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Fidèle Toé, ancien ministre du CNR : Témoignage vibrant sur la journée du 15 octobre 1987

Publié le mardi 9 octobre 2007 à 09h26min

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Fidèle Toé

Ami d’enfance de feu le président Thomas Sankara, ancien ministre de la Fonction publique du Conseil national de la Révolution (CNR), Fidèle Toé livre pour la première fois à Sidwaya, son témoignage sur la journée du 15 octobre 1987, 20 ans après...

"Permettez-moi de parler d’abord de la journée du 14 octobre avant celle du 15 octobre 1987. Le mercredi 14 octobre 1987, il y a eu un conseil des ministres. Je me suis retrouvé, comme bien d’autres membres du gouvernement, au Conseil de l’Entente. Au cours de ce conseil, il y a eu d’importants dossiers parmi lesquels celui de la Force d’intervention du ministère de l’Administration territoriale et de la Sécurité (FIMATS). Ce n’était pas la première fois que ce dossier venait en examen en conseil des ministres mais, pour la première fois, il a reçu un avis favorable de tout le conseil après des explications du ministre en charge du dossier.

Le président Sankara, après le conseil, a eu à dire aux ministres qu’il y avait un certain nombre de problèmes au niveau de la nation. Il a poursuivi qu’il faisait une critique aux membres du gouvernement qui ne lui avaient pas posé de questions ; de la situation dans le pays alors qu’ils savaient tout ce qui se disait sur la situation nationale. "Les gens disent que Blaise va me tuer. Ils disent également que je vais tirer sur Blaise, que j’ai tenté de tirer sur Henri Zongo et que je l’ai raté. Je ne peux pas déposer une plainte contre eux....". C’est ce qu’il a dit à l’ensemble des ministres après le conseil. Et il a trouvé que c’était une injure pour lui que les gens lui prêtent ces intentions.

Il a ensuite, soutenu que la situation nationale était délétère et que suite à ces dires, ils s’étaient rencontrés, lui et les trois autres chefs historiques de la Révolution (Blaise Compaoré, Jean-Baptiste Lingani et Henri Zongo), qu’ils s’étaient entendus, qu’il n’y avait plus de problèmes et que tout était rentré dans l’ordre.

Je crois que c’est avec soulagement que je suis sorti du conseil des ministres de ce mercredi 14 octobre 1987. Et j’ai dit à beaucoup de gens, ce jour-là, que j’avais le coeur léger parce que le président avait vidé ses tripes. Il a dit certaines choses. Il a dit par exemple qu’il n’y avait pas de bagarres entre les membres du Conseil national de la Révolution (CNR), surtout entre ses quatre dirigeants.

Une semaine auparavant, le mercredi 7 octobre 1987, le président Thomas Sankara avait donné au cours du conseil, une copie de la lettre que Ché Guévara avait adressée à son ami Fidèle Castro avant de quitter l’île de Cuba. Un passage de la lettre disait ceci : "Je m’en vais. Je sais que je laisse ma femme et mes enfants. La Révolution établie à Cuba s’occupera de ma femme et de mes enfants...". Un ministre a demandé au président Thomas Sankara ce que signifiait cette lettre. "Comprenne qui pourra...", telle a été sa réponse. Le ministre a poursuivi en demandant si c’était révolutionnaire de partir sans laisser quoi que ce soit à sa femme et à ses enfants. Et Sankara a répété : "Je vous ai dit, comprenne qui pourra...". Ça, ce sont des mots, des situations qu’il faut avoir vécus, avoir compris, pour aborder le problème du 15 octobre.

Le jeudi 15 octobre 1987, je suis allé au travail comme tout le monde. J’ai tenté de joindre le président toute la matinée. La secrétaire m’a dit qu’il était au palais. J’ai alors laissé un certain nombre de points relatifs à certains dossiers, sur lesquels je voulais discuter avec lui. Sa secrétaire a enregistré. Vers 16 heures, j’étais au bureau, en tenue de sport. J’ai encore demandé à le joindre. "Il est justement dans son bureau. Je vous le passe...", m’a répondu sa secrétaire, Mme Oubda. Vers 16 h 10, j’ai effectivement conversé avec lui sur les différents points des dossiers que j’avais transmis à sa secrétaire. Au cours de la discussion, il m’a dit : "Ecoute, je voulais t’envoyer en mission". C’était au Cameroun, je crois. Nous avons un certain nombre de points de vue que nous défendions au conseil d’administration du CRADAT (où le Burkina était membre) qui commençaient à intéresser beaucoup de gens. La présidence du conseil d’administration de cette structure devait être assumée de façon tournante afin de permettre à tous les Etats membres de pourvoir à ce poste, de même que les sessions devaient se tenir, tour à tour, dans les pays membres. Il m’a donc dit de passer vers 18 heures pour que nous puissions échanger sur tous ces points.

Quelques temps après, j’ai entendu des coups de feu. J’étais toujours au bureau. Des gens sont venus me dire qu’il y a des tirs au Conseil. Certains m’ont même demandé ce qu’il fallait faire. Beaucoup d’entre eux m’ont conseillé de rentrer chez moi. Des gens qui ignoraient que je savais conduire ont proposé de prendre le volant. Un agent du ministère (je peux dire son nom), il s’appelle Kaboré, a même insisté. Il travaille aujourd’hui à la pharmacie Bethania. Il peut témoigner. Je lui ai dit que j’allais conduire moi-même.

Quand je suis arrivé au niveau du ministère de la Promotion économique, j’ai vu Henri Zongo qui quittait, lui aussi, le ministère, accompagné de deux militaires. Je les ai suivis naïvement. Nous avons contourné l’hôtel Indépendance. Mon domicile était situé rue Agostino Neto. Henri Zongo, au lieu de tourner pour aller à son domicile, a continué mais moi je suis allé directement chez moi. Vous savez, entre ma maison et celle de Blaise Compaoré, il n’y avait qu’une seule maison.

J’ai appris le même soir qu’Henri Zongo était à Zabré et s’apprêtait à franchir la frontière pour aller au Ghana. Je suis resté chez moi et des amis sont passés me voir. Ils me disaient qu’ils ne comprenaient pas ce qui se passait. Le commandant de la gendarmerie habitait en face de chez moi. Des gens sont entrés là-bas et se sont mis à tirer. J’avoue que je les ai vus mais je ne sais pas qui faisait quoi. Moi-même j’aurais pu tirer sur quelqu’un parce que j’avais une arme comme tous les autres membres du gouvernement. Je suis allé ensuite chez des amis et j’y ai suivi les différentes interventions...

Propos recueillis par Issaka DABERE (issiak39@yahoo.fr)

Sidwaya

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