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Commémoration du 15-octobre : Notre destin est pris en otage

Publié le lundi 15 octobre 2007 à 07h19min

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Le 4 août 1983 fut et demeure un hold-up militaire comme tant d’autres qu’a connus notre pays ; et cela, même si ses hagiographes ont voulu en faire une insurrection populaire de classe révolutionnaire. Deux différences de taille cependant.

La première, c’est que les artisans de ce quatrième pronunciamiento de notre histoire étaient porteurs d’un projet de société dont la vulgate sera publiée dès le 2 octobre 1983. Là où leurs prédécesseurs s’étaient contentés d’une compilation de projets matinés au mieux d’un patriotisme volontariste, les "Jeunes Turcs" du 4-Août nous ont servi un discours d’orientation politique (DOP), inspiré du catéchisme marxiste-léniniste. Passez devant le lycée Marien N’Gouabi de Ouagadougou et vous en verrez encore les célèbres restes défier fièrement le temps et les gens, comme si l’eau de la démocratie pluraliste n’avait pas suffisamment coulé sous tous les ponts du Burkina Faso.

La deuxième différence, c’est que le quarteron d’officiers qui s’est emparé du pouvoir ce jour-là a été servi par une chance rarissime : la présence à sa tête d’un monstre sacré de la communication médiatique, un certain Thomas Sankara, dont le charisme sur la jeunesse et le lumpen-prolétariat a donné d’emblée au Conseil national de la Révolution (CNR) la base sociologique dont il avait besoin pour prospérer. Les régimes précédents, à l’exemple criard du CMRPN, n’avaient jamais réussi, eux, à établir avec quelque fraction de la population que ce fût, cette fusion organique et émotionnelle que le CNR accomplira à travers ses fameux comités de défense de la révolution et par la magie incantatoire de ses slogans.

Malheureusement, ce qui a pu apparaître à première vue comme autant d’atouts devant propulser le CNR sur le sentier lumineux de la réussite s’est révélé comme son talon d’Achille. Le projet de société dont avait accouché ce régime d’un type nouveau était lui-même porteur, en effet, d’une logique d’exclusion et d’épuration, dont les phases successives culmineront au dénouement sanglant du 15 octobre 1987. Au nom de la lutte des classes dans un pays où on les cherchait encore vainement au microscope, on a ainsi commencé par diviser la nation en "peuple" et "ennemis du peuple", cette trouvaille bien stalinienne qui a permis sous d’autres cieux de justifier la liquidation, par tous les moyens, de tous ceux qui gênaient.

Puis on entreprit méthodiquement la destruction de "l’Etat néocolonial" selon le schéma qu’en avait dressé, dès août 1980, une des composantes (1) du CNR : couche supérieure de l’armée, de la magistrature et autres grands corps constitués de l’Etat, la machine à dégager et à retraiter d’office se mit inexorablement au travail. Dans le registre des mesures d’intimidation et de dissuasion destinées à terroriser les esprits, on licencia collectivement des milliers d’enseignants, on commit les premières exécutions politiques de notre histoire et on brûla L’Observateur, seul espace de liberté et de contre-pouvoir qui restât après la dissolution des partis et la finlandisation des syndicats.

Et quand on en eut fini avec les ennemis de classe ou supposés tels, le ver se mit à ronger le fruit de l’intérieur, selon cette loi de pourrissement naturel qui n’a épargné aucune aventure révolutionnaire de notre temps, pour ne pas remonter plus loin :
Staline poursuivant de sa haine assassine Trostski jusqu’au Mexique, après en avoir fini avec tous les prétendants au trône de Lénine ;
Mao et la fureur iconoclaste de la Révolution culturelle ou l’épisode burlesque de la Bande des quatre ;

Castro, oui, le lider maximo laissant délibérément le Che s’embourber dans le traquenard du maquis bolivien, après avoir lui aussi récompensé à sa manière le carré des barbudos descendus avec lui de la Sierra Maestra ;
Mengistu, le négus rouge, rafalant à bout portant, en plein conseil, les indésirables du Derg ;

Toutes les révolutions, tel Chronos, ont fini par dévorer leurs enfants, y compris les plus emblématiques d’entre eux. Et, de ce point de vue, l’exception burkinabè n’a pas eu lieu. La chasse aux sorcières a commencé dès août 84 avec la disgrâce retentissante du PAI et la mise à la diète noire de certains de ses idéologues ou doyens d’âge comme Adama Touré et Arba Diallo.

Restaient donc au sein de l’organe dirigeant du CNR des jeunes d’une même génération, celle grosso modo des années 50, divisés eux-mêmes en plusieurs clochers n’ayant comme référentiel maximum commun que le communisme : ULC, UCB, GCB et tutti quanti. Quel genre de contradictions antagoniques insurmontables a pu les opposer au point d’aboutir au jeudi sanglant du 15 octobre d’il y a 20 ans ?

Divergence de lignes ou vulgaire choc de deux personnalités ? On a tous lu Boukary Kaboré dit le lion, une des pièces maîtresse du dispositif sankariste, qui a déclaré dans la presse (2) que s’il n’est pas descendu à Ouagadougou après le 15 octobre 87 avec son bataillon d’élite, basé à Koudougou, c’est parce que Thomas Sankara étant déjà mort, tout contre-coup devenait inutile. Qu’en conclure d’autre sinon qu’à maints égards, cette révolution reposait beaucoup plus sur le charme envoûtant d’un individu, que sur un idéal méritant d’être poursuivi même après la disparition de l’enchanteur ?

Contentons-nous de relever, en nous rappelant le climat obsidional qui s’est emparé de la capitale et la déferlante des tracts dont elle fut inondée quelques jours avant le 15 octobre 87, que deux clans se guettaient, dont la survie de l’un dépendait de l’anéantissement de l’autre, selon la bonne logique des militaires. L’avènement du Front populaire s’est donc opéré dans cette douleur et on comprend que la commémoration de son 20e anniversaire donne lieu à controverse. Que commémore-t-on ?
L’assassinat du héros éponyme de la révolution chez les sankaristes.
La renaissance de la démocratie pour les blaisistes. Ceux qui pleurent et ceux qui rient en ce jour anniversaire ont bien sûr chacun raison ou plutôt ses raisons.

Qui ne comprendrait la douleur des nostalgiques du sankarisme, du moins des plus sincères d’entre eux en ce jour qui leur rappelle les circonstances tragiques de la disparition de leur icône ? De même et malgré le bilan humain qu’on peut en tirer, qui saurait nier que le 15-Octobre fût la felix culpa, l’heureuse faute qui valut au Burkina la démocratie telle que nous la vivons tous aujourd’hui avec certes ses imperfections, qu’il faut toujours travailler à corriger, mais sans commune mesure avec la chape de plomb et les années de braise révolutionnaire ?

Ce que nous déplorons pour notre part, c’est que même 20 ans après, une formule consensuelle a minima n’ait pas été trouvée qui rassemblât tous les anciens adeptes de la révolution démocratique et populaire, pour digérer ensemble et une fois pour toutes leur passé commun d’anciens communistes repentis de bonne foi ou par calcul, dans les valeurs universelles de la démocratie. Au lieu de cela, sankaristes d’un côté, blaisistes de l’autre, cet anniversaire trouve deux camps en guerre dont l’un ne rêve qu’à la ruine totale de l’autre.

Voyez toutes les misères et humiliations que les amis de Blaise sont réputés avoir opposées aux sankaristes dans leur longue quête d’espace public de commémoration de cet anniversaire ! Voyez également les propos haineux dont ces derniers pimentent leurs discours, qui ne laissent pas le moindre doute sur leur souhait de voir l’actuel locataire de Koss-yam traduit un jour au tribunal pénal international, à défaut de voir sa tête faire le tour de la capitale au bout d’un pic.

Comme on le voit, depuis un quart de siècle, oui, depuis le 4 août 1983, le destin de ce pays est pris en otage par les mêmes hommes, camarades hier de la "lutte finale", aujourd’hui antagonistes irrédentistes pour ne pas dire plus.

L’Observateur

Notes : (1) : Cf. Programme du PAI encore dans la clandestinité en août 80.

(2) : Cf. Sidwaya et Le Pays du lundi 8 courant

L’Observateur Paalga

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