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15-octobre 1987 : Des personnalités apprécient

Publié le mardi 23 octobre 2007 à 09h08min

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Il y a 20 ans le Burkina Faso amorçait une grande étape de son parcours politique. En effet, le 15 octobre 1987, le mouvement de Rectification dirigé par Blaise COMPAORE remettait le pays des Hommes intègres sur l’orbite de la démocratie. Une démocratie dont tout le monde en convient est d’une quête permanente. 15 octobre 1897-15 octobre 2007, deux décennies de traversée qui au plan politique, économique et social sont diversement appréciées par les Burkinabè.

Nous avons, pour l’occurrence, approché nombre de personnalités sociopolitiques et des hommes de médias du pays qui ont plus ou moins participé de quelque façon que ce soit ou qui ont de loin comme de près observé ce pan de notre histoire commune, porteur pour notre présent et notre avenir sans retenue, chacune de ces personnalités a donné sa lecture. Lisez plutôt !

Jean-Léonard COMPAORE : “Le 15 octobre a été une date douloureuse... et le président la reconnue le 19 octobre”

- le sens du 15 octobre 1987

Moi, je ne rentre pas dans ce débat de camp ou ce débat qui veut diviser la société burkinabè.
Je pense que le Burkina Faso est un et indivisible et le peuple burkinabè a toujours un seul espoir, c’est l’espoir du développement, l’espoir de la démocratie. Il n’y a donc pas de divergence au niveau du peuple burkinabè, maintenant au niveau des individus et des espérances, c’est différent.

Et l’espérance du peuple burkinabè, c’est l’espérance que portent aujourd’hui les dirigeants de ce pays. C’est vrai que la Révolution a suscité un grand espoir mais dans son évolution vous avez vu ce qui s’est passé. Lorsque vous lancez un mouvement, s’il n’y a pas d’encadrement, d’organisation et un encadrement politique et juridique, cela pose un problème ;
Le Discours d’orientation politique (D.O.P) a été le manifeste de la Révolution. En dehors du D.O.P, la Révolution n’a pas théorisé une idéologie quelconque… Le D.O.P reste aujourd’hui un patrimoine commun sous forme de monument devant le lycée Mariam N’GOUABI et à Tenkodogo dans le Boulgou et aucun Burkinabè n’a demandé qu’on l’enlève. Sous la Révolution nous avons exécuté des programmes mais ce n’était que des programmes.

Pour les textes qui devaient organiser la démocratie, les libertés… vraiment il y a eu un déficit. Et lorsqu’il n’y a pas un cadre réglementaire, législatif qui régule la vie des institutions, la vie des organes de presse, parce qu’à l’époque, il n’y avait que la presse d’Etat et d’autres presses du pouvoir, cela pose des problèmes.

La Révolution a certes été un moment accéléré de mobilisation et de prise de conscience, personne ne peut le nier. Mais la période révolutionnaire ne peut pas être visitée ou revisitée sans le président Blaise COMPAORE. Qu’on le veuille ou pas, il était au cœur de la Révolution. Il était au début de la Révolution, avec Thomas SANKARA, ils ont animé la Révolution. Blaise COMPAORE a été au centre de l’avènement de la Révolution, les gens oublient souvent de le dire. Ce qui s’est passé entre les deux, personne ne peut rentrer dedans.
Ils se sont connus bien avant tous ceux qui théorisent sur ce qui s’est passé. S’il faut parler d’espoir, nous parlons de l’espoir de la démocratie, l’espoir du développement. Tout le monde sait que le 15 octobre a été une date douloureuse. Comme le président Blaise COMPAORE l’a dit le 19 octobre 1987, ce sont des évènements non souhaités et non planifiés. Ce sont des situations qui arrivent surtout si les acteurs sont armés et ont des différends à résoudre.

Dans la vie des hommes, il y a toujours ceux qui périssent au combat mais ils ne sont pas moins méritants que ceux qui survivent au combat. C’est vrai que les interprétations individuelles sont divergentes mais nous, nous faisons une analyse supérieure pour permettre au Burkina Faso d’avancer. Imaginez-vous si le 15 octobre 1987 le président Blaise COMPAORE se mettait à se morfondre, ou se mettre à se plaindre… qu’est-ce qu’on allait constater aujourd’hui… peut-être que le peuple allait se diviser en deux camps, peut-être se tirer dessus. Et le temps qu’on allait comprendre, peut-être que la communauté internationale nous aurait mis à côté avec ce que cela comporte comme conséquences pour le pays.

Je pense que c’est cette force intérieure qu’il faut avoir pour surmonter les épreuves afin de ne pas se morfondre tout le temps et se crisper sur les évènements historiques. Il ne faut pas refuser de voir l’évolution historique des choses.

A votre conférence de presse vous avez dit qu’il ne s’agissait pas de commémorer 20 ans de pouvoir ou 20 ans au pouvoir d’un individu… Apparemment vous n’avez pas été bien compris. Qu’est-ce que vous avez voulu dire ?

JLC : Je pense que j’ai été bien compris par ceux qui voulaient bien comprendre. Vous par exemple, votre journal célèbre ses dix ans d’existence ce n’est pas les 10 ans de LINGANI Issaka, votre directeur ou les 10 ans de LINGANI à la tête du journal que vous célébrez. Mais ce sont les 10 ans du journal L’OPINION avec les difficultés que vous avez rencontrées, les satisfactions que vous avez enregistrées, etc. C’est ça que vous célébrez et ce sera une occasion pour vous de prendre des engagements nouveaux pour mieux avancer. C’est cela aussi la commémoration du 20e anniversaire de la renaissance démocratique avec Blaise COMPAORE. Si c’était pour l’anniversaire du président Blaise COMPAORE au pouvoir, c’était à lui d’inviter les gens au palais le jour où il voudrait pour son anniversaire, mais ce n’est pas ça que nous préparons.

Le président Blaise COMPAORE n’a jamais eu l’intention de célébrer ses années passées au pouvoir. Les 20 ans que tous ceux qui sont épris de paix, et de démocratie dans notre pays, veulent commémorer avec lui, c’est revisiter les progrès accomplis mais aussi les insuffisances pour mieux avancer. Il faut que la démocratie, la république, la justice survivent aux individus. C’est ça la préoccupation. Nous avons une constitution, notre balise commune, les institutions fonctionnent, les élections s’organisent… C’est tout ça qu’il faut pérenniser et porter l’espoir d’un lendemain meilleur.

Le 20e anniversaire pour nous est très clair : C’est le 20e anniversaire de la renaissance démocratique avec le président Blaise COMPAORE. C’est clair ! Un véhicule a un moteur. C’est le moteur qui fait fonctionner le véhicule… Nul doute que le président Blaise COMPAORE a été le catalyseur, le moteur de cette renaissance démocratique de par ses vertus de dialogue, de concertation, de considération et de calme… Cela a permis de pouvoir fédérer des énergies politiques, coutumières, religieuses sociales pour amener le Burkina Faso à avoir une constitution et une vie démocratique.

On ne peut pas célébrer les 20 ans en oubliant que le véhicule a un moteur, que le Burkina Faso a un leader. Dans tous les pays du monde, c’est comme ça. Quand la France célèbre le 14 juillet, ce n’est pas le président français de l’époque ou d’aujourd’hui qu’on célèbre, mais on sait que ce jour c’est lui qui sera aux Champs Elysées pour prononcer son discours… Bref, c’est les 20 ans de la renaissance démocratique, à ne pas confondre avec les 20 ans de pouvoir du président Blaise COMPAORE, qui, s’il voulait célébrer ses 20 ans de pouvoir aurait pu le faire chez lui et nous, on serait pas là à créer un comité d’organisation…
Je crois que c’est clair pour ceux qui veulent comprendre.

- Démocratie et évolution socio-économique

Le regard que j’ai, c’est le regard d’abord du citoyen mais aussi le regard d’un homme politique élu député, mais encore un regard de celui qui modestement à un moment donné de sa vie a eu l’honneur de prendre part à la gestion du pouvoir. J’ai été 10 ans ministre dans ce pays. Nous avons participé au gouvernement de la Révolution. Nous avons participé à la réalisation d’actions importantes dans ce pays : les lotissements, les logements au moment où ce n’était pas facile. A un moment où ceux-là mêmes qui parlent aujourd’hui ne se sont pas investis. Sous la Révolution nous avons activement pris part à tous les chantiers du développement. Aujourd’hui, je suis bien placé pour dire que le Burkina Faso a fait un bond en avant. D’abord, du point de vue de la liberté et de la démocratie. Vous connaissez bien l’histoire politique de notre pays avec les régimes d’exception et les périodes constitutionnelles qui n’ont jamais duré, ce qui a contribué à créer un retard certain pour notre pays.

Et à l’époque le pays était un paria, personne ne nous connaissait. Même les pays voisins se moquaient de nous, « train vient vous vient… » et bien d’autres…

Alors 20 ans de démocratie, c’est vraiment important. Et les Burkinabè doivent savoir qu’il faut travailler à approfondir cela et avancer toujours. Il y a beaucoup de partis qui sont nés sous le Front Populaire qui était déjà une association de partis politiques. Ce qui était différent du CNR. Le CNR était une structure clandestine dont on ne connaissait pas les membres. On ne savait pas qui était qui dans le CNR en réalité… En août après la dissolution d’un gouvernement, il ne restait que les 4 « coordonnateurs » qui étaient connus… Le peuple en réalité avait des difficultés pour comprendre ce qui se passait. Mais aujourd’hui je pense qu’avec, 20 ans de démocratie, chacun mesure l’importance de la liberté. Sur le plan économique, tout le monde sait que le Burkina n’est pas resté en arrière. On a avancé et cela grâce à la bonne gouvernance, à la capacité à gérer nos maigres ressources. Je pense que mon regard est positif sans toutefois nier son histoire.

Concrètement comment va se dérouler la célébration et les activités prévues ?
JLC : Plusieurs activités sont prévues sur le plan politique, culturel, sportif… En réalité, la commémoration a commencé depuis longtemps à travers certaines activités que nous menons. Il y aura, entre autres, des témoignages à travers la presse. Il y a ensuite le colloque qui sera un moment important de diagnostic de notre situation.

Les autres activités sont culturelles. Il y aura de l’animation tous les soirs à la place de la Nation, une rue marchande et des expositions photos à la Maison du peuple. Le 15 octobre, il y aura des marches et des meetings dans toutes les provinces. Il est prévu une caravane qui va quitter Ouagadougou pour Pô. Vous savez que Pô depuis le 4 août 1983 est un symbole. Des jeunes ont donc proposé faire une caravane pour se rendre à Pô et rencontrer le président du Faso. Il est aussi prévu une course cycliste Koudougou-Ouaga. Bref, il y aura diverses activités et nous sommes fin prêts.

Avez-vous un appel à lancer ?

JLC : L’appel, c’est celui de la mobilisation individuelle et collective pour la bonne compréhension du sens de cette commémoration qui doit intéresser tous les Burkinabè, parce que nous commémorons toutes les libertés… Nous appelons donc tous les Burkinabè à se mobiliser et que chacun à son niveau prenne des engagements pour plus de liberté, plus de démocratie et pour le développement de notre pays.o

Jean-Paul KONSEIBO, DG Sidwaya : “Les libertés individuelles et collectives sont garanties”

- le sens du 15 octobre 1987

Je pense personnellement que le 15 octobre 1987, avec le dénouement sanglant qui l’a marqué, est d’abord une date douloureuse qui aurait dû ne pas arriver. Les chefs historiques de la Révolution n’ayant pas pu la prévenir, on ne peut pas non plus se lamenter indéfiniment sur l’irréparable. Il importe désormais de tourner cette page douloureuse de notre histoire et de regarder vers l’avenir pour construire le Burkina d’aujourd’hui et de demain. Ceux qui sont animés par l’idéal sankariste devront être libres de s’organiser et de se préparer à gouverner en fonction de cet idéal, si c’est leur souhait. Les partisans de Blaise COMPAORE qui ont depuis lors la destinée du pays entre leurs mains, devront s’atteler à parfaire le processus démocratique en cours afin que les bénéfices de l’Etat de droit démocratique profitent à tous les Burkinabè sans distinction et que le processus démocratique devienne irréversible dans notre pays.

- Les perspectives

Le Burkina est un pays en développement, caractérisé par un contexte géographique et climatique difficile, et une forte croissance démographique qui absorbe rapidement les efforts d’investissement et de réalisations. Malgré ce contexte économique et sous-régional difficile, il fait cependant des progrès qui peuvent paraître insignifiants au regard des attentes. C’est le propre de tous les pays en développement qui cherchent à sortir de l’ornière.

Avec plus de cent partis politiques et des centaines d’associations, la démocratie burkinabè est une réalité. Le Burkina vit de nos jours la plus longue période de stabilité institutionnelle de son histoire. La vie politique est en effet régie par la Constitution de la quatrième République, promulguée le 11 juin 1991.

Avant cette date, soit en trois décennies d’indépendance, le pays avait connu trois Républiques et six périodes d’exception. Cette Constitution qui a consacré le retour au multipartisme, instauré l’Etat de droit démocratique et amené la stabilité est un grand bon en avant pour ceux de ma génération qui ont vécu les périodes d’Etat d’exception à répétitions. Il y a de nombreux acquis, il existe aussi des insuffisances qu’il faut constater et corriger pour avancer.

Emile PARE, président du MPS/PF : « L’eau est gratuite ailleurs, l’électricité aussi »

- le sens du 15 octobre 1987

On ne peut pas vouloir une chose et son contraire. Le 15 octobre 1987, certes signifie la prise du pouvoir par Blaise COMAPORE et c’est la date de l’assassinat du président du CNR (Conseil National de la Révolution) Thomas SANKARA. En tant qu’ancien militant de la Révolution et ancien militant de ceux qui ont lutté pour l’avènement de la démocratie, quand nous regardons les actes politiques qui ont été posés par le pouvoir, j’avoue que c’est très dramatique que le pouvoir accepte de célébrer cet évènement en pompe. Dès l’instant que nous sommes rentrés dans le processus démocratique, nous sommes rentrés dans un Etat de droit depuis 1991.

Nous pensons que ce que nous devons célébrer doit relever de l’Etat de droit. Le 15 octobre ne relève pas de l’Etat de droit, c’est un Etat d’exception. L’adoption de la constitution, en 1991, vient comme un rejet de tout ce qui a été comme un Etat d’exception dans notre pays depuis le 3 janvier 1966 en passant par le 25 novembre 1980, le 4-Août 1983 et le 15 octobre 1987. Il est très regrettable qu’on se dise d’être de l’Etat de droit, de la démocratie, et qu’on veuille fêter en pompe l’Etat d’exception.

Si on veut fêter la 3e élection de Blaise COMPAORE, là nous n’avons pas de grief. On a une constitution qui condamne les coups d’Etat, qui limite le pouvoir à 10 ans, je ne comprends pas le sens d’une célébration de 20 ans de pouvoir. Notre parti est contre cela au nom de la démocratie. Au-delà, je me dis que ça réveille encore les rancœurs.
Il faut revenir dans un discours logique au rappel des évènements, est-ce que c’est nécessaire. Je pense que c’est honteux de célébrer 20 ans de pouvoir. Même des pays comme la Sierra Leone qui vient de sortir de la guerre ont réalisé l’alternance.

Je pense que c’est la négation de la démocratie de vouloir fêter les 20 ans. Je pense que Blaise COMPAORE doit s’élever au niveau de son rôle pour ne même pas s’associer à cet événement.
Ça n’ajoute rien à son pouvoir, ça ne le glorifie pas, par contre ça régressera la conviction de ceux qui pensent que nous sommes dans un processus démocratique. De mémoire beaucoup de chefs d’Etat ont vécu des fins déplorables pour eux et pour leur peuple. Ça n’honore personne. Si on veut célébrer la mort de Thomas SANKARA c’est normal, c’est logique parce qu’il a même été reconnu héros national.

- Démocratie et évolution socio-économique

Le MPS/PF n’est pas un parti nihiliste, en ce sens que nous reconnaissons qu’il y a des avancées démocratiques.
Aujourd’hui nous avons certes la liberté politique de s’exprimer tout comme, les droits de l’homme semblent être respectés. Mais, nous disons que cela ne suffit pas parce que nous constatons un certain nombre de va-et-vient dans ces acquis démocratiques. Nous avons certes la liberté de créer des partis politiques, mais nous avons également remarqué qu’à chaque élection, le multipartisme est vidé de son contenu par les fraudes électorales.

Notre appréciation a été noyautée par une société civile qui semble jouer le jeu du pouvoir. En somme, les élections sont truquées aux fins d’aboutir à une Assemblée volée par le pouvoir en place.
Les textes du statut du chef de file de l’opposition ont été bloqués. Le chef est aujourd’hui membre du gouvernement. Nous nous sommes battus pendant 5 ans pour l’obtenir et voilà, qu’on a reculé. Il est dit dans la loi qu’il faut 5% de suffrages pour qu’un parti soit financé. Le CDP a tout fait pour truquer les élections et aucun parti de l’opposition n’a atteint les 5% de l’électorat ; l’ADF/RDA n’étant pas de l’opposition. Si on devait évaluer le processus démocratique nous dirions que nous sommes revenus à la case départ. Nous avons un parti unique, un parti Etat de fait. Il faut refondre le processus démocratique, le réorienter. Au plan social et économique, nous n’allons pas nous attarder parce que c’est une évidence, ça crève les yeux.

On n’a même pas besoin de dire à un Burkinabè que la vie est chère. Faites une enquête objective dans les villes, les villages, l’on vous dira que le prix des produits de première nécessité sont en hausse, le carburant, le pain, le sucre, le sac de riz, sont un calvaire pour les Burkinabè. Il n’y a pas un Burkinabè même du CDP qui ose dire que les conditions de vie ne se sont pas dégradées sous ce régime. L’eau est gratuite ailleurs, l’électricité aussi.
Nous avons dit que lorsque nous serons au pouvoir, les salaires seront augmentés de 20%, l’école sera gratuite, c’est une question de choix politique.

Les préoccupations du peuple obligent le pouvoir à chercher à améliorer sa condition d’existence et non le contraire.
A l’étape actuelle de la vie de notre peuple, nous n’avons pas besoin de Ouaga 2000 et tout ce train de vie insultant supporté par le contribuable menée par la hiérarchie politique du CDP. La politique actuelle du pouvoir crée une fracture sociale entre une minorité qui augmente ses conditions de vie et l’ensemble du peuple qui s’appauvrit.
- Les perspectives

La politique actuelle du CDP ne peut pas continuer. Dans tous les cas, si cela se perpétue nous partons inexorablement vers une crise sociale, économique et politique. Est-ce que nous avons besoin d’en arriver là ? Gouverner c’est prévoir donc, il faut anticiper l’évolution de cette situation. Il nous faut repartir sur de nouvelles bases, relancer le processus démocratique vers un véritable Etat de droit. C’est pourquoi, nous avons dit dans notre déclaration que la IVe République est arrivée à son terme, il faut passer à la Ve République. Notre rôle en tant que démocrate c’est de travailler à conjurer cette avancée dramatique du CDP.o

Sherif SY, DP du journal Bendré : “Je ne suis pas un négativiste”

- le sens du 15 octobre 1987

Voilà pourquoi je ne voulais pas esquiver la question en disant que L’Opinion est proche pour ne pas dire que L’Opinion est un relais des seigneurs du moment. Vous me parlez de 20 ans de renaissance démocratique. Il y a 20 ans que la démocratie est née dans ce pays ? Vous croyez que le niveau démocratique du Burkina d’aujourd’hui est comparable avec la 2e, la 3e République ? Non ! On est en deçà. Il y a 20 ans que Blaise est arrivé au pouvoir de façon anti-démocratique, de façon violente, de façon sanglante et c’est par ça qu’il y a eu renaissance ? La démocratie-là, c’est mort quand pour renaître à partir de Blaise ? On a beau vouloir annihiler, anesthésier la conscience de ce peuple, on ne saurait effacer l’histoire. Comme le dirait le professeur BADO, « l’histoire est arrêtée comme le Tek de Pabré ». Le 15 octobre, il y a eu l’assassinat de Thomas SANKARA et douze de ses compagnons par Blaise COMPAORE et ses camarades point barre. On ne peut pas venir parler de 20 ans de renaissance. La manipulation historique commence même par ce terme-là.

On dirait qu’aujourd’hui si on parle de démocratie au Burkina Faso, ce n’est que le fait de Blaise et par Blaise COMPAORE. Non ! Non ! Il y a eu quand même beaucoup d’acteurs dans ce pays. S’il y a eu un petit consensus en juin 1991 pour aboutir à la constitution, c’est parce que chacun a mis plutôt du sien. Cela a-t-il empêché après 1991, que le même camp qui rentrait par infraction sanglante dans l’histoire du peuple du Burkina Faso enlève les fils de ce pays-là nuitamment, à aller les tuer et les enterrer comme des chiens, jusqu’à Norbert ZONGO en 1998 ? Ce n’est que le sursaut populaire qui a calmé un tant soit peu le jeu. On sait ce qui s’est passé le jeudi 15 octobre 1987. Ce n’est pas une élection où il y a eu grande victoire. Ce sont les canons qui ont tonné, c’est la mitraille qui a tiré en crescendo. Mais pire, je ne suis pas surpris venant du journal qui fait l’honneur de m’interviewer qu’il parle de 20 ans de renaissance. Depuis 20 ans, vous avez quelqu’un au pouvoir. C’est une monarchie. Qu’est-ce qu’un homme peut donner en 20 ans qu’il n’a pas réussi à le donner au maximum en 10 ans. Nul besoin de citer les EYADEMA, les MOBUTU, etc. On sait à quoi ça abouti. Nous sommes tous des fils de ce pays.

- Démocratie et évolution socio-économique
Je ne suis pas un négativiste. Quelles que soient nos qualités et défauts, pour parler comme M’Batenga, je dirais « les plus pires » pour chacun ; que ce soit suffisant ou insuffisant, dans des domaines diversifiés de 1960 jusqu’à maintenant ; quel que soit le régime, chacun d’une manière ou d’une autre a posé une brique. Je ne ferai jamais cette insulte à l’intelligence de qui que ce soit pour dire que tout ce qui a été fait par untel est nul. Le problème c’est la vision politique d’ensemble, l’orientation politique que l’on se donne, l’objectif auquel on veut amener un mieux-être à son peuple.
Il semble qu’à Ouaga, il y a un coin que vous appelez « Ouaga 2000 », dans ces quartiers vous verrez certainement que ce régime a apporté un mieux-être à une poignée d’individus. Vous faites quelques kilomètres vous allez à Kiliwin ou à Rimkiéta, vous verrez si ça apportée un mieux-être à ces populations.
Est-ce que aujourd’hui le peuple burkinabè ressent sur sa quotidienneté qu’il y a un mieux-être ? C’est la question essentielle.
J’estime que ce régime n’est pas porteur ni des aspirations fondamentales, ni d’une vision progressiste et progressive de la société. Par contre, il s’est inscrit dans une conception libéraliste qui garantit les intérêts d’une minorité par apport à la majorité.

- Les perspectives
Ni vous, ni moi ne pourrions déterminer quelles perspectives pour le Burkina Faso. Chaque peuple subira les conséquences de son comportement. Si le peuple burkinabè se refuse à être protagoniste de sa propre histoire, il restera maintenu dans les chaînes de l’exploitation et de la domination. Le jour où les fils, les élites décideront de devenir protagonistes de leur histoire, ils se libéreront de ces chaînes, et joueront leur partition intégrale dans le concert des Nations.

Le Burkina Faso est vu comme faiseur de paix dans la sous-région…
S.S : Avant d’être un faiseur de paix d’aucuns diront que le Burkina Faso est un faiseur de guerre. Si vous créez des guerres chez les autres et après par des conjonctions ou conjectures internationales vous êtes amené à travailler, à restaurer la paix, à éteindre la flamme que vous avez allumée et que vous vous applaudissez vous-même, c’est bien. L’homme qui se chatouille et qui arrive à rire, c’est bien. Je ne sais pas mais faites un micro-trottoir dans la sous-région et vous verrez si on dira que vous êtes un faiseur de paix.

Ndlr : Pour comprendre les propos de M. Shérif SY, il est important de savoir qu’il est président du Comité d’organisation du 20eme anniversaire de l’assassinat du Président Thomas SANKARA organisé par les Sankaristes.o

Luc Adolphe TIAO, président du CSC : “La diversité des opinions est à la démoratie ce que les espèces animales et végétales sont à la diversité biologique”

- le sens du 15 octobre 1987

Je crois qu’il ne faut pas voir les choses de cette façon. Les acquis démocratiques engrangés par le Burkina sont un patrimoine démocratique à promouvoir et à défendre. A ce titre il convient de permettre à toutes les sensibilités et à tous les courants de pensées qui traversent la société burkinabè de s’exprimer librement le 15 octobre. C’est cela aussi l’Etat de droit. Les manifestations entrant dans le cadre de la commémoration du 15 octobre sont pour le peuple burkinabè une chance à saisir pour consolider la culture démocratique dans notre pays. Cela dans la mesure où la diversité des opinions ou des idéologies sont à la démocratie ce que les différentes espèces animales et végétales sont à la diversité biologique. Je voudrais simplement émettre le vœu de voir cette date être commémorée dans la responsabilité et le respect des normes de la gouvernance démocratique qui suppose, notamment, la liberté de manifester et la garantie d’un ensemble de droits égaux pour les citoyens, incluant les droits politiques et sociaux de base et des mécanismes assurant la participation populaire aux processus politiques.

- Démocratie et évolution socio-économique

À l’instar d’autres pays africains, le Burkina Faso a été soufflé par le vent de la démocratie au début des années 1990. Depuis, les différents décideurs de la République n’ont eu de cesse d’oeuvrer à l’ancrage d’une démocratie forte. Cette volonté de bâtir la démocratie sur un socle solide est réaffirmée dans la Constitution, notamment à travers les dispositions relatives à la garantie des droits et des libertés fondamentales. Le processus démocratique du Burkina bénéficie d’un certain nombre d’acquis mais connaît aussi des insuffisances.

Au titre des acquis, on note la mise sur pied et le fonctionnement effectif d’un certain nombre d’institutions républicaines. On note également l’organisation régulière des consultations électorales et l’adoption d’un code électoral et une diversité de partis politiques et la tendance de certaines formations à des regroupements. Autres acquis non moins importants, la floraison d’une presse privée ainsi que la tendance à la promotion et à la sauvegarde des principes et valeurs démocratiques. A cela s’ajoute l’existence d’un réseau associatif ancien et solide, une société civile relativement dynamique et l’éclosion progressive d’une citoyenneté locale à la faveur de l’enracinement du processus de décentralisation.

En ce qui concerne les insuffisances, on pourrait retenir au plan social la persistance d’un certain nombre de difficultés qui pèsent sur les citoyens. Il s’agit notamment de la cherté de la vie, de l’insécurité ou de la hausse du prix du carburant. Malgré les acquis démocratiques engrangés, on note un visage essentiellement urbain de la démocratisation et la persistance, à certains moments, des vestiges de l’Etat d’exception. Dans le secteur des médias, on observe parfois, la pratique de l’autocensure. Par ailleurs, la société semble souffrir d’une faible institutionnalisation. Du reste, on ne note pas une remise en cause fondamentale de la légitimité du régime en place.

- Les perspectives

Je reste optimiste pour le Burkina Faso et notre démocratie. En dépit des limites de notre système démocratique, il a le mérite d’exister et de fonctionner sous le poids d’un certain nombre de contraintes. Mais il nous revient de travailler à combler nos lacunes afin de consolider définitivement notre processus démocratique qui, et vous en conviendrez avec moi, est une quête permanente. En la matière rien n’est jamais perpétuellement acquis. Je crois que le Burkina a les arguments pour mieux réussir ce pari. Le chef de l’Etat a su maintenir la cohésion nationale, renforcer la démocratie et jeter les bases d’un progrès appréciable.o

Boureima SIGUE, DP des Editions « Le pays » : “Le Burkina avance à son rythme”

- le sens du 15 octobre 1987

C’est tout à fait normal parce que nous sommes dans une société plurielle du point de vue de la pensée politique. Il est bien qu’il y ait des pensées différentes par rapport aux nôtres. Cela montre que nous sortons de plus en plus du carcan de la pensée unique et que la société burkinabè est très ouverte politiquement et socialement. C’est une bonne chose que chacun puisse donner son interprétation, sa vision par rapport aux évènements.

- Démocratie et évolution socio-économique

La société burkinabè du point de vue de l’évolution sociopolitique n’est pas la dernière par rapport à d’autres contrées tout autour de nous. Le Burkina avance à son rythme. Mais en tant que démocrate, j’ose croire que nous serions allé plus vite s’il n’y avait pas eu certains travers qui ont ralenti un peu la marche de notre démocratie. Je pense notamment à l’assassinat de Norbert ZONGO qui a été une grosse tâche noire sur le tableau de notre processus démocratique. C’est vrai que cela a généré des réformes. Je me dis que s’il n’y avait pas eu cela nous ne serions pas à ce stade. Dans l’ensemble, c’est une avancée qui n’est pas très négligeable mais encore une fois de plus il est regrettable qu’il y ait ce point très noir sur le tableau.

Sur le plan économique, nous sommes partout félicités en tant que pays de bonne gouvernance. Là également on aurait pu mieux faire si on éradiquait certains facteurs handicapants. Je pense notamment à la corruption, au détournement de deniers publics… Si ces facteurs sont davantage maîtrisés on avancera encore mieux.

- Les perspectives

Vous savez en matière de perspectives, c’est difficile parce qu’il existe toujours des facteurs imprévisibles. Je suis de nature optimiste et dans l’ensemble les perspectives ne sont pas mauvaises. Je ne saurais dire qu’elles sont bonnes parce que nul ne sait ce dont demain sera fait.
Mais si je me table sur les fondamentaux actuels, je me dis qu’il y a de l’espoir.o

Edouard OUEDRAOGO, DP du journal « L’Observateur Paalga » : “Des caïmans du même marigot “

- le sens du 15 octobre 1987
Chacun a ses raisons. Il n’y a pas seulement que ces deux jugements. Moi, je préfère plutôt me mettre au-dessus de la mêlée.
Nous qui avons suffisamment de recul pour apprécier cette situation, je constate que ceux qui se battent aujourd’hui sérieusement pour commémorer dans un sens ou dans un autre le 15 octobre, ce sont des caïmans du même marigot. C’est d’abord des gens d’une même génération. Idéologiquement, ils ont tous participé aux groupuscules communistes. C’est une vérité historique que certains n’aiment pas entendre. Ceux qui gouvernent aujourd’hui, comme ceux qui animent l’opposition, c’est-à-dire la classe politique aujourd’hui mise à part ce qui reste de l’ADF/RDA, du PDP et d’éléments comme Laurent BADO (PAREN), … sont des communistes repentis. C’est la conjoncture internationale des années 90 qui les a tous amenés à se convertir à la démocratie.

A l’avènement du 15 octobre, on a tenu à dire à ceux qui pensaient que c’était tout de suite l’ouverture et qu’on en était revenu à la démocratie bourgeoise, pour reprendre leur expression, que le Front Populaire, après le 15 octobre, est l’approfondissement de la Révolution. Même cette date n’était pas une évidence qu’on avait amorcé la démocratie pluraliste telle que nous la vivons aujourd’hui. Une année après, il y a eu une évaluation au stade du 4-Août et il a été dit que ce n’était pas la démocratie où les gens se retrouvent à l’Assemblée sans savoir qui est majoritaire ou qui ne l’est pas. C’était une démocratie qui devait être encadrée par l’organe dirigeant qu’était le Front Populaire.

Avec le naufrage du communisme dans les années 90, avec la chute du mur de Berlin et le discours de la Baule, il a été imposé un dicktat de démocratisation par les institutions du Breton Woods. Je me réjouis que ce soient des communistes repentis car les vrais démocrates ne sont pas au pouvoir aujourd’hui. Ils appartiennent à une génération qui a été cannibalisée et s’est perdue totalement à partir de la Révolution et tout a été organisé afin qu’elle ne revienne pas au pouvoir.

Je déplore vraiment que cette célébration ne se fasse pas selon une formule consensuelle. 20 ans après, ils auraient dû tous sublimer leurs contradictions d’aujourd’hui pour la conquête du pouvoir, s’asseoir et réfléchir afin de tirer les leçons pour apaiser les tensions et la haine mortelle qui divise. Le seul mode de dévolution du pouvoir aujourd’hui passe par les urnes ; travaillons à ce qu’une alternative soit possible. Tant que notre vie politique sera marquée par ce mur de haine entre les tenants du pouvoir et certains de l’opposition qui rêvent d’y accéder peut-être même par tous les moyens, les chances de l’alternance ne seront pas sauvegardées.

Si Blaise COMPAORE doit craindre de quitter le pouvoir parce qu’il sait qu’il y a des gens qui attendent son départ pour le traîner devant je ne sais quel tribunal national ou international ou qui rêvent même de voir sa tête faire le tour de Ouagadougou sur une pique, ne serait-ce que par instinct de survie, même s’il était lui-même lassé par le pouvoir et pressé de s’en aller, il ne va pas hâter le pas. Si nous nous trouvons aujourd’hui avec une vie politique assez apaisée, l’alternance pourrait être envisagée. L’alternance non seulement de régimes ou, à défaut, l’alternance d’hommes. Tout cela est possible si nous sommes acquis aux vertus du dialogue, aux valeurs de la République. Pour le moment ce n’est pas ce sentiment qui m’anime. Je pense que ce 20e anniversaire aurait dû être l’amorce d’une démarche qui rapprocherait de manière civilisée l’opposition et la majorité qui gouverne.

- Démocratie et évolution socio-économique

J’ai coutume de dire que, entre Blaise COMPAORE et Thomas SANKARA, il y a eu une espèce de division historique du travail.
On a l’impression que le rôle de SANKARA a été de mettre le pays sur orbite, changer son nom, le faire connaître, décomplexer les Burkinabè de cette espèce de mal-être qui les habitait quand ils s’appelaient Voltaïques. Aujourd’hui burkinabè, ça sonne plus valorisant que voltaïque. Ça, nous le devons à Thomas SANKARA. Mais la construction patiente de notre démocratie et de notre économie nous la devons à Blaise COMPAORE qui a su hisser ce pays-là sur le plan institutionnel au rang de modèle. Dans la sous-région, nous sommes l’un des Etats, tant bien que mal et malgré la conjoncture sous-régionale et internationale défavorables, à sortir la tête de l’eau.

Ça n’a l’air de rien, mais payer régulièrement les salaires dans un pays dépourvu de tout, même si ce sont des perdièmes comme l’a dit Oumar BONGO (ndlr : Président de la République du Gabon), c’est une garantie pour notre économie et la paix sociale. Prenons Ouagadougou, la capitale est la vitrine par laquelle on juge un pays, la vitalité d’un pays c’est sa capitale, tous ceux qui viennent dans cette ville après quelques années d’absence ne tarissent pas d’éloges. Allez dans les villes moyennes, les choses bougent assez positivement bien qu’il y ait encore beaucoup à faire. Sur le plan de la démocratie, les fondamentaux sont respectés. Je déplore seulement que nous n’ayons pas une opposition suffisamment forte pour constituer une force non seulement de proposition mais aussi une alternance crédible de gouvernement.

- Les perspectives

Je veux me garder de tout optimisme béat. Les perspectives sont prometteuses mais il y a quand même un certain nombre de faits, d’indices qui montrent que notre démocratie est encore fragile. On se souvient de ce qui s’est passé les 23 et 24 décembre 2006, où à la suite d’une peccadille entre des éléments des forces de sécurité et de défense tout a failli basculer. Des aventuriers se seraient engouffrés dans la brèche qui était ainsi ouverte, pour que le pays plonge encore dans un cycle de violences dommageables pour notre démocratie.

Il y a aussi la violence qui s’est emparée de la ville à l’occasion de cette malheureuse affaire des « Kundé » (ndlr : chaîne de bars) où une méprise a dirigé la vindicte populaire sur les bars et dancings de ce groupe. Tout ça ce sont des éléments qui laissent voir qu’il y a en toile de fond, une violence latente parfois même proche de l’explosion et qui attend une occasion pour s’extérioriser. C’est certainement la précarité économique dans laquelle vit cette frange la plus active, la plus réactive de la population à savoir la jeunesse des grandes villes. Le chômage aidant, à longueur de journée, ils voient un certain nombre de signes extérieurs de richesse qui les frustrent et cela peut amener à une situation d’explosion.

Ça c’est le drame de tous les pays africains qui n’ont pas encore réussi à constituer une classe moyenne qui dans tous les pays du monde entier est l’élément stabilisateur d’un pays. Des gens qui mangent à leur faim, qui trouvent du travail, qui arrivent à scolariser leurs enfants, qui ont un minimum de confort pour ne pas vouloir tout détruire parce qu’ils n’auront rien à perdre. Si on s’en tient aux apparences, aux institutions qui fonctionnent, à la liberté qui est donnée de s’exprimer, de contester ou proposer, on peut penser que les perspectives sont bonnes pour la démocratie. Si on sait aussi lire les indices défavorables, il y a lieu de dire que tout n’est pas gagné, tout peut basculer à tout moment et qu’il faut que tout le monde en soit conscient et travaille à les éviter.

La récurrente question de la corruption qui est posée, il faut qu’au niveau du système, il y ait des mesures symboliques pour montrer qu’il y a une volonté politique réelle de travailler et lutter. On a beau multiplier les structures de lutte contre ce fléau s’il n’y a pas d’exemples, les gens ont l’impression que ces commissions et toutes les structures sont créées pour enterrer ou pour faire diversion et permettre à la corruption de fleurir de plus belle.

Professeur Basile GUISSOU, délégué général de CNRST :« Il faut positiver les problèmes plutôt que s’enfermer dans une bulle où on s’insulte… »

- le sens du 15 octobre 1987

J’ai publié un livre qui s’intitule « Le Burkina Faso, un espoir en Afrique », depuis 1995, malheureusement, je constate que les Burkinabè ne lisent pas. C’est un devoir de mémoire. J’ai été un acteur, j’ai apporté ma contribution, ce sont les autres qui peuvent apprécier.
Mais en toute âme et conscience, je crois que j’ai fait mon devoir de mon mieux au service de mon pays. Ce qui est arrivé le 15 octobre 1987, pour moi c’est une conséquence logique de notre incapacité à nous tous à l’époque de gérer de façon organisée, nos contradictions pour ne pas en arriver aux solutions extrêmes. On n’avait pas de règlement intérieur, pas de partis politiques, ni de constitution. En un mot tous les instruments qui permettent à une machine politique de ne pas s’emballer au sortir d’une expérience révolutionnaire. La révolution c’est un bouleversement par lequel un pouvoir renverse un autre et change complètement l’orientation du pays.

Automatiquement on crée un autre type de problème. S’il n’y a pas de balises pour gérer les contradictions en votre propre sein, ça implose. Le Conseil national de la révolution (CNR) n’a pas été victime d’une agression extérieure, le CNR avait atteint ses limites dans sa capacité à gérer de façon non violente ses contradictions en son propre sein. C’est ce qui a conduit à cette solution fatale, violente que les uns et les autres peuvent regretter sans que pour autant l’histoire s’arrête. Qu’on le veuille ou pas, le Front populaire a été constitué par les militants du CNR avant de s’ouvrir à d’autres sensibilités, etc. Il faut positiver les problèmes plutôt que s’enfermer dans une bulle où on s’insulte, on s’accuse parfois de façon très légère, à mon sens et gratuite sans détenir les éléments autres que l’indignation et le ressentiment. Je pense qu’il est temps de prendre du recul et regarder froidement notre histoire et l’assumer.

- Démocratie et évolution socio-économique

Vous ne parlez pas à un démocrate. C’est clair, moi, je suis un révolutionnaire. Vos appréciations n’engagent que vous. J’ai toujours dit partout, que je suis un révolutionnaire, je le reste, je ne crois qu’à ça. Une société ne peut pas évoluer si elle n’apprend pas à révolutionner ses comportements. Que chacun pense ce qu’il veut. Pour moi, il y a la nécessité d’avoir un pouvoir fort, avec des options claires qui par le monopole de la violence d’Etat impose un minimum à tout le monde, on ne peut pas laisser tout le monde faire ce qu’il veut. Mais, là, la démocratie libérale dit qu’elle veut que tout le monde fasse ce qu’il veut. Vous pouvez construire ce matin, quelqu’un va détruire le soir et un autre dit que vous ne construisez rien du tout. Personnellement, je m’inscris difficilement dans cette dynamique. J’ai été cultivé, formé, éduqué, avec un sens précis du pouvoir et de la lutte politique qui ne me permet pas de me sentir à l’aise quand on me parle « d’ancrage de la démocratie ».

Je constate qu’il y a 126 partis politiques, une Constitution, une Assemblée nationale, depuis 15 ans il y a des élections. Selon les critères de ceux qui défendent la démocratie libérale ça va. Au plan économique, le Burkina fait l’effort de garder le cap dans les grandes options, l’affirmation de sa personnalité économique en s’appuyant principalement sur l’agriculture et l’élevage qui sont ses principales sources de revenus. Nous avons pour l’essentiel ce qu’il nous faut pour avancer lentement peut-être mais sûrement vers une économie qui valorise au maximum nos ressources aussi bien humaines que matérielles.

Grâce à la réforme du système éducatif et à l’alphabétisation à 100% parce que tant que nos langues n’auront pas un statut officiel, ne sont pas enseignées à l’école et utilisées dans l’administration, on ne peut pas transformer notre pays à fond pour atteindre nos objectifs. Le gouvernement à l’heure actuelle a engagé des actions dans toutes ces deux directions-là. Je les salue et je les soutiens. Il faut que notre peuple soit au diapason de l’histoire, qu’il n’y ait plus d’alphabétisés que tous les enfants aillent à l’école de 6 à 16 ans et sortent de l’école en sachant utiliser leur cerveau et leurs bras pour créer de la richesse. L’Etat va accompagner par les infrastructures mais c’est le Burkinabè qui fera son propre bonheur.

- Les perspectives

C’est le savoir aujourd’hui qui gouverne le monde. Les idées neuves, la capacité d’innover, d’inventer, de s’adapter, voilà ce qui fait la différence entre les peuples. Ce n’est que par cette voie, je pense, les perspectives seraient meilleures.

La décentralisation en cours par exemple, ce n’est pas nouveau. Les Comités de défense de la révolution (CDR) étaient de la décentralisation, n’en déplaisent à nos détracteurs. Les CDR étaient un pouvoir décentralisé à 100%, excessivement décentralisé d’ailleurs. C’est pour ça que les gens se plaignent des dérives. Si on peut mieux organiser, ce n’est pas moi qui vais m’ y opposer. Je pense qu’on ne peut pas faire le bonheur des populations à leur place. Si elles peuvent s’organiser, élire leurs représentants et avoir comme interlocuteurs l’administration et l’Etat, tant mieux. Toute décentralisation se déroule dans un contexte sociologique, culturel, politique qui l’accélère ou la ralentit et minimise ou maximise ses résultats. C’est pour ça que je dis que l’accompagnement fondamental c’est l’alphabétisation à 100% et la scolarisation à 100%.

Avec ça tout ce que vous mettez en place, vous rencontrez des esprits disposés à comprendre d’abord et à mettre en œuvre, ce qui est visé par la décentralisation. Les résultats seront à l’aune de nos capacités à l’accompagner par les mesures à même de faire reculer au maximum l’ignorance et élever chaque fois le niveau de l’école pour que ça soit l’école burkinabè qui diffuse les valeurs du Burkina.o

Luc Marius IBRIGA, Professeur en droit public : “Il y a des acquis indéniables”

- le sens du 15 octobre 1987

Pour moi c’est une date noire dans l’esprit de l’humain et de l’amitié. On ne peut pas comprendre que des personnes amies et autres aient résolu leur problème dans un bain de sang. Cela donne une mauvaise image de l’amitié. Ce dénouement tragique s’est doublé aussi d’une supercherie parce qu’on nous a dit que c’était pour approfondir la Révolution et par la suite on a vu que cette lutte opposait deux camps.

Ceux qui voulaient pérenniser la Révolution et ceux qui voulaient y mettre fin. La réalité aujourd’hui le montre. On ne peut pas partir de la Révolution et vouloir appliquer des règles qui sont autres que les règles du capitalisme et aujourd’hui être converti absolument au libéralisme. Le 15 octobre est le dénouement d’une lutte idéologique entre deux courants qui s’étaient réunis dans le cadre du 4-Août parce que les circonstances l’ont voulu. Il y avait des intérêts objectifs qui ont uni les personnes mais au cours du chemin cela s’est distendu. Le 4-Août était un ramassis de différentes tendances.

La manière dont la séparation a eu lieu alors que cela était sous le sceau de l’amitié. Ce qui me fait dire que le 15 octobre n’est pas une date à conserver. Ce n’est pas une image que l’on doit donner à nos enfants et à nos arrières petits enfants de la résolution des problèmes entre deux amis puisque c’est comme ça qu’on nous l’avait présenté.
Je ne dirais pas que c’est le 15 octobre qui a résolu le problème de l’ouverture parce qu’après on a continué cette verve révolutionnaire. Après cette tactique pour conserver le pouvoir et lorsque cela s’est consolidé on a révélé qu’on n’est plus dans l’optique révolutionnaire mais nous embrassons les règles de Bretton-Woods. C’est un choix idéologique, une rupture idéologique qui est la tendance d’aller vers le libéralisme.

- Démocratie et évolution socio-économique

Il y a des acquis indéniables qu’il faut noter. Le fait qu’aujourd’hui il y ait une constitution qui a tenu la route et qui a dépassé le cap des précédentes. On a vu une ouverture politique qui a permis une stabilisation de la société. Avec le recul quand on réfléchit à la fréquence des coups d’Etat qui sont des systèmes de l’exclusion : soit vous suivez ou vous êtes taxés de traître à la cause nationale. Cela crée des frustrations et ferme le jeu politique. Ce qui fait que sans exutoire la seule solution c’est encore le coup d’Etat.

Le pluralisme des opinions a conduit à ce que on ait une stabilité que des gens puissent s’exprimer, donner leur point de vue bien que nous ayons un processus qui est toujours à parfaire parce que jusqu’à présent on n’a pas encore atteint ce stade du partage du pouvoir. C’est un leg que nous traînons de la Révolution. Il faut que nous arrivons au stade de la construction d’une administration républicaine qui soit débarrassée des influences politiques et qui doit être fondée sur le mérite et la performance. Ce sont là les lacunes que nous avons. L’absence du partage du pouvoir conduit à ce qu’il n’y a pas une place véritable pour l’opposition. Je dis cela parce que l’opposition doit être un sacerdoce.

Toutes les analyses qui sont faites sur notre administration par le Comité National d’éthique (CNE), montrent bien que cette politisation de l’administration est l’un des talons d’Achille des 20 ans du régime du président COMPAORE. Les règles du jeu de la compétition politique ne sont pas encore stables. Depuis 1991 on a modifié notre code électoral au moins 10 ou 12 fois. Au total, on se retrouve avec des inscriptions qui sont mal faites, un fichier électoral dont personne n’est content, un taux d’abstentions important. Au bout du compte la légitimité dont bénéficient les gouvernants est faible parce que le suffrage exprimé est en deçà du nombre de votants potentiels.

Sur le plan social, il y a des difficultés notoires parce que les 20 ans ont marqué un approfondissement de la fracture sociale. A savoir qu’il y a un hiatus entre une majorité de la population qui vit dans la pauvreté et une minorité qui vit dans une richesse insolente. Aujourd’hui une des conséquences des 20 ans c’est la montée de la corruption que le Burkina Faso n’a pas connue depuis son existence. Le président COMPAORE, lui-même le sait, sous la Révolution des gens ont été jugés par le Tribunal populaire de la révolution pour la somme de 30 000F.
Ils ont été jugés parce que c’était le bien public.

Aujourd’hui, il y a pire et il n’y a pas de poursuites. L’ensemble des structures sont gangrenées. Les fraudes aux examens, les rapports de la Haute autorité de lutte contre la corruption, la Commission de lutte contre la fraude, montrent bien que nous nageons dans une corruption sans égale. Ça c’est une tare des 20 ans. Ce qui ressemble à un laissez-faire. Les enseignants par le biais des inscriptions, les agents de la santé par les médicaments, ceux qui sont au niveau des transports par le biais des cartes grises. C’est un élément important au passif du président COMPAORE.

A l’actif, il y a l’image du Burkina Faso. Une image qui a été écornée au début des 20 ans où le pays a été indexé comme un « Etat voyou » pour emprunter le terme au président américain George W. BUSH. Mais par la suite, il y a eu un redressement de cette image internationale du Burkina Faso.

Les années du président COMPAORE, peuvent être qualifiées d’années de PAS (Programme d’Ajustement structurel). Jusqu’à présent de toutes les politiques de développement, le PAS, le développement humain durable (DHD), le Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté (CSLP) on ne voit pas les incidences notables sur le panier de la ménagère. Il y a aussi des déficits dans le cadre de la justice sociale, de la corruption. Dans la sous-région un des acquis est l’utilisation de notre expertise nationale qui d’ailleurs est peu exploitée au profit de la résolution des crises togolaises, ivoiriennes et même avant, celles des Touaregs du Mali et du Niger. Une des qualités du chef de l’Etat est sa capacité à rester passif face aux turbulences et autres accusations qui venaient de partout. Ce qui lui a permis de prendre le recul nécessaire pour gérer certaines questions.

- Les perspectives

Du point de vue du discours politique, la démocratique a un bel avenir au Burkina Faso. Aucun acteur de la scène politique aujourd’hui ne propose d’autres solutions que celle des urnes pour la conquête du pouvoir. L’avenir de notre démocratie dépendra de notre capacité à faire en sorte qu’elle soit adaptée à notre société. Il faut que nous prenions le temps de la réflexion pour réviser notre constitution surtout que nous avons encore 3 ans de trêves électorales afin d’enraciner la démocratie. Pas une révision pour servir les intérêts de quelques individus. Sans passion, il faut cette réflexion pour permettre d’asseoir une démocratie véritable. Qu’on aille en approfondissant en faisant en sorte que les administrés aient plus de droit, que plus de personnes sachent lire, etc. Sinon on arriverait à une routinisation de la démocratie. Tout dépend des différents acteurs politique et social qui auront à mener cette réflexion et de faire des propositions dans le sens positif.

On ne pourra avancer sans prendre la corruption par les cornes parce qu’à terme la démocratie risque fort de disparaître. Pour cause, elle crée des injustices, des frustrations qui vont vers l’explosion sociale. Cette vitalité aussi suppose l’élévation du niveau de vie de nos populations. Aujourd’hui encore la démocratie n’est pas à l’abri des messies et des facteurs de coup d’Etat. Je ne suis pas sûr aujourd’hui que s’il advenait un coup d’Etat, des gens sortiraient pour brandir la constitution qui interdit cette forme de prise de pouvoir. La preuve c’est qu’en décembre dernier (ndlr = affrontement policiers-militaires décembre 2006) on n’a pas vu une seule manifestation pour défendre la République. Ça veut dire que notre démocratie reste encore fragile.

Il y a aussi l’absence de priorités clairement définies, pour chaque Premier ministre. Et ces priorités pour que la démocratie s’enracine, c’est l’éducation, la santé et l’élévation du niveau de vie des populations. Sinon, notre démocratie restera tout simplement une démocratie citadine.

Et la conséquence, c’est que c’est une superstructure qui n’est pas véritablement en phase avec l’infrastructure rurale et le reste de la population. Enfin il faut que l’on travaille à la décentralisation. Elle est un facteur de renforcement de la démocratie dans la mesure où jusqu’à présent les Burkinabè ont l’impression que leur argent sert seulement à Ouagadougou. Avec la proximité de la gestion, ils seront prêts à contribuer pour un développement participatif parce qu’ils verront les retombées des impôts qui seront utilisés pour les routes, les marchés, les ponts, les dispensaires, écoles, etc. La décentralisation loin d’être un affaiblissement de l’Etat va le consolider et lui permettre d’attaquer d’autres priorités.

Yacouba TRAORE, Directeur TNB : “ La démocratie vit en se renforçant, j’en ai profondément la certitude”

- le sens du 15 octobre 1987

L’espoir ne peut pas mourir. Vous pouvez perdre un proche parent et résister, survivre à la mort d’un ami, mais vous ne pourrez jamais survivre à la mort de l’espoir. Je pense que c’est l’espoir qui fait vivre les hommes. Je préfère l’espoir malgré tout ce qui est arrivé le 15 octobre 1987. On n’a pas le choix, on doit continuer à vivre. L’espoir de ne pas mourir. Pourquoi l’espoir doit mourir ?

La valeur d’un peuple, c’est regarder son histoire et l’assumer. Je suis pratiquement de cette génération-là. Je travaille pour un Burkina meilleur ; un Burkina mieux que celui de cette période que nous avons connue qui est une période tragique du point de vue du dénouement tragique, de l’absence de liberté démocratique au sens que nous entendons aujourd’hui. En fait la Révolution n’a pas été mauvaise en soit. Elle a eu des côtés positifs qu’il faut travailler à maintenir. Elle a donné au Burkinabè sa dignité. Tout le monde regrette la manière dont la Révolution a été interrompue. On aurait souhaité une autre forme. Mais la fin de la révolution quelle que soit la manière dont elle a été opérée ne peut pas être la mort de l’espoir. Je refuse que ça soit la mort de l’espoir chez les Burkinabè.
On n’a pas le droit de perdre l’espoir.

Aujourd’hui, il y a des choses que la Révolution n’aurait pas réussi, que nous sommes en train de réussir. Aussi forcément, je préfère considérer cette période comme celle de la renaissance démocratique, de la liberté d’expression. Il faut se regarder chacun dans un miroir et se dire ce qui a marché, ce qui n’a pas marché et puis, essayer de construire un avenir meilleur.

- Démocratie et évolution socio-économique

Je ne suis pas un homme politique. Je porterai mon regard sur le paysage médiatique. Ça profondément bouleversé de manière positive le paysage médiatique. C’est indéniable. Je parlais de la période où il n’y avait pas la liberté d’expression. A partir du début des années 90, avec l’adoption de cette constitution, il y a eu comme un printemps des médias au niveau du Burkina. Je parlais de la liberté de ton utilisé par ces médias. Un bel exemple, c’est la fameuse interview que le président du Faso a accordée à la Télévision nationale, à la presse internationale et à notre confrère, Canal 3. Les questions ont porté jusqu’au cœur de la famille du président.

Certes après le micro-trottoir, il est ressorti qu’il a effleuré certaines questions. Soit mais moi, ce qui m’intéresse c’est ce bel exemple de liberté d’expression qu’il nous donne. J’ai rarement vu un chef d’Etat se prêter à ce genre d’exercice en donnant toute la liberté à ceux-là qui sont chargés de l’interviewer. Ce jour-là, il n’y avait pas de questions taboues. C’est incontestable qu’il y a quelque chose de positif qui se fait dans ce pays. Même Reporter Sans frontières (RSF) reconnaît, tout en exigeant justice pour notre confrère Norbert ZONGO, que dans ce pays, il y a une liberté de ton qui est incomparable. « Actu-hebdo » en est un bel exemple. Une émission qui reçoit l’opposition, le pouvoir, la société civile, etc.

Il faut travailler à consolider ces acquis et faire en sorte qu’on puisse engranger d’autres victoires. J’ai comme le sentiment qu’il y a des dispositions qui sont là pour pérenniser cette quête de la liberté.
Il y a 20 ans, j’avais 20 ans et quelques. Je vivais au crochet des parents. Cependant, je crois que même s’il y a croissance comme on le dit, on ne sent pas la répercussion au niveau du panier de la ménagère. Il y a beaucoup à faire dans ce sens-là. Surtout quand on rentre dans les profondeurs du pays. Le Burkina est un pays extrêmement pauvre, il faut le reconnaître. Il y a 20 ans aussi dans un village qui s’appelle Banakélédaga, il n’y avait pas d’électricité, on ne parlait pas de petite irrigation, etc. C’est pourquoi je dis que la question est difficile. Est-ce que le Burkinabè vit aujourd’hui mieux qu’il y a 20 ans ?
C’est vrai que la pauvreté est toujours là mais il y a 20 ans, les efforts qui étaient fournis pour lutter n’étaient pas à la hauteur des efforts qui sont fournis aujourd’hui. Ça au moins il faut le reconnaître.

- Les perspectives

Moi ce qui m’intéresse, ce sont les faits. La démocratie vit en se renforçant, j’en ai profondément la certitude. Sans fausse modestie, cela va servir d’exemple. Comment est-ce que le Burkina, qui est passé par des évènements comme le 15 octobre, le drame de Sapouy, a-t-il réussi à instaurer la force du dialogue. Je crois que ça peut servir de leçon. J’ai couvert les sommets Afrique-Taïwan, la presse chinoise est consciente de ces valeurs du Burkinabè, les valeurs de dialogue incarnées par le président du Faso, de rendre service au-delà du Burkina Faso. Je me rappelle encore une phrase prononcée en 1988 par Blaise COMPAORE invitant les Burkinabè à l’union : « Ce qui nous unit nous Burkinabè, est beaucoup plus important que ce qui peut nous diviser ».

Je crois que c’est extrêmement important que quelles que soient vos différences idéologiques vous vous assoyez autour d’une table pour vous entendre sur le minimum qui fait avancer ce pays. Nous, notre richesse ce sont les hommes, les valeurs incarnées par ces hommes. Aujourd’hui, on parle de manuels scolaires gratuits cela veut dire qu’on est conscient que le développement d’un pays dépend de la qualité de ses ressources humaines. C’est pourquoi l’accent est mis sur l’éducation avec la prolifération des écoles professionnelles. Le développement est d’abord mental. Il faut qu’on fasse sien le sentiment national.

Malgré la mondialisation, on appartient à un pays à qui on doit pratiquement tout. J’ai regretté la suppression des cours d’éducation civique dans les programmes d’enseignement primaire. C’est là aussi une des tares de la Révolution. La Révolution les avait balayés pour les remplacer par des cours d’idéologie. Ainsi demandez par exemple à des Burkinabè, le drapeau, le rouge est en bas ou en haut ? Ils ne savent pas. Il faut mettre l’accent sur la qualité de l’éducation en réinstaurant l’éducation civique.o

Rémi DJANDJINOU, rédacteur en chef de CANAL3 : “ Il y a eu beaucoup de règlements de comptes”

- le sens du 15 octobre 1987

C’est intéressant qu’on soit dans un pays où on s’exprime. Les populations sont libres de choisir une date qu’il faut commémorer. Le pluralisme de l’expression au Burkina Faso est érigé en terme de gestion de nos relations à l’interne. Ce qui peut poser problème, c’est peut-être ce à quoi il faut s’intéresser. Si cette date-là est aussi importante dans notre histoire en termes de renaissance démocratique ou fin d’un processus et qui oppose les uns contre les autres, il faudra que nos législateurs aient l’honnêteté de la regarder en face.

Si on célèbre le 3 janvier comme étant la victoire des partis politiques et la chute de Maurice YAMEOGO, je pense qu’il est aussi intéressant de se pencher sur cette date du 15 octobre. Il faut que les historiens prennent en compte cet aspect de la chose : 1987, c’était la Rectification. S’il est clair que de ce mouvement de rectification est né un processus démocratique, il est important de ne pas couper la réalité historique du moment qui était l’opposition entre deux courants révolutionnaires sur une dérive droitière d’un camp par rapport à l’autre. J’ai la faiblesse de penser que le consensus démocratique actuel est né plutôt dans les années 1989, 1990, avec sa matérialisation en 1991 avec le premier texte constitutionnel.

- Démocratie et évolution socio-économique

Quand on regarde les chiffres, il est évident qu’il y a eu un moment de dépression économique. Depuis ces huit dernières années, on a un taux de croissance qui est parfois de 4 ; 5 et un peu plus de 6%. Il faut dire que ce n’est pas suffisant en terme de répartition des richesses. Les économistes pensent que pour ressentir les effets, il faut qu’on soit autour de 8%. Ce qui est beaucoup plus important c’est la manière dont le fossé social est en train de se creuser entre les riches et les pauvres. Il est vrai qu’on a fait un pas dans le domaine des infrastructures routières. L’élément important c’est la lutte contre la corruption qui doit être menée. L’un des éléments qui anéantissent nos efforts de production de richesse, c’est cette gangrène sociale. Il faut que le Burkina sente qu’il y a une probité au niveau de l’Etat en terme de bonne gouvernance.

Là aussi, il faut relever un élément important qui est la faible participation de la population au processus démocratique vingt années après. Il faut que les prochaines élections soient participatives. Cela va passer par une bonne gouvernance, l’imputabilité de dirigeants en terme de responsabilité et par des partis politiques beaucoup plus présents au niveau de la scène politique et pas seulement en période électorale. Il ne faut pas être mauvaise langue. De 1987 à 1990, il y a eu beaucoup de règlements de comptes, de tentatives de coup d’Etat qui ont été réglées dans le sang. Depuis 1991, à part l’Affaire Norbert ZONGO, il n’y a pas eu véritablement une atteinte aux droits de l’Homme dans notre pays.

Je pense que le challenge qu’on a à relever, c’est comment, après 20 ans d’installation d’un système démocratique qui peut être clopin clopan, arriver à ce qu’au niveau de la bonne gouvernance, de la participation démocratique les Burkinabè se disent que ça vaut le coût de le faire. Sinon on peut aller droit dans un mur et c’est le retour peut-être des situations d’exception. C’était cela le problème, cette inadéquation entre les attentes des populations et la gestion qui a abouti à cette révolution.

- Les perspectives

Nous avons un certain nombre d’enjeux à relever. Pour moi la démocratie, ce sont des textes, des libertés et la mise en place de relations socioéconomiques entre les populations. Les différentes élections ont démontré qu’au niveau de nos textes, il y a nécessité de révision. Il faut qu’on fasse attention pour que cette révision ne soit pas un recul.

Egalement, en termes de répercussion sur la vie des populations. Il faut responsabiliser la population de sorte qu’elle se sente dans ce processus et se dise qu’elle peut attendre quelque chose de l’Etat. Si on a un système où la corruption, l’irresponsabilité par des attitudes d’individus qui font de la destruction de biens publics des faits banals et du refus même de respecter l’ autorité, une règle ; cela pose problème. Ensuite moi, je ne parlerai pas de 20 ans de démocratisation parce que, entre 1987 et 1989, il y a eu un certain nombre de purges à l’intérieur du système qui étaient loin d’être un élément de fonctionnement démocratique. Tant que les Burkinabè ne mangeront pas à leur faim, ils auront l’impression qu’il y a un Etat à double vitesse ; ce système-là sera toujours bancal. Il y a espoir mais il y a besoin qu’on soit honnête avec notre système, en tant qu’homme politique et en tant que population.

J’espère que quand on aura 40 ans de démocratisation, si aucun régime d’exception ne vient interrompre cette bonne marche, le débat sera clos en termes de participation et de bonne gouvernance.o

Moussa BANTENGA, directeur de l’UFR/SH : “Le Burkina se positionne comme un véritable repère dans la sous-région”

- le sens du 15 octobre 1987

Je constate qu’il y a ces deux tendances qui font partie de l’histoire contemporaine de notre pays qui malheureusement déchire encore le pays. C’est souhaiter que ces deux bords puissent trouver un modus vivendi à l’avenir et le plutôt serait le mieux d’ailleurs. En tant qu’historien, c’est normal qu’il y ait ces positions tranchées. Vous avez d’un côté un camp qui considère évidemment qu’il y a eu un acte qui a été posé remettant en cause des acquis notamment ceux de la révolution. Un autre camp qui considère que la révolution avait dévié et il fallait rectifier. Souhaitons que cela ne porte pas préjudice à l’image de notre pays.

- Démocratie et évolution socio-économique

20 ans ça fait beaucoup. On peut effectivement voir ce qui a pu être réalisé en 20 ans. Mais je dirais qu’il y a un élan qui a été donné avant les 20 ans. Il me semble que cet élan a été poursuivi. Moi, je ne vois pas deux camps forcément opposés. Pour moi, on peut faire la connexion. Il y a un élan qui a été donné en 1983.

Les héritiers de 1987 tentent de renforcer cet élan. Ce qui me paraît surtout important c’est l’aspect synchrologique. Depuis cette période, les Burkinabè ont renforcé cette capacité à se positionner sur le plan de la sous-région, sur le plan africain et sur le plan mondial. Avant 1983, la Haute-Volta était à la limite un arrière-pays. C’est pour cela que je dis que l’aspect psychologique est plus important que les autres. Le fait que le Burkinabè ait véritablement confiance en lui, qu’il soit fier et digne est un élément très important qui permet la cohésion du pays pour un véritable développement. Qui aurait pensé que la crise ivoirienne trouverait son début de solutionnement par la signature d’un accord politique à Ouagadougou ?

Voilà que le Burkina se positionne comme un véritable repère dans la sous-région.
C’est parce qu’il y a cette confiance, cet optimisme qui habite le Burkinabè. Cela me paraît plus important que les réalisations matérielles que nous voyons.

- Les perspectives

On pourra faire le point dans 7 ou 8 ans. S’il y a une alternance véritable d’ici à cette date, je dirais qu’on aurait fait un bond.
Mais si je remarque une tentative de boucler les choses, là cela nous poserait beaucoup de problèmes. Je vous dis la vérité, j’ai été peiné de voir que le chef de l’opposition refuse de se présenter aux élections. Je le dis en tant qu’intellectuel entre griffes. Je pense que pour une vraie démocratie sur le plan théorique ça ne peut pas se concevoir. On a encore le temps de voir les choses venir puisque selon la constitution actuelle on a 2 fois 5 ans. On verra au bout de cette échéance. Si ça se passe en respectant les textes, on aurait fait une bonne évolution.o

Achille TAPSOBA, député CDP : “Rien d’autre que la résolution d’une contradiction”

- le sens du 15 octobre 1987

Je pense que c’est leur lecture du 15 octobre 1987. L’espoir qui naît, l’espoir qui meurt… lorsqu’on prend chacun des aspects de cette façon, cela me paraît un peu unilatéral. Le 15 octobre n’a pas sanctionné la mort d’un espoir, ça n’a pas non plus sanctionné la naissance d’un espoir. Le 15 octobre a été le dénouement d’une situation sociopolitique qui se posait à notre pays et qui interpellait ses fils pour une solution pour avancer. Vous savez que certains lisent le 15 octobre de manière assez sentimentale et s’installent dans une certaine interprétation de ces évènements qui frisent le subjectivisme. Le 15 octobre n’est rien d’autre que la résolution d’une contradiction au sein d’une classe politique qui dirigeait le pays depuis 4 ans.

Une contradiction devenue intérieure par apport à des questions d’importance nationale. C’est trop simple de banaliser cela en des coups de fusils et en des morts d’hommes. Il ne faut donc pas banaliser les motifs. On déplore certes la perte en vies humaines, on déplore la violence dans laquelle la contradiction s’est réglée mais il reste cependant que comme toute contradiction, comme toute crise intérieure, c’est un dénouement qui devait être attendu d’une manière ou d’une autre. Vous savez très bien que lorsque des éléments armés font partie d’une crise, ou font partie d’une contradiction, le dénouement ne peut être qu’armé. Lorsque nous regardons ce qui s’est passé, les politiciens de l’époque ont été devancés par les militaires de l’époque.

La solution militaire est venue éclipser la solution politique. Je pense que ceux qui parlent d’espoir qui naît et d’espoir qui meurt raisonnent de manière sentimentale. Pour moi, je pense que le 15 octobre 1987, des patriotes sont tombés avec leurs convictions et leurs idées et le 15 octobre 1987 des patriotes sont montés au pouvoir avec leurs convictions et leurs idées.

- Démocratie et évolution socio-économique

C’est une grande question, mais je serais très simple dans ma réponse. Du point de vue du processus démocratique, je pense que la démocratisation est intervenue dans notre pays comme un mouvement naturel salutaire. Naturel dans la mesure où je pense que le processus démocratique est intervenu comme une solution à la dialectique de la nature dans notre pays ; bien sûr j’extrapole. Mais je veux dire que c’est une résolution de la situation sociopolitique dans notre pays depuis son indépendance. Pourquoi ? les premières expériences démocratiques qui ont été tentées par les 1re, 2e et 3e Républiques ont abouti a un échec qui faillit remettre en cause la pertinence de la démocratisation de la société aux yeux du peuple burkinabè.

Cet échec a conduit à l’avènement des pouvoirs d’exception qui se sont exercés de manière multiforme : des pouvoirs d’exception de la Droite et des pouvoirs d’exception de la Gauche. On a donc épuisé les lignes de contradiction interne de la politique d’un pays où tour à tour, la démocratie s’est exprimée et a échoué, les régimes d’exception se sont exprimés et ont échoué… La Droite s’est essayée, la Gauche s’est essayée et cela a abouti à des échecs successifs. Rien de plus normal que la démocratie revienne. Comme j’aime à le dire, les régimes démocratiques qui sont fondés sur des expériences révolutionnaires sont les plus solides. J’en veux pour preuve ce qui s’est produit en France où la 5e République s’est fondée sur une 4e République et tout cela s’est fondé sur l’importance de la révolution française. C’est elle qui a posé les bases et les jalons de la République au niveau de la France.

Aujourd’hui, nous pouvons dire qu’après notre expérience de la démocratie à travers les 3 premières Républiques suivies des régimes d’exception et de la Révolution, nous avons un socle assez puissant pour fonder une démocratie réelle, vivante et durable.

Le processus actuel ne peut pas être très simple parce qu’il prend en compte toutes les contradictions qui ont eu lieu dans la société burkinabè depuis les indépendances. Et la 4e République se retrouve avec tous les acteurs de ces différents processus et contradictions c’est un processus qui se retrouve avec une classe politique qui s’est recomposée. A partir de ce moment, ça ne peut pas être un processus simple. Contrairement à ce que certains pensent, ce n’est pas un processus voué aux génomies.
Nous devons reconnaître que notre démocratie se consolide avec ses forces, ses insuffisances qu’il faut corriger en dépassant les intérêts personnels calculés et le sentimentalisme. Sur le plan socioéconomique, pour être très bref, je dirais que l’évolution socioéconomique, nous laisse beaucoup d’espoir du point de vue de notre capacité à nous sortir du sous-développement.

Nous avons effectivement constaté que notre tissu économique est en train de se recoudre. Nous savons que nos potentialités économiques sont insuffisantes mais nos stratégies mises en place sont à la hauteur de nos attentes à telle enseigne qu’aujourd’hui malgré le peu de ressources que nous avons, nous avons la ferme conviction que si nous continuons sur les chantiers de la construction, nous pouvons bâtir un socle économique assez solide pour résister aux turbulences qui s’annoncent avec la formation des grands ensembles économiques et les accords de partenariat économique avec le Nord.
Nous devons continuer à axer nos efforts sur des réformes osés et des initiatives originales pour sortir des sentiers battus. J’ai confiance que nous allons aboutir à ce miracle économique que nous attendons tous.

L’Opinion

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