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Pauvreté et misère : Un combat contre des moulins à vent

Publié le jeudi 18 octobre 2007 à 08h01min

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La Journée mondiale du refus de la misère d’ATD/quart-monde vient nous rappeler opportunément que dans ce monde où la science et la technique promeuvent des progrès dans tous les domaines, dans ce monde opulent où l’obésité des enfants est en passe de constituer, en Amérique du Nord et en Europe, un problème majeur de santé publique, il y a des gens qui connaissent la pauvreté, ou pire encore, qui vivent dans la misère. Ce n’est pas, évidemment, la première journée.

Ce n’est pas la première fois qu’une ONG, une institution, une voie puissante et émue tire la sonnette d’alarme, force l’attention à se porter sur "la misère du monde", pour reprendre le titre d’un ouvrage majeur du sociologue français Pierre Bourdieu. Et, de toute façon, la misère se voit : elle s’étale sans pudeur dans nos villes, dans nos campagnes, sur les écrans de nos télévisions. Le citoyen burkinabè croise la misère à longueur de journée, s’il n’y est pas lui-même : la mendicité est une réalité constante de nos rues, de nos places, de nos quartiers. On ne peut donc pas éviter la charge de cette question : A quoi bon une Journée mondiale contre la misère ? N’est-ce pas une de ces journées qui, logiquement, ne devraient pas se répéter et, parce qu’elles se répètent, deviennent à la longue des rituels folkloriques ? Que peut-on raisonnablement attendre de ces solennités en termes d’amélioration de la qualité de la vie des hommes ?

Nous avons tous en mémoire ces slogans qui sentaient la résolution, la détermination et la bonne volonté : éducation pour tous en l’an 2000, santé pour tous en l’an 2000. Que sont ces "vastes programmes" devenus ?

La Journée mondiale de refus de la misère est parrainée par le mouvement caritatif ADT-quart-monde qui ferraille contre la pauvreté depuis 20 ans. Il faut dire que l’action caritative a une efficacité limitée, et qu’on ne peut pas se reposer sur elle pour éradiquer la misère dans le monde. Si la charité est un devoir, elle est incapable de résoudre les problèmes sur une vaste échelle et durablement. L’illustration classique de cette impuissance est l’histoire de saint Martin qui, n’ayant pour tout bien qu’une couverture, la coupe en deux et donne la moitié à un mendiant qui lui demandait la charité : cela nous fait, a-t-on observé, un saint de plus, mais pas du tout un pauvre en moins.

Dans ces conditions, on peut se demander si, dans une certaine mesure, ces cris du coeur ne contribuent pas à donner bonne conscience aux gouvernants, ceux du Tiers-monde et ceux des pays occidentaux qui ont, en principe, la charge d’organiser les actions qui créeront les conditions permettant aux hommes de vivre dignement. Car sans une action vigoureuse, soutenue, planifiée et cohérente, on ne peut pas espérer venir à bout de la misère. Or cette action d’envergure ne peut être initiée et conduite avec succès qu’avec les moyens humains, matériels et institutionnels des administrations publiques nationales et/ou internationales. Or, il est difficile de parler d’engouement réel et d’engagements effectifs, sur ce sujet, de la part des dirigeants du monde qui font en général preuve d’un zèle plus que modéré.

Dans les Etats africains où règnent la corruption, la malgouvernance, l’impunité qui en fait le lit et l’amplifie, l’absence de vision prospective qui oblige à toujours parer au plus pressé dans une logique du tout prioritaire, voilà des faits dont les dirigeants sont responsables et qui ne permettent pas à la lutte contre la pauvreté et/ou la misère d’être engagée sur de bons rails. Il est bien connu que la corruption cause du tort à ceux qui sont les plus faibles ; il est tout aussi bien connu que l’injustice sociale conduit tôt ou tard aux troubles qui compromettent la paix sociale et la stabilité politique, sans lesquelles on ne peut pas planifier des actions ni les réaliser de façon satisfaisante afin de procurer aux populations le minimum vital. Comment ne pas être désespéré quand on prend conscience de l’énormité des défis face auxquels les actions menées sont dérisoires ? L’Afrique qui est le continent de la misère subit tout : la famine, la maladie, les conflits aux retentissements sociaux, économiques, psychologiques et politiques considérables, la marginalisation, l’analphabétisme, ... Et que font les dirigeants et les élites de façon générale ? Des chicanes politiciennes, des pratiques qui ont pour noms gabegie, népotisme, clientélisme, élections frauduleuses, etc. Inconscience, incompétence ou impuissance ?

Reconnaissons que l’ordre économique et politique mondial n’est pas de nature à faciliter la tâche aux Africains. N’en déplaise au président Nicolas Sarkozy, le devoir de répéter que par l’esclavage et la colonisation, l’Afrique a été un réservoir en ressources humaines et en matières premières gratuites pour l’Occident. Quand on déclare que tout ne peut pas être mis sur le dos de la colonisation, on adopte une posture inconfortable. On insinue d’abord que l’Occident est le bouc émissaire que les Africains veulent charger de toutes leurs incuries ; on prétend ensuite, au fond, que la colonisation n’explique rien. Car enfin, les Africains ne prétendent pas que la colonisation explique tout ! Ne serait-ce que parce qu’il faut faire une place à ce que d’aucuns ont appelé néo-colonisation, impérialisme, etc. Nous vivons un ordre mondial injuste, des rapports commerciaux entre Etats particulièrement inégaux.

Les Etats-Unis qui sont des champions du libéralisme économique quand il est question d’échanges internationaux font de l’interventionnisme dans la politique économique nationale : c’est ainsi qu’il accordent des subventions à certains de leurs acteurs économiques alors qu’ils les critiquent sévèrement chez les autres, en l’occurence chez les Africains. Comment comprendre une telle hypocrisie qui réduit à la misère de nombreux agriculteurs africains ? Quand le président Nicolas Sarkozy participe, au Trocadéro, aux manifestations qu’organisent plus de 20 000 associations à l’occasion de la Journée mondiale du 17 octobre, qui peut oublier ses idées sur l’immigration qui ne vont pas, c’est le moins qu’on puisse dire, dans le sens de la charité ? La paupérisation des pays africains ne s’explique pas du tout par l’inaptitude culturelle des Africains à s’inscrire dans la logique du développement. Oublie-t-on le poids de la dette dont l’action nocive est telle que l’on a pu parler de développement des pays développés par les pays dits sous-développés ?

Répétons-le donc : la lutte contre la misère est un chantier immense. Elle nécessite l’engagement des autorités publiques, seules à même d’opérer les changements profonds. Les Etats africains doivent prendre le problème à bras le corps, combattre la corruption et l’impunité, travailler à la justice sociale ; ils doivent élaborer des politiques de développement éclairées par une vision prospective. Ils doivent aussi développer la coopération Sud-Sud, au lieu de toujours se tourner vers le Nord dont les cadeaux peuvent être empoisonnés. Les Etats occidentaux doivent appuyer les schémas-directeurs que chaque pays du Tiers-monde élabore pour un développement endogène et harmonieux. Il ne s’agit pas de donner de l’argent mais de créer et de développer les conditions qui permettent aux gens de se prendre en charge eux-mêmes.

Le Pays

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