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Soumaïla Cissé (UEMOA) : "La pauvreté est le terreau de la criminalité et des violences..."

Publié le lundi 1er octobre 2007 à 07h31min

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Soumaïla Cissé

Le 1er octobre de chaque année est célébrée la Journée mondiale de l’habitat. Dans ce cadre, le parrain de la manifestation au Burkina Faso, le président de la commission de l’UEMOA, le Malien Soumaïla Cissé fait l’état des actions entreprises dans le secteur de l’urbanisme dans la sous-région. Dans cet entretien, celui qui a été ancien ministre de l’Habitat du Mali s’exprime sur le thème de la Journée : "Une ville juste est une ville sûre...". Il ressort que l’Afrique s’urbanise et même trop rapidement, avec un taux moyen annuel compris entre 6 et 10%.

Sidwaya (S.) : Monsieur le président de la Commission de l’UEMOA, quelle est l’importance de l’urbanisation dans le processus de développement, dans un pays où l’économie est majoritairement basée sur l’agriculture ?

Soumaïla Cissé, président de la Commission de l’UEMOA, parrain de la Journée mondiale de l’habitat (S.C.) : La Commission se réjouit de la tenue de telles manifestations qui revêtent pour nous, une importance capitale, au regard de la vision et des orientations de l’Union en matière de
développement urbain, avec pour objectif de renforcer l’intégration régionale. Revenant à votre question je voudrais dire que la transition urbaine, c’est-à-dire la période d’accélération de la population urbaine, est une réalité actuellement sur le continent africain et particulièrement dans notre sous-région. On peut constater, en effet, à vue d’œil l’accroissent prodigieux de nos villes devenues tentaculaires : Ouagadougou, Abidjan, Dakar, Bamako, Lomé ...

A l’évidence, l’Afrique s’urbanise et même trop rapidement, avec un taux moyen annuel compris entre 6 et 10 %, c’est-à-dire les 2/3 du croît démographique. L’urbanisation en tant que processus par lequel une société organise son territoire en ensembles urbains harmonieux et viables ne doit pas faire peur. Dans un sens, c’est une chance pour l’économie et pour le développement du pays et de la sous-région entière. Le rythme accéléré de cette urbanisation ne permet pas aux municipalités et aux Etats de faire suivre les services sociaux de base : extension des réseaux d’adduction d’eau, de téléphone, d’éclairage public, d’égout, d’infrastructures sanitaire, scolaire, d’hygiène et d’assainissement.

A ces infrastructures de base s’ajoute le manque de logement d’où le développement d’habitations précaires et de quartiers périphériques : les bidonvilles, les non lotis... où se développent toutes sortes d’activités répréhensibles, dont la criminalité.
L’autre fait remarquable et qui est aussi particulier à l’urbanisation est qu’elle se fait sans développement économique significatif. Tenez : au niveau communautaire, le taux moyen de l’accroissement urbain oscille entre 8 et 10% l’an alors que les performances économiques ne dépassent guère les 5%.

Même si le secteur informel absorbe une partie des nouveaux urbains, beaucoup se retrouvent sans-emploi fixe et donc dans la précarité. C’est à juste titre qu’on dit, de nos jours, que « la pauvreté s’urbanise. » C’est donc pour tout cela que le phénomène suscite des inquiétudes et beaucoup d’interrogations. Il devient donc urgent de s’y préparer, de l’encadrer pour réduire les effets pervers et surtout de le mettre à profit. Cette nouvelle vision de l’urbanisation est d’autant plus indispensable que les villes ne font que réaffirmer et consolider leurs nouveaux rôles d’acteur et moteur du développement.

S. : Cette vision ne relève t-elle pas de l’utopie ?

S. C. : Actuellement, les villes produisent une bonne partie des richesses de nos économies. Entre 30-35 % des PIB des pays proviennent des villes. Le pouvoir d’achat et donc la demande ainsi que la productivité y sont plus importants que dans les campagnes.
Par ailleurs, les villes offrent d’énormes opportunités qu’il faut saisir en particulier une demande qui peut soutenir le développement des activités manufacturières des PME et des services. La main d’œuvre qui s’y trouve déjà devrait pouvoir être mise à profit à cet effet moyennant quelques formations de mise à niveau.
Sur le plan national, l’urbanisation devrait pouvoir profiter normalement au secteur agricole. En effet, les campagnes sont appelées à fournir les matières premières locales indispensables aux PME et à nourrir les citadins. Cela demande une révolution dans l’agriculture qui devrait devenir plus intensive et augmenter les revenus des paysans. L’urbanisation peut donc développer une solidarité villes -campagnes.

Sur le plan régional, la trame urbaine, c’est-à-dire la répartition des villes dans l’espace communautaire, est fondamentale pour le bon fonctionnement du marché commun régional. Dans ce cadre précis, l’Afrique de l’Ouest doit faire face à une situation spécifique qui est la trop grande concentration des villes le long de la bande côtière de Lagos à Abidjan. Cette situation déséquilibre gravement l’urbanisation de notre espace communautaire au détriment des villes de l’hinterland.

Il est donc impératif de promouvoir le développement des villes moyennes secondaires pour éviter le basculement total de la population de la région dans les années à venir (2020-2030). Ces villes qui bénéficieront d’une attention particulière en équipements pour les services et missions devront servir de relais aux métropoles que sont les villes principales de chaque pays, afin d’éviter la rupture entre les zones sahélienne et côtière. Une complémentarité et une coopération entre elles s’imposent. Ce faisant, le développement devient plus équilibré et polycentrique.

Enfin au plan international, la globalisation croissante de l’économie fait des villes des entités incontournables. Elles constituent le miroir de la région. Leur niveau de développement économique, de compétitivité et leur position géographique sont indispensables pour l’insertion de la région dans le commerce mondial.
Comme vous le voyez, l’urbanisation, malgré ses effets pervers, devrait constituer une chance à saisir par nos pays pour promouvoir leur développement et par l’UEMOA pour renforcer l’intégration régionale.

S : Dès lors, quelles sont les actions que l’UEMOA entend mener en faveur du développement urbain durable dans les pays membres de l’Union ?

S.C. : L’UEMOA a perçu très tôt l’importance de la contribution des villes au développement en général, et au renforcement de l’intégration régionale, en particulier. C’est pourquoi l’Union a inscrit dans sa politique d’aménagement du territoire adopté en janvier 2004 à Niamey par les chefs d’Etat et de gouvernement, la promotion des villes de l’espace communautaire.
En effet, l’acte Additionnel adopté stipule dans son axe 2 la nécessité de « définir une armature urbaine régionale et de mener une politique en faveur de la ville ».
L’objectif visé est de parvenir à un meilleur maillage et à une bonne fonctionnalité de tout l’espace régional, sur la base de pôles de développement et d’équilibre d’une part, et d’autre part, de permettre aux villes de l’Union de jouer un rôle prépondérant dans la construction du marché régional et la connexion de l’espace communautaire aux grands courants mondiaux d’échanges.

S. : Au-delà de cette volonté théorique, qu’est-ce qui est concrètement fait sur le terrain ?

S. C. : Dans ce cadre, l’UEMOA, par ses actions, stimule la mise en place d’un système urbain plus équilibré, encourage une organisation territoriale polycentrique, favorise la complémentarité entre les villes afin de garantir un développement urbain soutenable.
Elle engage également des actions qui, à terme, doivent renforcer les villes en tant que centres régionaux, moteurs à la fois de la croissance et de l’emploi, et promouvoir une économie urbaine diversifiée, flexible et compétitive.

Toutes ces perspectives supposent une clarification des missions et fonctions des villes métropoles comme des villes secondaires de l’espace communautaire avec la nécessité de les doter d’équipements correspondant à leur hiérarchie. Il s’agit donc, sur le plan des dynamiques territoriales, d’insérer les villes de l’Union dans des réseaux et des logiques de complémentarités à différentes échelles, non seulement selon leur spécificité propre, mais aussi par rapport à leur position relative dans les réseaux d’échanges régionaux, nationaux et internationaux. Bref, il s’agit donc pour l’UEMOA de préparer ses villes à mieux répondre aux multiples et divers défis du développement, de l’intégration et de la mondialisation.

Consciente de la complexité des actions et de la délicatesse de la démarche, l’UEMOA s’y est mise suivant une approche progressive dont la première étape consiste à faire tout d’abord l’état des lieux. Ainsi, les actions engagées par la Commission en faveur du développement urbain à ce jour concernent essentiellement l’exécution dune série d’études. Ces études portent essentiellement l’élaboration d’un Programme indicatif régional de Développement urbain dans les pays membres de l’Union ainsi que sur la structuration et la promotion des corps des métiers du secteur du développement urbain. Ensuite sur l’harmonisation des textes régissant la profession d’architectes dans les pays membres de l’Union.
Et enfin, sur l’organisation et la promotion de l’expertise immobilière.
Ces études très importantes aboutiront à des propositions concrètes et adaptées en vue d’une meilleure gestion de nos villes.

Par ailleurs, la Commission se propose d’instituer dans les années à venir, un Grand prix UEMOA de l’Urbanisme pour récompenser les exemples de bonnes pratiques en termes de planification du développement urbain et de l’avenir des villes de l’Union.
Pour ce faire, elle compte éditer un « annuaire de l’audit urbain » dont le principal objectif est de permettre d’établir des comparaisons entre les villes de l’Union. Un tel prix devrait inciter les municipalités à œuvrer pour rendre leurs cités plus conviviales et apporter plus de sécurité à leurs administrés.

S : Que faut-il comprendre par “ une ville juste est une ville sûre” ?

S.C. : Vous faites certainement allusion au thème central retenu cette année par les Nations Unies pour célébrer la journée mondiale de l’habitat. Ce thème nous interpelle tous parce qu’il fait réfléchir sur l’état des établissements humains et le droit minimum à un logement décent pour tous. Ses implications sont diverses. Il fait penser à l’insécurité croissante, aux inégalités sociales, aux catastrophes naturelles ou causées par l’action de l’homme.

Compris dans ce sens, ce thème devrait alerter la communauté internationale sur la responsabilité collective qui est la sienne, à savoir veiller sur la situation actuelle et avenir de l’habitat humain et des grands centres urbains. En effet, à quoi assiste-t-on aujourd’hui dans les villes ?
Dans beaucoup des grandes villes, et à des degrés divers, la criminalité et la violence se développent et sont source profonde d’insécurité. Selon des études récentes, 60% des citadins de par le monde ont été victimes d’agressions de divers ordres. C’est donc une sérieuse menace pour les villes.

Aujourd’hui, on sait également que la pauvreté est le terreau de la criminalité et des violences en tout genre. Par ailleurs, d’autres grands problèmes gangrènent les villes. C’est notamment la précarité de l’emploi, le fort taux de chômage, la pauvreté... Les conditions de survie dans les villes provoquent un relâchement des liens familiaux, fragilisent la cohésion sociale.

Les villes sont de plus en plus gagnées par l’individualisme aux dépens de la solidarité et de l’hospitalité légendaire de l’homme africain. Dans ces conditions, les dangers et la sécurité des villes constituent encore d’immenses défis pour les gouvernements et les pouvoirs locaux, c’est-à-dire les municipalités.
Pour moi, la ville juste sera donc cette ville dont la planification, la gestion et les réglementations permettront de faire face avec efficacité à ses différents défis cités plus haut pour aboutir éventuellement à leur suppression progressive.

Une ville juste est celle qui traitera ses citoyens de façon à éviter l’exclusion sociale, réduire les inégalités sociales, la misère, la pauvreté et qui assure aux populations les services de bases dans les mêmes conditions sans discrimination.

La ville « juste » devrait offrir les mêmes chances de développement et de vie dans un environnement sain et sûr à toutes les couches de la population. La ville « juste » devrait accorder les mêmes droits et conditions d’accès à un logement décent, la sécurité de l’emploi, les conditions minima d’hygiène et de santé.
Une ville qui répondrait à ses critères ci-dessus et qui de surcroît serait gérée suivant les principes de la bonne gouvernance en faisant participer les représentants de ses habitants aux prises de décisions pourrait être qualifiée de ville « juste » car les tensions sociales seraient moindres. Elle peut donc devenir relativement plus sûre grâce à cette gestion décentralisée.

S : En quoi la gestion du développement urbain est-elle importante ?

S.C : La question urbaine est pour la Commission d’une grande importance pour le devenir et la structuration de l’espace UEMOA. En effet, les espaces urbains sont au cœur des processus de globalisation, de transformation technologique et de recomposition économique et sociale des territoires. Les villes constituent donc les miroirs des changements et sont au carrefour des enjeux économiques, sociaux, écologiques et culturels. Les centres urbains sont les lieux du progrès économique, de l’innovation technologique de la création culturelle. La Ville (au sens large du terme) est devenue donc un territoire stratégique pour promouvoir le développement. Cependant, pour exprimer pleinement les potentialités et avantages des villes, il faut développer de grandes capacités managériales locales d’où une nouvelle approche de gouvernance et de bonne gestion. Les composantes de cette bonne gestion sont, d’une part, un environnement de qualité, une bonne organisation des services de transport et la maîtrise de l’étalement urbain, d’autre part.

S. : Ne serait-on pas en face d’une dynamique irréaliste qui rêve de faire le bonheur des villes et des citadins, sans les y associer ?

S. C. : Les villes devraient se voir confier de plus grandes responsabilités, afin de mieux répondre aux besoins des citoyens. Cela ne peut se faire que dans le cadre de cette nouvelle gouvernance locale basée sur des partenariats entre tous les acteurs, à savoir : les gouvernements, le secteur privé, les municipalités, les organisations non gouvernementales et les citoyens eux-mêmes. Ces partenariats sont désormais indispensables pour la fourniture des services urbains en quantité et en qualité, y compris sur le plan des investissements.
Par ailleurs, les citadins qui sont à la fois citoyens et usagers des services de la ville ont un rôle important à jouer dans la gestion du bien public et de l’aménagement de leurs cités. C’est pourquoi cette nouvelle gouvernance exige la mise en place de structures décisionnelles ouvertes à tous les acteurs concernés, avec une clarification des rôles dans une parfaite coordination de leurs actions.

Cette nouvelle gestion urbaine, basée sur les pratiques de la bonne gouvernance socialement intégrée, transparente, participative et responsable constituera certainement un facteur important pour l’éradication de la pauvreté et pour la promotion du développement. C’est cette démarche que tentent de mettre en place beaucoup de pays de l’Union.

S : Quel regard spécifique portez-vous sur les villes du Burkina ?

S.C. : Au Burkina, les villes connaissent la situation générale que nous avons décrite tantôt. Leurs problèmes sont identiques à ceux que connaissent la plupart des pays africains notamment ceux de la sous-région, caractérisés par une forte croissance de la population urbaine avec un prodigieux étalement spatial, un besoin croissant en infrastructures et services sociaux de base.
Je me réjouis des actions menées dans ce sens par les autorités du Burkina qui appréhendent à juste titre la dimension de cette problématique puisqu’elles ont engagé des politiques concrètes en la matière.
On peut citer certaines actions engagées dans ce domaine :
la construction des cités (Cité an I, Cité an II an, Cité an III ...) ; la production de parcelles de terrains à usage d’habitation, non seulement dans les principales villes, mais aussi, dans les villes secondaires et les communes à travers tout le pays.

Il y a également l’adoption d’un code de l’urbanisme et de la construction ; le lancement en juillet 2007 d’un vaste programme de production de 10 000 logements sociaux et économiques sur 5 ans, au bénéfice des travailleurs salariés du secteur public et privé.
Toutes ces actions sont complétées harmonieusement par un montage juridique et financier conséquent, en partenariat avec les banques locales, notamment la Banque de l’Habitat du Burkina Faso, les promoteurs immobiliers et les collectivités territoriales.

La ville de Ouagadougou, vitrine du pays, est citée comme ville propre avec sa célèbre « Brigade verte. » La vision des autorités municipales est visible par un leadership avéré, une expérience acquise à travers l’Association des Municipalités du Burkina Faso, un partenariat fécond initié avec d’autres associations au niveau international. Voilà autant d’atouts qui confortent cette expérience, à mon avis, tout à fait exemplaire...
Ce sont là des opérations qui cadrent parfaitement avec les objectifs que vise l’UEMOA à travers sa politique de développement urbain.

Une interview réalisée par Ibrahiman SAKANDE
Email : ibra.sak@caramail.com

Sidwaya

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