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Ambassade du canada : "La mal gouvernance est-elle contagieuse ?"

Publié le jeudi 27 septembre 2007 à 07h25min

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Emu par l’histoire d’un gardien de l’ambassade du Canada au Burkina, ce lecteur a pris la plume pour témoigner. Voici son récit.

Je demande l’indulgence de la diplomatie canadienne pour raconter un fait sur l’ambassade du Canada. Je pensais me présenter personnellement dans cette haute représentation diplomatique pour supplier les responsables de m’accorder une faveur, celle d’écouter mon ami et de lui sauver la vie, mais j’ai eu des doutes quant aux résultats. C’est pourquoi je raconte ce fait dans la presse. Mon intention n’est pas de nuire, mais de pousser un cri du cœur. Alors mes chères Excellences, épargnez-moi tout procès au nom de la lutte pour la bonne gouvernance au Burkina Faso.

J’ai assisté impuissant aux pleurs d’un ami vigile à l’ambassade du Canada à Ouagadougou qui confessait ses déboires dans un cercle restreint avec le ton et la conviction d’un homme qui livre ses dernières volontés. Il tenait dans ses mains un préavis de licenciement. Emu, j’éprouvais des difficultés pour l’écouter et je recherchais dans mon for intérieur les mots justes pour le consoler quand il a conclu en langue mooré par des termes poignants que j’essaie de traduire : « Ce qui est insoutenable c’est que les Blancs veulent seulement vendre notre salaire à une société qui va nous exploiter pour faire le même travail pour un petit salaire. Après plus de vingt ans de service pour certains ! Il y en a même qui étaient là à l’ouverture de cette ambassade ! C’est de l’injustice... ». Étonné par une telle éventualité dans une ambassade comme celle du Canada, je lui ai demandé des éclaircissements sur cette histoire qui reste surprenante.

Les raisons officielles.

Comme raisons officielles, pour des contraintes budgétaires, le responsable administratif de l’ambassade, l’Administrateur selon notre ami, décide de réduire le coût du gardiennage. Il conclut une entente avec le Directeur de l’Unité d’Appui au Programme de Coopération Canada/Burkina Faso (UAP) pour qu’il licencie les vigiles afin de lui permettre de faire recours au service d’une société de gardiennage qui lui reviendrait moins cher. Sur le site Internet de l’ambassade, « l’UAP est une structure d’appui au programme de coopération au Burkina Faso.. . ». Dans ce cadre, une bonne partie du personnel de l’ambassade dont les gardiens auraient été recrutés par l’U AP qui les emploie ensuite au service de l’Ambassade.

Par la suite, le Directeur de l’UAP adresse des lettres à certains gardiens pour leur signifier leur licenciement à compter du 1er octobre 2007. Ces gardiens ont ensuite reçu une lettre leur demandant de manifester par écrit leur intérêt de servir au même lieu pour le compte d’une société de gardiennage. En désespoir de cause puisqu’il n’ont pas meilleure opportunité, ils auraient tous accepté, la majorité de ces vigiles ne pouvant plus participé à des concours de recrutement à cause de la limite d’âge.

L’UAP aurait obtenu que la société de gardiennage alloue à ces futurs ex-employés un salaire supérieur à celui pratiqué par cette entreprise, mais le résultat reste une réduction drastique du revenu net de ces travailleurs pour accomplir toujours le même travail. Selon notre ami, ce revenu serait divisé par trois en considérant la perte des autres avantages servis par l’UAP en plus du salaire brut.

Une réalité parsemée de doutes

Dans la mise en œuvre de ce plan de réduction de coût, la période choisie et certains faits suscitent des questions. Premièrement, le projet de passage à la société de gardiennage qui, à l’origine, concernait tous les gardiens a été appliqué seulement sur certains vigiles ; des malchanceux, "des gens sans couverture", selon notre ami qui n’a pas compris le critère de choix. Les vigiles à confier à la société de gardiennage (ou à licencier ?) seraient ceux actuellement en service à certains domiciles. Or des gardiens en poste au bureau seraient aussi concernés par la mesure. Du reste, après l’embauche, les vigiles seraient employés aux différents domiciles ou au bureau sans note d’affectation, l’un ou l’autre pouvant changer de poste à tout moment selon les besoins.

La méthode de sélection pourrait-elle être mieux expliquée à notre ami qui, visiblement, a besoin de plus d’information sur ce projet ? Deuxièmement, l’Administrateur aurait pris l’avion pour ses congés en juillet immédiatement après avoir remis la lettre au Directeur de l’UAP lui demandant la fin du service de gardiennage ; ensuite, le Directeur de l’UAP aurait convoqué les vigiles un jour de la fin août pour les informer que des négociations sont en cours avec une société de gardiennage. Le lendemain de cette rencontre, des lettres de préavis de licenciement sont distribuées à des vigiles aux logements de quelques diplomates. Certains n’avaient pas encore reçu leur lettre pendant que le Directeur de l’UAP prenait un avion pour ses congés.

Ces absences visent-elles à éviter toutes questions ou négociations ? J’ai tenté d’expliquer à mon ami que le Canada est un pays très attaché au respect des droits et que dans une telle situation on doit leur expliquer toutes les raisons du projet, évaluer leurs droits avec leur consentement longtemps à l’avance et même leur indiquer les procédures de conciliation, y compris le recours à la justice en cas de besoin. Mais jusqu’à ce jour 23 septembre 2007, ces vigiles qui vont être licenciés le 30 septembre sans avoir commis aucune faute et avec les remerciements pour les services offerts, n’auraient aucune idée du montant des indemnités qu’ils toucheront.

Last, but not least, un dossier aussi important que le licenciement d’une vingtaine d’employés aurait été planifié dans une période quasiment sans Ambassadeur : les vigiles auraient appris le premier acte après le départ de l’Ambassadeur en congé. A son retour de congé, son programme était extrêmement chargé par des questions importantes de coopération puisqu’il devait quitter le Burkina pour d’autres fonctions. Les lettres de préavis ont été distribuées après son départ définitif et avant qu’un autre Ambassadeur prenne fonction.

Le licenciement, s’il y a lieu, se fera en l’absence du remplaçant éventuel en considérant les délais administratifs de nomination et d’accréditation. Alors pourquoi choisir une telle période ? Y a-t-il réellement une urgence ou s’agit-il d’éviter toute intervention de l’ambassadeur ? Selon notre ami, les vigiles sur la liste de licenciement ne pourront pas dire humblement « Patron, mon travail finit demain, merci » ni à son Excellence Monsieur l’ambassadeur au bureau, ni à son honorable épouse, ni à ses enfants. Le 30 septembre, ils diront simplement au revoir à ceux qui veulent les licencier ou ils regarderont les murs comme tout dernier souvenir d’une carrière.

Mon impuissance devant la souffrance de notre ami a été aggravée par une autre lettre de l’UAP datée du 11 septembre (soit deux semaines après le préavis de licenciement) dont teneur suit : « Après réajustement de la grille salariale de l’UAP-CCBF par l’ACDI de +2,2% et pour tenir compte de l’augmentation du coût de la vie, j’ai le plaisir de vous informer que votre salaire mensuel passera de .....à....par mois ».

Selon l’ACDI, le salaire actuel du vigile est donc insuffisant pour faire face au coût de la vie, d’où cette augmentation qui est rétroactive au 1er août 2007. Sur le site de l’ACDI il est écrit : « Au Canada, l’Agence canadienne de développement international (ACDI) est le principal organisme responsable de l’aide au développement. Elle a pour mandat d’appuyer les activités de développement durable dans les pays en développement afin de réduire la pauvreté et de rendre le monde plus sûr, plus juste et plus prospère ». L’ACDI est-elle réellement bien informée que les mêmes personnes qui veillent sur la sécurité des diplomates canadiens feront le même travail pour un tiers du revenu net à partir du premier octobre 2007 ? Y -a-t-il réellement des contraintes budgétaires ? Le cas échéant, doit-on décider de réduire le coût, et partant la qualité de la sécurité, à la première contrainte budgétaire ?

Qu’on ne me dise pas que la qualité de cette sécurité restera identique puisque chaque personne travaillera au même poste. Le montage contient trop de risques d’échec : outre la démotivation, nul besoin de pari ou d’outils d’analyse de gestion pour voir que ces vigiles seront licenciés dans un futur très proche par la société de gardiennage. Une occasion de travail pour d’autres Burkinabè bien sûr ; mais des travailleurs-cas-sociaux qui souffriront dignement pour servir avec la fierté du Burkinabè ; avec aussi la faim au ventre en humant les odeurs qui se dégagent de la cour du patron, avec certaines odeurs corporelles par manque de savon, avec l’esprit à la maison sur l’enfant malade à qui on n’a pas pu offrir la Nivaquine pour soigner le paludisme ; souvent aussi en comptant sur la pitié du patron qui devra donner de temps à autre un soutien de sa propre poche pour la survie de ce pauvre vigile, afin « de réduire la pauvreté et de rendre le monde plus sûr, plus juste et plus prospère ». Alors pourquoi ne pas maintenir le travail et le traitement des vigiles d’aujourd’hui ? Pourquoi ne pourrait-on pas mieux organiser leur licenciement en cas d’obligation.

D’autres pistes de solutions

D’autres pistes de solutions existent pour améliorer le rapport qualité/coût du gardiennage : garder ces vigiles sous contrat UAP et les faire former par une société de gardiennage ; remplacer les départs à la retraite par des agents de cette société ; négocier une baisse des salaires (en opposition avec l’augmentation autorisée par l’ACDI) ; organiser des retraites anticipées ou susciter des départs volontaires le cas échéant. Mon ami vous supplie d’annuler ces licenciements actuels qui finiront sûrement à la justice et écorcheront sérieusement la réputation de l’UAP et de l’ambassade du Canada, une réputation entretenue depuis des années par tous les acteurs qui se sont succédé.

Si les conclusions de l’ACDI sont justes, il m’est impossible d’expliquer à notre ami la décision de scinder un ensemble de travailleurs en deux et payer certains ià un revenu si bas sans un critère objectif de sélection. A ma tentative de lui dire que le Canada est un pays attaché à la bonne gouvernance, il m’a demandé en mooré si la mal-gouvernance n’était pas une maladie contagieuse. C’est pourquoi j’ai jugé utile de porter les faits tels que relatés dans la presse en vue de faire l’écho de ses sanglots C’est une occasion pour les responsables de l’UAP d’écouter mon ami et de sauver sa carrière, sa vie et celle des membres de sa famille. A défaut, l’ambassade du Canada fera peut-être un droit de réponse qui me permettrait de formuler mes mots de consolation. Dans ce mois béni du Ramandan, les lecteurs pourraient aussi recommander à Dieu ces pauvres vigiles dans leurs prières.

OUEDRAOGO Jean Kiswendsida

Le Pays

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