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Jean-Baptiste Natama : "L’Afrique est encore loin de la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement..."

Publié le samedi 27 octobre 2007 à 09h20min

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Jean-Baptiste Natama, secrétaire permanent du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP)

Le secrétaire permanent du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP), Jean-Baptiste Natama, présente l’institution qu’il dirige et explique son fonctionnement. La bonne gouvernance, la démocratie, le développement socioéconomique, l’évaluation et l’autoévaluation sont des points qui occupent une place importante dans le fonctionnement du MAEP.

Sidwaya (S.) : Quel est le fondement actuel du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP) ?

Jean-Baptiste Natama (J.B.N.) : Les fondements du MAEP se trouvent dans la déclaration adoptée par les chefs d’Etat africains sur la gouvernance politique, économique et de gestion des entreprises lors de la grande session de l’Organisation de l’unité africaine qui s’est tenue à Durban en 2002. Cette déclaration s’est imposée aux
dirigeants africains lorsque l’idée du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) a été conçue. Il s’est avéré que ce ne sont pas des programmes de développement qui ont manqué à l’Afrique, mais ce sont les problèmes de gouvernance qui font que les projets ne produisent pas toujours les effets escomptés. Ainsi, la question de la gouvernance s’est invitée comme étant un préalable ou un prérequis à réaliser avant d’entamer les différents projets de développement.

S. : Le MAEP a-t-il des critères d’évaluation préétablis ?

J.B.N. : Absolument ! La question de la gouvernance étant très vaste, il a fallu d’abord délimiter son champ d’action. Ainsi, quatre domaines d’intervention ont été retenus : la gouvernance politique et économique, sociale et la gestion financière. La gouvernance politique et démocratique est essentielle pour la préservation de la paix et la stabilité des pays. Quand on fait une lecture des conflits qui se sont déroulés, ces dernières années, en Afrique, on remarque qu’ils sont internes aux Etats. Ce qui veut dire qu’il y a des problèmes pour maintenir la cohésion sociale dans les pays. Des problèmes ou des dysfonctionnements font qu’une partie de la population décide d’user de moyens et de voies antidémocratiques pour résoudre leurs préoccupations. En plus des domaines choisis, il existe des normes de gouvernance politique et démocratique qui sont des indicateurs des efforts des Etats pour garantir les droits fondamentaux des citoyens, une vie constitutionnelle normale des institutions de l’Etat. Ces normes sont de plus en plus acceptés par tous les pays.

Au plan économique, il existe également des normes de gouvernance, notamment des systèmes de confection du budget de l’Etat, ses priorités et ses principes comptables. Ces normes montrent clairement que le système de gestion économique de l’Etat suit des prescriptions établies et acceptées comme telles. Au niveau de la gouvernance des entreprises, les normes prennent en compte le système de fonctionnement qui leur est propre. Elles obligent les entreprises à jouer leur rôle social et à payer les taxes. Le développement socio-économique pose le problème de l’accès aux services sociaux de base. On cherche à savoir si la politique de l’Etat est orientée vers une direction qui permet d’accroître de façon visible et sensible, le taux de scolarité, d’améliorer l’accès à l’électricité et aux services de santé, à l’eau potable, etc. Des indicateurs qui permettent de connaître l’indice de développement humain dans un pays donné. Les indicateurs de performance accompagnent les normes afin de permettre une meilleure évaluation.

S. : Les pays qui se soumettent à l’exercice du MAEP donnent-ils réellement les vrais indicateurs et les données nécessaires à leur évaluation ?

J.B.N. : Je pense que oui. La philosophie du MAEP constitue le premier élément de garantie de transparence et de solidarité des données fournies. En effet, l’adhésion au mécanisme est volontaire. Les pays choisissent librement de s’engager, en connaissant les règles établies. Ils ont alors pour obligation de les respecter et en envisageant pas remettre en cause ces règles. Le deuxième élément de garantie est que tout adhérent espère tirer avant tout des bénéfices de son engagement. Par exercice de l’auto-évaluation et l’évaluation, chacun arrive à découvrir la réalité de la gouvernance dans son pays. La troisième garantie s’explique par le fait qu’il n’y a pas d’objectif de coercition. Le MAEP applique tout simplement une démarche pédagogique qui permet d’identifier ce qui va ou ne va pas dans un pays. Ce qui est bon doit servir d’exemple aux autres. Et le pays concerné doit travailler à maintenir le standard de ce qui va bien.

Par contre, ce qui ne va pas, doit être mis en évidence pour faire l’objet de correction à travers un programme d’action national. Lequel est confectionné en même temps que l’évaluation du pays. Par conséquent, il n’est dans l’intérêt d’aucun gouvernement de chercher à modifier la réalité des choses. Les tricheurs se retrouvent avec des rapports biaisés qui ne leur permettent pas d’élaborer des programmes d’action national fiable. Alors que ce programme, une fois confectionné, devient un référentiel et un tableau de bord pour l’ensemble des acteurs de développement à l’intérieur du pays et pour ses partenaires techniques et financiers. Voici donc des éléments qui dissuadent les Etats, de donner de fausses données.

S. Le mécanisme d’évaluation est-il réellement efficace ?

J.B.N. : Le MAEP est efficace. Au début de sa mise sur pied, les Africains et les partenaires techniques et financiers étaient sceptiques quant à son utilité. Les gens ne croyaient pas en la capacité des Africains de prendre une telle initiative. Quand le Ghana a fini son évaluation, plusieurs pays ont apprécié la qualité du rapport du MAEP et la pertinence des observations et recommandations. D’autres pays ont suivi son exemple. Les rapports des pays qui se sont soumis à l’exercice du MAEP sont un indicateur clair de l’efficacité du processus d’évaluation. Certains d’entre eux ont avoué se découvrir à travers cet exercice. Ils ont, en effet, indiqué qu’ils ignoraient des réalités. Mais, le regard extérieur des experts étrangers et l’autoévaluation des pays évalués ont permis d’aboutir à des résultats intéressants. Il faut par ailleurs, ajouter que les pays qui ont été évalués ont gagné davantage dans la consolidation du dialogue social. La question de la gouvernance ne doit pas être une préoccupation de l’Etat seul, mais de la communauté toute entière. Si les acteurs sociaux sont "cloisonnés" ou "retranchés" dans des camps et se suspectent ou se regardent en chiens de faillance, il devient alors impossible pour eux de bâtir leur pays.

Dans ce cas d’espèce, le MAEP amene tous les acteurs sociaux à s’asseoir ensemble pour discuter et donner leur perception de la gouvernance dans leur pays. Toutefois, il ne s’agit pas pour eux de s’occuper, mais de relever les problèmes et de proposer des solutions pour y remédier. En réalité, les dysfonctionnements et problèmes qu’on trouve dans un camp, se retrouvent généralement dans le ou les autres camps. C’est ainsi que tout ce qu’il y a comme maux dans le secteur public, se retrouve également dans le secteur privé et la société civile. Ceci pour dire qu’il y a une interaction entre les différents groupes ou les différents acteurs du développement. Le MAEP permet alors aux partis concernés de se remettre en cause pour améliorer la situation dans laquelle elles se trouvent. Mais, il faut reconnaître qu’il n’existe pas un paradis de la bonne gouvernance sur cette terre. Celle-ci est une quête permanente.

S. Les évaluations peuvent-elles être franches, si ceux, qui critiquent et relèvent les dysfonctionnements savent qu’ils seront soumis au même exercice ?

J.B.N. : L’évaluation se fait en deux phases. Il y a d’abord une phase d’autoévaluation qui est conduite techniquement par des institutions de recherche, lesquelles font des sondages pour connaître la perception de la population sur la situation de la gouvernance dans leur pays. Je ne vois pas ces institutions se situer dans la perspective d’être évaluées un jour. Au Burkina par exemple, le CGD, l’INSD, le CAPES et l’ISSP sont les institutions qui font l’autoévaluation. Lorsque l’autoévaluation est conclue, les données recueillies, analysées et traitées font l’objet d’une validation au niveau national par l’ensemble des acteurs du développement. Les informations recueillies sont également soumises à un contrôle d’experts non nationaux. Ceux-ci n’ont aucun intérêt à se mettre dans la perspective d’être évalués (c’est-à-dire leur pays) dans le futur.

S. : Y a-t-il des conditions à remplir pour adhérer au MAEP ?

J.B.N. : La première condition est d’accepter les règles du jeu du MAEP. Ensuite, les Etats qui veulent adhérer au Mécanisme doivent en faire la demande et signer un mémorandum. 27 pays ont ainsi adhéré au MAEP. Cinq pays, à savoir le Ghana, le Rwanda, le Kenya, l’Afrique du Sud, et l’Algérie ont déjà été soumis au MAEP.

S. : Quel a été l’impact du MAEP sur le processus démocratique de ces pays ?

J.B.N. : Je ne peux pas faire une appréciation globale du processus démocratique dans ces pays puisque chacun d’eux a son histoire et sa réalité. Si nous prenons le cas de l’Afrique du Sud, on voit qu’elle est sortie d’un long régime d’apartheid et est en train de se reconstruire. Ce pays a à peine une dizaine d’années d’expérience démocratique multiraciale. Le Rwanda a connu un génocide qui a traumatisé sa population. Il est en train de se reconstruire et ressouder le corpus social. L’Algérie a connu également des traumatismes liés à la poussée islamique. Au Ghana et au Kenya, les processus démocratique ont conduit à des alternances à la tête de l’Etat.

Dans ces pays, il y a des institutions qui existent et fonctionnent. Et il faut espérer que l’Etat et ces institutions vont continuer de fonctionner et que la démocratie va se consolider au fur et à mesure que ces pays se développeront davantage et qu’ils mettront en application les recommandations qui ont été formulées à leur endroit dans le cadre de l’évaluation sur le plan de la gouvernance démocratique, politique. En général, les pays évalués prennent en compte les observations et critiques formulées à leur endroit. Ils ont l’obligation de fournir un rapport à mi-parcours tous les six mois au secrétariat du NEPAD, sur les progrès accomplis dans la mise en œuvre des recommandations formulées. Et une fois dans l’année, ils doivent fournir un autre rapport sur les progrès accomplis dans la mise en œuvre des recommandations, aux chefs d’Etat, lors du forum des chefs d’Etat. Cela pour garantir le suivi- évaluation du processus du MAEP. Le Chana, le Rwanda et le Kenya ont donné leur rapport. L’Algérie et l’Afrique du Sud qui viennent d’être évaluées en juillet 2007 vont certainement donner les leurs au prochain forum des chefs d’Etat.

S. : A quand l’évaluation du Burkina Faso par le MAEP ?

J.B.N. : Nous espérons que notre pays va disposer de son rapport d’autoévaluation d’ici à la fin de l’année 2007 et que nous allons nous mettre en rapport avec le panel des personnalités éminentes du MAEP et du secrétariat, afin que les différentes phases soient poursuivies et respectées selon un timing qui nous permettra de présenter le rapport d’évaluation final de notre pays au prochain forum des chefs d’Etat.

S. : Le MAEP est-il confronté à des problèmes dans le processus d’évaluation ?

J.B.N. : Le caractère nouveau du MAEP ne facilite pas son fonctionnement. On lui réserve parfois un accueil sceptique en se disant qu’il va faire long feu. Il faut alors faire un travail d’information et de sensibilisation afin que les gens comprennent que l’initiative peut aboutir. Comme le mécanisme est nouveau, un temps de domestication s’impose, pour comprendre ses principes, ses fonctionnements, ses objectifs et la méthodologie à appliquer dans le cadre de l’évaluation.

S. : Le VIIe Forum africain sur la bonne gouvernance se tient du 24 au 26 octobre 2007 au Burkina Faso. Quelle sera la contribution du MAEP ?

J.B.N. : Le forum africain sur la gouvernance est organisé avec le Programme des Nations unies pour le développement dans l’optique d’amener les acteurs africains à dialoguer autour des questions de gouvernance. Les parlementaires, les représentants de la société civile, des médias, du secteur public et privé y sont invités pour discuter et donner leurs points de vue sur un thème à eux soumis. Le MAEP est conçu pour promouvoir la bonne gouvernance à l’échelle du continent africain. Cette bonne gouvernance contribue à renforcer les capacités de l’Etat, c’est-à-dire l’amener à avoir des institutions fiables et stables, utiliser des systèmes performants de gestion et finalement, à amener les Etats à avoir des résultats mesurables au fur et à mesure que l’on avance dans le temps. De ce point de vue, il existe un lien étroit entre les objectifs du MAEP et ceux du forum.

S. : Vous avez livré une communication sur le NEPAD à l’Assemblée générale des Nations unies. Quelle a été la substance de votre message ?

JBN. : Chaque année, aux Nations unies, lors de l’Assemblée générale, un point est inscrit à l’ordre du jour. Il s’agit du bilan des progrès réalisés dans la mise en œuvre du NEPAD, notamment avec l’appui de la communauté internationale. Cette rencontre de haut niveau revêtait un caractère assez particulier cette année parce que l’avènement du NEPAD est intervenu après la définition des Objectifs du millénaire pour le développement. Ces objectifs ont pour date butoir 2015. Nous sommes à mi-parcours de cette date. Il s’agissait de voir si les promesses faites par les partenaires techniques et financiers de l’Afrique d’accompagner la mise en œuvre du NEPAD dont la réalisation permettra d’atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement sont respectées. L’occasion fut donnée à l’Assemblée de vérifier si les engagements pris par les pays du G8 et les autres partenaires au développement sont respectés pour assurer la réalisation progressive des Objectifs du millénaire.

Le NEPAD n’a pas été conçu pour s’appuyer essentiellement sur l’aide extérieure mais sur une idée de partenariat. Ce qui veut dire que nous savons ce que nous voulons, nous choisissons ce que nous voulons et définissons nos responsabilités dans la réalisation de nos choix. A partir du moment où nous décidons de faire quelque chose, nous donnons alors les moyens de le faire, en mobilisant les ressources internes et externes de l’Afrique. On s’inscrit par conséquent, dans une logique de responsabilité partagée. La rencontre de New York a permis de savoir les progrès qui ont été réalisés. Il est ressorti qu’à l’étape actuelle, l’Afrique est encore loin de la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement à l’horizon 2015. On s’est rendu compte qu’il y a une régression de l’aide publique au développement depuis quelques années. Alors que les promesses d’aide se sont accrues.

De telles rencontres ont pour but de rappeler aux partenaires qu’ils doivent respecter les engagements qu’ils ont pris. Plusieurs facteurs justifient le retard dans la mise en œuvre du NEPAD. L’Afrique évolue dans un contexte international qui ne lui est pas toujours favorable. Il y a par exemple la mondialisation avec tout ce qu’elle comporte comme avantages et inconvénients. Et pour des économies fragiles comme les nôtres qui reposent essentiellement sur les matières premières, les dépréciations de monnaie affectent les équilibres financiers de nos Etats. Des facteurs qui empêchent l’Afrique de dégager suffisamment de ressources pour faire face à ses besoins.

Séraphine SOME

Sidwaya

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