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Afrique : A quoi servent les Constitutions ?

Publié le vendredi 28 mai 2004 à 09h34min

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C’est désormais officiel. Le président tchadien, Idriss Déby, a la
latitude de briguer la magistrature suprême autant de fois qu’il le
voudra. L’Assemblée nationale vient de lever l’obstacle de la
limitation à deux du mandat présidentiel. Les députés de
l’opposition, n’ayant pas obtenu un vote à bulletin secret, ont
claqué la porte de l’hémicycle.

Idriss Déby, à l’instar de tant
d’autres chefs d’Etat africains, peut donc régner à vie. Pour
parfaire la comédie, l’onction des députés sera soumise à un
référendum dont le résultat semble déjà acquis. Ainsi, il pourrait
toujours se targuer d’une légitimité populaire pour se maintenir
au pouvoir. Cela d’autant plus que le Tchad vient d’entrer dans le
club très fermé des pays africains producteurs de pétrole.

Il était
donc difficile que ce chef de guerre devenu président, cède la
place à quelqu’un d’autre. Il entend profiter, avec la complicité
des puissances extérieures qui l’ont porté au pouvoir et qui l’y
maintiennent, des énormes retombées financières générées
par les barils du brut. Et le grand perdant de ce gigantesque bal
masqué reste le peuple tchadien, traumatisé par trente ans de
guérilla permanente. Ce tripatouillage constitutionnel intervient
au lendemain d’une tentative de coup d’Etat (16 mai 2004)
venant du coeur même du pouvoir, de son propre clan. Les
séditieux, Zaghawas comme le président lui-même, semblaient
reprocher au chef de l’Etat son non-engagement auprès de
leurs frères Zaghawas du Darfour (Soudan) en rébellion contre
le pouvoir central de Kharthoum.

Les militaires restés fidèles au chef de l’Etat tchadien ont refusé
de tirer sur leurs frères Zaghawas. La crise a été dénouée à
l’issue de 48 heures de négociation sans effusion de sang et
les militaires arrêtés ont été relâchés. Pour la première fois,
Idriss Déby, au pouvoir depuis le 1er décembre 1990, a eu très
peur. Cette crise de "famille" révèle toute la nature clanique du
régime de N’Djaména. Un pouvoir essentiellement tissé autour
de liens familiaux et tribaux.

Dans ces conditions, cette révision
de la Loi fondamentale ne fera qu’exacerber davantage les
tensions sociales et politiques. Dans un pays en perpétuelle
rébellion, ce verrouillage de toute alternance par les urnes, ne
peut que renforcer la conviction de ceux-là qui ont pris les armes
pour tenter de chasser Déby du pouvoir. Le Tchad n’avait pas
besoin de cette péripétie pour son développement, surtout à un
moment où on attend beaucoup de la manne pétrolière, même
si les multinationales, comme d’habitude, se tailleront la part du
lion.
Quoi qu’il en soit, ce viol de la Constitution pose plus de
problèmes au Tchad qu’il n’en résoud.

Mais ce qui se passe au
Tchad n’est pas nouveau sur le continent, bien au contraire.
Avant Idriss Déby, plusieurs de ses pairs ont malmené leur
Constitution pour régner à vie avec le rêve secret de bénéficier
de funérailles nationales. On se demande alors à quoi servent
les Constitutions en Afrique si on peut les taillader à souhait et
selon les humeurs du prince. Ces "bouts de papier", conçus
pour donner un vernis démocratique et un fondement légal aux
régimes en place, servent en réalité à un clan qui prend le
peuple en otage, dans un environnement fortement marqué par
la gabegie, le clientélisme, la corruption et la mal gouvernance.

L’Afrique des rois et des empereurs avait des codes de moralité
et de probité qu’aucun souverain n’osait transgresser sous
peine de déchéance, voire d’empoisonnement par la Cour.
Aujourd’hui, les chefs d’Etat dit modernes ne s’embarrassent
plus de ces contraintes éthiques. Et cela ne semble pas
émouvoir outre mesure leurs mentors occidentaux, occupés
qu’ils sont à protéger leurs intérêts mafieux. Tout porte à croire
qu’en Afrique, on peut charcuter la Constitution comme on veut.

Pourvu qu’on ne touche pas aux profits du fabricant d’armes, du
vendeur de véhicules, de l’acheteur de cacao ou de diamant etc.
Certes, en France, le nombre de mandats présidentiels n’est
pas limité et les seigneurs qui régentent le continent se
prévalent souvent de cet exemple pour pérenniser leur pouvoir.
Mais en France, il y a suffisamment de mécanismes pour parer
à toute dérive totalitaire .

Dans ce pays, la justice, la
transparence électorale, la sanction populaire et la bonne
gouvernance ne sont pas des concepts creux. Les présidents
africains ne s’inspirent que des exemples qui les arrangent. Le
peuple, au nom duquel on prétend agir, reste alors un mythe,
introuvable et exploité en permanence.

Le Pays

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