S. : 2007 s’achève ; quels sont les axes prioritaires de la coopération française pour 2008 ?

F.G. : Je crois qu’on va mettre de plus en plus l’accent sur la bonne gouvernance, sur l’appui institutionnel, sans relâcher bien entendu l’effort en matière de construction d’écoles, d’accès à l’eau potable, d’assainissement, d’infrastructures en général et de progrès en matière d’interconnexions électriques, en particulier l’interconnexion entre Bobo et Ouagadougou pour relier la capitale à la Côte d’Ivoire, qui est un gros projet financé par l’AFD.

S. : Les pays africains semblent refuser de signer les Accords de partenariat économique (APE) prévus en décembre 2007. Est-ce la bonne voie ?

F.G. : Les pays africains de la région ne sont pas du tout dans la même situation. Selon le statut de chaque pays au regard de la classification internationale, la possibilité sera ouverte ou non de bénéficier d’une clause de rattrapage. S’agissant des Pays les moins avancés (PMA), la clause de rattrage s’intitule ‘’tout sauf des armes’’. Elle présentera à peu près les mêmes avantages que le dispositif en vigueur actuellement, en vertu des Accords de Cotonou. Il n’y a donc pas d’incitation majeure pour des pays comme le Burkina, le Niger, ou le Mali, à travailler d’arrache-pied en direction d’un accord. Ces clauses vont permettre aux PMA de bénéficier d’un régime similaire à celui dont ils bénéficiaient sous l’empire de l’Accord de Cotonou. En revanche, pour des pays comme la Côte d’Ivoire, le Ghana, ou le Nigeria, la situation est tout à fait différente, car ils ne bénéficieront pas de clause de rattrapage, et de surcroît, leur exposition à la fin des accords de Cotonou n’est pas du tout la même. Ainsi, le Nigeria, exportateur de pétrole, ne va pas souffrir de la même façon que les autres. En réalité, le pays qui risque d’être concerné le plus négativement est la Côte d’Ivoire. L’impact négatif est évalué à 700 millions d’euros.

Du coup, les Ivoiriens travaillent d’arrache-pied pour trouver une solution à cela. Le problème, c’est que l’horloge a tourné, il reste extrêmement peu de temps, même si différentes formules ont été déjà envisagées. Certaines formules consistent à trouver un accord avec certains partenaires seulement, tout en restant ouvert à la signature d’autres pays qui se joindraient par la suite à un accord partiel. Ce n’est pas une formule idéale. On aurait voulu pouvoir obtenir d’emblée un accord entre l’Union européenne et la CEDEAO dans son ensemble. Malheureusement, cela ne semble plus être possible. On essaie donc de trouver des formules sous-optimales, mais qui préservent l’essentiel pour le premier semestre 2008. Le problème est qu’on ne peut plus vivre sous l’emprise de l’Accord de Cotonou. Au regard des règles de l’OMC, cela deviendrait illégal. Et si on tente de s’y accrocher, d’autres pays en développement, comme ceux de l’Amérique latine, dénonceront le caractère irrégulier des accords entre les pays africains et l’Union européenne.

S. : Pensez-vous que les APE peuvent contribuer à l’émergence des PMA ?

F.G. : Les APE ne sont pas seulement des règles d’accès au marché. Ils contiennent des engagements à contribuer au développement. Il y a une sorte de donnant-donnant dans ces accords. Le volet développement est essentiel dans les APE. Malheureusement, en raison d’une prise de conscience tardive, les choses n’ont pas été faites dans les délais voulus. Il ne reste plus que deux mois. On essaie de trouver une solution qui permettrait progressivement à l’ensemble des pays de la région de se joindre à l’accord.

S. : Sommet Afrique-Europe, le président zimbabwéen invité, le Premier ministre britannique, Gordon Brown se retire. Votre commentaire ?

F.G. : Je ne peux pas commenter la décision du Premier ministre britannique. Il y a eu un accord européen pour inviter le président zimbabwéen. Vous connaissez comme moi le triste bilan en matière de droits de l’homme au Zimbabwe. Les Zimbabwéens sont les premiers à en souffrir. On essaie de donner une chance au dialogue et nous espérons que le Zimbabwe saisira l’occasion qui lui est tendue.

S. : Que pensez-vous des débats en cours, au sujet de “l’affaire Arche de Zoé” ?

F.G. : C’est indiscutablement une affaire particulièrement déplorable, qui a été condamnée au plus haut niveau dans les deux pays. Le président Sarkozy s’est exprimé très clalrement sur ce sujet. L’’affaire a été également dénoncée en termes nets par la presse française. On ne sait pas pour l’instant s’il s’agit simplement de Pieds Nickelés de l’humanitaire, ou bien de personnes poursuivant des buts peu avouables. Cette opération est en tout cas irrégulière, quelle que soit la part de bonne ou de mauvaise foi de ceux qui l’ont montée. Cependant, il ne faut pas placer tout le monde dans le même panier. Il serait dommageable que les journalistes qui ont accompagné l’opération en tant que journalistes subissent les conséquences de cette opération calamiteuse. Je pense de la même manière pour les membres de l’équipage. Il me semble en revanche normal que les organisateurs et les membres de l’association répondent de leurs actes.

S. : La gestion de cette affaire semble prendre des connotations politiques...

F.G. : Il serait ridicule de penser qu’une affaire comme celle-là puisse ne pas connaître de retombées diplomatiques. Dès lors que des ressortissants français se conduisent mal sur le territoire d’un autre pays, quel que soit ce pays, il faut s’attendre à ce qu’il y ait des répercussions politiques. Pour autant, quand les autorités françaises qualifient l’opération d’irrégulière et disent que les acteurs doivent répondre de leurs actes, c’est une déclaration de bon sens, indépendante de tout traitement politique de l’affaire. Il doit être considéré comme allant de soi que les justices tchadienne et française auront à se prononcer sur cette affaire.

S. : Comment les chancelleries françaises à l’étranger ont accueilli le divorce de Cécilia d’avec Sarkozy ?

F.G. : C’est une affaire privée qui est réglée. Le président Sarkozy poursuit sa mission, sur le front intérieur comme extérieur.

S. : Le Burkina Faso est élu membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Comment Son Excellence a accueilli cela ?

F.G. : La France a soutenu l’idée d’une candidature burkinabè. Nous nous sommes réjouis que cette candidature ait abouti. Maintenant, il va être question de traiter ensemble, à partir du mois de janvier et cela pour deux ans, de dossiers dont nous avons peu l’habitude de discuter avec nos partenaires burkinabè. Jusqu’à présent, le dialogue politique avec le Burkina a porté tout naturellement sur les affaires de la région ou du continent, notamment les dossiers ivoirien, togolais ou des sujets panafricains. Maintenant, on va changer de braquet dans le dialogue politique entre la France et le Burkina. La France, membre permanent du CSNU, et le Burkina, membre fraîchement élu pour 2 ans, vont devoir parler ensemble de dossiers souvent très éloignés du continent africain, comme le Moyen-Orient, l’Iran, l’Asie du Sud ou le destin de la péninsule coréenne.

Interview réalisée par Boureima SANGA et
Pauline YAMEOGO

Sidwaya

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique