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15 octobre 1987 : De la révolution à la démocratie

Publié le mardi 16 octobre 2007 à 08h14min

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Le Burkina comme la plupart des pays africains n’a pas été épargné par le vent de la démocratie. Dès le 31 décembre 1987 le Capitaine Blaise COMPAORE, Président du Front Populaire lançait l’appel suivant : « je vous invite donc révolutionnaires, patriotes, démocrates à plus d’ouverture les uns envers les autres pour créer les conditions de l’unité du peuple autour du Front populaire. »

Une approche historique de la vie politique de l’époque fait ressortir le caractère nouveau et quelque peu insolite de ce discours qui a étonné et surpris plus d’un observateur de la scène politique burkinabé.
Deux ans après cet appel, la cohabitation entre différentes sensibilités politiques était scellée par la première session de la Coordination du Front Populaire.

On aurait pu penser qu’après les multiples tentatives de démocratisation de la vie politique nationale et surtout l’échec du C.N.R. (Conseil National de la Révolution) pour unir la gauche burkinabé, la direction politique du mouvement de rectification au lendemain du 15 octobre 1987 allait choisir le chemin de la facilité ; celui généralement emprunté par la plupart des régimes africains, c’est-à-dire, la création bureaucratique d’un parti unique rapidement baptisé de « creuset national », l’embrigadement des populations pour jouer les figurants dans le cadre d’une politique marquée par la répression et l’inquisition.
Ce chemin a quelque peu été évité dès le départ. Le président Blaise COMPAORE a en effet annoncé dans son premier discours l’avènement d’une véritable démocratie. Combien étaient-ils les burkinabé à ce moment à croire en une telle mutation ? Très peu en vérité.

A l’image du train de la révolution dont a parlé le commandant Arsène Yé BONGNESSAN devenu par la suite Président de l’Assemblée, Ministre d’Etat, Ministre de l’Agriculture et aujourd’hui deputé, le chemin fut long, exaltant pour beaucoup de camarades, périlleux pour d’autres (assassinats et multiples disparitions).Pour en arriver à l’admission de la CNPP (Convention Nationale des Patriotes Progressistes) du GDP (Groupe des Démocrates et Patriotes) et de l’UDPB (Union des Démocrates et Patriotes du Burkina) il a fallu éviter bien des écueils, « contraindre » certains à jouer le jeu, d’autres à plus de modération, tant le « libertinage idéologique » existe dans la classe politique burkinabé. De véritables négociations jalonnent cette phase considérée comme étant l’approfondissement de la Révolution.

Dans le cheminement du Burkina vers des acquis en faveur de la démocratie, des dates méritent quelques attentions. 15 avril 1989 : Conférence pour la réunification des organisations de gauche. (Conférence unitaire) l’UCB (Union des Communistes Burkinabé), une fraction du GCB (Groupe des Communistes Burkinabé) devenue par la suite MDS, et une autre de l’ULC, le PLP (Pour le Parti) se retrouvent avec les militaires pour créer l’ODP/MT (Organisation pour la Démocratie Populaire, Mouvement du Travail).

La condition majeure d’adhésion est l’autodissolution politique des différentes organisations membres, qui ne peuvent plus y figurer qu’au seul nom de l’ODP/MT. Cette création est annoncée en avril 1989 dans la province de la Tapoa lors d’une tournée du Commandant Bognessan Arsène alors coordonnateur national des structures populaires. Le Comité Central de l’ULC et celui du GCB se font tirer les oreilles car déjà des difficultés nées de la cohabitation des différents leaders au sein d’une même organisation se posaient. Néanmoins, le 24 avril 1989 quelques uns des caciques de l’ULC font leur entrée dans l’ODP/MT d’autres créeront le PPS (Parti pour le Progrès Social).
Ceux du GCB/MDS maintiennent leur position, à savoir être du Front ; sans pour autant appartenir à l’ODP/MT. Première phase : le regroupement de la gauche. Deuxième phase : l’ouverture politique.
L’effet immédiat a été le remaniement du 2è gouvernement révolutionnaire qui a vu le départ des éléments du G.C.B et de l’U.L.C. écartés parce qu’ils ont refusé soit d’entrer dans le Front soit d’appartenir totalement à l’ODP/MT.

L’ouverture politique est annoncée le 07 juin 1989. Monsieur Oumarou Clément OUEDRAOGO alors Ministre délégué à la coordination du Front Populaire devenu par la suite Secrétaire Général du P.T.B et assassiné le 09 décembre 1991 ; au cours d’une conférence de presse apprenait à l’opinion la tenue prochaine de la session de la coordination du Front Populaire, et la concrétisation de l’ouverture démocratique par l’adhésion au Front du Groupe des Démocrates Patriotes (G.D.P) du Mouvement des Démocrates Progressistes (MDP) et du Groupe des Démocrates Révolutionnaires (GDR). La première session tant attendue par les populations se tient, à l’issue des travaux, les résultats, aux dires des participants interviewés par la presse nationale sont satisfaisants.

Un grand coin de voile venait d’être levé sur les inquiétudes des uns et la soif de démocratie des autres concernant l’intention réelle de la direction politique d’aller vers une véritable démocratisation de la vie politique. En, réalité, le 04 août 1983, il se dessinait déjà quelque chose à l’horizon. Ce n’était pas très clair, mais l’intention était déjà perceptible, d’aller vers un regroupement des forces de gauche pour faire face à l’impérialisme et à ses valets locaux et surtout faire face aux défits du dévéloppement national.
Avec la Révolution, l’immensité des tâches était telle que tout était prioritaire dans ce pays pauvre. L’organisation scientifique du travail et le développement harmonieux exigeaient la présence à la tête du pays, d’hommes politiques intègres et déterminés à ne se consacrer qu’au développement intégral du Burkina. Les hommes étaient là, mais l’organisation était défaillante.

Les moyens pour y parvenir étant très faibles, souvent inexistants, il aurait fallu une conjugaison d’intelligences pour rassembler le maximum d’énergies humaines afin de faire aboutir ce projet. Du fait des contradictions internes du CNR, de son incapacité à associer toutes les forces de progrès à son projet de société et malgré tous ces handicaps son désir d’y parvenir par des voies tortueuses l’ont conduit à utiliser le bâton, à recourir à la pratique de l’inquisition et d’autres méthodes du même genre. Dès lors une désintégration de la société s’est opérée en lieu et place de la grande retrouvaille qui aurait assurément fait aboutir le développement cohérent du pays. Cela explique en parti les événements du 15 octobre 1987.

Des tâches importantes et difficiles attendaient donc la direction politique du mouvement de rectification. Comment réussir le pari de regrouper toutes les sensibilités politiques pour continuer le développement économique entrepris par la RDP ? deux tâches ardues à l’époque qui sont aujourd’hui encore en chantier, car l’évolution de la situation nationale de l’époque à la veille du référendum, des présidentielles et des législatives ne permettait pas de dire que le bout du tunnel était proche. Cependant, le travail accompli par la direction politique du Front Populaire a permis d’aplanir une grande partie de ces difficultés avant la tenue du premier congrès intervenu les 1er, 2, 3 et 4 mars 1990. Ce congrès que d’aucuns ont qualifié d’historique a en effet polarisé tous les regards, car de son succès dépendait la détermination de l’avenir politique du pays.

Pour sa réussite, dès le mois de décembre 1989, des missions du Front Populaire ont sillonné tout le pays afin d’informer le maximum de militants sur sa tenue en mars 1990.
Ces missions ont révélé la maturité politique du peuple burkinabé qui s’est intéressé avant tout à l’avenir du pays et au contenu politique et économique du programme d’action du Front Populaire. Puis ce furent les avis des différents responsables politiques toutes sensibilités confondues sur le thème du Congrès « pour le développement des forces productives renforçons la démocratie populaire ».
Leurs déclarations ont laissé transparaître un consensus de tolérance et un désir d’aboutir à l’unité de tous autour d’un programme d’actions bénéfique au peuple burkinabé.

Pour achever de convaincre les sceptiques sur l’importance de ce congrès constitutif du Front Populaire, le Capitaine Blaise COMPAORE, lors de son discours de fin d’année 1989 affirmait « qu’au sortir de ce congrès, nous devons nous acheminer vers un environnement institutionnel légalisé accepté par la majorité de notre peuple au moyen de mécanisme démocratique ». Qu’avait-il voulu dire ? Déjà pour les observateurs avisés le cheminement vers la rédaction d’une constitution donc vers un Etat de droit n’était pas loin. La confirmation de cette hypothèse et la réalisation de l’aspiration populaire par le discours du capitaine Blaise COMPAORE lors de l’ouverture du congrès ont été un gage que la démocratie tant attendue n’était plus un mirage.

A l’issue des travaux, une commission constitutionnelle de 104 membres composée de toutes les sensibilités politiques membres du Front Populaire et de tous les groupes de pression du pays a été constituée, et avait pour mission de préparer un avant-projet de constitution dans les six mois qui suivent. Adopté le 27 septembre 1990, le 15 octobre 1990, date anniversaire du Mouvement de rectification, cet important document est officiellement remis au Chef de l’Etat par le Commandant Arsène Yé BOGNESSAN, président de ladite commission. Composé de 176 articles, l’avant-projet de constitution est un modèle qui s’inspire des précédentes constitutions du pays. Mais il reste néanmoins un outil original qui tient compte de la spécificité politique du Burkina de l’époque et de son histoire.

Ce document n’autorisait que les partis politiques adhérants à certains principes de base tels que : l’anti-impérialisme, l’organisation et la participation des structures populaires à la fonction de parlementaires sous une forme à déterminer. L’Etat quant à lui devait être révolutionnnaire, démocratique, populaire, laïc et social. Bref, une codification des structures révolutionnaires qui existaient déjà. Vu les conditions de l’époque, le travail a été apprécié en son temps et soumis à un examen approfondi les 14 et 15 décembre 1990 lors d’assises nationales convoquées à cet effet. Les travaux des assises ont purement et simplement rayé du projet de la constitution les terminologies de peuple, d’antiimpérialisme, et d’autres termes jugés trop partisans ou ne traduisant plus la réalité de la situation nationale.

Ainsi, le Burkina est désormais un état démocratique, unitaire et laïc.
A l’approche du 02 juin 1991, date du référendum, la cohabitation connaissait de plus en p1us de difficultés. Plusieurs partis membres du Front tiennent leur congrès ; dans le même temps, de nouveaux partis voyaient jour presque quotidiennement. Le MDP éclate, une tendance reste au front avec Lassané OUANGRAOUA et l’autre devient l’ADF avec Hermann YAMEOGO à sa tête.

Le 07 mai 1991, la CNPP qui avait commencé à dénoncer une certaine hégémonie de l’ODP/MT ne cache plus son intention de quitter le Front. Le congrès extraordinaire du Front Populaire à l’issue de ses travaux prononce l’exclusion de la CNPP/PSD et annonce en même temps la déconnexion de l’Etat d’avec les structures du Front Populaire qui devient un simple parti comme les autres. Le 02 juin, le peuple vote massivement le « oui » au référendum. Une table ronde est convoquée par le Chef de l’Etat pour discuter de la période transitoire et de la formation du Gouvernement. C’est autour de cette table que naît la bipolarisation qui caractérise encore aujourd’hui la vie politique nationale. Pendant six (06) mois, 13 partis politiques quittent la table, leurs propositions n’ayant pas été agréées par le Chef de l’Etat, Président de séance.

Le 16 juin 1991 le premier gouvernement de transition est formé. Il vivra juste un mois. Après plusieurs prises de contacts, le deuxième Gouvernement beaucoup plus représentatif intervient le 26 juillet 1991.
L’élection du Président et celle des députés interviendront respectivement le 1er décembre 1991 et le 24 mai 1992. Grand artisan de cet avènement, le Capitaine Blaise COMPAORE n’a pas eu la tâche facile avec d’une part toutes les organisations admises au sein du Front et qui avaient conservé leur autonomie et d’autre part après le départ du groupe des treize, la tension sociale proche de l’explosion a failli faire voler en éclats la fragile harmonie que le Chef de l’Etat s’évertuait à maintenir. Les pires difficultés sont pourtant nées après tant d’efforts. A la veille des présidentielles, le pays était au bord de la guerre civile ; nul ne pouvait imaginer que les choses se passeraient si calmement à cause de la situation politique cahotante.

Les marches de la CFD (Coordination des forces démocratiques) et les contre-marches de l’ARDC en bipolarisant la vie nationale avaient rangé les populations dans deux camps distincts d’où aucune conciliation ne semblait possible. Cependant les présidentielles n’ont pas connu de grands remous compte tenu de la candidature unique de l’actuel chef de l’Etat. Les pires craintes étaient à envisager pour les élections législatives à cause de l’entrée en lice des principaux partis politiques.
Finalement, ces législatures aussi eurent lieu sans grand heurt même si celles-ci furent entachées de beaucoup d’irrégularités. D’autres élections ont suivi toujours avec les mêmes ressentiments de ceux qui s’estiment floués.

Il y a encore des accrochages entre les différents partis qui atteignent aujourd’hui la centaine ; et le 15 octobre 2007 ne déroge pas à la règle car les mêmes acteurs sont toujours là se regardant en chiens de faïence.
Ce sont là entre autres difficultés, le prix de la démocratie et l’originalité d’un tel Front Politique. La diversité des sensibilités avec comme soubassement une plate-forme minimale commune, l’intérêt supérieur de l’Etat et une tolérance mutuelle.

B. Hubert PARE
Journaliste

Sidwaya

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