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Gérard Simon, ancien ambassadeur de France : le Burkina doit relever le défi de la jeunesse pour ne pas mettre en danger la démocratie

Publié le mercredi 26 septembre 2007 à 08h18min

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S.E.M. Gérard Simon

M. Gérard Simon a été ambassadeur de France au Burkina de 1992 à 1995. Celui qui a passé 40 ans de sa vie en Afrique souligne avoir été particulièrement touché par la richesse de la vie spirituelle du peuple burkinabè. M. Simon a été ainsi à l’initiative de l’invitation du Mogho Naba aux cérémonies du 14 juillet à Paris en 1994 et aussi de l’invitation de Blaise Compaoré aux mêmes cérémonies un an plus tard. Il confie ici son admiration, ses espoirs et ses craintes pour le Burkina dans le cadre du dossier que nous consacrons au 15-octobre

J’ai consacré plus de 40 ans de ma vie à ce Continent Africain que j’ai parcouru en tous sens en m’imprégnant de la diversité de ses peuples et de leurs cultures si riches et fécondes.

Au fil de ces nombreuses expériences, une véritable ‘’ Sensibilité africaine ‘’ s’est construite en moi et cet attachement s’est accompli bien plus encore tout au long de mon séjour au Burkina-Faso tant mes relations avec les autorités et la population de ce pays se sont nourries, au fil des mois, d’une chaleur et d’une confiance rendant ma mission intéressante, facile et productive. Il est de fait que, par nature, j’ai approché ce pays avec humilité, simplicité et respect. De sorte que je me suis rapidement senti comme intégré dans une sorte de premier cercle de la ‘’ Parentèle africaine ‘’. C’est bien ainsi que peut s’ouvrir au Faso comme ailleurs le chemin des amitiés et des cœurs en honorant les traditions, la spiritualité et les valeurs d’un peuple si attachant.

Il est donc tout naturel que j’ai porté estime et considération aux pouvoirs ancestraux et aux sources mêmes de la vie spirituelle du peuple burkinabé incarnés par les Chefs coutumiers et en particulier par le premier d’entre eux Sa Majesté le Mogho Naba qui, à mon instigation et sur mon intervention personnelle auprès du Président Mitterand, a été invité à assister aux cérémonies du 14 Juillet 1994 à Paris. Il faut avoir été submergé, porté comme je l’ai été, par une multitude populaire manifestant avec enthousiasme et déférence un accueil extraordinaire au Mogho Naba revenant de Paris, pour être à même d’apprécier la force et l’emprise de cette dimension spirituelle.

De même que la France a tenu également à témoigner, à juste titre, une consécration particulièrement appuyée à S.E. Monsieur le Président Blaise Compaoré qui a été le seul Chef d’Etat Africain à coprésider aux cotés du Président Chirac le défilé du 14 Juillet 1.995 à Paris. Il est vrai que nous avions bien des raisons de lui rendre cet hommage exceptionnel lui ayant valu quelques crispations de jalousie de la part de ses pairs africains. En effet, grâce à son sens politique clairvoyant et une volonté soutenue, le Burkina Faso, sous son égide, est sorti d’un état d’exception quasiment isolé et réprouvé pour acquérir sur la scène internationale une nouvelle image de marque et une nouvelle personnalité. Nul ne conteste maintenant à ce pays les qualités d’un Etat de droit jouant un rôle positivement actif dans la sous région et en Afrique.

Cette remarquable évolution du pays en matière économique, politique, culturelle, dont tous les burkinabé peuvent être légitimement fiers, est surtout le fait d’un homme. Le ‘’ Patron ‘’ comme on l’appelle ici avec estime, respect et affection. Cependant, le chalenge n’est pas facile. Conduire vers le progrès, dans un contexte démocratique, ce Pays enclavé dont les ressources naturelles sont modestes, les conditions climatiques aléatoires et la démographie galopante, relève de la recherche de la quadrature du cercle. Cependant chacun s’accorde à constater que la modernisation et la démocratie sont en marche au Faso à un rythme bien plus élevé que dans la plupart des pays mieux nantis.

Pour ma part, j’ai hautement apprécié le climat de confiance inspirant la franchise et l’amitié qui s’est établi dans nos relations personnelles. Le sens de l’anticipation et le flair politique du Président Compaoré m’ont toujours beaucoup impressionné. C’est pourquoi je lui disais, ce qui le faisait bien rire, qu’il jouait au billard à quatre bandes et avait donc toujours un coup d’avance sur les autres.

Je dois aussi avouer que parfois, l’ampleur de ses projets m’a sidéré. Ainsi, lorsqu’il m’a montré la maquette de l’urbanisation de ce qui est devenu Ouaga 2.000 alors que ce site n’était encore que friches, dépôts d’ordures et de ferrailles, je me suis dit qu’il lui fallait une singulière audace pour oser entreprendre une telle opération. Mais il n’empêche que je me suis battu pied à pied avec les services parisiens qui entendaient implanter le bâtiment de la salle de conférences offerte à l’occasion du sommet France Afrique à tout autre endroit de la ville que la zone de Ouaga 2000, estimant qu’il ne fallait pas espérer voir y construire un jour cet ensemble utopique qui relevait, selon eux, de la manifestation d’un rêve du Président Compaoré. J’ai fini par gagner la partie et suis heureux maintenant, à chaque fois que je reviens au Burkina-Faso, de constater que j’avais été bien inspiré en choisissant le bon camp.

Mais, il est pour moi un autre défi, moins apparent que la belle réalisation architecturale de Ouaga 2.000 qui fait maintenant honneur à la capitale et qui m’angoisse. Il s’agit du devenir de ces milliers d’enfants que je rencontre en parcourant les villages disséminés au sein des grands espaces de cette brousse sahélienne aride. Je vois déjà en eux, alors qu’ils sont encore à un âge si touchant et rieur malgré le dénuement dans lequel ils vivent, tous les besoins élémentaires auxquels le pays devra répondre, à l’horizon d’un peu plus d’une décade, c’est-à-dire demain, lorsque devenus adultes ils exigeront toutes leurs places dans la société. Faute de quoi, sous les poussées de leurs attentes insatisfaites, la démocratie pourrait vaciller. Il me revient, à ce sujet, comment le Président Compaoré, que j’avais accompagné durant un séjour à Lyon, avait cloué le bec à un journaliste qui le titillait en lui posant des questions perfides sur les préoccupations des populations en matière de plénitude démocratique. Sachez, lui avait-il répondu que, pour bon nombre de burkinabé, le premier des soucis est d’avoir à manger tout au long de l’année pour eux et leurs familles car, ainsi que vous le savez, a-t-il ajouté, ventre affamé n’a plus d’oreille. Il est de fait qu’en matière de leçon de démocratie, les conseilleurs ne sont pas toujours les payeurs.

C’est pourquoi la France, dont les relations avec le Burkina Faso sont scellées par l’histoire, se doit de soutenir ses aides au développement, facteurs de consolidation et de pérennisation d’un l’Etat de droit affirmé et qui émerge en tant que pays de référence sur la scène internationale. Je souhaite, aussi, qu’au sein d’une opinion publique occidentale quelque peu désabusée s’agissant de l’Afrique dans son ensemble, l’image de ce pays soit mieux distinguée et valorisée. C’est pourquoi je soutiens, avec conviction, le projet de développement des potentialités d’un tourisme à forte connotation culturelle afin de faire mieux connaître et apprécier à l’étranger les qualités humaines et les valeurs spirituelles de ce peuple si attachant.

Témoignage recueilli par Lefaso.net

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