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Plaidoirie des jeunes avocats : Pour un respect effectif des droits de la défense au Burkina Faso

Publié le lundi 1er octobre 2007 à 06h26min

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Ce matin, s’effectue, dans la salle des banquets de Ouaga 2000, la rentrée judiciaire des cours et tribunaux du Burkina Faso pour l’année 2007. "Les droits de la défense dans l’ordonnancement juridique burkinabè ; tel est le thème retenu pour l’année judiciaire et qui est l’objet des plaidoiries des jeunes avocats, que nous proposons ci-après.

Aujourd’hui, c’est la rentrée judiciaire. Au fait, rentrée des juges ou rentrée judiciaire ? Telle est la question que s’est posée et que se pose encore l’Union des Jeunes Avocats du Burkina (UJA-B) dans la mesure où l’organisation de cette audience a encore mis à l’écart un pan important du personnel judiciaire, à savoir la défense : les avocats. Cet oubli est encore plus grave cette année où le thème retenu est justement : « Les droits de la défense dans l’ordonnancement juridique burkinabé ».

Les droits de la défense sont les droits qu’a toute personne de se protéger dans le cadre d’une procédure judiciaire ou disciplinaire contre les atteintes que peuvent comporter un procès, que ce soit personnellement, ou bien assistée par un avocat. Qui donc, que les professionnels de la défense sont mieux placés pour parler des droits de la défense ? Ce thème, à n’en pas douter, revêt un intérêt particulier pour les avocats, eux qui exercent la défense des justiciables tant devant les instances juridictionnelles et disciplinaires que devant l’administration publique. C’est en cette qualité de professionnels de la défense, que nous nous proposons de faire un point sur la réalité des droits de la défense au Burkina Faso.

Loin de nous appesantir sur une énumération des textes en la matière, l’UJA-B s’intéressera plutôt aux atteintes aux droits de la défense au Burkina Faso, qu’elles soient d’ordre organisationnel ou procédural. Avant tout développement, l’UJA-B s’étonne de la tenue de l’audience solennelle de rentrée judiciaire non pas au siège d’une juridiction, mais dans une salle de banquets. A-t-on perdu de vue qu’au-delà de son caractère solennel, il s’agit avant tout et surtout d’une audience ? A ce point ?

Le premier des droits de la défense, c’est le droit de tout justiciable d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial. Seul un juge indépendant et impartial est en effet à même d’assurer les droits de la défense. C’est pour cela que le constituant a proclamé l’indépendance du pouvoir judiciaire. Mais cette garantie première souffre de nombreuses atteintes, maintes fois relevées par les magistrats eux-mêmes, et qui pour l’essentiel concernent l’absence des garanties de carrière, la politisation et la corruption, toutes choses rendant fragiles et peu soucieux de la légalité ceux d’entre eux - et ils sont nombreux - qui veulent vite gravir les échelons. Dans ces conditions, il y a des risques sérieux de violations des droits de la défense de la part du juge lui-même, souvent en toute bonne foi.

Dans l’hypothèse où le juge méconnaît les droits de la défense de bonne foi. Il aura la conscience tranquille peut-être, mais ce sont ses compétences techniques qui s’en trouveraient accusées, voire contestées. Nul juge, en effet, ne peut trouver du plaisir à savoir que sa décision a été annulée pour méconnaissance de la loi, même si en prévoyant des degrés de juridiction, le législateur lui-même a sous-entendu qu’un juge n’est pas infaillible.

Dans l’hypothèse où il aurait choisi de violer la loi en connaissance de cause. Il ne faut pas refuser de voir : ces cas existent dans nos palais et les médias n’ont pas tort. Lorsque le juge est intéressé au résultat du dossier, lorsqu’il devient implicitement ou explicitement l’avocat d’une des parties, bref...lorsque l’une des parties au procès devient le client du juge, alors, neuf fois sur dix, il méconnaîtra les droits de la défense. Là où le bât blesse, c’est qu’en ce cas aussi, dix fois sur dix, il choisit délibérément, au cimetière des principes, d’enterrer... non plus seulement son honneur mais toute sa personnalité.

Or, la perte de sa personnalité pour un juge est la pire des maladies incurables : il en gardera les séquelles toute sa vie durant. Certes, il en est qui n’ont cure de personnalité, de dignité ... et autres honneurs qui ne sont pour eux que développements savants. Tel est l’exemple de ceux qui se sont trompés de profession. Leur remède, c’est un Conseil Supérieur de la Magistrature qui a la ferme volonté de discipliner les éléments de son écurie.

Toute complaisance, comme c’est le cas jusqu’à présent, ne peut qu’engendrer l’irréparable. Comment peut-on comprendre en effet, que les actes de corruption dont des magistrats seraient auteurs, relatés par les médias comme des faits divers ordinaires : le juge d’instruction « S » qui se fait remettre tant de francs, tel substitut commissionné par son supérieur qui se fait remettre plus que ce qui était requis, tel président qui ... ; sans qu’il n’y ait aucune suite !

Par ailleurs, les droits de la défense souffrent aussi de la prépondérance du ministère public alors que celui-ci, aux termes de l’article 124 de la constitution, n’exerce pas le pouvoir judiciaire. En effet, en disposant que « le pouvoir judiciaire est confié aux juges » le constituant a sciemment entendu exclure ceux des magistrats qui n’ont pas cette qualité. Il s’agit des magistrats du Ministère Public. Or nous constatons :

qu’il n’y a aucune distinction entre magistrats du siège et ceux du parquet, ils vont et viennent d’une fonction à l’autre avec tout ce que cela comporte ;
des procureurs, super juges, qui après avoir mis en mouvement l’action publique, la conduisent à un rythme qu’ils déterminent ;

des atteintes graves à la présomption d’innocence à l’occasion des conférences de presse du parquet relativement à des affaires en cours d’instruction ;
des privations de liberté par le biais d’ « ordres de mise à disposition » (OMD) qui ne reposent sur aucune base légale ;
la systématisation des enquêtes à parquet, menées par le procureur, lui-même partie au procès, hors l’assistance du conseil ;

la défiance de certains procureurs à l’égard des avocats, allant jusqu’à menacer de les déposer ou à affirmer que « le parquet est une partie privilégié » au procès ou encore à s’opposer au droit pour le justiciable de conférer avec son avocat aux motifs qu’ « il pourra en résulter une concertation frauduleuse ». Si les atteintes aux droits de la défense sont souvent d’ordre organique, certaines et les plus insupportables s’ont d’ordre procédural. En effet, les droits de la défense sont très largement violés tant devant certaines administrations que devant nos juridictions.

Le règlement de certains litiges commence devant des administrations publiques avant d’arriver chez le juge : ce sont essentiellement d’une part l’inspection du travail pour la phase de conciliation dans les conflits nés de l’exécution d’un contrat de travail, et d’autre part la police et la gendarmerie en matière pénale.

Malgré les dispositions claires de la loi 16/2000 du 23 mai 2000 portant règlementation de la profession d’avocat, qui indique de façon claire que « toute personne peut recourir à l’assistance d’un avocat tant devant les instances juridictionnelles ou disciplinaires que devant les administrations publiques », il s’en trouve des inspecteurs du travail, heureusement peu nombreux, à Bobo-Dioulasso notamment, qui refusent de façon injustifiée la présence d’un avocat dans le cadre des procédures de conciliation devant eux.

S’agissant de l’enquête préliminaire qui se déroule devant la police judiciaire : En cas de survenance d’un crime ou d’un délit, en effet, c’est à elles de diligenter les enquêtes, rechercher les personnes soupçonnées et les traduire devant le juge. Dans ce cadre, il arrive que la police et la gendarmerie arrêtent des personnes pour les besoins de leurs enquêtes : c’est la détention préventive. Il se pose alors le respect des droits de la défense de ces dernières.

Pendant que tous les pays démocratiques et en particulier ceux de la sous-région (au Bénin, en Côte d’Ivoire, au Mali, au Sénégal, au Togo, ...) admettent la présence de l’avocat en enquête préliminaire, le Burkina continue de faire cavalier seul dans la négation de ce que la personne interpellée à la gendarmerie ou à la police puisse bénéficier de ce droit élémentaire qu’est l’assistance d’un avocat. Les conséquences de ce refus sont les multiples atteintes aux droits de la défense telles : les détentions préventives au-delà des délais légaux de 5 jours (y compris la prolongation en principe), les détentions pour des affaires purement civiles ou commerciales, les recouvrements forcés de créances... Vivement que des dispositions soient prises pour que cette situation cesse enfin !

Comment passer sous silence, le fait que les droits de la défense sont, hélas, méconnus par les avocats eux-mêmes. On ne peut que déplorer que le conseil de l’ordre lui-même ait refusé que des avocats assistent une personne qu’il a convoquée pour l’entendre dans le cadre d’une demande d’inscription au tableau des avocats ; cela, c’est ... Devant les juridictions, les atteintes aux droits de la défense peuvent être relevées à deux niveaux : la phase de l’instruction et la phase du jugement.

Les atteintes aux droits de la défense au stade de l’instruction se manifestent et au moyen d’une inversion d’une règle capitale de la procédure pénale. Alors qu’en principe la détention est l’exception et la liberté la règle pendant l’instruction, nos juges d’instruction font très souvent exactement le contraire : la détention devient la règle et la liberté l’exception ; et cela même dans des hypothèses où la détention n’est pas ou plus nécessaire à la manifestation de la vérité. La situation se détériore complètement pour l’inculpé lorsque, en plus de la lenteur habituelle de l’instruction, son avocat sollicite des renvois répétés.

Une autre atteinte est cette disposition de l’article 82 du code de procédure pénale qui permet au procureur du Faso de « choisir » son juge d’instruction. L’application de cette disposition peut conduire le procureur à saisir un juge d’instruction en considération de critères peu ou pas objectifs. Pour l’UJA-B, il est impératif et urgent que cette disposition soit relue pour permettre la désignation du juge d’instruction selon des critères transparents et objectifs. Il y va de la crédibilité de notre justice.

On peut aussi, à ce niveau, évoquer avec regret l’absence de l’avocat dans l’instruction en cas de constitution d’office. En droit burkinabè, aucune personne ne peut être jugée en matière criminelle sans l’assistance d’un avocat. Si l’intéressé n’a pas les moyens de se constituer un avocat, il lui en est constitué d’office. Mais dans la pratique, l’avocat n’est constitué d’office qu’au stade du jugement, c’est-à-dire à un moment où « les dés sont déjà pipés ». En effet, les vices de procédure ne pouvant être invoqués que pendant l’instruction mais pas au stade du jugement, que peut un avocat commis seulement à ce stade ? Pauvres accusés, pauvres avocats, que pouvez vous alors que la plupart des moyens de droit vous sont fermés ?

S’agissant du stade du jugement, c’est à ce niveau que s’expriment les manières les plus achevées de comportements attentatoires aux droits de la défense. Le récent procès des fraudes aux concours de la fonction publique en est l’exemple même :
la présomption de culpabilité :

« Tout accusé est présumée innocent ... », cela est connu. Cependant, l’observation des audiences de nos juridictions montre plutôt des magistrats venus pour condamner des coupables. En effet, passant par-dessus les éléments de preuve du dossier, en véritables inquisiteurs, ils se contentent de répéter au prévenu pour toute preuve : « Tu mens ! Dis la vérité ». Mais de quelle vérité s’agit-il ? Certainement celle du juge et du parquet. De fait, le prévenu comparaît non pas pour que le parquet prouve sa culpabilité, mais pour prouver qu’il est innocent. Vous avez dit présomption d’innocence !
le refus du doit à la parole aux avocats :

Il n’est pas rare de voir nos juges refuser de donner la parole à un avocat qui la sollicite. Dans d’autres cas, ils n’hésitent pas à l’interrompre... s’il est vrai que le juge a la police de l’audience, cela ne peut signifier pour autant qu’il est policier à l’audience. Dans le procès ci-dessus évoqué, le président du tribunal en est arrivé à demander aux avocats de ne plus invoquer une disposition précise du code pénal, le tribunal ayant déjà tranché sur la question avant la clôture des débats.
les traitements dégradants : Le prévenu, quoique poursuivi, demeure une personne humaine ayant cette dignité. A ce titre, il mérite respect de la part de tous, surtout du magistrat (qu’il soit du parquet ou du siège).

Malheureusement, ce droit fondamental est méconnu par ceux-là qui en sont les gardiens. Voir les prévenus debout à la barre pendant de longues heures est tellement courant que pareille méconnaissance n’a plus rien d’extraordinaire. De 8h 30 à 02h du matin environ, soit 18 heures environ débout. C’est le supplice infligé par le tribunal aux prévenus de l’affaire de fraude ci-dessus évoquée. C’est tout simplement une torture et cela est inadmissible dans un Etat de droit... Même Saddam Hussein s’est défendu assis. Peut-être a-t-on déjà oublié ce chef de famille tombé à la barre du tribunal de Koungoussi et qui en a perdu la vie ?

Sans réserve Afin que nul n’en ignore

Pour l’Union des Jeunes avocats du Burkina Le bureau exécutif

L’Observateur Paalga

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Vos commentaires

  • Le 1er octobre 2007 à 16:55 En réponse à : > Plaidoirie des jeunes avocats : Pour un respect effectif des droits de la défense au Burkina Faso

    Très bonne déclaration. J’encourage vivement les Jeunes Avocats à aller de l’avant dans ce combat. Je suis moi-même magistrat et j’admets que c’est très souvent decevant. Il faut mettre fin à toutes pratiques qui violent les droits fondamentaux. Il faut regretter que parfois certains avocats semblent se complaire dans cette situation (resiganation ?) et même en sont complices. Il faut l’application stricte de la loi dans nos juridictions, le citoyen ne demande que cela, rien d’autre !

    • Le 1er octobre 2007 à 22:38 En réponse à : > Plaidoirie des jeunes avocats : Pour un respect effectif des droits de la défense au Burkina Faso

      Bonjours à tous,
      Je vous jure sur la foi de mon serment d’avocat qu’il n’est pas donné à tout le monde d’être juge. Cette profession requiert plus de qualité, d’objectivité, d’impartialié que celle de l’avocat qui ne défend, subjectivement, que son client. L’étique, en dépit de tout, est une denrhée exceptionnelle dans les deux professions. C’est la résultante de ces deux professions, (de juge et d’avocat), embarquées quoi qu’on en dise, sur le même bâteau de la justice : celle des hommes et pas celle de Dieu. Donc, acceptons l’erreur humaine....
      Pensez tout de même à inviter les confrères de l’extérieur lors de la prochaine rentrée judicaire, car les rencontres instuisent aussi la jeunesse, notre jeunesse. Me Kéré, Avocat au Barreau de Nancy, France.

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