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Issa Tiendrébéogo, ex-conseiller de Blaise Compaoré : “J’ai été naïf”

Publié le mercredi 10 octobre 2007 à 08h09min

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Issa Tiendrébéogo

Issa Tiendrebéogo, secrétaire général du Groupe des démocrates et patriotes (GDP). Nous avons rencontré cet homme le 29 septembre 2007 dans le cadre de la des évènements du 15 octobre 1987. Car, pour ceux qui ne le sauraient pas, Issa comme on l’appelle dans le landernau politique, a été un des membres civils du gouvernement du CNR, notamment au poste de ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique.

Avant d’être l’un des messi dominici de Blaise Compaoré qui prendront leur bâton de pèlerin pour expliquer le comment du pourquoi de ces évènements. Il nous a reçu, disions-nous, le 29 septembre dernier, et, bien qu’en béquilles suite à un accident, s’est prêté volontiers à nos questions.

Récemment vous avez été victime d’un accident ; comment vous sentez-vous maintenant ?

En effet, en faisant mon footing, il s’est passé quelque chose et je suis tombé. Mais par la grâce du Seigneur, ce n’est pas si grave et je pense pouvoir retrouver ma mobilité dans peu de temps.

Il sera commémoré le 20e anniversaire du 15 octobre 87, l’accession de Blaise Compaoré au pouvoir pour les uns et l’assassinat du président Thomas Sankara pour les autres. Avec ce pied dans le plâtre, pourrez-vous prendre part activement aux manifestations ?

Moi je ne suis pas impliqué en tant que tel dans l’organisation de ces manifestations. Car, comme vous le savez, c’est surtout les partis et les associations se réclamant du sankarisme qui s’activent à le commémorer. Cependant, si on me demandait ma contribution, je la donnerais volontiers.

Vous avez été un des acteurs du Conseil national de la révolution ; quel souvenir gardez-vous du 15 octobre 1987 ?

Ce que je vais vous faire, ce ne sont pas des confidences, mais c’est tout comme. Moi, j’avais quitté volontairement le gouvernement en 1986. La raison, comme tout le monde le sentait, est qu’il y avait à un moment donné une atmosphère qui annonçait que les choses n’allaient pas entre les grands acteurs. Nous, à notre niveau, nous nous étions rendu compte, en tant qu’acteur et ministre, qu’il nous était impossible d’accomplir notre mission telle que nous l’aurions voulu. Parce que nous avions constaté ce tiraillement et nous voyant presque inutile, nous avions pris à l’époque du recul, en nous retirant du gouvernement en 1986. Néanmoins, nous suivions de près ce qui se passait et notre souhait était que les protagonistes se réconcilient. Malheureusement, il y a eu ce que tout le monde sait, le tragique 15 octobre 1987, qui a mis fin à la révolution.

Voulez-vous dire qu’étant à l’intérieur, vous aviez senti les choses venir ?

En effet, nous sentions que les choses n’allaient pas, mais c’est leur dénouement qui nous a surtout surpris. Parce que nous pensions que des solutions auraient pu être trouvées pour que les choses avancent. Il y avait par exemple ce problème des 2000 enseignants dégagés, auxquel on n’avait pas encore trouvé de solutions. Cependant, la décision avait été prise de les reprendre progressivement.

Quel était votre agenda le 15 octobre 1987 ?

J’étais dans ma belle-famille à Kiendpalogo, vers 16 heures quand on a entendu les coups de feu. Et ce jour-là, je n’ai même pas pu revenir chez moi à la zone du Bois.

Pensez-vous vraiment, comme vous le suggériez plus haut, que le drame du 15 octobre aurait pu être évité ?

Je pense sincèrement qu’au lieu des tiraillements entre les protagonistes, s’il y avait eu cette sagesse dans le sens de l’entente, on aurait pu éviter ce qui est survenu ce 15 octobre 1987. Mais d’après les informations qui nous parvenaient, on en était arrivé à un stade où de part et d’autre, on avait fait monter les enchères. Par la suite, nous avons su aussi qu’il y avait une main étrangère qui ne souhaitait pas que cette révolution continue et qui a certainement œuvré à ce que les choses se déroulent comme elles se sont produites, c’est-à-dire la fin de la révolution. Est-ce que certains étaient conscients de ça à l’intérieur qui faisaient monter les enchères ? je n’en sais rien. Toujours est-il qu’après les événements, on s’est rendu compte que ce n’était pas une affaire simplement interne.

A qui faites-vous allusion en parlant d’une main étrangère ?

Si vous avez suivi l’actualité dans les journaux internationaux, certains pays, comme la Côte d’Ivoire, ne seraient pas tout à fait propres dans cette affaire. Or qui dit la Côte d’Ivoire, en son temps, dit en partie aussi la France ! Mais les détails, on les aura un jour. Car, en pareilles situations, c’est au fur et à mesure que les choses s’éclaircissent. Mais on en a déjà quelques indices, qui indiquent que ce n’était pas purement burkinabè.

Quels étaient vos rapports avec Thomas Sankara ? Etaient-ils sains ?

J’avais de bons rapports aussi bien avec lui qu’avec Blaise Compaoré. Si je vous dis que j’ai démissionné en 1986, c’est parce que l’atmosphère n’était plus sereine. Vous savez, j’ai toujours milité pour un changement qualitatif depuis les années 70. Nous voyions donc à travers cette révolution nos rêves en train de se réaliser. Lorsqu’à l’intérieur on a vu se développer ces dissensions internes, il faut avouer que ce n’était pas de gaieté de cœur que nous nous sommes retirés du système, dans l’espoir que les choses s’arrangeraient pour qu’on aille de l’avant.

Qu’est-ce que vous savez de ce qui opposait Thomas Sankara à Blaise Compaoré ?

Il est parfois question, dans une telle situation, de défense des lignes. Mais dans ce contexte précis, c’était loin d’être un problème de ligne. Je vous disais tantôt qu’il y avait des implications extérieures ; il est évident qu’il y avait des gens qui, sous prétexte de lignes, souhaitaient l’arrêt de la révolution. Ceux qui voulaient la poursuite de la révolution étaient sans doute le camp de Thomas Sankara. La lecture des choses s’enrichit au fur et à mesure que le temps passe. Vous vous rappelez qu’au lendemain du 15 octobre, on avait bien dit que la révolution se poursuivait et qu’on allait même l’approfondir. Qu’est-ce qu’on en a fait ? Le constat est qu’avec le temps, on s’est rendu compte qu’il y avait des gens qui souhaitaient l’arrêt de la révolution après le 15 octobre 1987.

Ça ne vous a pas empêché d’être conseiller de Blaise Compaoré après cela...

Comment cela s’est-il passé exactement ? Moi j’étais un peu à l’écart et après le 15 octobre il a envoyé me chercher. Et la version qui m’a été donnée, c’était celle d’un accident. Nous nous sommes donc demandé si dans ce cas il était possible, en dehors du choc subi par la plupart, de sauver la révolution. C’est dans ce contexte que nous avons cru bon d’apporter notre contribution en tant que conseiller. J’ai entrepris en son temps de convaincre des sankaristes, certains peuvent encore en témoigner aujourd’hui, que ce qui s’est passé était un accident et qu’on pouvait ensemble continuer la révolution. Telle a donc été ma démarche jusqu’à ce que moi-même je me rende compte que je m’étais fourvoyé totalement. Car ma conviction était que dans un processus révolutionnaire, il y a bien sûr les hommes mais aussi les objectifs visés et que les hommes ne sont pas immortels. Si c’était effectivement un accident et que la révolution avait continué, on n’aurait pas eu la situation présente au 20e anniversaire. Il s’est donc révélé totalement que ce n’était pas un accident.

Avez-vous de ce fait démissionné de votre poste de conseiller ou vous a-t-on démis ?

En fait j’ai été conseiller jusqu’au 18 septembre 1989, après les évènements où Boukary Lingani et Henri Zongo ont été exécutés. J’ai reçu une simple lettre, alors que j’ai été nommé par décret, me remettant à la disposition de la Fonction publique. J’ai compris par la suite les raisons de mon limogeage. Car, comme je vous l’ai dit plus haut, nos objectifs n’étaient certainement pas les mêmes alors que moi je croyais naïvement que c’était pour continuer en renforçant ce que nous avions considéré comme acquis de la révolution. Tout le monde reconnaît que la gestion était très saine sous le CNR et que les côtés négatifs concernaient les libertés et la démocratie. Alors, si on avait cherché à améliorer ce qui péchait et à consolider ce qui marchait, on n’en serait pas là.

J’ai l’impression qu’à un moment donné je constituais un empêcheur de tourner en rond. J’avoue que cette considération ne m’a pas touché outre mesure, puisque jusqu’à présent, le président Blaise Compaoré n’a pas pu me dire exactement ce qu’on m’a reproché. Toutefois, en me référant aux actes que j’ai posés quand j’étais à ses côtés, j’ai compris pourquoi. Nous ne regardions pas dans la même direction.

En tant qu’homme politique, que reprochiez-vous au système Sankara ?

Il est vrai que ce sont les militaires qui nous ont permis d’arriver à cette situation, que nous souhaitions, mais j’avoue qu’à partir de 1985, personnellement, j’ai senti une militarisation du régime, puisque les civils comptaient de plus en plus comme du beurre. Vous vous souvenez de la guerre de Noël, le 25 décembre 1985, avec le Mali. Moi, et d’une manière générale la plupart des membres civils du gouvernement, je n’en étais pas informé à cette date-là.

Nous avons protesté énergiquement auprès de qui de droit. Au départ, les choses allaient bien, mais à partir d’un certain moment, personnellement, j’ai senti quand même un resserrement vers la partie militaire de ce que nous faisions. Or, vous savez que, quoi qu’on dise, c’est avant tout les civils qui étaient les plus aguerris sur le plan de la formation pour œuvrer à ce que les choses se passent bien. Après le départ du PAI une année avant, lorsqu’on faisait le décompte, le constat que les choses se resserraient un peu militairement était bel et bien clair. Mais je ne signifie pas par là que le PAI avait totalement raison.

Vous étiez un de ceux qui sont allés expliquer comment les choses se sont passées et pourquoi on en était arrivé au 15 octobre 87. Un livre blanc a même été pondu sur le sujet. Ne pourrait-on pas vous rétorquer que vous vous en lavez aujourd’hui les mains parce que vous n’êtes plus dans les bonnes grâces du pouvoir ?

Sachez que Blaise Compaoré m’a appelé en tant que son conseiller personnel et non membre du Front populaire. Je n’ai donc pas ma main dans le livre blanc dont vous parlez. Je vous ai dit que c’est lui qui m’a fait appel et m’a donné la version de l’accident. Et c’est sur cette base que je suis allé vers des proches de Sankara pour les convaincre de se rallier au mouvement à partir du moment où les objectifs de départ demeuraient. Ce n’est que par la suite, comme je vous l’ai également souligné, que nous avons eu une lecture réelle de la situation. Ce qu’on m’a présenté comme étant un accident s’est révélé être autre chose. N’allez donc pas interpréter mon analyse des choses comme étant dû au fait que je ne suis plus au pouvoir. Je vous ai bien dit que j’assume collectivement ce que j’ai fait sur le plan politique.

C’est à la faveur de l’ouverture politique, qui a amené à la création des partis, que le GDP est entré, tout comme la CNPP et bien d’autres, au Front populaire. Mais notre parti a eu des discussions avec les responsables du Front populaire avant d’en être membre. Retenez donc que ce n’est pas en tant que secrétaire général du GDP qu’on m’a fait appel pour être son conseiller. Et sans rien vous cacher, il y avait des gens qui n’étaient pas contents, car estimant que j’avais de l’influence alors que je n’en étais pas membre. Un conseiller ne vaut que selon le pouvoir qu’on lui donne. Il peut en avoir beaucoup ou pas du tout, comme certains de ces conseillers aujourd’hui qui ne voient même pas celui qu’ils sont censés conseiller.

Que savez-vous de cette ténébreuse affaire des 200 millions de francs CFA qu’on aurait trouvé dans le bureau ou la chambre de Sankara, selon les uns et les autres ? Vous allez peut-être nous dire aujourd’hui, comme beaucoup le pensent, que c’était bidon !

Je sais, de source sûre, que la valise a été vue. Y avait-il 200 millions ? je ne saurais vous l’attester, puisque, pour être sincère, je n’ai pas vu personnellement la fameuse valise. Je prends donc avec réserve ce qu’on avance contre Sankara. Il m’est cependant revenu que c’était plus ou moins une caisse noire où des gens, qui effectuaient des missions, se servaient.

N’est-ce pas trop facile de clouer au pilori ce “diable” de Blaise que vous avez servi ?

Je vous ai dit ci-dessus que Blaise Compaoré m’a appelé auprès de lui à titre personnel en tant que son conseiller. Et en cette qualité, je sais ce que j’ai fait et ce que j’ai donné comme conseils. Peut-être qu’un jour on entrera dans les détails. Loin de moi l’intention de tirer la couverture à moi, mais sachez que j’avais deux principales préoccupations : faire l’ouverture démocratique et poursuivre la gestion des biens de l’Etat unanimement appréciée par tout le monde, même de l’extérieur. Mais lorsqu’on constate que ce qui se pratique est en déphasage avec ce qu’on professe, la sagesse recommande qu’on prenne ses responsabilités à un moment donné. A ce sujet, fidèle à mes principes, et tout le monde le sait, je me suis démarqué du système depuis un certain temps.

En dehors des témoignages à ce genre d’occasion, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de crier sur tous les toits qu’on n’est pas d’accord sur telle ou telle chose. Ce serait trop facile. Par ailleurs, quand on collabore, ce n’est pas à la première difficulté qu’il faut prendre la tangente. Sans entrer dans les détails, je vous citerai par exemple l’histoire du Liberia, sur laquelle, moi-même, en tant que conseiller, ai été surpris par certaines informations. Au fil du temps, je me voyais inutile. Je suis de ceux-là qui ne cachent pas leurs sentiments.

A votre avis, où le CNR a-t-il péché ?

Il a péché, dans la mesure où la démocratie interne ne fonctionnait plus normalement pour pouvoir résoudre les problèmes de façon pacifique et démocratique. Parce que l’on peut se plaindre des libertés ou de la démocratie à l’extérieur, mais à l’intérieur, il fallait un minimum de démocratie pour résoudre les problèmes de façon pacifique. Certains militaires n’avaient pas la formation nécessaire pour pouvoir discuter d’égal à égal avec les civils ; car il y en avait qui pensaient que la révolution était leur fait et que, par conséquent, ils devaient avoir la suprématie.

Une telle attitude ne pouvait que bloquer les débats. Je reproche donc au CNR de n’avoir pas pu mener le débat sur les problèmes de fond de façon démocratique. Pour votre information, au cas où vous ne le sauriez pas, j’étais censé être membre du CNR. Malgré tout, on ne m’a convié à une de ses réunions qu’en 1986. Fidèle à mes principes, j’ai refusé d’y prendre part et ai exigé des explications, parce que ne comprenant pas que depuis 1983 membre du CNR, ce soit seulement en 1986 qu’on m’y convie. Certains peuvent encore témoigner de mon refus. En conclusion, je n’ai jamais siégé au sein du CNR. J’ai même reçu l’information selon laquelle on avait demandé de me sanctionner pour indiscipline.

Mais je savais que cela provenait de certaines personnes, qui ne souhaitaient pas cet élargissement en vue du débat pour trouver les solutions les plus idoines aux problèmes. Je suis convaincu que cela n’était pas le fait de Thomas Sankara. En attestent les bons rapports qui ont prévalu entre nous, après mon départ du gouvernement. Et, tenez-vous bien, lorsque j’ai perdu mon père en 1987, il est même venu à la maison me présenter ses condoléances. Si nos rapports étaient mauvais, je ne crois pas que Thomas Sankara serait venu chez moi. Il comprenait pourquoi je m’étais retiré du gouvernement, puisqu’on en avait discuté.

Vous êtes enseignant et avez même été sous la révolution ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Comment appréciez-vous, avec le recul, le licenciement des quelque 2000 instituteurs ?

Permettez-moi d’abord d’ouvrir une parenthèse pour préciser que les enseignants en question ne dépendaient pas de moi. Ils relevaient du département de l’Education. Moi je m’occupais de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Ce qui ne veut pas dire qu’en tant que membre du gouvernement, je n’en partage pas la responsabilité avec tout le monde.

Mais elle n’est pas une responsabilité personnelle. Pour en revenir à votre question, j’ai toujours considéré que le dégagement des enseignants était une grave erreur. C’était donc un soulagement pour moi quand on a décidé de les reprendre. Si vous faites un regard rétrospectif, vous pouvez constater que c’est dans mon département qu’il y a eu le moins de dégagements. Ce n’est pas pour m’en vanter, je n’accédais à ce genre de choses que sur la base d’éléments précis. Il faut donc que la faute soit établie pour recourir à des sanctions, mais pas à partir de listes téléguidées.

En dehors d’un agent, je n’ai dégagé personne. Car j’estime que la révolution est synonyme de justice et qu’on ne devrait pas utiliser sa position pour de régler des comptes.

Je le répète, en tant que membre du gouvernement, j’assume cette erreur, bien que, comme je l’ai déjà dit, ma responsabilité personnelle ne soit pas engagée. Je me réjouis du fait qu’on ait trouvé la solution à cette erreur. Seulement, c’est dommage qu’elle n’ait pas été intégralement appliquée sous le CNR. Car cela aurait pu améliorer notre image de marque.

Le Groupe des démocrates et patriotes (GDP), dont vous êtes le secrétaire général, est l’une des plus vieilles formations politiques du Burkina. Cependant, celui-ci peine à émerger dans le paysage politique de notre pays. Votre explication ?

Je vais vous en donner les explications, mais c’est à vous de me croire ou pas. J’ai toujours dit en tant qu’individu que je ne suis pas allé en politique pour m’enrichir ou me faire valoir. J’ai été en politique depuis pratiquement la sortie du lycée parce que je croyais en un idéal. Et j’ai toujours essayé de faire en sorte que dans mon comportement de tous les jours, je sois conforme à moi-même.

C’est aux autres de dire si j’ai réussi ou pas. Si à un moment donné je me rends compte que je suis en contradiction avec mes convictions, alors je vire. Je veux dire que le GDP est un parti qui a toujours eu à dire clairement ce qu’il pense. Même avec ses amis, quand les choses n’allaient pas dans le sens de ses convictions, le parti a toujours eu le courage de le dire. Evidemment, cela ne plaît pas souvent. Nous nous sommes toujours abstenus de participer à des combines, à des opérations mafieuses. Vous avez vu des partis qui, parce qu’ils ont triché, ont fini par éclater.

Je crois que, à notre décharge, personne n’a jamais pu prouver que le GDP s’est retrouvé dans une position de compromission. Ça ne suffit pas pour justifier tout, mais c’est aussi une explication partielle de la place du GDP dans le landernau politique burkinabè . Bien sûr, à cela il faut ajouter des acharnements et suffisamment de complots pour me faire disparaître. Malgré tout, nous allons continuer notre chemin et si le parti doit disparaître parce que nous ne pouvons pas le mener suivant les objectifs de départ, cela ne nous inquiétera pas outre mesure.

Comment appréciez-vous la célébration de la renaissance démocratique au Burkina pour ne pas dire des 20 ans de pouvoir de Blaise Compaoré ?

Pour vous dire nettement ce que j’en pense, cela n’aurait pas dû avoir lieu comme manifestation. Et sur ce point, je dois féliciter votre journal, qui, à travers la rubrique “Nobila Cabaret”, a fait une proposition que j’ai trouvée lumineuse. C’est légitime que les sankaristes commémorent le 20e anniversaire. Mais qu’un régime déclare Thomas Sankara héros national et qu’en même temps, il ne profite pas de l’occasion pour montrer qu’il en est un, que cette décision vient du cœur et n’est pas une manœuvre politique, je conviens avec vous que cela est difficile à comprendre. Pire, on travaille non seulement à empêcher voire noyer la manifestation ; c’est vraiment incompréhensible.

Comme vous l’avez dit, il aurait été bon d’aller déterrer ses cendres pour les amener au “Panthéon”. En vérité, je trouve personnellement que ceux qui ont initié la célébration des 20 ans du pouvoir de Blaise Compaoré n’ont pas eu une idée lumineuse. Mon inquiétude, c’est que par ces actes-là, on ne détériore la relative paix dont nous nous réjouissons. Nous avons intérêt, vu la situation actuelle de notre pays, à chercher à calmer toutes ces rancœurs, à faire une réconciliation au vrai sens du mot. J’ai dit que la fameuse journée nationale de pardon (JNP) du 30 mars n’était pas bonne pour beaucoup de raisons que vous n’ignorez pas. Je me garde de citer des exemples, mais que des individus vont jusqu’à prendre le cadavre de leurs parents parfois même sans des liens de parenté évidents, n’est pas bon.

Vous savez qu’il y a beaucoup de gens qui, quand ils ont perdu leur parent, je veux parler des Burkinabè dignes de ce nom, ce qui les intéresse, c’est d’avoir la vérité et de pardonner, mais non une histoire d’argent. Je me réfère à ce sujet à un film sur Norbert Zongo où ce que sa maman a dit m’a beaucoup touché. Il faut donc que nous revenions à cette idée que le pardon et la réconciliation ne se font pas à coups de millions. C’est seulement dans la sincérité et dans la conviction que nous parviendrons à réconcilier les Burkinabè. Et je crois que nous sommes à un tournant où nous avons franchement besoin de cela. Sinon, j’ai bien peur qu’à ce rythme-là, nous arrivions à la situation de certains pays, que nous ne souhaiterions pas vivre.

C’était une journée à laquelle les principaux intéressés, qu’on visait, n’ont pas adhéré. Par cette commémoration, le pouvoir montre qu’il n’y avait pas de sincérité, au vrai sens du mot, sur ce pardon-là. Il a révélé par là la réalité de ses intentions en décidant de fêter les 20 ans de pouvoir de Blaise Compaoré. Plus grave encore, s’ils en avaient pris l’initiative avant les sankaristes, je les aurais compris. Mais attendre que ces derniers, une année avant, programment leur manifestation pour la saboter, je trouve que le Burkina n’a pas besoin de ces choses-là.

Votre couple est peut-être l’un des plus démocratiques du Burkina dans la mesure où, pendant que vous vous enfonciez dans l’opposition radicale, votre épouse, Alice (plusieurs fois ministre de Blaise), elle, gravitait et gravite toujours autour des cercles du pouvoir. Comment ça se gère au quotidien, notamment en période électorale cette situation ?

J’ai toujours donné en exemple mon père. Il était RDA jusqu’au cou. Ses références étaient les Issouf Joseph Conombo, le Moogho Naaba... Moi, par contre, j’étais un militant actif du MLN. Cependant, je n’ai jamais eu de désaccord avec lui parce qu’on n’était pas du même bord politique. Pour en revenir à mon couple, je ne l’ai pas fondé sur le socle de la politique. Des gens ont cherché en vain à y voir certaines choses. J’ai toujours considéré, eu égard à l’éducation dans laquelle j’ai été forgé, que ma famille relève de ma vie privée, qui doit être protégée. Sur ce, il y a des choses y relatives dont je vous ferai l’économie. En 2000 par exemple, j’ai été pris à partie parce que, alors qu’on appelait au boycott du baccalauréat, ma fille a passé l’examen. Est-ce que, en tant que père, parce qu’étant de l’opposition je dois absolument faire subir mes options politiques à mes enfants ?

Même à supposer que ce fût moi qui aie poussé les gens à aller en grève. La divergence politique au sein du couple ne m’a pas, jusque-là, empêché de jouer le jeu comme certains opposants. Bien de gens ont souhaité voir des couples exemplaires, comme le mien sans être prétentieux, voler en éclats. J’ai arrêté net certaines personnes, et pas des moindres, qui ont tenté de s’immiscer dans les affaires de mon foyer. Je n’en dirai pas plus, chacun peut avoir son opinion là-dessus et si l’on vit en couple, on prend aussi des dispositions pour que les problèmes politiques ne viennent pas le faire exploser. C’est malheureusement ce que d’aucuns n’ont pas compris, laissant la politique briser leur foyer.

Dieu m’a donné la sagesse et ceux qui ont souhaité le divorce d’avec mon épouse ont perdu leur temps. En période électorale, chacun bat sa campagne. On discute politique entre nous, mais si l’on sent que ça peut s’enflammer, on arrête.

Ce n’est pas par la force, et je pense l’avoir démontré, qu’on amène les gens à votre conviction. J’accepte aussi que les gens puissent avoir des contraintes et des ambitions. Vous pouvez faire des investigations sur le fait que, depuis la création du GDP en 1988, la direction n’a jamais pris la décision d’exclure un militant du parti. Celui qui veut part de lui-même. N’est-ce pas quand même un exemple de tolérance ! Telle est la philosophie que nous essayons de vivre.

Une chose est de proclamer des principes, une autre est d’essayer de vivre ses principes. Crier au voleur, c’est bien, mais si vous-même on vous découvre voleur, c’est le comble.

Vous savez, Dieu nous a donné des enfants merveilleux. Nous avons pu les conduire à bon port. Et nous en sommes fiers. Je pars du principe que la politique, d’une manière générale, c’est pour le bien-être de la société. En tant que croyant, je pense que la famille doit être le socle de la société. Les hommes politiques qui doivent aider à bâtir ce socle, qui doivent être, par conséquent, de bons exemples.

Une autre question très personnelle : vous êtes devenu protestant ; quand et comment avez-vous reçu l’appel du Seigneur, que vous aimez évoquer désormais et régulièrement à chaque bout de phrase ?

Comme on a l’habitude de le dire, les voies du Seigneur sont insondables. J’étais musulman tout comme mon père. Mais il n’y a pas un homme qui ne traverse pas de difficultés ou qui ne se soit pas posé des questions sur le sens de sa vie à un moment donné. La vie et les évènements vous enseignent également un certain nombre de choses. Je peux dire que je suis un miracle de Dieu dans tous les sens. J’ai échappé plusieurs fois à la mort, et j’ai fini par comprendre que c’était la main de Dieu qu’il fallait coûte que coûte chercher. Un jour une parente et amie m’a offert la Bible. Je l’ai prise presque avec dédain et l’ai classée dans ma bibliothèque. Je ne l’avais jamais ouverte. Et un jour, dans une profonde méditation devant des problèmes auxquels je cherchais des solutions, j’ai pris la Bible sans savoir pourquoi et me suis mis à lire un passage. Depuis lors, chaque fois que je la lis, c’est comme si de la lumière se produit en moi. Il y a certaines choses qu’on ne peut pas expliquer rationnellement. Sinon, en ma qualité de mathématicien, je vous aurais posé une équation pour aboutir à la solution.

Comme en politique, tout le monde est libre, mon ménage, de ses convictions religieuses. Même avant que je ne devienne protestant, il n’y a jamais eu de divergence bien que ma femme soit catholique. Nos enfants, nous leur avons donné presque à chacun deux ou trois noms : il y a Kadi Alice, Aïcha Angélique, Fatimata Valérie, Ismaël Philippe. Chez moi on ne force personne à embrasser une religion. On voit pourtant des imams ou des pasteurs qui sont écœurés parce que leurs enfants ne sont pas de la même religion qu’eux. Si on connaît la voie de Dieu, on n’a pas besoin d’user de la violence.

On vous avait surnommé “Issa la Bagarre”, pour votre tempérament teigneux. Ça tient toujours, cette étiquette ?

Ah oui ? Tous ceux qui me connaissent savent que ce n’est plus “ Issa la Bagarre ”. Plus d’un est étonné de la transformation de mon caractère. C’est ce qui m’amène à dire que quand vous êtes dans le Seigneur Jésus Christ et n’avez pas changé, vous n’en êtes pas encore un disciple. Si vous désirez expérimenter ma métamorphose, je vous invite à venir me donner une gifle ; je ne réagirai pas. (Rires) Je ne vois pas ce qui peut énerver quelqu’un plus que cela.

Auriez-vous quelque chose à ajouter à ce tout ce que vous avez dit ?

Je voudrais remercier L’Observateur paalga pour m’avoir donné l’occasion de m’exprimer et de dire un peu de choses qui, j’espère, vont éclairer l’opinion. Plus le temps avance, plus les Burkinabè sauront exactement ce qui s’est passé depuis le début de la révolution jusqu’à sa fin. Vous contribuez à travers cette initiative à permettre à ceux qui ont vécu la révolution de partager avec l’opinion ce qu’ils ont gardé en eux, même si cela ne veut pas dire que ces derniers ont toujours raison. Je vous tire mon chapeau et vous souhaite longue vie et de demeurer constant sur votre lancée. Car, j’ai constaté depuis un certain temps que votre journal gagne de plus en plus en force parce que vous avez pu vous mettre au-dessus des luttes partisanes.

Entretien réalisé par Hamidou Ouédraogo

L’Observateur

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