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Blaise Compaoré : "Les élites africaines doivent éviter les caricatures démocratiques"

Publié le mercredi 17 octobre 2007 à 07h28min

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Blaise Compaoré

A l’ouverture, le 14 octobre, du Colloque international sur "Démocratie et développement en Afrique" organisé pour faire le bilan de 20 ans de démocratisation, Blaise Compaoré a rappelé à ceux qui pensent que l’Afrique n’est jamais entrée dans l’histoire les brillantes civilisations élaborées par les grands empires qui se sont constitués à différentes époques au Sud, au Centre, à l’Est, au Nord et à l’Ouest du continent. Le président burkinabè a aussi invité les élites politiques africaines à éviter les caricatures démocratiques en s’appuyant, en plus des partis politiques, sur les structures authentiquement organisées par les peuples eux-mêmes pour leur émancipation comme les associations et les pouvoirs traditionnels locaux.

- Mesdames et Messieurs les Chefs de délégation des partis frères et amis,

- Distinguées personnalités du monde de la culture et des sciences ;

- Honorables invités ;

- Mesdames, Messieurs,

C’est avec une fierté légitime que le peuple du Burkina Faso, son parlement, son Gouvernement et moi-même vous souhaitons la bienvenue dans notre pays.
L’organisation de ce colloque répond à notre souhait d’offrir une tribune de libre expression démocratique, ouverte à tous ceux que la situation actuelle de l’Afrique interpelle comme acteurs du débat d’idées et de la confrontation des choix stratégiques pour l’avenir du continent.

Sans prétendre offrir des formules magiques, notre colloque se veut une contribution à la relance du débat sur l’avenir des Etats africains pris individuellement et collectivement dans le contexte actuel de la mondialisation.

- Chers frères et amis,

Au Burkina Faso, voilà vingt ans, que nous avons entamé les réformes pour une renaissance démocratique. Deux décennies durant, nous avons pris le chemin de la démocratisation et du développement malgré les obstacles et les pièges multiples. Deux décennies de labeur, de recherche permanente du consensus, durant lesquelles il a fallu avancer, parfois reculer, trébucher, s’éloigner du but, avant d’y revenir avec conviction, courage et abnégation. Deux décennies difficiles, faites souvent de succès éclatants, de revers parfois, mais toujours de constance, de persévérance et de confiance dans les capacités de notre peuple à assumer son histoire politique. Cette période a été, pour un pays sahélien, au cœur d’une boucle handicapée par la nature, celle d’une longue marche sur la voie complexe de la démocratisation et du développement.

Le Burkina Faso s’est tracé son chemin à force de labeur, de dignité et de courage dans le tumulte d’un monde en pleine évolution multidimensionnelle, sociale et économique, politique et idéologique, technique et informatique. Sur la même période, les Etats africains ont eux aussi connu des fortunes diverses dans leurs évolutions historiques. Le temps est donc venu de jeter un regard sur le chemin parcouru, de jauger les résultats obtenus, de scruter des horizons nouveaux, afin de penser et créer l’avenir pour les générations futures. Cet échange auquel nous vous avons conviés, mesdames et messieurs, pour partager nos réflexions s’ordonne autour d’une problématique qui sied à l’Afrique : la démocratie et le développement.

- Mesdames, Messieurs,

Aujourd’hui, l’Afrique est le continent le plus accablé par des maux comme l’ignorance, la maladie, la misère, la faim et la guerre. Les rapports des Institutions Internationales en attestent, et leurs classements successifs, quelles que soient leurs bases, sont sans appel. Tout se présente comme si de manière implacable et irrémédiable, notre continent était voué à la disparition avant la fin de l’Histoire, dans laquelle, pour certains esprits, l’Afrique n’est jamais entrée.

Formuler de tels points de vue, c’est d’une part oublier que l’Afrique a connu des modes de gestion du pouvoir qui sans être des systèmes démocratiques achevés, présentaient des formes similaires et des processus d’accession, de conservation et de dévolution du pouvoir acceptés par les peuples.

C’est d’autre part méconnaître les brillantes civilisations élaborées par les grands empires qui se sont constitués à différentes époques au Sud, au Centre, à l’Est, au Nord et à l’Ouest de notre continent.

- Distingués participants au colloque,

Les temps ont changé, le monde a évolué, et l’Afrique se retrouve aujourd’hui dans le peloton arrière. Il appartient à notre génération de relever le défi du développement, de la bonne gouvernance et de la démocratie pour la renaissance de l’Afrique. Le thème de notre colloque « démocratie et développement en Afrique » nous invite à un examen approfondi des modalités d’évolution de nos Etats et de nos sociétés vers des formes accomplies, garantissant à chacun les conditions d’un épanouissement politique et économique. Cette problématique a certes déjà été abordée dans d’autres rencontres, mais elle mérite toujours notre attention pour y apporter une réponse satisfaisante et dynamique.

En 1998, lors des travaux d’un panel de l’UNESCO réuni autour de cette thématique, des savants et experts mondiaux ont formulé une conclusion intéressante selon laquelle : « Pour se consolider, la démocratie politique doit trouver son prolongement dans les mesures économiques et sociales qui favorisent le développement, de même que toute stratégie de développement a besoin pour être mise en œuvre, d’être validée et renforcée par la participation populaire ».

Pour notre part, tirant leçon des insuccès des régimes issus des indépendances et des longues années d’expériences politiques et pratiques, notre conviction est établie que seules une expression libre des opinions et une participation populaire consciente sont à mêmes de promouvoir une société de développement fondée sur la démocratie participative qui libère les initiatives créatrices des populations.

- Distingués invités,
- Mesdames, Messieurs,

Les élites politiques africaines doivent avant tout éviter les caricatures démocratiques en s’appuyant, en plus des partis politiques, sur les structures authentiquement organisées par les peuples eux-mêmes pour leur émancipation.
Au Burkina Faso par exemple, plus de cent mille associations et organisations dont environ quarante deux mille groupements paysans se prennent en charge et définissent leurs priorités à travers des débats démocratiques. Les pouvoirs traditionnels locaux ne sont pas en marge de cette dynamique. Ce socle populaire est le régulateur, le garant de la paix sociale et de la stabilité.

Cependant, le faible niveau d’alphabétisation de nos populations ralentit l’affirmation des processus d’appropriation de la conscience démocratique dans nos pays.

Une telle situation invite à l’examen des conditions de renforcement de l’éducation de base et l’élimination totale de l’analphabétisme et de l’ignorance. L’éducation multidimensionnelle et la valorisation du capital humain constituent les axes majeurs du programme de développement du Burkina Faso.

- Mesdames, Messieurs,

La démocratie au Burkina Faso s’enracine depuis 1991, en raison de l’élan consensuel que nous avons su maintenir et organiser dans la liberté d’agir en commun, pour un idéal de paix et de développement social et économique.

Plusieurs partis se disputent la scène politique et l’animent de manière permanente au cours de consultations électorales régulières.
Les institutions gouvernementales, judiciaires et législatives qui fondent la trilogie du pouvoir fonctionnent sans discontinuité.

L’architecture démocratique et républicaine est définitivement établie et admise même si des améliorations restent possibles.

Il nous appartient de poursuivre la lutte pour parfaire le système, et parvenir à l’éradication des sphères de pauvreté et d’analphabétisme.

- Chers frères et amis,
- Distingués invités,

L’équation démocratie et développement serait simple, si elle se posait seulement en terme d’étapes. La résolution des questions politiques et de participation consciente des populations est un préalable important pour les réponses aux questions du développement. Face à la complexité des situations, l’Afrique doit trouver ses propres schémas en évitant les généralisations.
Les peuples et les élites de notre continent ont besoin de se rencontrer davantage, de s’écouter mutuellement et de partager leurs expériences sur les solutions aux problèmes du développement.

C’est pourquoi, je suggère, si vous en convenez qu’une plateforme minimale articulée sur les points suivants soit dégagée :

1.Reconnaissance et garantie de toutes les libertés fondamentales dans tous les Etats du Continent ;

2.Instauration de régimes constitutionnels librement acceptés par les populations comme base légale de l’exercice du pouvoir d’Etat ;

3.Reconnaissance du système multipartiste dans tous nos Etats et institution d’élections libres et transparentes comme mode de dévolution du pouvoir ;

4.Rejet de toutes les formes de gestion ethnique ou tribale du pouvoir d’Etat et de tous les conflits armés ;

5.Exigence solidaire et collective pour l’annulation de la dette africaine comme l’une des mesures de réparation des multiples préjudices subies par le continent ;

6.Revendication collective et solidaire pour une adaptation des programmes d’ajustements structurels aux réalités des Etats Africains avec une priorité accordée au développement social et aux infrastructures ;

7.Revendication de l’établissement de règles du Commerce International susceptibles d’assurer la promotion du développement en Afrique ;

8.Valorisation des ressources humaines et culturelles et création d’un cadre global de concertation sur les migrations ;

9.Reconnaissance des droits politiques et économiques de la femme africaine et établissement de programmes spécifiques pour la promotion de la jeune fille et de l’enfance ;

10.Elargissement des opportunités de création d’emplois décents sur le continent pour la jeunesse africaine par une diversification de la production économique et la promotion des technologies de l’information et de la communication ;

11.Nécessité d’appuyer la société civile pour fortifier les bases du dialogue ;

12.Adoption et mise en œuvre de programmes ambitieux pour la défense et la promotion de l’environnement.

Cette plateforme minimale, si elle vous agréait, pourrait être enrichie par vos réflexions et portée à la connaissance de la commission de l’Union Africaine, pour qu’ensemble, les Etats Africains s’engagent dans une démarche solidaire et dynamique en vue de la renaissance démocratique et du développement en Afrique.

- Honorables invités,
- Mesdames, Messieurs,

La question de l’unité africaine demeure une préoccupation fondamentale. Elle exige de nous, clairvoyance et sérénité pour éviter d’en faire un simple slogan.
C’est par l’efficacité et la complémentarité des structures sous-régionales d’intégration que se consolidera l’unité des peuples africains.
La démocratie et le développement sont deux socles majeurs pour la renaissance de l’Afrique. Ils sont avant tout un contact avec les populations. Ils doivent cristalliser tous nos engagements et servir de point de repère pour nos actions. Les expériences de certains pays africains sont encourageantes et doivent être préservées dans le renforcement de l’Etat de droit.
Ces résultats ont été obtenus grâce à une réforme de la justice, la pratique de la bonne gouvernance, l’instauration de la liberté de presse et d’opinion, la lutte contre la corruption, le tribalisme et l’ethnicisme.

Cette dernière exigence est particulièrement importante car pouvant être le point de fracture de la société, et entraîner des conflits fratricides qui sont les pires ennemis de la démocratie et du développement.

Chers frères et amis,

L’Afrique n’a plus le temps. Chaque moment qui s’écoule est précieux et mérite d’être mis à profit.

Même si tout n’est pas permis à l’Afrique, tout reste possible en Afrique.
En souhaitant qu’au cours de ces trois jours de réflexion et d’échange, germent des idées novatrices pour le progrès et le bonheur des peuples africains, je déclare ouvert le Colloque International « Démocratie et Développement en Afrique ».

Je vous remercie.

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