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Il était une fois le 15-Octobre

Publié le lundi 15 octobre 2007 à 08h08min

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Tombes de Thomas Sankara et de ses compagnons

Le 15 octobre 2007 marquera le 20e anniversaire de la mort du président du Conseil national de la Révolution (CNR), Thomas Sankara, mais aussi celui de l’accession au pouvoir de Blaise Compaoré. Que s’est-il passé ce jeudi 15 octobre pour que deux amis, sinon deux frères, se disent adieu dans le sang ?

Deux thèses avec différentes versions s’affrontent depuis : pour les sankaristes, on a assassiné leur héros, selon un plan prémédité, bien huilé. Et pour le camp d’en face, le père de la révolution burkinabè s’apprêtait à liquider Blaise et compagnie. C’est la thèse du fameux complot de 20 heures. Ce serait donc celui qui a dégainé le premier qui a gagné. En attendant que le temps et les historiens apportent un éclairage plus cru et plus objectif sur la question, revisitons cette page sanglante de notre histoire.

Qu’est-ce que le temps pour l’homme ? « Si on ne me le demande pas, je le sais, mais si on me le demande et que je veuille y répondre, je ne le sais plus ». Paroles de Saint Augustin, philosophe. Des siècles plus tôt, son collègue Empédocle d’Agrigente affirmait que « le temps est l’image mobile de l’éternité immobile ».

Cette petite digression sur le temps pour signifier que pour nombre de gens, le 15 octobre 1987, c’est comme si c’était hier. En effet, nombreux sont ceux en qui résonnent encore les coups de feu émanant du Conseil de l’Entente et nombreux sont ceux qui se rappellent aussi être allés voir de visu à Dagnoën les monticules servant de sépultures rapidement creusées à Thomas Sankara et à ses douze compagnons d’infortune. Enfin, ils sont tout aussi nombreux ceux qui n’ont pas oublié la première prestation télévisuelle du capitaine Blaise Compaoré en tant que nouvel homme fort du pays ; il s’agissait pour lui d’expliquer le pourquoi de ce dénouement tragique.

Pour mieux comprendre ce qu’il est convenu d’appeler un aboutissement malheureux des divergences qui avaient fini par se faire jour dans l’équipe dirigeante de l’époque, il faut camper d’abord l’atmosphère plus que délétère qui a fait le lit du drame de ce 15-Octobre. Plusieurs mois auparavant, Ouagadougou bruissait de rumeurs relayées par des tracts faisant état d’une guéguerre entre Thomas et les trois autres chefs historiques du 4-Août (appelés aussi coordonnateurs du Faso (1), en particulier avec Blaise Compaoré. Mieux, il était question de graves contradictions entre le chef de l’Etat et son alter ego. Quelles en étaient les raisons ?

Une atmosphère délétère

Certains ont évoqué le spontanéisme du patron du CNR, son côté one-man-show, qui prenait au dépourvu tout le monde jusque dans son entourage immédiat. Les meetings étaient ainsi de véritables défouloirs où l’orateur hors pair qu’était Thomas Sankara prenait certaines décisions au détour de formules chocs et de slogans assassins du genre "hiboux au regard gluant", "vieux crocodiles", etc.

Une attitude qui, dit-on, confinait à l’aventurisme, au pilotage à vue et qui, plus d’une fois, a dû froisser son entourage, frustré d’avoir été mis devant le fait accompli. Blaise Compaoré lui-même l’affirme en ces termes, répondant à un journaliste de Jeune Afrique (2) : « A la fin, il (Thomas) n’était plus populaire qu’à travers certains médias occidentaux essentiellement. Et plus, il avait de succès dans la presse internationale, plus, il croyait pouvoir se passer de l’avis des autres. Il décidait donc de tout, tout seul, et nous, nous n’avions plus qu’à suivre. Je peux vous citer des dizaines d’exemples pour cela ». On entend s’élever la clameur d’indignation de ses contempteurs qui poussent des cris d’orfraie, car pour eux, il n’y a qu’un seul évangile qui tienne : Blaise a toujours voulu être calife à la place du calife et, aidé par l’impérialisme international, il s’est fait fort de reprendre le 15 octobre 1987 ce qu’il n’avait pas donné de bonne grâce le 4 août 1983, puisque c’est lui qui a fait le coup ce jour-là pour libérer son ami Sankara et lui remettre le "naam".

En tout cas, à cette politique du spontanéisme dont on accablait le légendaire président du CNR, s’était aussi ajouté peut-être le comportement de ses fans, notamment les élèves et étudiants qui ne juraient que par Tom Sank, à propos et contre-propos. Que peut ressentir un des coordonnateurs du Faso, lorsque montant à une tribune pour s’adresser à eux, il s’entend crier à tue-tête « on veut Sankara ! on veut Sankara » ? Que peut-il ressentir ? Sinon que de la frustration mêlée de colère. Or ces faits avaient tendance à se multiplier à l’époque.

L’attaque frontale de Jonas Somé

Paradoxalement, la première salve contre Sankara est venue d’un élève le 2 octobre 1987 à Tenkodogo. Ce jour-là, marquait le quatrième anniversaire du Discours d’orientation populaire (DOP), la bible des premiers responsables de la Révolution burkinabè. Le président du CNR était dans cette ville pour le célébrer. Avant qu’il ne prenne la parole, il reçoit le discours d’un certain Jonas Somé, un ancien du Prytanée militaire du Kadiogo (PMK), aujourd’hui commandant de l’armée, qui osa ce jour prendre le contre-pied du discours que Tom Sank n’avait pas encore prononcé. Qui l’avait informé de ce que Thomas allait dire ? Mystère et boule de gomme. Véritable crime de lèse-mythe, les propos du fougueux Jonas Somé, frère, soit dit en passant, du lieutenant Gaspard Somé, mort accidentellement sous le Front populaire (FP), loin de provoquer l’ire de Sankara, l’a plutôt ragaillardi. N’aimait-il pas dire que la Révolution est faite de contradictions ? C’est pourquoi, s’écartant de son discours initial , il improvisa, comme il savait si bien le faire, en débutant ses propos par un « Notre Révolution n’est dirigée contre personne, contre aucun peuple ».

Trop tard, ceux qui savaient lire les événements ont vu dans cet incident gravissime, du reste ,le fait que le ver était dans le fruit. D’aucuns soutiennent même que depuis ce jour, Sankara n’ignorait rien de la conjuration qui se tramait contre lui, mais préféra laisser les choses suivre leur cours. Comme s’il avait vocation de martyr. N’avait-il pas un jour confié que le jour où ses amis entendraient que Blaise fomente un coup d’Etat contre lui, ce n’était pas la peine de vouloir le contrecarrer parce que ce serait trop tard ?

Les plus superstitieux ajoutent aux causes du destin tragique de l’homme l’irrévérence notoire des révolutionnaires vis-à-vis des chefs coutumiers (la féodalité pour emprunter un jargon du cru) qui ont essuyé toutes sortes d’avaries allant jusqu’à la coupure de l’électricité chez le Mogho Naaba. Ajoutons-y l’absence totale de liberté, la vision manichéenne de la société... En tout cas, à partir de la salve de Jonas (la voix de son maître ?) à Tenko, l’affaire semblait entendue ; ce fut presque un compte à rebours qui commença jusqu’au fatidique 15 octobre de l’année 1987.

Blaise : "j’ai personnellement participé à deux coups d’Etat"

Que s’est-il passé ce jour et que devait-il se passer d’autre ? On l’a souligné plus haut au sujet de ce jeudi noir, deux thèses s’affrontent : ceux qui tiennent mordicus à voir en Blaise, celui qui avait minutieusement préparé son coup et qui attendait son heure ; et les autres qui sont partisans du complot de 20 heures. Penchons-nous sur la première théorie : selon celle-ci, Blaise Compaoré qui fut militairement l’artisan de la révolution visait la présidence depuis longtemps, mais n’était pas encore prêt en 1983. « J’ai personnellement participé à deux coups d’Etat pour remettre aussitôt le pouvoir à un autre », affirme l’intéressé (3). De vrai, le 4 août 83, c’est encore Blaise qui a déposé Jean-Baptiste Ouédraogo pour remettre le gouvernail ensuite au bouillant et vibrionnant Sankara. Le 15 octobre fut-il la date choisie par lui pour le reprendre ? En tout cas, les partisans de cette thèse soutiennent dur comme fer cette version. Pour certains, l’incident du 2 octobre à Tenkodogo a été inspiré par le tombeur de Sankara, estimant même que c’était ce jour que le président du CNR devait être éliminé, et que c’est in extremis que le coup a été reporté sine die. Toujours selon cette thèse, Blaise se sentait de plus en plus froissé par Thomas Sankara qui, il est vrai, prenait, comme nous l’avons souligné plus haut ,certaines décisions de portée nationale sans avoir au préalable, échangé ou informé ses collègues qui étaient obligés d’avaler la pilule, fût-elle amère. Alors, Blaise a-t-il vraiment « balisé » le terrain, en jouant le second rôle alors qu’il était le principal acteur, donnant du temps au temps avant de prendre sa chose 4 ans plus tard ? Dans tous ses ouvrages (4) consacrés totalement ou partiellement à son idole, le journaliste-écrivain Senen Andriamirado, qui fut un de ses professeurs à l’académie militaire d’Antsirabé, n’a pas de doute à ce sujet :le 15 octobre est une conspiration planifiée.

Valère Somé : « On va nous égorger comme des moutons »

Valère Somé, un fidèle de Thomas Sankara est également convaincu que Blaise a savamment préparé le 15-Octobre. Il livre sa part de vérité en ces termes : « Quelques semaines auparavant, j’avais été tiré de mon lit, au beau milieu de la nuit, par des camarades militants de mon organisation pour m’entendre dire « va trouver ton type (NDLR : Thomas) et dis-lui que s’il ne réagit pas, nous serons pris et égorgés comme des moutons ! Il ne fait aucun doute que les partisans du capitaine Compaoré sont prêts à passer à l’offensive » (5). Le lendemain, il ira effectivement voir Thomas, qui le rassurera, en disant en substance qu’il ne pensait pas Blaise capable de cela, et que du reste le rapport de force est en sa défaveur. Il est vrai que si avec le tempérament et le bagout qu’on lui connaissait, Thom Sank était un véritable meneur d’homme plus politique, la force de frappe militaire, elle, était bien l’introverti et secret Blaise.

Les sankaristes sont donc convaincus du traquenard tendu contre leur mascotte alors que les partisans de l’actuel chef de l’Etat burkinabè penchent plutôt pour le « complot de 20 heures ». Beaucoup se souviennent d’un indice révélateur :Blaise et Sankara évitaient à l’époque d’être au même endroit et en même temps. Hasard ou fait délibéré, on y avait déjà décelé cette méfiance réciproque entre les deux amis. L’on a même soutenu que quelques mois avant le 15-Octobre, Blaise, en retournant à Po, avait échappé de justesse à un attentat. Qui en était le commanditaire ? Toujours est-il que depuis lors, l’intéressé changeait fréquemment d’itinéraire pour rejoindre le chef-lieu du Nahouri « foyer incandescent de la révolution », où il avait ses quartiers. Les tenants de cette même thèse soutiennent qu’en fait, dès les premiers jours de l’avènement du 4 août 83, Blaise avait déjà échappé à un guet-à-pens. Il faut dire que la révolution a toujours mangé ses propres enfants et certains se demandent comment la nôtre aurait pu échapper à cette règle immuable.

Au conseil, la situation échappe au colonel Diendéré

Toujours est-il aussi que ce 15 octobre 1987, Thomas Sankara aurait convoqué une réunion : il s’agissait d’analyser un texte relatif à la discipline des membres du CNR. Lequel texte devait être discuté le même jour en présence de toute la crème du CNR. Etait-ce encore un traquenard pour éliminer Blaise et les autres ? Les partisans de Blaise le subodorent, rappelant en appui la création quelque temps auparavant de la FIMATS, cette fameuse force d’intervention placée sous les ordres du non moins fameux Vincent Sigué. En tout cas, à 16 heures, selon certains témoins, comme tous les jeudis, le président du CNR endosse sa tenue de sport et avec son chauffeur, il se rend au Conseil de l’Entente et c’est là que tout s’est précipité. Ecoutons les rares confidences auxquelles le colonel Gilbert Diendéré, autre fidèle de Blaise, s’est livré (6) : « Nous savons que Sankara avait une réunion à 16 heures et nous avions décidé d’aller l’arrêter là-bas. Peu après 16 heures, la Peugeot 205 de Sankara et une voiture de sa garde sont arrivées devant le pavillon (NDLR : dit pavillon Haute-Volta) ; une deuxième voiture de sa garde est allée se garer plus loin. Nous avons encerclé les voitures... Sankara tenait, comme toujours, son arme, un pistolet automatique à la main. Il a immédiatement tiré et tué un des nôtres. A ce moment, tous les hommes se sont déchaînés, tout le monde a fait feu et la situation a échappé à tout contrôle » (6).

Blaise Compaoré lui-même dans l’interview à Jeune Afrique citée plus haut affirme : « c’est pour avoir voulu nous liquider, Jean-Baptiste Lingani, Henri Zongo et moi, qu’il s’est fait abattre par des soldats qui me sont fidèles... les soldats qui partaient pour l’arrêter ont été obligés de faire usage de leurs armes, lorsque Thomas et sa garde personnelle ont ouvert le feu sur eux... le seul gendarme qui ait été abattu dans cette fusillade l’a été par le président... on ne peut pas reprocher à des militaires de riposter quand on tire sur eux ». "Une fable que tout ça" rétorquent les orphelins inconsolables du pape de la révolution burkinabè, car, disent-ils, sachant le rapport de force militaire en sa défaveur, comme indiqué plus haut, il n’aurait jamais commis l’erreur, intelligent comme il était, d’ouvrir en premier le feu. Il se serait même, raconte ses thuriféraires, offert en agneau du sacrifice en lançant à ses hommes : "laissez, c’est moi qu’ils sont venus chercher !". Avant d’être déchiqueté par le feu nourri de ses assassins.

Kadhafi aurait envoyé des armes à Sankara

Philippe Gaillard, journaliste-écrivain, met ces mots qui créditent le complot de 20 heures dans la bouche de Jacques Foccart, le monsieur Afrique de l’Elysée des années 70,80 et 90 : « Blaise en était convaincu, il prétend que Kadhafi avait téléphoné à Sankara pour lui dire : « maintenant, tu ne dois plus attendre, il faut que tu te débarrasses de Blaise ». "On a dit que l’assassinat aurait dû être commis au cours d’une réunion prévue pour 20 heures, par Vincent Sigué, le sicaire de Sankara... des politiciens burkinabè modérés qui ne sont pas des amis de Compaoré croient que c’est exact" (7) affirme le même Foccart en substance et même que le 15 octobre 1987, un avion libyen aurait livré des armes à Sankara, croit-il savoir.

Fin mars 1988, les nouveaux hommes forts du pays publieront un livre blanc sur les événements du 15-Octobre. Ce mémorandum accrédite naturellement la thèse du coup de 20 heures qu’aurait ourdi Thomas Sankara. On le constate donc ,20 ans après ces douloureux événements, les deux thèses continuent à s’affronter, sans qu’on ne sache trop laquelle est la plus fiable. Pas plus d’ailleurs, nous ne savons si finalement, en toile de fond, il y avait véritablement une querelle de ligne ou simplement une histoire de personnes. En effet, les livraisons à travers nos colonnes d’hommes politiques qui ont connu le système de l’intérieur comme Achille Tapsoba ou Issa Tiendrébéogo nous ont justement laissé sur notre faim à ce sujet (8), chacun décrivant la situation en fonction du camp où il se trouve actuellement. Mais sans doute, écrira-t-on un jour la véritable histoire du 15-Octobre (qui fait, dans tous les cas, partie de notre commune histoire) quand les passions se seront tassées.

Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana

Notes : (1) Thomas Sankara, Blaise Compaoré, Jean-Baptiste Lingani et Henri Zongo étaient appelés les coordonnateurs du Faso. Ainsi, à chaque 4 août, tout le gouvernement était congédié et seuls les 4 décidaient de la marche du pays (2) In Jeune Afrique du 4 novembre 1987 (3) In Jeune Afrique cité (4) Senen Andriamirado : "Il s’appelait Sankara :chronique d’une mort violente" ; Ibrahim Baré Maïnassara(IBM) : "mon ambition pour le Niger" (5) Valère Dieudonné Somé : "Thomas Sankara, un espoir assassiné" (6 Ludo Martens : "Sankara, Compaoré et la Révolution burkinabè" (7) Philippe Gaillard : "Foccart parle Tome II" (8) Lire les interviews des deux intéressés dans les éditions de l’Observateur paalga du 05 et 08 octobre 2007

Observateur Paalga

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