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Plainte de Mariam Sankara : L’ONU n’a jamais demandé l’ouverture d’une enquête ni la tenue d’un procès

Publié le jeudi 8 novembre 2007 à 13h39min

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Mariam Sankara

L’Etat burkinabè a-t-il été condamné par l’ONU suite à la plainte de la veuve Sankara pour la disparition tragique de son mari ? Si oui, à quelle peine ? Dans une déclaration censée être celle que devrait lire Mariam Sankara le 15 octobre dernier au cimetière de Dagnoen publiée par les journaux de la place, il est écrit entre autre que « le comité des droits de l’Homme de l’ONU a considéré que l’affaire (Thomas Sankara) devrait être rouverte » devant les tribunaux burkinabè. Affirmation totalement fausse quand on lit attentivement les constatations du dit comité.

L’adage qui dit « quand la politique entre au prétoire, le droit s’enfuit par la fenêtre » est bien connu. Il signifie entre autres que la justice s’accommode mal des pressions politiciennes qui par essence sont partisanes et au service d’intérêts souvent à mille lieux de ceux judiciaires. On aurait tort de croire que la politique n’entre au prétoire que par le seul fait du prince.

Au Burkina ils sont nombreux les dossiers judicaires fortement instrumentalisés par l’opposition politique qui ont cessé depuis lors d’être de simples dossiers en justice. Actualité de l’anniversaire du 15 octobre 1987 oblige, le dossier sur la mort tragique de Thomas Sankara est revenu à la Une de la presse. Voilà une affaire qui depuis fort longtemps a cessé d’être un problème juridique pour se noyer dans les dédales de l’instrumentalisation politique.

La famille biologique et politique du défunt président tire et tire sur la corde pour des raisons que l’on devine aisément. En effet, on connaît toute la passion, l’acharnement et l’agitation oppositionnelle et haineuse qui accompagne chacune des péripéties qu’a connues ce dossier en justice. C’est ainsi que sans qu’on ne soit sûr que toutes les voies de recours aient été épuisées en interne, Mariam Sankara et ses enfants ont été poussés par des milieux nationaux et étrangers hostiles au régime de Blaise Compaoré à saisir l’ONU en mars 2003 sur la question. Et c’est au Comité des droits de l’Homme onusien qu’est revenu la responsabilité d’étudier la plainte de Mariam Sankara contre l’Etat du Burkina Faso. Mais au contraire de ce que laisse supposer les déclarations répétées de la famille Sankara et de leurs avocats, le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies n’est pas un tribunal pénal international qui a jugé et condamné l’Etat du Burkina avec les contraintes de la chose jugée.

Qu’est-ce que le Comité des droits de l’Homme de l’ONU ?

C’est un organe de surveillance de la mise en œuvre du traité baptisé Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ce traité est un ensemble de 30 articles, adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l’adhésion des pays membres de l’ONU depuis le 16 décembre 1966. Il est entré en vigueur le 23 mars 1976 mais il a fallu attendre janvier 1999, c’est-à-dire sous la VIe République pour que le Burkina Faso ratifie ce pacte ainsi que son protocole facultatif.
Trois mois après cette ratification, le texte du traité entrait en vigueur à l’égard du Burkina, soit le 4 avril 1999.

En ratifiant ce pacte international relatif à la protection des droits civils et politiques, le Burkina Faso donnait un signal fort, un de plus, sur ses intentions de se tourner résolument vers un plus grand ancrage de la démocratie, sans contentieux aucun en matière de respect des droits civils et politiques. C’est donc fort de l’adhésion libre et consciente du Burkina à ce pacte que la veuve Sankara a pu se pouvoir devant le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies aux fins de faire condamné le Burkina pour violations continues dans le temps de ce traité dans 10 de ses articles notamment les articles 6, 7, 9, 14 et 26 en rapport avec la mort de Thomas Sankara.

Une fois saisie, le Comité sans être un tribunal, met en œuvre une sorte de procédure judiciaire. C’est-à-dire qu’il invite les partis, dans le cas d’espèce, la famille Sankara et leurs avocats d’un côté et de l’autre, l’Etat burkinabè, à s’exprimer pour faire valoir leurs arguments sur le sujet querellé. Il s’agit donc d’une confrontation par l’argumentaire, un exposé des motifs sans la présence physique des parties intéressées. Le Burkina a dans ce sens produit un premier rapport soulevant des exceptions préliminaires pour démontrer l’irrecevabilité de la requête de la famille Sankara par le comité des droits de l’Homme de l’ONU. Le Comité onusien a quand même accepté d’examiner cette requête et convié le Burkina à faire ses observations de fonds sur les accusations de la famille Sankara.

Les observations du gouvernement burkinabè contenus dans un 2e rapport ont été jugées pertinentes par le Comité qui au contraire des arguments de la famille Sankara et de leurs avocats qui accusaient le Burkina d’avoir violé 10 articles du Pacte international, n’a finalement retenu que 04 articles sur lesquels si l’on peut dire, il y avait litige.
Il s’agit des articles 7, 9, 14 et 26. Après examen des motifs de la partie plaignante, le Comité est arrivé à la conclusion qu’il y a eu manquement de l’Etat burkinabè au regard de seulement 2 articles. Il s’agit de l’article 7 et de l’article 14 en son paragraphe 1. Devant la violation par l’Etat burkinabè de ces 2 articles du Pacte international, que propose le Comité des droits de l’Homme de l’ONU ?

Les principales recommandations du Comité onusien

Il est bon de rappeler que le Comité des droits de l’Homme de l’ONU n’est pas un tribunal pénal. Il ne prend pas des actes juridiques contraignants. Il fait des recommandations suivant l’esprit et la lettre du Pacte international et sa propre jurisprudence. Il peut néanmoins dans ses recommandations, indiquer les voies à suivre pour le règlement du différent à lui soumis. Dans le cas de la requête de la famille Sankara, le Comité a estimé que « le refus de mener une enquête sur la mort de Thomas Sankara, la non-reconnaissance officielle du lieu de sa dépouille et la non-rectification de l’acte de décès constituent un traitement inhumain à l’égard de Mme Sankara et ses fils, contraire à l’article 7 du pacte ».

D’autre part, le Comité a retenu « une violation de l’obligation de respecter la garantie d’égalité de tous devant les tribunaux, reconnue au paragraphe 1 de l’article 14 du pacte ». Nonobstant ces manquements aux articles 7 et 14 du Pacte international, le Comité dans ses recommandations finales à l’Etat burkinabè n’a pas expressément demandé l’ouverture d’une enquête sur la mort de Thomas Sankara encore moins la tenue d’un procès. Pourquoi ?
On ne saurait répondre à la place des experts onusiens mais on peut penser que le caractère spécifique, éminemment politique des événements du 15 octobre - il s’agit d’un coup d’Etat lors duquel des soldats se sont tirés dessus - n’est peut-être pas étranger dans la démarche prudente du Comité.

En effet, dans ses recommandations finales, le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies s’est borné à dire : « En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte (international relatif aux droits civils et politiques) l’Etat partie (burkinabè) est tenu d’assurer un recours utile et effectif à Mme Sankara et ses fils consistant notamment en une reconnaissance officielle du lieu de sépulture de Thomas Sankara et une indemnisation pour l’angoisse que la famille a subie. L’Etat partie est également tenu d’empêcher que des violations analogues se reproduisent à l’avenir ».

C’est en toutes lettres ce que dit le paragraphe 14 des recommandations finales du Comité des droits de l’Homme de l’ONU. Et cela est très clair d’un point de vue lexicale et juridique. De fait, on ne voit pas où il est question de « tribunal militaire devant lequel il n’y aurait aucune prescription », selon les termes de la déclaration qu’on prête à Mariam Sankara. Le français aussi élastique soit-il, reste le français. Le droit également, au point que les Romains avaient l’habitude de dire « dura lex, sed, lex ». Traduisez : la loi reste la loi aussi dure soit-elle.

L’Etat burkinabè disposé à respecter les recommandations onusiennes

Les recommandations du Comité des droits de l’Homme de l’ONU au contraire des interprétations tendancieuses de Mariam Sankara et de ses avocats sont : indiquer le lieu de sépulture de Thomas Sankara à sa famille, indemniser celle-ci pour l’angoisse subie et corriger l’acte de décès du président du CNR. Le gouvernement burkinabè suite à ces recommandations a produit un mémorandum sur sa disponibilité à s’exécuter conformément à ces décisions.

1°) A propos de la reconnaissance officielle du lieu de sépulture de Thomas Sankara, le gouvernement burkinabè a fait remarquer aux experts du Comité onusien que l’emplacement de la tombe de Thomas Sankara est de notoriété publique au Burkina Faso. « Elle est vénérée, chaque année, à l’occasion de la commémoration du décès du président Sankara. La famille Sankara connaît pour le moins bien la tombe de Thomas Sankara…qui se trouve au sein du cimetière de Dagnoen, au secteur 29 de Ouagadougou… mais (la famille) ne veut pas l’admettre » souligne littéralement le mémorandum du gouvernement.

2°) A propos de la correction du certificat de décès de Thomas Sankara, l’Etat burkinabè a souligné à l’intention du Comité des droits de l’Homme de l’ONU que « sur instruction du ministre de la Justice, Garde des Sceaux, le procureur du Faso près le Tribunal de Grande instance de Ouagadougou a saisi le maire de la commune de Ouagadougou, officier d’état civil compétent, à l’effet d’établir, en l’absence d’un acte de décès, un jugement supplétif d’acte de décès. Par un jugement supplétif d’acte de décès en date du 7 mars 2006, le Tribunal d’arrondissement de Baskuy de la commune de Ouagadougou a établi un jugement supplétif d’acte de décès au nom de Thomas Isidore Sankara, décédé le 15 octobre 1987 ». Cette décision du gouvernement burkinabè a été prise dans le souci de mettre un terme à une polémique sans objet, souligne le mémorandum du gouvernement burkinabè.

3°) A propos de l’« indemnisation pour l’angoisse que la famille Sankara a subie » mentionnée dans les recommandations du Comité des experts de l’ONU, le gouvernement burkinabè rappelle que « la mort de Thomas Sankara est intervenue, on le sait, dans le cadre d’un régime d’exception et dans un contexte national particulièrement marqué par la violence politique. [Cette indemnisation] relève donc des missions assignées au Fonds d’indemnisation (expressément créé à cet effet). Malheureusement, la veuve Sankara et ses enfants n’ont jamais voulu de l’indemnisation proposée dans ce cadre ».

Le mémorandum du gouvernement à l’adresse du Comité des droits de l’Homme de l’ONU poursuit ses explications sur le refus de l’indemnisation par la famille Sankara en ces termes : « le gouvernement a, par décret n°2006-307/PRES/PM du 29 juin 2006 portant liquidation de l’indemnisation des ayants cause de deux victimes ayant perdu la vie (capitaine Thomas Sankara et Frédéric Kiemdé), décidé d’octroyer une somme globale de quarante trois millions quatre cent quarante-cinq mille (43 445 000) francs CFA à Mme Mariam Sankara et ses deux enfants ». La famille Sankara invitée à prendre contact avec le Fonds d’indemnisation des personnes victimes de la violence en politique ne s’est jamais manifestée. Pourquoi ?

Pour des raisons que l’on devine aisément. Elle ne veut pas du règlement de ce dossier suivant les prudentes recommandations du Comité des droits de l’Homme de l’ONU et suivant les dispositions de bonne volonté prises par les autorités burkinabè.
L’affaire Thomas Sankara, interminable en justice et devant le Comité des droits de l’Homme de l’ONU, est politiquement plus rentable, plus vendable parce qu’elle fera toujours partie des « dossiers pendants », le seul programme politique que l’on connaisse à certains opposants qui s’agitent à piéger la paix sociale et à exercer un terrorisme intellectuel qui ne dit pas son nom sur ceux qui ne pensent pas comme eux. C’est au nom de cette fuite en avant dans la surenchère que la famille Sankara donne une lecture totalement biaisée et à dessein des recommandations onusiennes. A mille lieux de leur esprit et de leur lettre.

Djibril Touré

L’Hebdo

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