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15-octobre : réactions autour d’une double commémoration

Publié le lundi 15 octobre 2007 à 06h58min

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Alain Zoubga

A l’unique question suivante : « Auriez-vous conseillé à la mouvance présidentielle de commémorer le 15 Octobre en même temps que les Sankaristes ? », nous avons obtenu les réponses ci-après.

Docteur Alain Zoubga, Président de « L’Autre Burkina/Parti pour le Socialisme et la Refondation » : D’abord, je me demande si on peut donner des conseils à ceux qui sont en face. Surtout venant de moi, je crois que ce serait disqualifié à leurs yeux. Tout au plus, mon avis sur justement les commentaires et toutes les décisions prises notamment à travers la presse. En réalité, pour apprécier la situation, moi je vais m’appuyer sur deux paramètres : la nature des évènements du 15 Octobre et l’attitude de la République. Je finirai par un élément, ce que vous appelez conseils.

Je dois dire tout de suite qu’à l’époque, nous avons été dans un état de choc et ces évènements ont marqué la vie de notre pays et continuent de le marquer parce que, plus de 20 ans après, personne ne peut nier que l’effet du 15 Octobre est toujours là. Les choses sont même en train de s’amplifier, de prendre une certains intensité. L’histoire semble se décider dans le sens de ramener toujours au devant de la scène ces évènements avec les éléments horribles tels que les morts d’hommes et autres. Si j’ai une comparaison historique à faire, j’irai d’abord loin, au Chili pour comparer l’assassinat de Allendé à ce qui s’est passé ici, même si la différence est que c’est un régime fasciste qui a assassiné Allendé alors que là, nous avons le malheur de remarquer que ce sont des révolutionnaires entre eux qui ont retourné les armes les uns contre les autres. Une autre comparaison, c’est qui s’est passé à Lomé où Eyadema à son arrivée au pouvoir par un putsch violent, a tué Olympio.

Quand on compare ces deux faits, la situation au Togo reste encore marquée par l’assassinat de Olympio. La situation au Burkina, c’est la même chose. Au niveau du Chili, c’est vrai que la junte fasciste a été balayée mais la situation reste toujours marquée par l’assassinat de Allendé.

Quand je parle du 15 Octobre, pour moi c’est comme si c’était hier. De mes yeux, je revois les scènes, certains acteurs assis par ci par là, et ma mémoire me rappelle l’attitude des uns et des autres. C’était soit au « Conseil » ou à certains endroits où nous échangeons entre révolutionnaire face à des évènements aussi douloureux que ceux-là que nous avions vécu. J’ai vécu les évènements de près et je crois avoir été un des acteurs privilégiés de ces évènements que j’ai connus dès les premiers moments. Tout cela, pour moi, c’est comme si c’était hier.

J’ai eu l’occasion en tant que membre de la Coordination du Front Populaire que j’ai eu l’occasion de diriger dès les premiers moments, d’aller à l’étranger où nous avons été accueillis avec beaucoup de haine, au Mali, au Niger, au Nicaragua.
Aujourd’hui je revois les uns et les autres, le chef de l’Etat en passant par les acteurs clé. Nous avons vécu des moments difficiles parce que, comme je l’ai dit, entre nous révolutionnaires, on a retourné les armes les uns contre les autres. Il y a eu beaucoup de mort d’hommes mais nous étions persuadés que la révolution devait continuer.

J’avoue que me refusant ce que j’ai dit, quand je vois des gens à la télévision qui, de mon point de vue, ne sont pas véritablement qualifiés pour évoquer ces éléments parce qu’ils ignorent beaucoup de choses de l’essence même du 15 Octobre, mais quand on a une mission, il faut avoir un peu de retenue pour ne pas tenir des discours fantaisistes sinon même farfelus, malhonnêtes.

Comment peut-on dire que tout le monde peut fêter ce qu’il veut ? C’est digne d’une déclaration que je qualifie de fantaisiste. Certains ont bénéficié de notre protection dans la dure situation où il fallait les envoyer en lieu sûr. Et je suis encore plus surpris parce que ceux-là qui sont au-devant de la scène pour organiser et fêter le 15 Octobre sont mal placés parce qu’il y a des gens qui, historiquement, sont bien au fait du 15 Octobre et sont à l’intérieur du régime. Ceux-là, je ne les vois pas beaucoup.

Il y en a qui sont mieux placés pour expliquer le 15 Octobre, ses fondements politiques et idéologiques.

Maintenant, parlons du thème.

On est passé d’un thème qui, de mon point de vue, correspondant à la réalité de ce qu’ils veulent faire à un thème qui ne traduit que le mensonge. Le thème du départ était « 20 ans de pouvoir de Blaise Compaoré, ce n’est pas rien » et c’est ça la réalité de ce qu’ils veulent faire. Il faut que Blaise reste là pendant 20 ans, 30 ans, 50 ans, pour que certaines personnes qui gravitent autour de lui continuent à bouffer. Mais ce thème était si gros et assez « bête » qu’on a ramené le thème actuel « 20 ans de renaissance démocratique au Burkina ». Le 15 Octobre n’a pas créé les conditions d’une renaissance démocratique au Burkina : ça je le dis parce que j’y étais. Qu’on se réfère à la première déclaration du 15 Octobre. C’est parce que nous avions conscience que la révolution était en train de faiblir et il fallait donc changer les choses. Sur le terrain, les CDR avaient commis des actes qui nuisaient à la révolution et c’est tout ça qu’il fallait rectifier. Qu’on ne vienne pas parler aujourd’hui de renaissance démocratique. Qu’on consulte la déclaration du 15 Octobre, le mémorandum que nous avions rédigé au niveau de la Coordination du Front Populaire et le discours du président du 19 Octobre qui appelait les forces vives à appuyer l’action du Front Populaire. One ne peut pas dire qu’à la naissance du Front Populaire, l’objectif était de jeter les bases d’une démocratie.

Quand je constate aujourd’hui qu’on veut célébrer cette date, je m’interroge parce que je me demande si politiquement, la république fait quelque chose d’utile. Ceux qui estiment que c’est la date à laquelle ils ont perdu leur camarade, leur leader, ils ont le droit de pleurer. En ce qui me concerne, je crois que politiquement, il y a problème. Pour quelle raison ? D’abord, le 15 Octobre a été un coup d’Etat, et je ne pense pas que dans un Etat, on veuille fêter l’avènement d’un coup d’Etat. Cela ne me paraît pas être une bonne chose, ça peut avoir des relents d’un Etat d’exception.

Deuxième élément : nous sortons d’une situation difficile, d’une situation à l’issue de laquelle il y a eu la Journée du pardon. Je pense que ce pardon vaut aussi pour les victimes du 15 Octobre. Les familles ont dû écouter et accepter ce pardon. Si aujourd’hui vous organisez la fête, cela voudrait dire que le pardon n’était pas fait de façon sincère et honnête ; on remet en cause aujourd’hui les efforts qui ont été déployés par l’ensemble de la communauté notamment les autorités religieuses, la société civile, les coutumiers.. On rallume alors les braises des haines et des rancoeurs.

Troisième élément : nous savons tous que Sankara il n’y a pas longtemps était considéré comme un héros national et il a même été question de monument. Qu’est-ce qu’on fait en fait si aujourd’hui on veut fêter de cette manière là la date de sa mort ?

Ce qui se passe n’a rien à voir avec 20 ans de renouveau démocratique. C’est pas juste.

Autre élément qui politiquement m’inquiète : c’est que dans cette période où nous considérons que nous sommes dans un Etat de droit, où ce pouvoir de mon point de vue doit être au-devant de cette bataille pour les libertés, on refuse aux Sankaristes les salles, les médias.. Cela me paraît être de l’anti-démocratie !

Ousmane Nacro, Président de la LIDEJEL : Le 15 Octobre s’inscrit dans les annales historiques de notre pays comme une date mémorable qui restera à jamais gravée dans la mémoire de nos populations. En ceci que cette date marque la fin du Conseil national de la révolution (CNR) et donc la rupture d’un processus, c’est-à-dire la révolution, et c’est pourquoi elle pourrait aussi marquer l’ère d’un changement par rapport au système qui était déjà en place.

Si on n’est pas d’avis avec ce préalable, il sera difficile alors de parler de 20 ans de renaissance démocratique avec le Président Blaise Compaoré.

Au-delà de cette polémique sur les périodes, je voudrai en tant que défenseur de la liberté, reconnaître aux uns et aux autres leur droit de célébrer cette date en toute liberté, selon leur opinion ; l’existence de cette liberté pour les uns s’accommodant très bien avec celle des autres.

Il reste tout de même que le 15 Octobre est la date à laquelle celui qui, pendant qu’il présidait aux destinées de notre chère Patrie, qui a incontestablement avec ses camarades de l’époque, réussi à faire du Faso un pôle d’attraction et d’admiration pour les plus nombreux et les plus faibles, c’est-à-dire les masses laborieuses, est tombé, j’ai nommé le Président Thomas Sankara.

Pour ma part, la célébration du 15 Octobre comme espoir assassiné ou renaissance démocratique est une journée de Souvenir avec d’énormes enseignements à tirer dont le principal est : plus jamais de prise de pouvoir comme le 15 Octobre 1987.

Et cela exige une prise de conscience de tous et la participation effective de la société entière à la construction d’une démocratie véritable, seul gage d’un développement harmonieux au profit de l’ensemble de nos populations.

Me Hermann Yaméogo, Président de l’UNDD : Oh que non, sauf peut-être à suggérer de procéder autrement. Je m’en explique.

Si le 15 Octobre a eu des résonances évoquant, pour certains une victoire, pour d’autres une douloureuse défaite, et pour d’autres encore (qui n’étaient pas des révolutionnaires sous le CNR), l’enfantement d’une délivrance malheureusement maculée de sang, l’opinion générale relie le 15 Octobre beaucoup plus à la douleur, à la perte dans les conditions traumatisantes que vous savez, d’un homme, et pas n’importe lequel : Thomas Sankara et de ses 12 compagnons.

En général, la bienséance, les us et coutumes commandent chez nous, en de pareilles occasions de souvenir, de ne pas troubler par des réjouissances, le recueillement de ceux qui sont en peine, surtout lorsqu’on en est comptable. D’ailleurs, ce qui a toujours dominé le 15 Octobre de la part des non-Sankaristes, c’est sinon une compassion générale au moins pour le plus grand nombre, une réserve, et le pouvoir a lui-même contribué à cette caractérisation du 15 Octobre de plusieurs façons :

- En n’ayant pas su contrebalancer par un respect scrupuleux des droits de l’homme, de l’indépendance de la justice et des principes démocratiques, le déficit enregistré sur ce plan par le CNR,

- En ne pratiquant pas une politique économique et sociale tournée vers le peuple, ce qui fait que les jeunes en particulier, qui n’ont pas connu les côtés négatifs de la révolution, l’idéalisent aujourd’hui ;

- En adoptant par ailleurs un profil bas à chaque célébration, laissant ainsi comme un monopole aux Sankaristes.

Pour ce 20 ème anniversaire, le pouvoir aurait dû persister dans cette attitude de décence d’autant que l’exigence de vérité et de justice n’a pas pu se prescrire avec le temps ; enfin, nous vivons en cette période d’octobre, d’autres évocations douloureuses qui tiennent aux calamités multiples qui frappent nombre de Burkinabé et pour lesquelles le pouvoir est loin d’avoir fait ce qu’il fallait en termes de manifestations diverses de solidarité. Plus que jamais, il devait donc éviter de se laisser aller à des commémorations grandioses, coûteuses, opaques et pour nombre d’entre elles, festives.

Ceci dit, je comprends qu’avec la charge émotionnelle, politique, médiatique, que renferme ce 15 Octobre avec en particulier la participation des altermondialistes dans un contexte au surplus énervé par le mécontentement au niveau politique, social et surtout militaire, le pouvoir puisse avoir le réflexe de répliquer parce que se sentant menacé. J’aurais alors conseillé de le faire autrement.

En choisissant une autre date : le 19 Octobre, jour de l’Appel de Blaise Compaoré à la rectification en 1987, le 2 juin, date d’adoption de la Constitution en 1991 ou le 1er décembre, date de la première élection présidentielle en 1991.

Faire autrement aussi en adoptant un autre concept, par exemple celui d’évaluation démocratique au lieu de renaissance démocratique, trop controversé puisqu’on pourrait, à mon sens, lui opposer celui d’avortement, de déconstruction ou de dégénérescence démocratique au vu des réalités.

Je trouve aussi qu’au lieu de se lancer dans ces mobilisations tapageuses sur le dos de l’Etat (à la façon « Junte birmane ») qui ne trompent plus personne depuis les Mobutu et autres, et de commander des célébrations par nature apologétiques, il aurait fallu une démarche plus courageuse, plus autocritique dans la perspective de faire un véritable bilan qui nous permette d’en finir avec les ambiguïtés, les mensonges pour repartir sur des bases véritablement consensuelles et pérennes qui nous ramènent dans la normalité démocratique. Au change, une telle commémoration sur fond de rupture, aurait pu susciter moins d’hostilité.

TN

San Finna

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