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Parlements africains : Un peu plus de vertu démocratique

Publié le lundi 31 mai 2004 à 15h28min

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Comme nous aimons à le dire, dans un pays idéalement
démocratique, le seul lieu légitime de confrontation des
opinions et de formulation des prises de décisions, est le
parlement. Certes, cela ne doit pas signifier absence d’autres
espaces et lieux de débats.

C’est pourquoi, il arrive que des
organisations syndicales ou autres groupes corporatistes
manifestent dans la rue pour faire passer leurs messages, du
reste le plus souvent en direction des parlementaires, censés
être les dépositaires de l’expression de la volonté populaire.
Même des partis politiques peuvent avoir recours à de telles
manifestations de protestation.

N’empêche que dans ces cas
de figure, et pour éviter d’éventuels débordements, le législateur
a bien pris soin d’édicter des règles à ne pas enfreindre et de
tracer des limites à ne pas dépasser sous peine de tomber
sous le coup de la loi. C’est donc exceptionnellement qu’un parti
politique d’opposition, de surcroît représenté à l’Assemblée, en
dehors des meetings et des campagnes électorales, arpente
les rues pour traduire son désappointement.

Malheureusement,
en Afrique, il est fréquent que l’exception, surtout en politique,
devienne la règle. Au Burkina, en l’espace de quelques
semaines, l’opposition parlementaire a manifesté son ras-le-bol
en claquant la porte de l’hémicycle. Une fois, ce fut à l’occasion
du choix des élus devant siéger au parlement de l’Union
africaine. La seconde fois, c’était lors de la formation du
nouveau bureau de l’Assemblée nationale.

Le plus grave, c’est
que l’opposition ne s’était pas révoltée de façon unitaire. Bien
entendu, ces sautes d’humeur désordonnées font le jeu du CDP
majoritaire et de ses satellites qui jouent chaque fois sur le
registre des divisions et des querelles intestines de l’opposition.

Il faut dire que parfois, l’opposition burkinabè est insaisissable,
car en excellant dans ce jeu de balancier, elle ouvre le grand
boulevard de la suffisance aux partis de la mouvance
présidentielle qui, se croyant une sorte de caste prédestinée, en
viennent à réfuter sans nuance la nécessité et l’importance
d’une opposition dans un pays qui veut progresser.

La majorité
parlementaire, par obstination et aveuglement, ne se rend pas
compte qu’elle serait bien inspirée en évitant de s’enfermer
systématiquement dans sa suffisance et ses rêves de
domination. Ce sentiment délirant de sa puissance, conduit non
seulement à une sorte de démocratie monolithique, mais se
moque également de l’électorat de l’opposition qui, quel que soit
son poids, représente une composante non négligeable de
l’opinion.

Si tous les partis politiques ont une responsabilité
dans l’enracinement de la démocratie, celle du parti majoritaire
est encore plus grande. Dans ces conditions, il devrait
rechercher le consensus, synonyme d’ouverture aux autres et
non d’enfermement sur soi avec la conviction de détenir seul la
vérité qui n’est en fait que sa vérité partisane.

Il serait suicidaire
pour la démocratie burkinabé si le parti au pouvoir devrait seul
légiférer et en imposer aux autres citoyens. Il faut donner le
primat à l’écoute des partis minoritaires, surtout qu’en Afrique en
général et au Burkina en particulier, les résultats des élections
ont souvent été controversés.

Les exclusions ne grandissent
certainement pas la démocratie. Cette conviction
obsessionnelle de sa puissance conduisant à une sorte de
démocratie tropicalisée, bananière et monolithique. Diversité et
débats sont les deux mamelles de la démocratie. S’obstiner
avec acharnement à ridiculiser l’opposition, c’est traduire son
inaptitude personnelle et institutionnelle à se débarrasser du
kyste de l’anti-démocratie.

En continuant de vouloir "syncoper"
l’opposition, les partis au pouvoir risquent de se disqualifier
eux-mêmes aux yeux de l’opinion qui, si elle pouvait s’exprimer,
ne décernerait pas forcément une médaille de mérite à ce
feuilleton qui empoisonne l’atmosphère des débats
parlementaires. Les partis au pouvoir ont intérêt à avoir ce
supplément d’âme en évitant de s’agripper à leurs intérêts
sectaires et partisans, en ne se montrant pas intransigeants
sur les principes de la démocratie.

C’est vrai qu’il est plus facile
pour les pouvoirs africains en place d’avoir affaire à des
parlements moutonniers, débarrassés de toute velléité de
contestation que de singer la démocratie. Mais, le Burkina a-t-il
besoin de ces votes uniformes et mécaniques pour que sa
démocratie encore fragile se renforce ?

Notre parlement a plus
que jamais besoin de ne pas acculer l’opposition à cette attitude
fataliste qui la conduit à pratiquer le parlement buissonnier. Or,
en l’état actuel de la situation, ce ne sont pas les raisons qui
manquent à l’opposition pour se comporter ainsi.

Le rejet de
ses nombreux projets de loi parfois pertinents donne à croire
que tous les ingrédients de "l’apartheid" parlementaire qui
confinent l’opposition dans une sorte de bantoustan politique,
sont réunis.

Mais il appartient à l’opposition aussi de savoir
esquiver cette épreuve du scalp que veut lui imposer la majorité
parlementaire qui pense souvent que la majorité à toujours
raison.
C’est de bonne guerre que la majorité ne fasse pas de cadeaux
à l’opposition, surtout quand cette dernière étale au grand jour
ses divisions internes. Il n’est pas évident qu’une fois au
pouvoir, l’opposition d’aujourd’hui ne renvoie pas l’ascenseur à
la majorité d’hier.

Il est évident que face à une majorité qui ne
prend pas la juste mesure de sa grande responsabilité dans le
renforcement du débat démocratique et qui ne se comporte pas
en bon prince, l’opposition doit apprendre à se "suicider"
politiquement en ayant une attitude responsable. Ce qui signifie
qu’elle doit créer en son sein cet élan fédérateur et synergique à
même de résister aux assauts du pouvoir. En tous les cas,
majorité et opposition doivent admettre que légalité n’est pas
forcément légitimité. Un constat qui devrait les amener à trouver
ensemble des points de consensus.

A l’opposition, il appartient de trouver une réponse au dilemme
qui l’enchaîne : participer aux débats parlementaires avec le
sentiment d’être complice de décisions qui lui échappent et le
risque d’être incompris de son électorat ou bien continuer de
claquer la porte avec le risque de ne pas faire entendre sa voix
sur des questions d’importance nationale qui affectent la vie des
citoyens.

En tous les cas, contrairement à une idée fausse,
l’opinion publique burkinabé n’est pas si analphabète
politiquement. Les prises de position à l’assemblée restent
gravées dans sa mémoire et elle sait reconnaître les siens. Il
est toujours plus facile de dominer que de se dominer, et la
démocratie ne doit jamais l’oublier. La majorité doit savoir se
dominer et ne pas croire que la raison du plus fort est toujours
la meilleure, et l’opposition doit se départir de son angélisme
pleurnichard pour qu’enfin notre démocratie tende vers la
qualité et éviter de céder la place au règne de la quantité
robotisée.

Mais fondamentalement, c’est le scrutin de liste qui
génère tous ces travers, véritables freins à l’enracinement
démocratique. Il faut qu’on en arrive un jour à bannir à jamais la
méthode à la soviétique où les candidats sont chapeautés par
le parti. La politique du ventre étant un paramètre incontournable
dans cette jungle politique et le vote à main levée une arme
dissuasive de la tentation de voter selon sa conscience, il est
certain qu’il faudra un jour envisager le renforcement de la
démocratie par le scrutin uninominal qui libère le candidat de la
tyrannie, de la dépendance et du poids du parti.

Raison de plus
pour ne pas désarmer. Le contraire serait oublier que
l’accession au pouvoir est une course de fond et d’obstacles et
non une course de vitesse. Nous osons espérer que les élus
burkinabè pourront prendre exemple sur leurs homologues
d’autres pays.

En effet, des élus burkinabè ont certainement eu
maintes fois l’occasion, dans leurs pérégrinations
parlementaires, de se frotter à d’autres parlementaires et
d’entendre des échos de leurs débats. Dans ces pays-là, il n’est
pas rare qu’un élu de l’opposition vote à main levée un projet de
loi proposé par son collègue du parti du pouvoir et vice-versa. Il
s’agit de savoir de quelle démocratie on veut.

Le Pays

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