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Gabriel Tamini, conseiller à la Présidence du Faso : “Des personnes jadis considérées comme des ennemis sont actuellement des piliers du système”

Publié le lundi 15 octobre 2007 à 08h06min

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Gabriel Tamini

Conseiller du chef de l’Etat sur le plan social, Gabriel Tamini a été membre du bureau politique du Conseil national de la Révolution (CNR) puis du Front populaire. Journaliste de formation, l’homme affirme aujourd’hui avoir pris du recul sur le plan politique depuis 1991 avant d’ajouter aussitôt qu’en tant que collaborateur du chef de l’Etat “je ne peux pas dire que je ne fais pas de la politique”. En exclusivité pour Sidwaya, Gabriel Tamini, qui dit être croyant, revient sur les évènements du 15 octobre et le cheminement de la Révolution jusqu’à l’ouverture démocratique.

Sidwaya (S.) : Comment avez-vous vécu les évènements du 15 octobre 1987 ?

Gabriel Tamini (G.T.) : J’avais des difficultés avec Thomas Sankara et j’ai même été suspendu de la Radio par un Conseil des ministres en septembre. J’étais caché dans la ville car j’étais recherché.
Le 15 octobre, j’ai été informé vers 16 heures qu’il y avait des coups de feu. Etant recherché, le premier réflexe a été pour moi de fuir mais je suis tout de même resté dans les environs de mon domicile. Quelques temps après, j’ai vu un véhicule arriver à toute allure. Je me suis dit qu’il n’y avait que deux possibilités : soit on venait me chercher pour de mauvais desseins, soit j’allais être tiré d’affaire. Lorsque le véhicule s’est immobilisé, j’ai vu qu’il y avait Salif Diallo à bord. J’ai compris que c’était un camp plutôt favorable.

Sur les évènements à proprement parlé, je dois dire qu’ils sont intervenus à la surprise générale. A 16 heures, lorsque les coups de feu ont éclaté, les deux camps fuyaient de partout et se rencontraient dans les mêmes cachettes avant qu’il n’y ait vraiment une position claire.
J’ai donc embarqué dans le véhicule et on est parti retrouver les autres, Blaise Compaoré, Jean-Baptiste Boukari Lingani. Henri Zongo n’était pas là. Il avait semble-t-il fui quand il a entendu les coups de feu. C’est plus tard qu’on a appris qu’il était vers Tenkodogo. On lui a dit de rentrer à Pô d’où il a regagné Ouagadougou.

C’est dans le stress et la surprise générale que nous avons vécu ces évènements. Les gens ont parlé plus tard de montage. Ce n’est pas vrai. Tout est arrivé ce jour-là à la surprise générale.
C’est un problème qui est né entre les soldats. Je pense que les soldats d’un camp ont su qu’il y avait un coup qui se préparait à 20 heures parce qu’on a cherché à recruter un de leurs éléments. Quand ils s’en sont rendus compte, ils ont décidé de passer à l’attaque en ne prenant pas le risque d’informer leurs chefs qui allaient leur dire d’arrêter. C’est après coup qu’ils ont informé leurs chefs. Moi c’est ce que je sais. Et je le dis en tant que croyant d’autant plus que j’étais témoin de la surprise générale manifestée par tout le monde ce jour-là. Le 15 octobre à 16 heures, c’est exactement ce qui s’est passé.

S. : Vous avez parlé de deux camps. Est-ce que vous pouvez revenir sur la situation délétère d’avant le 15 octobre qui a débouché sur ces évènements ?

G.T. : J’étais membre du bureau politique du CNR. Je peux vous dire le peu que j’en sais parce qu’il y avait beaucoup de choses qui se passaient ailleurs. Je sais que le débat à un moment donné était difficile. Généralement, quand Sankara avait un point de vue, il y tenait. Si vous le contrez, vous entendez après qu’il y a un bureau politique qui s’est réuni et qui en a décidé. Quoique n’ayant pas été convié à la rencontre, vous vous trouvez ainsi engagé. Cela créait des frustrations. Par exemple, l’interdiction d’importer les fruits au Burkina Faso avait été jugée dangereuse pour un pays enclavé. La majorité des membres du CNR s’était prononcée contre et Sankara a reconnu que la mesure ne pouvait pas être prise. Mais à la Conférence Nationale des CDR à Dédougou, et à la surprise générale, il a déclaré qu’à partir de maintenant il était interdit d’importer les fruits au Faso. Il y a un certain nombre de décisions qui n’étaient pas consensuelles mais qui passaient ainsi aux forceps.

Je tiens cependant à préciser que je ne suis pas partisan de rejeter tout sur Sankara. En fait, il y a des mesures qu’on a prises ensemble. Il y a des erreurs qu’il faut assumer ensemble. Je ne suis pas pour qu’on jette l’anathème sur une personne. On assume ensemble des choses. Mais il faut être sûr que si on continuait la ligne du CNR, on n’allait pas vers la démocratie libérale. C’est le Front populaire qui est venu créer les conditions pour une démarche de type libéral.

En tant que croyant, je n’aime pas les rancœurs et j’essaie de les éliminer et de travailler au maximum avec tout le monde. Après ces événements, j’ai toujours dit que je n’en voulais à personne.
Après avoir vécu ces divisions qui ont créé cette implosion, je ne suis plus jamais du côté du sectarisme. Même dans la mouvance actuelle, je ne suis pas pour le sectarisme. Je suis toujours pour l’ouverture parce que je connais les dangers du sectarisme. Je suis pour le maximum de rassemblement possible. Le président du Faso est pour le rassemblement. C’est pourquoi nous arrivons à avancer.
Quand on parle de paix, c’est à cause de ses efforts de rassemblement. Notre évolution nous l’enseigne du reste puisque des personnes jadis considérées comme des ennemis sont présentement des piliers du système.

S. : Avec le recul du temps, pensez-vous que ces événements auraient pu être évités ?

G.T : Oui ! Je pense qu’on aurait pu faire l’économie de ces événements. C’est vrai qu’on était jeune à l’époque. De plus, le paysage politique était fait de groupuscules communisants. Or les antagonismes dans ce genre de groupes nourris des idées et de la littérature marxisante sont exacerbés inutilement. Le mot démarcation physique vient de ces milieux. Nous avons gagné chacun en maturité. Si on devait recommencer avec cette maturité, on n’aurait pas abouti à cette crise. Je crois qu’il y a eu des exclusions inutiles.

On aurait pu éviter cette crise avec plus de communication, de compréhension du point de vue de l’autre. Mais chacun était sûr, dans sa chapelle. Il y avait plusieurs chapelles. Moi je suis sorti de l’UCB (Union des communistes burkinabé). Il y avait l’ULC (Union de lutte communiste), l’ULCR (Union de Lutte communiste révolutionnaire) qu’on accusait d’être proche de Sankara vers la fin. Les suspicions étaient fortes. Je me dis que personne n’a raison, personne n’a tort. On a tous tort parce que nous n’avons pas pu gérer cette situation. On aurait pu mieux la gérer, mieux se comprendre. On lisait les mêmes littératures et je ne vois pas pourquoi on ne pouvait pas trouver un dénominateur commun pour avancer. Mais chacun voulait tirer les militaires de son côté. Le véritable problème était là. Avec le recul, je suis sûr que cette crise pouvait être évitée. Il faut le reconnaître, les militaires ont été embarqués par ces groupuscules. Nous avons tous eu notre part de responsabilité dans cette situation.

S. : 20 ans après, il est question de renaissance démocratique au Burkina. Est-ce un aboutissement logique de la rectification qui prônait plutôt l’approfondissement de la Révolution ?

G.T. : On était dans un environnement dogmatique. L’ossature de base du Front populaire était l’ULC, l’UCB, l’Organisation des militaires révolutionnaires (OMR) et le Groupe communiste burkinabè (GCB) qui était une cassure du PCRV. Ce premier noyau a eu des difficultés à parler de la démocratie. L’ULCR est restée un peu sankariste avant qu’une fraction rejoigne le Front populaire plus tard.

Il était réellement suicidaire dans cet environnement communiste nourri aux idées marxiste-léninistes, de parler de la démocratie bourgeoise. C’est pourquoi on a parlé dans un premier temps d’approfondissement de la Révolution. La Révolution peut avoir plusieurs sens. Il y a la révolution des libertés qui a été créée parce que dès le 19 octobre, Blaise Compaoré a appelé toutes les forces patriotiques à se reconstituer pour participer au débat national. C’est à partir de là que les anciens partis qui avaient été dissous depuis 1980 sous le CMRPN se sont reconstitués. C’est vrai qu’ils ont pris d’autres appellations mais ils sont revenus devant la scène politique à partir de cet appel.
Des reconstitutions qui ont, du reste, créé des remords au sein du camp communiste où certains comme moi avions été taxés de révisionnistes parce qu’on était pour l’ouverture. J’étais convaincu que c’est en faisant venir des gens avec des idées contraires qu’on pouvait surmonter les dogmatismes internes et avoir des idées nouvelles pour avancer.

Le débat pour l’ouverture était aussi accompagné du débat sur l’unité de la gauche. Nous nous sommes rendus compte qu’il ne fallait plus recommencer les mêmes erreurs que sous le CNR. Ce débat a pris deux ans. Les uns voulaient qu’on fasse un parti de travail, un parti communiste, un parti d’avant-garde communiste ; les autres refusaient. Finalement, le compromis qui a été trouvé, c’est une organisation démocratique populaire. C’était un peu une obédience social-démocratique. Ça ne se disait pas mais c’était déjà ça. Mais elle posait déjà les bases de l’acceptation de l’économie de marché.

De nombreux camarades nous ont quittés à cause de cela car ils nous accusaient de faire un compromis avec la droite. De 1987 à 1991, le débat a donc porté sur l’ouverture démocratique et l’ouverture du Front populaire. Le président avait demandé que le premier noyau de communistes soit élargi à tous les partis qui le souhaitaient. C’est ainsi qu’en 1989, les Hermann Yaméogo, Issa Tiendrébéogo, Joseph Dieudonné Ouédraogo sont entrés au comité exécutif du Front populaire.
C’est de là que nous avons mené ensemble le débat sur l’avènement de l’Etat de droit et la loi fondamentale. Vers la fin, il y a eu même un gouvernement de large ouverture pour mettre en œuvre le référendum qui a adopté la constitution. Il y a eu une démarche d’ouverture progressive.

On a cassé l’enclos des communistes petit à petit. Mais il faut dire qu’il y a eu un facteur favorable sur le plan international : c’était le déclin des pays de l’Est à partir de 1989.
Ceux qui étaient des repères sur le plan international, ne pouvaient plus constituer des arguments. Je me rappelle que lorsque l’on a annoncé l’écroulement de l’Albanie, certains ont pleuré. Cette situation, ce choc a été un facilitateur de la Perestroïka interne qui était menée de 1987 à 1991. Blaise Compaoré a pesé de tout son poids pour l’ouverture démocratique.

Quand l’ODP/MT devait adopter la ligne de masse en 1989 à la 3e conférence des cadres, c’était compliqué. J’étais le président de la commission programme qui a adopté l’écononomie de marché pour la première fois. Après l’adoption du document, un camarade m’a dit à la fin d’écrire dans le PV (procès verbal) qu’il était contre et qu’en tant que vrai marxiste-léniniste, il ne voudrait pas que l’histoire retienne qu’il a participé et a donné son accord. Je le comprends parce que nous avons été nourris aux sources de ces idées. Mais pour aller à la démocratie libérale, il y avait d’abord la base, c’est-à dire l’économie de marché. Et on a réussi à faire cette mutation.

L’appel de François Mitterrand à La Baule qui conditionnait l’aide à la démocratie de type occidental est venu après qu’on ait épuisé ce débat. On avait anticipé ce débat. Et lorsqu’en 1990, il était devenu impossible d’avoir une aide même bilatérale sans être assigné au programme d’ajustement structurel, nous étions déjà avancés avec l’adoption de l’économie de marché, l’adoption d’un certain nombre de principes de base fixant les règles d’une démocratie libérale. La démocratie libérale a cependant ses tares. Voilà pourquoi le président met beaucoup l’accent sur la solidarité. Il y a les tares du capitalisme qu’il faut essayer d’amoindrir par un dispositif de sécurité et de redistribution sociale.
C’est cela la démocratie sociale, d’une certaine manière.

D’aucuns tentent aujourd’hui de dire que ce n’est pas le Front populaire qui a amené l’Etat de droit mais toutes les forces sociales du pays. Je suis d’accord mais sous le CNR, ces gens ne pouvaient pas être associés à un quelconque débat.
Il en est de même de la liberté de presse et de la liberté d’association qui ont été favorisées par Blaise Compaoré. Je vous rappelle que Halidou Ouédraogo était le premier conseiller juridique de Blaise Compaoré au lendemain du 15 octobre et c’est pendant qu’il était à la présidence que le MBDHP a été créé. Tout le mécanisme de la société civile a pu prendre forme parce qu’il y a eu un vent favorable.
Qu’on ne vienne pas me dire que le Front populaire n’a pas jeté les bases d’une démocratie au Burkina.

Et je suis heureux de constater que certains qui avaient quitté le processus au prétexte qu’on laissait venir la droite, soient partis de l’autre côté, à l’opposition, où ils travaillent en symbiose avec la même droite. Je voudrais maintenant que quel que soit l’endroit où on se trouve, on brise vraiment les carcans du sectarisme. La fracture sociale peut amener à des situations très regrettables, très dommageables et, quelquefois, irréversibles. Que chacun se batte en ayant en vue de faire croître le pays dans le sens du développement.

Interview réalisée par Hamado NANA et Victorien SAWADOGO

Sidwaya

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