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Salvi Charles Somé, ancien ministre de l’Information : “Le 15 octobre devrait être la date qui soude tous les Burkinabè”

Publié le lundi 15 octobre 2007 à 06h41min

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Salvi Charles Somé

Militant très actif de la lutte estudiantine dans les années 1970 et homme politique chevronné (même s’il a choisi la retraite), Salvi Charles Somé est bien connu dans le sérail burkinabè. Approché par Sidwaya, l’homme donne un témoignage assez vivant sur la Révolution d’août 1983 et la rectification du 15 octobre 1987. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il nous parle aussi de son expérience en tant ministre sous la transition en 1991.

Sidwaya : Comment avez-vous vécu le 4 août 1983 ?

Salvi Charles Somé (S.C.S.) : Je crois que lorsqu’on aborde cette question, il y a tellement de souvenirs qui s’entrechoquent dans l’esprit, qu’on a de la difficulté à sélectionner de manière chronologique, les événements les plus importants. Cependant, je dois relever quelques points. Je dirai que l’avènement du 4 août 1983, contrairement à ce que beaucoup pensent aujourd’hui, n’a pas été le fruit du hasard. Le 4 août 1983 a été la concrétisation d’un Salvi Charles Somé, ancien ministre de l’Information

Militant très actif de la lutte estudiantine dans les années 1970 et homme politique chevronné (même s’il a choisi la retraite), Salvi Charles Somé est bien connu dans le sérail burkinabè. Approché par Sidwaya, l’homme donne un témoignage assez vivant sur la Révolution d’août 1983 et la rectification du 15 octobre 1987. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il nous parle aussi de son expérience en tant ministre sous la transition en 1991.

Sidwaya : Comment avez-vous vécu le 4 août 1983 ?

Salvi Charles Somé (S.C.S.) : Je crois que lorsqu’on aborde cette question, il y a tellement de souvenirs qui s’entrechoquent dans l’esprit, qu’on a de la difficulté à sélectionner de manière chronologique, les événements les plus importants. Cependant, je dois relever quelques points. Je dirai que l’avènement du 4 août 1983, contrairement à ce que beaucoup pensent aujourd’hui, n’a pas été le fruit du hasard. Le 4 août 1983 a été la concrétisation d’un

Salvi Charles Somé : “Le 15 octobre sous l’aspect du deuil ou de la fête semble dévoyer notre histoire”.

ensemble de conditions. Un bref rappel nous ramène à la période de la 3e République sous laquelle le mouvement démocratique était émaillé de luttes sociales. Ces luttes sociales ont permis de conquérir de réels espaces d’expression démocratique et de liberté qui permettront au mouvement démocratique de grandir. Ces acquis se sont accumulés au profit des travailleurs et du mouvement social d’une manière générale. Malheureusement, des luttes entre les fractions bourgeoises qui géraient le pays à l’époque, ont donné un prétexte à l’impérialisme français. Voyant que ces frictions entre classes bourgeoises au pouvoir pouvaient gêner le maintien de ses intérêts dans le pays, il a trouvé un prétexte de mettre un coup d’arrêt à ce pouvoir, en opérant le coup d’Etat du 25 novembre 1980 avec le colonel Saye Zerbo pour, dit-on, mettre en place un régime fort. Ce régime était synonyme de confiscation des libertés démocratiques, la traque des démocrates et des révolutionnaires parce qu’ils considéraient ces luttes d’émancipation sociales comme du désordre. Le CMRPN s’est livré à la traque de certains responsables de syndicats révolutionnaires parce que certains syndicaux étaient partie prenante du coup d’Etat. Dans cette traque dont j’ai d’ailleurs été victime, les révolutionnaires démocrates ont entraîné un mécontentement au niveau des populations. Les restrictions faites aux libertés démocratiques ont entraîné un approfondissement du mécontentement populaire qui a gagné l’armée dans la frange des jeunes officiers. C’est donc la conjonction de l’ensemble de ces facteurs qui a conduit au coup d’Etat du 7 novembre 1982. Au sein de ces jeunes officiers qui avaient pris le pouvoir, il s’est avéré deux visions, deux conceptions différentes. Un fait va accélérer ces contradictions entre ce groupe d’officiers dirigés par Jean-Baptiste Ouédraogo : c’est la nomination de Thomas Sankara comme Premier ministre. Cette nomination a accéléré les divergences et les a mises au grand jour au sein du CSP1. Ce qui a abouti au coup de force de mai 1983 qui a évincé la fraction composée de Thomas Sankara, Henry Zongo, Jean-Baptiste Lingani du partage du pouvoir.

S. Ne serait-ce pas cezla qui a précipité les évènements du 4 août 1983 ?

S.C.S. : Cette fraction était portée par le mouvement populaire et principalement, la jeunesse scolarisée. Dès qu’il y a eu cette éviction, le mouvement populaire a pris de l’ampleur à travers des manifestations qui ont exigé non seulement la libération de Thomas Sankara mais également la sécurité pour ses compagnons. S’appuyant donc sur ce mécontentement populaire, l’aile militaire conduite par Blaise Compaoré, en cavale, a su s’organiser en effectuant une descente à Ouagadougou pour prendre le pouvoir le 4 août 1983. A bien voir le 4 août 1983 n’a pas été seulement le fait de quelques individus, mais une conjonction de facteurs. Bien sûr, cela veut dire qu’au niveau sous régional, il y avait quelques conditions favorables comme au niveau international, parce qu’à l’époque, il y avait encore d’un côté le bloc socialiste et le capitalisme, de l’autre côté. Ce qui fait que dans les pays en développement tout mouvement d’émancipation était supporté par le bloc socialiste. Cela a permis avec l’appui de ce côté-là, de poser un certain nombre d’actes à l’intérieur du pays pour apporter certains grands changements. L’histoire du 4 août se résume donc à la conjonction du mouvement démocratique civil et de son aile militaire.

S. : Du point de vue politique, la Révolution était-elle prévisible ?

S.C.S. : La révolution, d’un point de vue de l’analyse politique, était prévisible parce que la répression surtout aux années du CMRPN, avait atteint une proportion inquiétante. Le CMRPN traquait violemment ce qu’il appelait les “rouges” qui sont en réalité, les jeunes porteurs d’idées de changement. N’oubliez pas que cette frange d’officiers dont je parlais n’a pas aussi échappé à la traque. La Révolution du 4 août était “vaincre ou périr” parce que si le mouvement démocratique ou la fraction militaire n’avait pas intervenu, il est clair que l’on s’acheminait vers une dictature militaire de type fasciste dans ce pays. Le CMRPN a donc créé les conditions pour l’avènement de la révolution.

S. : Quels souvenirs gardez-vous de la période révolutionnaire ?

S.C.S. : Il faut dire qu’à l’avènement du 4 août 1983, j’étais membre de l’UCLR et les organisations politiques révolutionnaires qui existaient à l’époque, étaient l’UCLR et le PAI. Les autres sont venus après. Je garde d’agréables souvenirs de cette époque, surtout des leçons personnelles et des leçons collectives que j’ai pu en tirer. Du point de vue personnel, la Révolution d’août 1983 m’a permis de savoir qu’un peuple, quel qu’il soit, révèle de grandes capacités et un grand pouvoir. La deuxième leçon, celle collective : le peuple, contrairement à ce que l’on pense, refuse la fatalité et la révolution a permis au peuple burkinabè de refuser la fatalité. Enfin, il y a le bond qualitatif du point de vue de la prise de conscience par la population burkinabè grâce à la révolution. Et de ce point de vue, c’est quelque chose que l’on ne peut pas effacer. L’exercice de la démocratie a commencé sous la révolution. C’est vrai que déjà sous la 3e République, les conditions étaient réunies, mais c’est sous la révolution que l’on a vécu le véritable exercice démocratique. Maintenant sur le plan social, il est évident qu’il y a eu d’importants acquis. De ce tableau, l’une des insuffisances de la révolution c’est peut être du côté social à savoir, les licenciements et les dégagements qui, en vérité, ont permis à des opportunistes, à des arrivistes de régler des comptes, de se hisser à des postes de responsabilité pour saboter la révolution. Quant à moi, la révolution m’a permis de savoir que tout phénomène porte en lui les éléments de sa propre destruction et que rien n’est jamais définitivement acquis. Et un acquis mérite chaque jour d’être consolidé. C’est pour vous dire que l’histoire ne va pas en ligne droite et au moment où l’on pense que tout est acquis et que plus rien ne peut arriver, tout s’écroule. Ce qui fait qu’aujourd’hui par rapport à tout événement qui se produit, il faut avoir une attitude prudente et une démarche scientifique. C’est-à-dire ne pas laisser l’émotion gérer l’événement, mais prendre du recul pour comprendre. De ce point de vue, j’estime que la Révolution du 4 août a été très utile.

S. : Et le 15 octobre 1987 alors ?

S.C.S. : Le 15 octobre n’est pas un événement fortuit venu couper la transversale de la révolution. Le 15 octobre 1987 est le résultat des contradictions qu’il y avaient au sein de la révolution. Cela été un dénouement violent des contradictions de la révolution. Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent en disant que c’est Blaise Compaoré qui a réglé son compte à Thomas Sankara ou vice-versa, je pense que c’est fausser un peu l’histoire. A l’intérieur du CNR tout comme au sein du CSPI, il y avait deux forces qui s’opposaient par rapport à la marche de la révolution, les conséquences qui en découlaient et dont les manifestations ne sont pas visibles. On avait d’un côté Blaise Compaoré et les forces qui le soutenaient et de l’autre, Sankara et ses forces. Et ces deux forces avaient des soutiens en dehors du pays. C’est la confrontation de ces deux visions qui a abouti au 15 octobre 1987. Le 15 octobre est donc le résultat d’un processus social, politique et idéologique.

S. : L’actualité nationale est focalisée en ce moment sur l’opportunité de célébrer les 20 ans de renaissance démocratique et la commémoraison du 20e anniversaire de la disparition de Thomas Sankara. Votre commentaire ?

S.C.S. : Je défie quiconque de s’approprier la date du 15 octobre, en ce sens que cette date est le patrimoine de tout le peuple burkinabè. Cette date marque de façon indélébile l’histoire de notre pays. Et de ce point de vue, voir le 15 octobre sous l’aspect du deuil ou de la fête semble dévoyer notre histoire. Pour moi le 15 octobre doit être perçu comme une date sur laquelle nous devons nous pencher au lieu de fêter ou de nous souvenir. Nous devons être en mesure, historiens, économistes, chercheurs, politologues, sociologues et anthropologues, de revisiter cette période. On peut même prendre la période du 7 novembre 1982 au 15 octobre 1987 pour restituer l’histoire dans les faits. Le 15 octobre devrait être la date qui soude tous les Burkinabè. Chacun devrait se poser les questions suivantes : pourquoi et comment cela est-il arrivé ? Qu’est-ce que nous n’avons pas pu gérer ? Je dis que l’histoire se répète de manière à donner toutes les leçons pour que demain les choses ne se posent plus ainsi. Aujourd’hui on aborde le 15 octobre sous l’angle Sankara ou “CD piste”.

Sous cet aspect-là, qu’est-ce qui va rester dans l’histoire pour les jeunes ? C’est une question émotionnelle. En initiant une démarche scientifique, on va transcender tout ce qui est source de frein, de fausses interprétations de l’histoire de ce pays. Si Dieu me donne longue vie et santé, l’année prochaine, pendant que certains seront en train de se souvenir encore pendant que d’autres fêtent le 21e anniversaire, moi je vais inviter ceux qui le veulent, quel que soit leur bord politique, que nous nous retrouvions et que nous puissions nous pencher sur cette partie de notre histoire. Ce n’est pas l’histoire de Blaise Compaoré et de Sankara parce que ça influe tout le monde. Je refuse que le 15 octobre soit dévoyé de cette façon-là. Nous sommes en train de rentrer dans un engrenage et je ne sais pas d’où viennent ces idées de fête et de commémoration. Nous entrons dans un cercle vicieux, un cercle infernal dont personne ne prévoit la suite. C’est extrêmement dangereux de vouloir répondre du tic au tac.

Interview réalisée par Frédéric OUEDRAOGO

Sidwaya

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