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La récup’art : les sculpteurs ferrailleurs

Publié le jeudi 8 novembre 2007 à 12h08min

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Il y a un type de sculpture qui s’expose et s’exporte. Il s’agit de la récupération d’objets utilitaires ou de déchets, que l’on détourne de leur fonction première pour en faire des objets esthétiques. Il en sort une néosculpture et une autre forme de design. Est-ce de l’art ou simplement de l’artisanat ?

Vous les verrez sur les décharges en train de fouiller les détritus, de trier la ferraille, tournant et retournant en tous sens des fragments métalliques avant de les fourrer dans leurs sacs. Ils ne sont ni ferblantiers ni pauvres hères qui écument les poubelles à la recherche d’un objet en bon état à écouler. Non ! Ils sont des artistes qui trouvent la matière de leurs œuvres dans les débarras. Sûr que tous ne font pas les décharges, certains commandent des tonnes de ferraille dans les « casse auto », sorte de charnier ouvert où on désosse les automobiles et les appareils électroménagers. Tous reconnaissent, toutefois, qu’il y a un côté jouissif dans la collecte personnelle sur les décharges, parce qu’il y a parfois des illuminations à la vue d’un objet quelconque : un pot d’échappement de moto se transfigure dans une fulgurance en une trompette !

C’est armé de chalumeau, de fer à souder et de scie à métaux, de marteau que le sculpteur affronte la ferraille pour lui donner une fonction esthétisante ou utilitaire. Ainsi, il crée des fauteuils, des guéridons, des chaises, des fontaines et même des motos customisées. J’en ai admiré une devant le CCF George Méliès : Une petite moto très banale transformée grâce aux accessoires en une sorte de Harley Davidson pareille à celles que chevauchait la bande de Easy riders. N’est-ce pas ce côté bricoleur ou vendeur d’objets usuels qui fait que l’on considère celui qui fait de la récup comme un artisan ? Pourtant c’est la partie visible de l’iceberg, qui en fait oublier la plus importante : celle qui est immergée. Il y a dans la récup’art des œuvres de grande valeur. Avec Kelly, un artiste burkinabé, on voit surgir des dinosaures de Jurassic Parc, des musiciens, des femmes au travail et même des bonshommes dans des poses méditatives d’un impressionnisme très fort.

La statue « le Chinois » est un pendant du Penseur de Rodin. Toutes ces œuvres sont faites à partir des chaînes, des pignons, des moyeux, des pots d’échappement et d’objets hétéroclites arrachés à la rouille. Tout un monde naît de la récupération, qui est un art du détournement et du recyclage. L’artiste a le pouvoir de donner une autre vie ou une seconde vie aux objets de l’univers technologique et mécanique. La récup’art apparaît comme une forme de résistance à l’envahissement, par les objets, dans notre environnement. Une tentative de conciliation entre la technique et l’art ou à défaut une affirmation du primat de l’art sur la technologie, de l’homme sur la machine.

Parce que de la dépouille mécanique naît l’œuvre d’art. Une chose aussi qui est séduisante et spécifique à l’art de la récup, c’est les séances de création devant public lors des expos. Il s’agit, pour l’artiste, chrono en main, de faire sortir du chaos de ferraille une œuvre artistique devant les spectateurs. C’est une performance qui n’a pas son équivalent dans les autres arts : le peintre et le sculpteur classiques esquissent des croquis de l’œuvre à venir avant de s’attaquer à sa réalisation.

Avec la récup’art, l’artiste est vierge de tout projet quand il se confronte à la matière retorse faite d’un amas de ferraille. Ce qui va en sortir est accidentel. C’est une œuvre brute, non pensée, qui surgit de la collision du hasard des objets et du feu de l’imagination de l’artiste sous l‘écoulement du sablier, qui décompte la chute des minutes.

Il est plus juste donc de parler d’art pour les sculpteurs de la récupération parce qu’il y a toute une philosophie en amont de la pratique, celle de la résistance au monde industriel avec ses déchets envahissants, qui grignotent chaque jour un peu plus l’espace vital des hommes et il affleure aussi une façon de dire le monde et une recherche esthétique. Par conséquent la récup’art réunit les trois pierres de l’âtre sur lesquelles repose et bouillonne le chaudron de l’art.

Barry Alceny Saidou

L’Observateur Paalga

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