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Etienne Traoré et le 15-octobre 1987 : Ces vérités historiques infalsifiables

Publié le lundi 12 novembre 2007 à 17h25min

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Etienne Traoré

Blaise Compaoré chargé de tous les travers des événements du 15 octobre. Thomas Sankara, blanchi comme neige et 98 % des intellectuels burkinabè traités implicitement d’opportunistes sans vertus. C’est la lecture surréaliste que M. Etienne Traoré a fait de la situation politique avant et après le 15 octobre 1987 dans une interview diffusée le 31 octobre dernier.

Celui que bien d’observateurs ont toujours considéré comme l’un des idéologues du mouvement de la Rectification a surpris plus d’un par sa version revue et corrigée sur l’avènement du Front populaire et la naissance de la IVe République.

De l’Union des Communistes burkinabè (UCB) au Parti pour la démocratie et le progrès (PDP) en passant par l’Alliance pour la démocratie et l’émancipation sociale (ADES) ou l’Union de la Gauche démocratique (UGD), M. Etienne Traoré passe pour être un homme politique controversé et contestataire. Enseignant de profession, il n’a jamais véritablement choisi d’abandonner la politique pour se consacrer à la recherche où ses compétences lui auraient valu une carrière plus brillante. Or son engagement politique a toujours souffert de ses illusions idéologiques.

Bon théoricien du marxisme-léninisme mais d’un surprenant manque de réalisme, c’est le genre d’idéologue prompt à justifier les purges staliniennes ou la misère du peuple albanais sous Envers Hoxa au nom de l’évangile communiste et à condamner la perestroïka gorbachévienne ou le pragmatisme senghorien au nom du socialisme scientifique. Son divorce d’avec Blaise Compaoré dès les premières années du Front populaire a surpris peu de monde même au sein de l’UCB, son parti originel. Par intégrisme idéologique, M. Etienne Traoré critique tout et avec véhémence. Il pouvait difficilement faire équipe pendant longtemps avec un stratège prudent et pragmatique comme le président Blaise Compaoré. Le feu et l’eau peuvent-ils faire bon ménage ?

Au demeurant, les échecs successifs d’Etienne Traoré à fédérer durablement un personnel politique autour de sa personne d’abord à l’ADES et ensuite au sein de l’UGD sont des signes qui ne trompent pas sur son criticisme stérile. Une carrière politique, aussi bien dans la majorité que dans l’opposition ne se construit pas que sur les concepts grandiloquents. Au sein de son parti actuel, le PDP/PS, on a pu noter son impatience à prendre la place du professeur Joseph Ki-Zerbo à l’Assemblée nationale de son vivant.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’intégrisme idéologique de l’homme et sa propension à tout critiquer à hue et à dia, à l’origine d’un prochain clash avec les rénovateurs du PDP/PS, ne surprendrait qu’à moitié. En attendant, retour sur les confessions-reniements de celui que les étudiants militants, sympathisants de l’Union des Communistes burkinabè (UCB) avaient surnommé « chef de guerre » tant il a été activement impliqué dans les luttes de tendances au sein du CNR qui ont conduit aux événements du 15 octobre 1987.

La renaissance démocratique, prélude à la fondation de la IVe République a-t-elle commencé le 15 octobre 1987 ?

A cette question, tous ceux qui se focalisent sur l’adoption et la promulgation de la Constitution burkinabè en juin 1991, répondent par la négative. M. Etienne Traoré, aussi étonnant que cela puisse paraître pour ceux qui connaissent ses engagements politiques entre 1985 et 1989, répond également par la négative. Il se croit même obligé d’être moraliste en déclarant qu’il a honte à la place de ses camarades d’hier qui disent que la renaissance démocratique du Burkina commence le 15 octobre 1987. Et pour cause ! Pour Etienne Traoré, les partisans d’une renaissance démocratique avec Blaise Compaoré « savent bien qu’un des reproches faits à Thomas Sankara par le Front populaire était que le président du CNR voulait restaurer une démocratique libérale bourgeoise ».

On se demande sur quoi M. Etienne Traoré se base pour dire que le Front populaire accusait Thomas Sankara de vouloir restaurer une démocratie libérale. Il est vrai que la première proclamation annonçant la création du Front populaire avait qualifié Thomas Sankara « d’autocrate qui s’est hissé à la tête de la Révolution pour mieux l’étouffer de l’intérieur ». « Etouffer la Révolution de l’intérieur » veut-il dire « restaurer une démocratie libérale » ?

On peut effectivement interpréter les choses ainsi selon la cause que l’on veut défendre. Et M. Etienne Traoré défend aujourd’hui le camp de l’opposition à Blaise Compaoré notamment la thèse des Sankaristes au sujet de la commémoration du 20e anniversaire des événements du 15 octobre 1987. Ceux qui connaissent ses engagements politiques antérieurs vous diront que c’est là un véritable retournement de veste. En effet avant le 15 octobre, M. Etienne Traoré qui participa très activement à exacerber les querelles de tendances au sein du Conseil national de la Révolution en tant que partisan de Blaise Compaoré, accusait lui aussi Thomas Sankara et ses partisans notamment l’Union de lutte communiste-Réconstruite (ULC-R) de déviation droitière.

Etudiant à l’époque, militant des Comités de défense de la Révolution (CDR) et de cercles de réflexions dits anti-impérialistes, l’explication que les ténors de l’Union des Communistes burkinabè (UCB) dont principalement Etienne Traoré nous donnaient à l’époque sur « la déviation droitière » de Thomas Sankara était totalement différente de celle de « restaurer une démocratie libérale ». Etienne Traoré nous avait convaincus que Sankara était un militaro-fasciste qui surestimait son rôle individuel dans le cours de l’histoire notamment dans le déclenchement et la conduite de la Révolution. Cette surestimation du moi chez Thomas Sankara, selon les explications d’Etienne Traoré et d’autres idéologues de l’UCB, justifiait ses penchants impulsifs, la tendance à décider seul au mépris des principes organisationnels, du centralisme démocratique, de la critique et de l’autocritique.

Toujours selon les thèses largement répandues dès le début de l’année 1987 sur la « déviation droitière de type militaro-fasciste » de Thomas Sankara dont Etienne Traoré était l’un des propagandiste émérite, Thomas Sankara était devenu un mystique sous l’influence des rose-crusciens dont Valère Dieudonné Somé était l’un des grands maîtres au Burkina. Sous l’influence de ce dernier et d’une fraction dégénérée de l’ULCR, la Révolution avait mal à sa tête, si l’on peut ainsi imager. Devant une telle situation chaotique et de ballottement tantôt vers un militaro-fascisme de droite, tantôt vers un populisme gauchiste, la Révolution avait perdu son âme. Voilà les thèses que nous enseignait Etienne Traoré, Clément Oumarou Ouédraogo, Patrice Zagré, etc, dans les cellules de l’UCB.

Devant la faillite de Thomas Sankara soutenue par des militaro-fascistes et des mystiques, Etienne Traoré que nous avions baptisé « chef de guerre » ne manquait pas d’admiration pour Blaise Compaoré qu’il présentait comme étant modeste, réfléchi, pondéré et ferme avec Thomas Sankara pour nous protéger des velléités liquidatrices de l’autre camp. Et c’est avec fierté que dans nos cercles de réflexion, on se passait le mot, « Blaise Compaoré et Gilbert Diendéré sont avec nous. Le commandant Jean-Baptiste Lingani aussi. Henri Zongo, ce n’est pas sûr ». Jamais à aucun moment, il n’a été question dans les luttes de tendance précédant le 15 octobre 1987 d’un ou de deux pays voisins qui n’aimaient pas Sankara.

Etienne Traoré se souvient-il de cette réunion du 04 juillet 1987 dans la nuit chez feu Watamou Lamien, un des pères fondateurs de l’UCB ? Nous étions aussi à cette réunion. Sankara y est arrivé en tenue de sport rouge. Blaise Compaoré en civil, pantalon gris et chemise rose ou blanc-sale avec une mallette à la main. Sankara y était venu en pédagogue, contrairement aux dires d’Etienne Traoré pour s’expliquer et essayer de reconquérir le cœur du noyau dur des cadres de l’UCB. Etienne Traoré se souvient-il de ce qu’il a dit à Thomas Sankara ce jour-là ? Moi, si ! Parce que pour nous Etienne Traoré, c’était la référence, le « chef de guerre », le maître à penser idéologique. Il fallait l’écouter religieusement. Il n’a pas déçu ce 04 juillet 1987, vu le contexte politique électrique d’antagonisme à l’époque.

Il a commencé son intervention exactement pour autant que je me souvienne en ces termes : « après avoir suivi attentivement ce qu’a dit le camarade président du Faso (Thomas Sankara), je dois dire que j’ai froid dans le dos. Oui, j’ai froid dans le dos… » Et M. Etienne Traoré de dresser à l’adresse de Thomas Sankara un véritable réquisitoire sur ses indécisions, son attentisme vis-à-vis de l’ULC-R qualifié de sectariste, d’opportuniste mais aussi face à la démobilisation au sein des structures populaires due à des mots d’ordre pas clairs ou inappropriés qui favorisent des exactions de type militaro-fasciste contre les populations. D’autres présents à cette réunion du 4 juillet pourront témoigner. En tout cas Blaise Compaoré était là. Il a tout entendu. Thomas Sankara aussi.

Etienne Traoré ne peut pas se dédouaner aussi facilement devant l’histoire. Les mésententes entre Blaise Compaoré et Thomas Sankara, ma conviction est faite depuis longtemps que ce sont nos aînés, théoriciens de la révolution qui les ont créées. Eux qui ne s’entendaient pas sur la nature et la manière de conduire le processus révolutionnaire. Blaise Compaoré dont la capacité d’écoute est reconnue par tous a entendu la clameur contestataire qui émanait des principales structures et formations politiques qui soutenaient le CNR. Il fallait au Burkina plus de démocratie, moins de militarisme et de populisme gauchiste et sectariste dans la gestion de l’Etat. C’est ainsi que l’on peut résumer les révendications de la tendance contre le militaro-fachisme du CNR.

Le message n’est pas tombé dans l’oreil d’un sourd, les promoteurs du Front populaire en l’occurence. L’avènement du Front populaire dans ce contexte est sans doute l’élément déclencheur de l’ouverture démocratique, prélude à la naissance de la IVe République. Le discours de François Mitterrand à La Baule, c’est près de trois ans après le 15 octobre 1987. Cette volonté d’ouverture démocratique a été nettement affirmée dès le 19 octobre 1987 dans le premier discours officiel de Blaise Compaoré en tant que président du Front populaire, chef de l’Etat dans lequel il appelait, « les forces progressistes patriotes et démocrates » à s’organiser pour soutenir le Front populaire. Le président Blaise Compaoré sera plus précis dans son discours à la nation le 31 décembre 1988 à l’occasion du nouvel an. Il y déclarait explicitement : « Nous invitons l’ensemble des révolutionnaires et des démocrates à mener des réflexions constructives sur la question de l’édification d’un Etat de démocratie populaire… L’élargissement de la démocratie, nous n’aurons de cesse de déclarer qu’il constitue une nécessité historique, objective, rendue incontournable par la nature de notre révolution, ses caractéristiques tant économiques que politiques… »

Blaise Compaoré disait cela 18 mois avant le discours de François Mitterrand à La Baule. C’est dans cette dynamique de l’ouverture démocratique que fut inauguré le printemps des partis politiques avec la création le 23 janvier 1988 de la CNPP/PSD, suivie le 18 mars de la naissance du GDP, le 19 novembre par celle du GDR et celle de l’ODP/MT le 15 avril 1989. Quand on sait que le MDP existait déjà et que le RDA s’activait pour renaître de ses cendres, il ne fait aucun doute que le 15 octobre 1987 a inauguré la renaissance démocratique du Burkina bien avant le sommet France-Afrique de La Baule. C’est une vérité historique infalsifiable.

Djibril TOURE

L’Hebdo

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